PREMIERE PARTIE :
Théorie et méthodologie
5
CHAPITRE I : CADRE THEORIQUE
I.I. Contexte et justification
Il est indéniable que l'éducation est l'un des
secteurs prioritaires de l'Etat. Elle relève du domaine de ses
prérogatives. Néanmoins celui-ci a voulu bien concéder une
partie de ce pouvoir au secteur privé. C'est ainsi que les
écoles, les centres, les lycées et collèges, les instituts
et grandes écoles sont les institutions spécialisées
chargées d'assurer cette éducation. Bien entendu, le nombre de
ces structures éducatives va croissant d'année en année ;
mais elles n'échappent pas pour autant au contrôle de l'Etat. Les
Directions des Etudes et de la Planification (DEP) des ministères en
charge de l'éducation disposent de données statistiques sur les
nombres d'écoles, de classes, des effectifs d'élèves et
d'enseignants présents sur toute l'étendue du territoire
national. Cependant, une catégorie d'écoles semble avoir
été oubliée et avec elle ses élèves et
enseignants. Il s'agit des écoles coraniques encore appelées
foyers coraniques. Ces écoles n'ont pas une reconnaissance officielle,
pourtant elles ne sont pas inconnues des populations qui y ont envoyé
environ 37 000 enfants en 2006, selon une étude menée la
même année par la Fondation pour le Développement
Communautaire du Burkina Faso (FDC/BF). En termes de
représentativité, ce chiffre constitue 2,66 % de l'effectif
national des élèves qui était de 1 390 5718
dans la même période.
Au regard de ce chiffre non négligeable, il nous
paraît important de jeter un regard sur ces « laissés
pour comptes du système éducatif » qui connaissent bien
de difficultés.
L'une des difficultés, nous rapporte Adama
OUEDRAOGO9, est que les enseignants des écoles coraniques ne
sont pas salariés car, selon la religion, l'éducation est une
obligation pour les parents et pour les ulémas qui sont les
érudits. A partir de ce principe, les parents emmènent leurs
enfants chez le maître en pensant que c'est Dieu qui le
récompensera. Les maîtres ne demandent rien ; mais les parents ont
la latitude d'apporter des céréales, de l'argent, des habits et
autres dons en nature. Cet apport insuffisant et irrégulier subvient
à peine aux besoins du maître et de ses élèves qui
sont obligés de pratiquer des activités agricoles ou pastorales.
Cependant, lorsque les élèves sont nombreux et très
jeunes, il devient difficile pour le maître de pouvoir les nourrir
à cause de la pauvreté des sols, du manque
8 DEP-MEBA, Statistiques 2006.
9Adama OUEDRAOGO, L'enseignement de la culture
arabe et islamique dans le département de Soaw province de
Bulkiemdé, Burkina Faso, in Revue des mondes musulmans et de la
Méditerranée,]En ligne], 124/ novembre 2008, mis en ligne le 03
septembre 2009.
d'équipement moderne de production et surtout de
l'insuffisance du nombre d'élèves pouvant cultiver. Alors, les
élèves sont obligés de recourir à la
mendicité pour vivre et étudier.
La démission des parents à l'éducation de
leurs enfants laisse les mains libres aux maitres de disposer de ceux-ci
à leur guise. C'est ainsi qu'ils peuvent se déplacer avec les
enfants à travers villes et villages. Cette transhumance met en
péril la santé et la vie des talibés. La
FDC/BF10 a rapporté le cas malheureux d'un enfant
talibé : celui-ci, confié à une famille parce qu'il
était malade et incapable de se déplacer avec son maître, a
succombé à son mal. Le maître, alors qu'il l'avait promis,
n'est jamais retourné prendre des nouvelles du pauvre talibé.
Ali HAMADACHE11 cite le manque de matériels
didactiques comme difficulté tant pour les élèves que pour
les maîtres. Cela serait lié d'abord au coüt onéreux
des livres arabes et islamiques sur le marché et surtout au manque de
moyens financiers pour se les procurer. Les outils des talibés se
résument à l'encre fabriquée avec de la suie, un roseau
taillé en biseau et une tablette sur laquelle les leçons sont
recopiées, récitées à haute voix et apprises par
coeur à force de répétition. Pour cet auteur, les
fournitures scolaires sont les mêmes depuis des siècles, se
résumant à peu de chose : une planchette en bois
(alluha) faite en général de bois ordinaire poli sur
laquelle on étale de l'argile humidifiée et qu'on laisse
sécher avant d'écrire ; un roseau taillé en guise de
stylet (qalam) que l'élève fabrique lui-même
à partir d'une tranche de bambou ou de roseau choisie parmi les plus
droites, taillée en pointe, puis fendillée au milieu ; et un
encrier fait d'une petite calebasse de la grosseur d'une pomme, ou d'une tasse
en terre ou en verre. L'encre est composée d'un mélange d'eau, de
gomme arabique pilée et de noir de fumée recueilli sous les
marmites ou de charbon de bois pilé.
De même, l'absence de locaux adéquats et de
mobiliers rendent les conditions d'apprentissage difficiles. Les enfants
s'asseyent par terre et apprennent à l'ombre des abris de fortune comme
des hangars, des arbres ; ou à ciel ouvert dans la cour du maître.
Le maître lui-même s'asseyant sur un tapis ou une peau de
prière.
Le manque de dispositif national et de moyens pour la prise en
charge sanitaire des enfants est également une gêne pour les
foyers coraniques. Les talibés vivent souvent dans un
10 Forum régional sur la réforme des
foyers coraniques tenu à Bobo du 27 au 29 avril 2010
11 Stefania Gandolfi, Cahiers d'études
africaines, 169-170, 2003, mis en ligne le 21 décembre 2006.
7
état de dénuement tel que les regles minimales
d'hygiene et d'assainissement ne sont pas respectées. Vêtus de
guenilles, couchant à même le sol nu, mangeant les restes de
nourritures et privés de suivi médical, ces enfants sont
exposés aux maladies et aux risques épidémiques. Une
étude12 a révélé que 44,04 % des enfants
de la rue de Ouagadougou seraient issus des écoles coraniques.
Le faible niveau d'alphabétisation et d'instruction des
maîtres coraniques fait qu'ils sont incapables de changement dans leurs
visions et leurs pratiques. Ils voient souvent les autorités d'un oeil
suspect, laquelle attitude les rend réfractaires aux formalités
administratives. Ali HAMADACHE écrit à ce propos que «
le bas niveau des maîtres et du savoir acquis sont souvent la
contrepartie des conditions et des modalités d'enseignement
»
Nous notons également dans ces foyers l'absence de
pédagogies et de programmes standardisés pour l'enseignement.
Tres souvent ces écoles n'ont qu'un seul maître qui peut se faire
aider par certains élèves ayant un niveau avancé et qui
ont sa confiance. Ils suppléent le maître et le remplacent pendant
ses temps d'absence pour instruire leurs camarades de niveau inférieur ;
mais ils ne sont pas reconnus comme enseignants. C'est dire que l'enseignement
est individuel ; que chaque élève progresse à son rythme
et en fonction de ses capacités, en apprenant une partie
déterminée du Coran. C'est dire que ce secteur releve de
l'informel : « une école s'éteint avec le maître
qui l'anime. Une autre renaîtra peut-être, ailleurs, dans plusieurs
années sans aucune liaison avec la première
»13.
Au-delà de tous ces aspects, il y a les
réalités sur le terrain. Le constat montre une absence de
collaboration entre les encadreurs pédagogiques en circonscription et
les foyers coraniques. D'ailleurs la majorité des acteurs les confondent
avec les medersas. L'un de nos buts est de faire ressortir la différence
entre les écoles coraniques et les medersas.
De même, les dispositions de l'article 8 de la loi
d'orientation de l'Education nous réconfortent dans notre choix pour ce
theme. Elles mentionnent que l'organisation des écoles à
caractere confessionnel et des rites initiatiques est laissée à
l'initiative des différentes communautés religieuses et des
groupes sociaux concernés. Toutefois cette loi oblige à
l'observance de certaines regles telles que : le respect des bonnes moeurs de
l'éthique et des
12 L'Evénement, décembre 2001 ; mis en
ligne le 16 septembre 2007
13 IIPE ; 1984; p. 52
lois de la République, le respect du curriculum ainsi que
le programme national, le bon déroulement de la scolarité
obligatoire, et l'obligation scolaire de l'enfant de 6 à 16 ans.
Il nous semble alors que l'examen des programmes et des
conditions d'enseignement / apprentissage des enfants talibés
contribuera à éclairer un tant soit peu les jugements quant aux
décisions à prendre par rapport aux foyers coraniques.
|