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Les débats autour de la guerre d'Algérie à  travers le journal Le Monde


par Philippe SALSON
Université Michel de Montaigne Bordeaux III - Maà®trise d'Histoire contemporaine 2001
  

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C/ Derrière le silence : un travail de mémoire à l'oeuvre

1 / Une reconnaissance officielle des combats

a) La carte du combattant enfin attribuée

L'Etat se décide enfin, plus de dix ans après la fin des combats, à reconnaître que les opérations militaires en Algérie n'étaient pas de simples opérations de maintien de l'ordre, mais qu'il y a eu combat. En effet, le conseil des ministres, réuni le 17 octobre 1973, « a approuvé un projet de loi donnant vocation à la qualité de combattants aux personnes ayant participé aux opérations effectuées en Afrique du Nord entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 »146. Cela concerne donc en particulier les militaires engagés en Algérie, même si le projet de loi s'étend à l'ensemble du Maghreb. Les forces supplétives, les harkis en Algérie, peuvent aussi se voir décerner la carte du combatt ant.

L'Etat reconnaît donc le service qu'a rendu une partie de sa population pour tenter de garder l'Afrique du Nord sous giron français : c'est que 2500000 hommes ont participé à ces opérations, pour la plupart des appelés métropolitains. On pourrait croire alors que l'Etat reconnaisse explicitement qu'il y ait eu une guerre en Algérie puisqu'il concède qu'il y a eu combats et combattants. Or, justement, le texte de loi est des plus ambigus.

b) La position ambiguë de l'Etat vis-à-vis du conflit

Le Monde rappelle à cet égard qu'il ne s'agit pas en droit d'opérations de guerre, mais d'opérations de « maintien de l'ordre ». Là, réside tout le paradoxe de la loi : certes il y eut des combats puisqu'une carte d'ancien combattant est attribuée, cependant, ces combats eurent lieu dans le cadre d'opérations de « maintien de l'ordre », donc de banales opérations de police ; il n'y a pas de reconnaissance officielle de la guerre en tant que telle. D'après le porte-parole du gouvernement, M. Joseph Comiti, l'ampleur des opérations, des effectifs engagés et des pertes justifient « que l'on reconnaisse les services rendus comme cela avait été fait lors des précédents conflits ». Or, l'ampleur des moyens utilisés dans ces opérations prouve qu'il s'agit là d'une guerre. D'autre part, la comparaison avec les précédents conflits, c'est-à-dire les guerres mondiales et la guerre d'Indochine, n'est valable que si l'on considère

les événements algériens comme un véritable conflit. Une comparaison met en effet en relation deux éléments de même nature : le drame algérien est donc de nature similaire à la guerre d'Indochine voire aux conflits mondiaux. Dès lors, justifier l'attribution de la carte par un souci d'équité par rapport aux combattants des autres conflits, c'est bien reconnaître qu'en Algérie, eut lieu une guerre. Mais le terme de guerre est évité, le discours officiel lui préfère l'euphémisme « opérations »147.

c) Les enj eux d'une telle distinction

Au-delà de la querelle de vocabulaire, la distinction entre « opérations » et guerre » n'est pas négligeable : elle a une portée politique de première importance. Le terme « opérations de maintien de l'ordre » renvoie au discours officiel de l'époque : « l'Algérie, c'est la France », selon l'expression de François Mitterrand alors ministre de l'Intérieur au sein du gouvernement de Pierre Mendès-France, et l'insurrection n'est le fait que d'une petite bande de « rebelles », « de terroristes ». Etaient niées toute portée politique, toute raison économique et sociale à l'insurrection. « Les évènements », comme ils sont pudiquement nommés, consistent alors à de simples « opérations de maintien de l'ordre », l'ordre étant menacé par une poignée de « terroristes » : la masse musulmane était censée soutenir l'action de l'armée française.

Reconnaître qu'il s'agit d'une guerre, revient alors à contester la légitimité de ces « opérations ». C'est en effet admettre qu'en face existait un adversaire identifié, un camp avec sa propre armée, son gouvernement, et ses buts politiques. Ce serait reconnaître le fait national algérien. L'ennemi ne se limite plus à une poignée d'extrémistes mais il s'agit d'une nation avec la masse de population sur qui il peut compter. Ce serait aussi avouer que l'Algérie, ce n'est pas la France, à moins de parler de guerre civile, ce qui n'est pas le cas.

Si l'attribution de la carte du combattant constitue une avancée vers la reconnaissance officielle de la guerre d'Algérie, elle place le gouvernement français dans une situation paradoxale : des appelés sont indemnisés en tant qu'anciens combattants pour une guerre qui n'a pas eu lieu. Fort de cette « semi-reconnaissance », les anciens combattants peuvent alors prétendre à une plus ample commémoration du sacrifice qui leur a été demandé.

d) Une médiatisation des commémorations du cessez-le-feu En 1979, Le Monde accorde une importance plus grande qu'à l'accoutumée aux

commémorations du cessez-le-feu du 19 mars 1962 organisées par la F.N.A.C.A. (cf. p.30). Le quotidien octroie une tribune à Michel Sabourdy, secrétaire national de la F.N.A.C.A. M. Sabourdy tente de justifier une commémoration critiquée par les associations de rapatriés et d'anciens combattants proches de l'Algérie française. Il fait appel au devoir de mémoire vis-à-vis des jeunes gens morts au combat : « Chaque année, depuis 1963, ceux qui forment la dernière génération de combattants - si tardivement reconnue d'ailleurs - entendent veiller à ce que le sacrifice de leurs camarades, eût-il été inutile, ne soit pas oublié »148

Cependant, ce n'est pas le devoir de mémoire qui est contesté par les associations de rapatriés mais la date choisie pour la commémoration. Or, M. Sardouy explique que le cessezle-feu s'appliquant à partir du 19 mars à midi a été ressenti comme une délivrance, un soulagement : c'est la fin des tourments pour les combattants et le moment d'enterrer ses morts. Mais le 19 mars a une autre valeur pour les pieds-noirs - et M. Sadouy ne se le cache pas - d'où la polémique :

« Cette Journée n'a-t-elle pas signifié, aussi, le début de l'exode des malheureux rapatriés ? Le déclenchement du massacre des harkis ? [...] C'est en partant de ces dernières considérations - et seulement de celles-ci - que le gouvernement a tenu à expliquer au Parlement, en octobre dernier, qu'il n'entendait pas s'associer à cet hommage le 19 mars ».

L'auteur de la tribune ne parvient pas à sortir du paradoxe, intrinsèque aux souvenirs

contradictoires liés à cette date fatidique. Finalement, on se demande s'il ne donne pas raison, du moins partiellement, et aux pieds-noirs et au gouvernement. Il est d'ailleurs notable que le gouvernement n'ait pas voulu officialiser les commémorations du 19 mars, préférant la situation ambiguë du « ni refoulement, ni reconnaissance » de la guerre.

Les anciens combattants restés dans l'ombre, lors des polémiques de 1968 à 1972, profitent du relatif silence pour faire entendre leur voix, leur vision de la guerre et que soit reconnues aussi leurs souffrances. C'est pourquoi, les commémorations organisées par la F.N.A.C.A., même si elles n'ont rien d'officiel et si elles sont contestées149, rencontre un certain succès : Le Monde signale dans le numéro daté du 23 mars que la participation a été record en cette année 1979. Les anciens combattants souhaitent à leur tour que leur histoire soit prise en compte par l'opinion publique et qu'elle participe au mûrissement de la mémoire collective.

148 « Controverse autour d'un anniversaire », 13 mars 1979

149 M. de la Morandière, président de l'U.N.C.-A.F.N. déclare le 20 mars : « Parce que nous n'acceptons pas l'oubli de nos 30000 morts et que nous veillons au respect de leur mémoire, nous refusons de célébrer leur sacrifice à l`occasion du cessez-le-feu prévu par les accords d'Evian »

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