I-2. Problématique
Le Burkina Faso est un pays qui connaît un taux
élevé d'analphabétisme (environ 72 %)14. Cette
situation fait partie de l'une des variables qui tire le pays vers le bas de
l'échelle du classement mondial du Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD).
Evidemment, l'éducation n'est pas le seul secteur
prioritaire. La santé et l'accès à l'eau potable sont
également à prendre en considération. Néanmoins, il
faut considérer que le Burkina Faso a souscrit à l'initiative
mondiale des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD)
dont l'éducation pour Tous d'ici 2015 est l'un des volets cruciaux.
Dans cette dynamique, le Plan Décennal de
Développement de l'Education de Base (PDDEB) a été mis en
oeuvre dans la perspective d'atteindre 70% de taux de scolarisation et 40%
d'alphabétisation dans la période 2001-2010. Malheureusement, le
nombre considérable d'enfants déscolarisés et non
scolarisés15 constitue une contre- performance qui sape tous
les efforts en matière d'alphabétisation et de scolarisation dont
les taux actuels sont respectivement de 28,7% et 77,6 %.16
Par ailleurs, une autre réalité rend plus
difficile la situation, c'est celle des enfants talibés qui
fréquentent les écoles coraniques. En 2006, la seule ville de
Ouagadougou comptait 347 foyers coraniques avec 7 552 talibés dont 6 643
garçons et 909 filles17.
14 MEBA, Formules et pratiques en
Alphabétisation et Education Non formelles/ Rapport final
définitif, août 2008 ; P.1
15 2 205 295 enfants scolarisés sur une
population totale de 6-11ans de 2 840 873 (Annuaire Statistique de l'Education
Nationale 2010-2011).
16 MEBA, Annuaire Statistique de l'Education Nationale
2010-2011
17 Fondation pour le Développement
Communautaire du Burkina Faso (FDC/BF).
9
L'enquête préliminaire que nous avons
menée auprès de la Direction Régionale de l'Enseignement
de Base et de l'Alphabétisation de la Boucle du Mouhoun (DREBA-BMHN)
révèle que la ville de Dédougou compte 23 écoles
avec un effectif total de 8 251 élèves dont 4 103 garçons
et 4 148 filles.
Tableau n°1 : Situation 2010-2011 des
écoles primaires de la ville de Dédougou
STATUT DE L'ECOLE
|
Nbre d'écoles
|
Garçons
|
Filles
|
Total
|
ECOLE PUBLIQUE
|
14
|
3366
|
3404
|
6770
|
ECOLE CATHOLIQUE
|
03
|
351
|
399
|
750
|
ECOLE PROTESTANTE
|
02
|
103
|
105
|
208
|
FRANCO-ARABE
|
02
|
135
|
91
|
226
|
ECOLE PRIVEE LAIQUE
|
02
|
148
|
149
|
297
|
TOTAL
|
23
|
4103
|
4148
|
8251
|
Source : DREBA-Boucle du Mouhoun.
Une autre enquête provisoire réalisée
auprès des promoteurs d'écoles coraniques nous a permis de
recenser quelques sites. Elle a révélé que la ville de
Dédougou abrite 11 foyers coraniques repartis dans les secteurs de la
ville. A ce niveau, le nombre d'enfants talibés n'est pas bien
maîtrisé. Lorsqu'ils ont été interrogés sur
la question des effectifs, les promoteurs visés se sont montrés
quelque peu réservés. Néanmoins, ils varient entre 03 pour
le plus faible et 30 pour le plus élevé. La moyenne de ces
effectifs fait 18 talibés et le total est estimé à environ
198 enfants.
Le tableau ci-dessous présente la situation provisoire
des foyers coraniques de la ville de Dédougou. Il indique leur
localisation mais ne précise pas tous les effectifs. Toutefois, les
données concernant le nombre d'enfants talibés présents
dans chaque foyer apparaissent dans la deuxième partie de nos
travaux.
10
Tableau n°2 : Situation provisoire des
foyers coraniques de la ville de Dédougou
Nom du promoteur du Foyer
|
Localisation
|
Garçons
|
Filles
|
Total
|
Aboubacar DICKO
|
Secteur n°5
|
22
|
00
|
22
|
Nouhoun DIALLO
|
Secteur n°6
|
-
|
-
|
-
|
Sambo GADIAGA
|
Secteur n°6
|
13
|
00
|
13
|
Ousséini TALL
|
Secteur n°3
|
-
|
-
|
-
|
Idrissa DIALLO
|
Secteur n°2
|
-
|
-
|
-
|
Djibril DIALLO
|
Secteur n°2
|
-
|
-
|
-
|
Yéro DIALLO
|
Secteur n°2
|
-
|
-
|
-
|
Diahé DICKO
|
Secteur n°5
|
-
|
-
|
-
|
Lamine SORE
|
Secteur n°5
|
30
|
00
|
30
|
Ibrahima TALL
|
Secteur n°5
|
20
|
00
|
20
|
Yéro TALL
|
Secteur n°5
|
03
|
00
|
03
|
TOTAL
|
11 foyers C.
|
|
|
|
Source : Nos enquêtes
préliminaires sur le terrain.
En faisant le rapport avec les autres structures, les
écoles coraniques se classent avant les écoles privées
protestantes, les écoles medersas et les écoles privées
laïques. Dans l'ordre, elles se rangent après les écoles
publiques et les écoles privées catholiques.
I.2.1. Questions de recherche
A travers sa politique éducative, l'Etat
burkinabé manifeste sa volonté d'assurer l'éducation
à tous les enfants. La loi sur l'obligation et la gratuité
scolaire, la distribution gratuite des manuels et fournitures scolaires,
l'accroissement du nombre des écoles ainsi que le nombre important
d'enseignants recrutés annuellement sont autant d'éléments
qui témoignent de cette volonté. Dans la période
2007-2011, le nombre d'écoles publiques est passé de 7 513
à 8 831, soit un accroissement de 1 318 écoles. Dans le
même temps, on est passé de 29 780 à 37 476 enseignants,
soit une augmentation de 7 69618.
De plus, nous constatons la mise en application concrète
de cette politique sur le terrain par les autorités pédagogiques.
En rappel, les instructions officielles de rentrée
18 Annuaires statistiques du MEBA
mentionnent que : « Tous les enfants en age d'aller
à l'école de six (6) ans au moins et de huit (8) ans au plus, au
31 décembre de l'année de recrutement qui seront
présentés à la commission devront être
recrutés. La priorité doit être donnée aux enfants
âgés de huit (8) et sept (7) ans en cas de difficultés
sérieuses de capacités d'accueil. En cas d'effectifs
pléthoriques, un rapport circonstancié doit etre adressé
au CCEB en vue des mesures à prendre en collaboration avec la commune et
les partenaires de l'école. Une attention particulière doit
être portée au recrutement des filles ». 19
L'ensemble de ces mesures portent à croire que tous les
enfants burkinabé en âge de scolarisation sont tous à
l'école n'eut été cette réalité
présentée par les statistiques de 2010 - 2011 faisant état
de 77, 6 % de taux de scolarisation. Où donc faut-il aller rechercher
les 22,4 % manquants ? D'emblée, on est tenté de voir dans le lot
d'enfants non scolarisés et déscolarisés qui se chiffrent
à 635 57820. C'est effectivement une piste de
réflexion et de recherche ; mais que dire de ces enfants trainant dans
les rues avec une boîte vide de tomate en guise de sébile ?
Du fait que ces enfants appelés couramment enfants
talibés appartiennent à des types d'écoles officiellement
non reconnus, cela suscite quelques interrogations. C'est à se demander
si les écoles coraniques fonctionnent dans la légalité et
s'il est normal d'y envoyer les enfants. Dans le cas contraire, comment faire
pour que les talibés puissent bénéficier d'une bonne
fréquentation scolaire à l'instar de leurs camarades des autres
structures éducatives ?
Même si cette question trouve une réponse
satisfaisante, cela ne résoudra pas le probleme des talibés pour
autant, car il restera l'épineuse question de la mendicité qu'il
faut résoudre à tout prix. C'est dire que la bataille est
polymorphe et se situe sur plusieurs fronts. Elle ne saurait se mener sans
l'apport de tous les acteurs que sont l'Etat, la communauté musulmane,
les promoteurs, les parents qui ont foi en ces écoles et les apprenants
eux-mêmes constitués parfois d'adolescents.
Certes l'Etat a déjà fait un pas vers la
reconnaissance de ces écoles en mettant en application la Loi
d'orientation de l'Education. Il reconnaît en effet l'enseignement
privé et
19 MEBA, Instructions officielles de
rentrée, 2008, p.34
20 Chiffre obtenu en faisant la différence
entre enfants scolarisés et nombre total d'enfants de 6-11ans de
2010-2011.
12
autorise les personnes physiques ou morales à
créer et à diriger des établissements. Cependant,
même si les promoteurs d'écoles coraniques venaient à se
prévaloir de ce droit de création et d'ouverture
d'établissement d'enseignement privé, il leur faudrait satisfaire
aux conditions exigées. D'abord, que ce droit s'exerce dans le cadre des
textes en vigueur et conformément aux normes prescrites par l'Etat en
matière d'enseignement. Ensuite, que les écoles à
caractère confessionnel s'organisent de manière à
respecter le curriculum et le programme national. Enfin, qu'elles veillent
à ne pas entraver le bon déroulement de la scolarité
obligatoire des enfants recrutés. La prise en compte de ces aspects
suscite une interrogation à savoir : comment amener les promoteurs
d'écoles privées et les maîtres coraniques, majoritairement
analphabètes, à remplir les formalités administratives et
à être en règle vis-à-vis des textes et
règlements en vigueur?
Certains parents, sous prétexte de rester
fidèles à leur foi, n'entendent envoyer leurs enfants à
aucune autre école, sinon à l'école coranique. A leurs
yeux, elle seule pourrait former leurs descendants pour devenir de bons
croyants en ALLAH. Il s'agit d'obtenir l'adhésion de
ceux-là pour la scolarisation effective des enfants sans qu'ils aient le
sentiment de commettre un parjure ou d'être déchus de leur droit
et responsabilité d'élever leurs enfants tels que reconnus par la
Déclaration universelle des droits de l'homme21.
Pour ce faire, il est important de se poser cette question
principale :
Les écoles coraniques garantissent-elles une
éducation de qualité aux enfants talibés ?
De façon spécifique, cela revient à se poser
les questions suivantes : > Quel enseignement dispense-t-on dans les
écoles coraniques ?
> Comment est organisé l'enseignement/apprentissage
dans les écoles coraniques ? > Pour quelles raisons les enfants
talibés mendient-ils ?
> Pourquoi les parents envoient-ils les enfants à
l'école coranique ?
Ce questionnement nous conduit à la formulation de nos
objectifs de recherche.
21 « Les parents, ont par priorité, le droit de
choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.
» (Article 26)
|