Rechercher sur le site:
 
Web Memoire Online
Consulter les autres mémoires    Publier un mémoire    Une page au hasard

L'édition de manga : acteurs, enjeux, difficultés


par Adeline Fontaine
Université Paris VII Denis Diderot
Traductions: Original: fr Source:

précédent sommaire suivant

3.2.1.2.2. Sakka et la manga

Née en octobre 2004, cette collection est l'occasion pour les éditions Casterman de renouer avec la publication de manga destinés aux adultes. Grâce au succès populaire de Quartier lointain de Jiro TANIGUCHI, l'éditeur a jugé opportun de publier des oeuvres du même esprit mais directement en sens de lecture japonais pour permettre un rythme de sortie plus soutenu. Louis Delas, directeur général de Casterman, démontre que Sakka entre pleinement dans la politique éditoriale générale de la société.

« Sakka devrait permettre au lecteur de retrouver ce qui fait l'identité de Casterman : la capacité à accueillir des ouvrages à la fois grand public et de qualité. C'est le cas par exemple des oeuvres de Tardi (Le Cri du peuple, Adèle Blanc-Sec...), Geluck (Le Chat), de la série Corto Maltese, et de Tintin bien évidemment, qui participent de l'image de marque de notre maison. Sakka s'inscrira dans cette tradition, tant par ses choix éditoriaux et la cohérence de la démarche à long terme que par le soin apporté à la fabrication des livres. »31(*)

3.2.1.2.2.1. Frédéric Boilet et la Nouvelle Manga

Le directeur de cette nouvelle collection n'est autre que Frédéric Boilet, connu dans le milieu de la bande dessinée comme un auteur français de manga et pour ses positions tranchées quant à l'édition de la production japonaise en France.

Certes, Frédéric Boilet réside au Japon depuis près de 15 ans et il connaît aussi bien les mangaka* que les attentes et les goûts du public français. Cependant, ce dernier n'apprécie les publications japonaises qui paraissent en France et a rédigé, en contestation, le «Manifeste de la Nouvelle Manga»32(*). Terme créé par l'auteur, la nouvelle manga désignait à l'origine sa propre production de bandes dessinées, « ni tout à fait BD ni tout à fait manga ». Ce terme ne peut toutefois pas se réduire à ses propres oeuvres puisqu'il a lui-même été inspiré par des mangaka* peu traduits en France. « Il me semble que le terme Nouvelle manga pourrait aider à cibler ce manque, dans une stratégie de communication en France d'une manga adulte au quotidien. » Car, en effet, Frédéric Boilet n'utilise pas le genre masculin pour définir le manga. Il oppose même le manga, « BD japonaise bon marché pour enfants et adolescents, tout à la fois violente et pornographique » à la manga, « une BD japonaise d'auteur, adulte et universelle, parlant des hommes et des femmes, de leur quotidien ».

Cette vision réductrice et démagogique, faite de mépris à l'égard du lectorat français risque un jour ou l'autre de mettre en péril la viabilité de cette jeune collection. Néanmoins, elle peut aussi apporter un certain bienfait à l'édition du manga en France en favorisant une amélioration qualitative de la production française actuelle dans le choix des titres à traduire.33(*).

3.2.1.2.2.2. Sakka : une nouvelle manga ?

L'éditeur a conservé, pour ce label, le même format que la précédente collection Manga Casterman, afin que le traitement de l'image soit optimal mais a opté pour un sens de lecture japonais, plus proche de l'édition originale. Les couvertures sont également réalisées sur le même modèle, une illustration pleine page sur la première de couverture et une quatrième dont la couleur varie à chaque titre.

Sakka, mot japonais signifiant «auteur», propose un catalogue de récits courts (publication de un à trois volumes maximum), de manga dont la publication n'obéit pas exclusivement à une démarche commerciale. Le but de cette collection est de faire découvrir au lectorat français des oeuvres personnelles et humaines pour adultes qui se désintéressent des courants éditoriaux dominants (à savoir au Japon les deux grands genres que sont le shonen* et le shojo*). Cette thématique commune n'est pas un frein à la diversité et le style des titres du catalogue sont très différents : récits fantastiques, intimistes (les oeuvres de Kiriko NANANAN), intrigue policière dans Forget me not de Kenji TSURUTA, chroniques de la vie quotidienne, conte philosophique dans La Musique de Marie d'Usumaru FURUYA et vie d'un samouraï dans L'Habitant de l'infini de Hiroaki SAMURA.

Ce dernier titre a bénéficié d'une parution directe à partir du volume dix. En effet, publiée sous le label Manga Casterman, cette série avait pris fin au numéro neuf. Cependant, les précédents volumes seront édités par Sakka afin de créer une homogénéité de présentation et bénéficieront d'une nouvelle traduction et adaptation.

Le label Sakka sera un gage de qualité au niveau éditorial. La traduction sera réalisée par des professionnels chevronnés venant du domaine littéraire. Frédéric Boilet entend également mettre en place des tandems franco-japonais, garantissant une meilleure compréhension de l'oeuvre originale et une adaptation qui fasse véritablement sens en français.

De même, le directeur de collection veut essayer d'attacher un traducteur à chaque auteur et de favoriser les relations entre eux. Reste à savoir si cette idée est réalisable au vu du nombre d'auteurs qui composent le catalogue (douze pour le moment) et de l'éloignement géographique (reste le contact par mail ou par téléphone moins chaleureux qu'une relation directe).

Enfin, favorisé par le fait que Frédéric Boilet réside au Japon et qu'il est en contact régulier avec les auteurs et les éditeurs, les planches originales seront scannées directement pour un rendu d'impression optimal, ce qui est, selon le directeur de collection, unique dans l'édition de manga en France34(*)

Casterman, malgré la jeunesse de Sakka, prévoit en 2005 une trentaine de manga sur les 90 nouveautés à paraître. L'éditeur parie donc sur un succès rapide de cette nouvelle collection. On peut toutefois s'interroger sur la pertinence d'un tel choix au vu de nombreux points d'ombre.

Tout d'abord, ce label a-t-il une viabilité au regard du nombre d'éditeurs et de collections destinées aux adultes sur le marché de l'édition de manga en France ?

Bien que destinée au grand public, Sakka est en réalité une collection très élitiste d'un point de vue financier, les prix s'échelonnant de neuf à douze euros. Au regard du nombre de titres qui paraissent chaque mois (50 à 80), un tel prix peut être un obstacle à la réussite de Casterman dans le secteur du manga d'autant plus que la majorité des acheteurs sont des adolescents par définition peu fortunés car non entrés dans la vie active. Seuls les amateurs de bandes dessinées franco-belges, habitués à dépenser de telles sommes, incarneraient donc l'espoir de réussite d'une telle collection.

De plus, de par leurs similitudes d'un point de vue thématique, il existe un risque d'assimilation entre Sakka et les productions japonaises d'Écritures.

Enfin, la politique éditoriale de Frédéric Boilet en ce qui concerne les différences éthiques entre le et la manga risque à terme d'écarter tout un pan du lectorat de manga, non adepte d'une intellectualisation à outrance de la bande dessinée et qui peut s'offusquer qu'on lui impose une catégorisation manichéenne entre bons et mauvais récits.

* 31 Source : Catalogue papier Sakka de septembre 2004.

* 32 L'intégralité du manifeste est consultable sur le site personnelle de Frédéric Boilet, www.boilet.net. Les citations qui suivent sont extraites de ce texte (sauf indications).

* 33 J'aborderai ce point dans le paragraphe suivant intitulé Sakka : une nouvelle manga ?.

* 34 Bien souvent, les éditeurs français reçoivent le manga relié et doivent le découper page par page pour le flashage (cf. 4. La traduction/ adaptation et la fabrication d'un manga).

précédant sommaire suivant








® Memoire Online 2007 - Pour tout problème de consultation ou si vous voulez publier un mémoire: webmaster@memoireonline.com