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Les débats autour de la guerre d'Algérie à  travers le journal Le Monde


par Philippe SALSON
Université Michel de Montaigne Bordeaux III - Maà®trise d'Histoire contemporaine 2001
  

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b) Une diversification des livres sur la guerre d'Algérie

Les livres sur le conflit font beaucoup moins parler d'eux que lors de la période précédente. Le Monde y attache peu d'importance : les comptes-rendus sont plus brefs et rarement signés par une des grandes plumes du journal : leurs auteurs sont généralement moins célèbres que ceux qui ont apporté leur témoignage entre 1968 et 1972. Dans l'ensemble, on peut d'ailleurs constater une diversification des genres : les témoignages sont devenus relativement plus exceptionnels.

Comme pour le cinéma, la guerre d'Algérie est désormais utilisée comme décor pour une fiction. Le contexte de guerre et l'exotisme du pays méditerranéen constituent un cadre idéal pour les romans où aventures et histoires d'amour se rejoignent. Il ne s'agit pas de prendre parti ou de témoigner. Ainsi dans La Grande fugue151, tous les combats se valent : l'héroïne côtoie les milieux des intellectuels libéraux, puis le F.L.N. et l'O.A.S. sans faire de réelles distinctions entre les trois groupes. L'important n'est pas le camp auquel on appartient, c'est de vivre une aventure, un combat. Le genre romanesque peut aussi recouper le témoignage. Deux écrivains qui ont vécu la guerre, en ont fait le cadre et le sujet de leur fiction : Jules Roy dans Danse du ventre au-dessus des canons et Pierre Schoendorffer dans Le Crabe-Tambour en 1976. Ces livres n'ont pas la même valeur polémique et subversive qu'un témoignage : les faits sont présentés de manière moins abrupte et sont au service d'une histoire. Ecrire une fiction signifie que les faits ont été préalablement digérés avant d'être remaniés et réutilisés. Un travail de mémoire a donc déjà été effectué par les auteurs ; les cicatrices ne sont donc plus à vif et il est possible de revenir sur les événements de manière plus apaisée.

Si la production éditoriale comprend encore des témoignages d'acteurs du conflit, Le Monde rend particulièrement compte de témoignages originaux, c'est-à-dire provenant d'autres acteurs que des généraux ou des responsables politiques. En 1975, deux articles152 sont consacrés au témoignage d'un déserteur153 qui raconte son retour en France et le procès qui a suivi ce retour. Son expérience est en outre révélatrice de l'inéquité de la loi d'amnistie

151 A. Loesch, La Grande fugue, Le Seuil, Paris, 1973

152 les « bonnes feuilles » sont publiées dans la rubrique « Société » sous le titre « Le procès d'un insoumis », le 2-3 février 1975 et un compte-rendu est fait par B. Poirot-Delpech dans Le Monde des livres, « Quelqu'un qui a quelque chose à dire ! », le 7 mars 1975

153 M. Maschino, Le Reflux, éditions P.-J. Oswald, 1975

puisqu'en 1966, alors qu'il rentrait en France, il se voit contraint de comparaître devant un juge à l'heure où de nombreux membres de l'O.A.S. étaient libérés. Le juge se montre tout de même conciliant et décide la relaxe.

Autre type d'acteur du conflit dont le témoignage est publié : le fellagha. Le commandant Azzedine fait en effet paraître son témoignage154 en 1976. C'est la manifestation d'un intérêt plus grand porté au camp algérien : toutes les visions de la guerre semblent ainsi intéresser Le Monde. Or, une mémoire apaisée ne doit-elle pas prendre en compte tous les points de vue, y compris celui de l'ennemi de l'époque ? Il s'agit en outre d'un témoignage dont l'intérêt historique est certain : « c'est le premier témoignage direct sur la vie dans les maquis, dans les prisons et les camps d'internement »155. Azzedine est l'emblème de cet apaisement général autour de la guerre d'Algérie : il n'hésite pas à venir discuter devant la caméra avec Bigeard ou le capitaine Sergent tout en ayant une démarche didactique, à expliquer et justifier la révolution algérienne.

Nous avons déjà remarqué que les appelés, par l'intermédiaire des anciens combattants, prennent enfin la parole quinze ans après la fin des combats ; ils souhaitent que leur histoire soit reconnue. C'est dans une démarche similaire que se situe l'ouvrage de Jean-Pierre Vittori156. Constatant le silence des anciens appelés - à l'inverse des généraux et des exactivistes - il a entrepris de recueillir leurs témoignages. Leur long silence s'expliquerait par les traumatismes dont ils ont été victimes en Algérie. Or, de retour en métropole, ils ont été accueillis avec indifférence. Le mutisme forcené constituait alors la seule échappatoire. Le silence de l'opinion des années 1960 auquel s'ajoutent les effets de la politique de l'oubli initiée par le général de Gaulle, est donc pathologique : il n'a fait qu'accroître les traumatismes.

Le silence qui caractérise le milieu des années 1970, n'est pas de même nature. Il ne s'agit pas d'un véritable silence puisqu'au contraire, il permet à des acteurs qui n'avaient pas droit à la parole - appelés, fellaghas ou déserteurs - de s'exprimer : les généraux et les anciens activistes monopolisaient en effet la scène publique pendant la période précédente. Le terme de silence n'est relatif qu'à la virulence des débats qui ont marqué l'année 1972.

Un véritable travail de mémoire est au contraire en marche. Une histoire de la guerre

154 Commandant Azzedine, On nous appelait fellagha, Stock, Paris, 1976

155 « Quand Azzedine était fellagha : « Une page d`amour pour mon peuple » », compte-rendu de D. Junqua, 19 novembre 1976

156 J.-P. Vittori, Nous, les appelés d'Algérie, Stock, Paris, 1977

d'Algérie est en train de s'écrire : c'est de l'autre côté de la Méditerranée que vient le premier ouvrage réellement historique. Le livre de Mohammed Harbi, Aux origines du F.L.N.157, est publié en 1975 en France. Il s'agit, selon Benjamin Stora158, du premier ouvrage d'histoire critique de la guerre. Dans cet ouvrage, Mohammed Harbi entreprend de déterminer les origines politiques de la révolte, d'où une démarche généalogique propre à l'historien qui doit d'abord s'intéresser aux causes, avant d'étudier les événements en eux-mêmes - contrairement au journaliste. Il insiste sur le rôle primordial de la scission du M.T.L.D. entre messalites, fidèles au chef Messali Hadj, et centralistes dont sont issus les chefs historiques du F.L.N. Les autres partis, l'U.D.M.A. et le P.C.A. en particulier, n'ont pas compris l'ampleur du fait national, c'est pourquoi ils se sont retrouvés exclus de la révolution algérienne avant même l'insurrection.

La deuxième étape marquante de l'historiographie sur la guerre d'Algérie est constituée par l'histoire, devenue une référence aujourd'hui, qu'a faite Charles-Robert Ageron de l'Algérie coloniale. Etape, elle aussi décisive puiqu'il s'agit de la première étude historique sur les origines de la guerre envisagée du côté français et traitée sans complaisance. C'est en 1979 qu'est publié le deuxième tome de son Histoire de l 'Algérie contemporaine159 étudiant la période 1871-1954 et plus précisément la naissance du nationalisme algérien. C'est un autre historien, collaborateur au Monde, qui est chargé du compte-rendu : Jean-Marie Mayeur160. La critique est élogieuse et l'ouvrage est présenté comme un moment-clé de l'historiographie contemporaine : y est louée la « volonté de compréhension et de rigueur critique, rectifiant au passage les idées reçues et dissipant les mythes ». L'histoire est donc nécessaire à la récusation des mensonges intrinsèques aux mémoires individuelles ; le passage à une mémoire collective demande alors le recours de la science historique. Mais, là où la portée du livre d'Ageron est primordiale c'est lorsqu'il analyse l'évolution politique algérienne de 1919 à 1954 - deuxième partie du livre. Jean-Marie Mayeur constate alors :

« Les origines proprement politiques de la guerre d'indépendance sont «fondamentales». L'état économique et social explique les sentiments de la population, il ne rend pas compte de l'insurrection « née de la volonté de quelques hommes » qui, comme en 1945, ressentirent l'aspiration des Algériens à devenir maîtres de leur destin »

157 M. Harbi, Aux origines du F.L.N., Christian Bourgeois éditeur, Paris, 1975

158 B. Stora, op. cit.

159 C.-R. Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine, tome 2 : De l'insurrection de 1871 au déclenchement de la guerre de libé ration, Presses Universitaires de France, Paris, 1979

160 « D'une insurrection à l'autre » par J.-M. Mayeur, 1er novembre 1979

La conscience politique algérienne et le sentiment de former un nation, niés aux musulmans pendant toute la guerre, sont enfin reconnus par l'école historique française et sont même désignés comme la raison essentielle d'une insurrection de ce type. L'apport historique de l'ouvrage d'Ageron est primordial : c'est le début d'une histoire de la guerre d'Algérie.

La recherche historique commence enfin à se porter sur la guerre d'Algérie et ses thématiques connexes. Parallèlement à cette découverte de la guerre d'Algérie par les romanciers et les historiens, Le Monde poursuit son travail de mémoire sur le conflit même s'il se fait plus discret qu'avant 1972.

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