B/ La garantie d'une procédure
privilégiée grâce à la politique de priorisation
En juin 2009, à l'occasion de la modification de son
règlement, la Cour de Strasbourg a changé l'ordre dans lequel les
affaires étaient instruites et jugées. Le critère
d'urgence et d'importance a remplacé le critère chronologique.
Avec l'alourdissement de la charge de travail de la Cour, le traitement des
affaires par ordre chronologique avait pour conséquence que certaines
allégations très graves de violation des droits de l'homme
n'étaient pas examinées par la Cour avant un délai
excessivement long - plusieurs années dans certains cas. Non seulement
cela n'était manifestement pas satisfaisant pour les requérants
mais cela signifiait également que des violations et leurs causes
n'étaient pas détectées, ce qui risquait d'accroître
le nombre des victimes et, potentiellement, le nombre des requêtes
introduites devant la Cour.
C'est précisément l'article 41 du
règlement de la juridiction européenne qui a été
modifié. Il est désormais rédigé comme tel :
<< Pour déterminer l'ordre dans lequel les affaires doivent
être traitées, la Cour tient compte de l'importance et de
l'urgence des questions soulevées, sur la base de critères
définis par elle. La chambre et son président peuvent toutefois
déroger à ces critères et réserver un traitement
prioritaire à une requête particulière ». Ce
changement était nécessaire en raison de l'importance de
l'arriéré de la Cour et permettait d'éviter un
accroissement incontrôlé du nombre de victimes d'une violation. Le
but est également de faire en sorte que les affaires les plus graves
soient traitées plus rapidement.
Plusieurs catégories d'affaires ont dès lors
été distinguées : les affaires urgentes, les affaires
soulevant des questions susceptibles d'avoir une incidence sur
l'efficacité du système de la Convention ou soulevant des
questions importantes d'intérêt général comme les
affaires interétatiques, les affaires comportant prima facie
des griefs principaux portant sur les articles 257, 358,
459 ou 5 § 160 de la Convention, les affaires
potentiellement bien fondées sur le terrain d'autres articles, les
affaires répétitives, les requêtes identifiées comme
soulevant un problème de recevabilité, les requêtes de
comité manifestement irrecevables. Ces sept catégories sont
énumérées dans l'ordre de priorité qui leur est
dévolu. Il en ressort une certaine évidence en ce qui concerne
les affaires concernant les demandeurs d'asile. En effet,
57 << Droit à la vie ».
58 << Interdiction de la torture ».
59 << Interdiction de l'esclavage et du travail
forcé ».
60 << Droit à la liberté et à la
sûreté ».
les affaires urgentes, les affaires soulevant des questions
importantes d'intérêt général ainsi que les affaires
portant sur les articles 2, 3, 4 ou 5 § 1 de la CEDH, sont toutes
susceptibles de toucher le droit d'asile. Or, elles correspondent aux trois
types d'affaires les plus prioritaires dans la liste des sept cas. Le droit
d'asile serait donc affecté d'une << priorisation naturelle
>>. Le caractère urgent est très souvent constitué
lorsque l'éloignement est envisagé. Le risque pour la vie du
requérant du fait d'un éloignement ou encore la séparation
avec sa famille justifient souvent une mesure provisoire ce qui
matérialise la situation d'extrême urgence. De plus, les affaires
relatives au droit d'asile touchent forcément plusieurs Etats, qu'ils
soient parties à la CEDH, tiers à celle-ci, ou encore membres
d'autres organisations internationales comme l'Union européenne. Il peut
donc facilement y avoir des questions sous jacentes de rapport entre
systèmes telle que la question de la conventionalité du
règlement << Dublin II >> de l'Union européenne dans
l'affaire M.S.S. contre Belgique et Grèce. Enfin, on a vu que
les affaires touchant aux articles 2, 3, 4, 5§1de la Convention EDH sont
en troisième position dans l'ordre de priorité établi par
la juridiction européenne. Or, l'article 3 de la CEDH s'avère
être l'article primordial de la protection du droit d'asile. En devenant
prioritaire par rapport à d'autres, la protection du droit d'asile se
voit en quelque sorte sublimée. La Cour hiérarchise ainsi les
droits fondamentaux en ce sens que, par exemple, une atteinte à la
liberté d'expression (protégée par l'article 10) sera
traitée après une allégation de torture ou traitement
inhumain ou dégradant (interdit par l'article 3). L'affaire
récente I.M. contre France61 est un exemple de cette
politique de priorisation qui profite au droit d'asile.
Ce caractère privilégié découlant
du bénéfice d'instruments efficaces tels que les mesures
provisoires et la politique de priorisation est complété par une
jurisprudence circonstanciée dont use la Cour européenne pour
assurer la protection du droit d'asile.
61 Cour EDH, 3 février 2012, I.M c.
France, Req. n° 9152/09, §5.
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