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Les débats autour de la guerre d'Algérie à  travers le journal Le Monde


par Philippe SALSON
Université Michel de Montaigne Bordeaux III - Maà®trise d'Histoire contemporaine 2001
  

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d) Le Monde comme tribune

Le Monde du fait de son positionnement en tant que journal de référence et de sa foi dans un débat libre et démocratique, se veut une tribune où chacun peut exprimer son point de vue à partir du moment où celui-ci est argumenté. Ainsi, lorsqu'une polémique éclate, le quotidien tient à laisser s'expliquer chaque protagoniste. C'est ensuite au lecteur de se faire une opinion à partir des différents arguments avancés. D'autre part, il faut noter la place importante occupée par les « points de vue » de personnalités extérieures au journal. Ces personnalités ne sont pas obligatoirement du même avis que la rédaction sur le sujet : les « nostalgiques » - nostalgiques de l 'Algérie française - utilisent ainsi fréquemment cette

tribune. Cette volonté d'ouverture du journal est réelle et n'est pas qu'une façade; peu de journaux publient autant d'opinions diverses voire opposées. Par ailleurs, Le Monde fait une place assez importante aux courriers des lecteurs. Le plus souvent, il s'agit de personnes citées dans un précédent numéro et qui souhaitent réagir ou contredire le propos du journaliste.

On peut rapprocher le rôle dévolu au Monde au sein de l'opinion «éclairée» - faut-il rappeler le positionnement élitiste du quotidien ? - de la société française à celui de l'agora dans la Grèce Antique. L'agora est la principale place de la cité où les citoyens viennent échanger les points de vue, où les tribuns déclament leur argumentaire, où Socrate fait valoir à l'esclave son intelligence et sa capacité à raisonner. Le lieu géographique dans l'Antiquité devient un lieu symbolique à l'époque contemporaine, permettant à chacun de participer quel que soit l'endroit où il habite et à condition d'avoir un certain bagage culturel.

e) Un journal impartial ?

Le Monde ne serait-il alors qu'un terrain de diffusion et d'échange des idées ? Les journalistes ne participent-ils pas à ce « bouillonnement d'opinions » ? En tant que média, et par sa diffusion et sa réputation, Le Monde ne peut se résumer à une simple tribune. Un fait relaté par le journal prend tout de suite une importance nationale, puisque sa diffusion est nationale. Ce qui est pointé, critiqué ou loué dans ses colonnes prend une ampleur disproportionnée par rapport à ce dont le journal ne peut se faire l'écho. C'est là une caractéristique majeure des médias de masse : ils ont une fonction de caisse de résonance. Du fait du pouvoir conféré au journaliste par cette fonction d'amplification du débat et quel que soit le degré de sérieux du quotidien, il ne peut que tendre vers l'objectivité sans jamais l'atteindre.

La prise de position d'un journal se manifeste avant tout par le contenu des éditos, les analyses des chroniqueurs, la publicité faite autour d'un événement. Mais on peut aussi l'étudier en s'intéressant, par exemple, au nombre de lignes consacrées à chaque protagoniste ou au propos qui clôt l'article. Le Monde n'est pas une simple tribune où chacun vient s'exprimer; il s'agit aussi d'un média qui dans une certaine mesure fait l'opinion ou tend à la faire. Nous avons déjà signalé que lors de la guerre d'Algérie, les éditos et les articles contre la torture abondent à partir de 1957 : c'est que le journal s'est lancé dans une campagne contre cette pratique afin de sensibiliser l'opinion sur ce thème, de soulever une vague d'indignation qui puisse faire pression sur les pouvoirs publics. Bref, les journalistes et par extension Le Monde se sentent chargés d'une mission d'instruction civique, semblable à celle de l'artiste

romantique du XIXème.

Les principaux chroniqueurs qui expriment leur point de vue dans le journal et donc auxquels est assimilée l'opinion du journal dans son ensemble, sont quasiment les mêmes que ceux qui se sont signalés à l'époque du conflit par leur engagement. On retrouve ainsi Jacques Fauvet devenu directeur de la rédaction. Né en 1914, M. Fauvet, après des études de droit, s'oriente vers le journalisme et entre dès 1945 au Monde en tant que spécialiste des problèmes politiques et parlementaires. Il devient rédacteur en chef en 1963 et directeur de rédaction en 1969. Il éprouve quelques sympathies pour le gauchisme dans les années 1970, d'où des dérapages à propos de la Chine et du Cambodge souvent reprochés. Sous son impulsion, sont favorisés les débats, les points de vue d'universitaires, les dossiers qui font du Monde une véritable tribune. Autre journaliste-phare de l'époque du conflit : Jean Lacouture. Il est né en 1921, et après de brillantes études, parvient au journalisme par le biais de l'armée. Il entre en 1951 au Monde et, suite à ce qu'il a écrit, entre autres, sur l'Algérie en guerre, devient un « coryphée de la décolonisation »9. Jean Lacouture se distingue par des articles précis et rigoureux, un art du portrait qui fait de lui le grand biographe des hommes ayant marqué le XXème siècle. Mais un reproche lui est aussi fait : son manque de lucidité. Autre nom que l'on retrouve, celui de Jean Planchais, né en 1922 et chargé des questions militaires au sein de la rédaction de 1945 à 1965. En 1969, il devient chef du service des informations générales, puis rédacteur en chef adjoint de 1972 à 1 98710. On remarque que cette équipe de chroniqueurs, évoquant souvent la guerre d'Algérie ou du moins se sentant concernés par ses répercussions, est constituée de journalistes occupant les plus hautes fonctions au sein du journal et, ce n'est pas une surprise, qui ont traité, à l'époque, le conflit à travers leur spécialité : l'armée, la politique intérieure ou les reportages sur place.

A cause de cette ambiguïté fondamentale du Monde, entre tribune et caisse de résonance, il est nécessaire de faire la distinction entre ce qui relève d'une opinion représentative d'une partie de la population et ce qui est de l'ordre de l'utilisation politique du média. Ainsi, un représentant d'association de rapatriés aura tout intérêt à multiplier les prises de position dans le journal pour montrer sa vigilance et rappeler ses revendications au gouvernement, et, vis-à-vis des adhérents, pour mettre en valeur son action. Et, c'est en tant

9 expression de Rémy Rieffel dans l'ouvrage, très utile pour les indications biographiques, sous la direction de J. Juillard et M. Winock, Le Dictionnaire des intellectuels français, Seuil, Paris, 1996

10 éléments de biographie tirés du Who's who in France (21ème édition), éditions Jacques Laffite, Paris, 1989

que tribune et caisse de résonance, que le journal est utilisé pour mettre en place les premiers jalons d'une histoire de la guerre d'Algérie.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus