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L'art de la bifurcation : dichotomie, mythomanie et uchronie dans l'oeuvre d'Emmanuel Carrère

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par Mario Touzin
Université du Québec à Montréal - Maîtrise en Etudes Littéraires 2007
  

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CHAPITRE I

DU MENSONGE À LA MYTHOMANIE

Dieu dit à Moïse : « Tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain. »

Exode, 20, 16

Nous avons tous horreur du mensonge et nous le pratiquons tous. D'ailleurs, il semble que nous mentions en moyenne deux fois par jour. À croire que le mensonge, comme le rire, est le propre de l'homme ! En fait, rares sont ceux qui ne mentent jamais. Nous mentons chaque jour, de la façon la plus naturelle qui soit, et sans avoir pour autant la moindre intention de nuire. Bien sûr, on trouve toujours de bonnes excuses lorsqu'il s'agit de mentir. Nous le faisons pour une bonne cause, par exemple pour protéger autrui d'une vérité qui risquerait de faire mal ou pour ne pas peiner un interlocuteur, par sympathie ou tact.

Le mensonge est l'énoncé délibéré d'un fait contraire à la vérité, ou la dissimulation de la vérité (dans ce dernier cas, on parle plus particulièrement de mensonge par omission). « À autrui ou à soi-même, en gestes ou en paroles, le mensonge simule le vrai afin de dissimuler le faux9(*) », précise Marcel Côté. Cela peut aussi caractériser un énoncé non sincère. Pour Paul Ekman, « la personne [qui ment] a l'intention délibérée d'en abuser une autre.10(*) » Et, toujours selon lui, le mensonge revêt deux formes principales : l'omission et la falsification. « Dans la première, le menteur se contente de garder pour lui certaines informations sans rien dire de faux. Dans la seconde au contraire, il présente des contre-vérités comme si elles étaient vraies.11(*) » Toutefois, dans cette seconde affirmation, il ne faut pas confondre mensonge et contre-vérité, car cette dernière peut désigner simplement des affirmations inexactes sans préjuger du fait que leur auteur en est conscient ou non. Car dire une chose fausse n'est pas mentir, quand on croit ou s'imagine dire la vérité. Comme le constate Marcel Eck, « Il n'y a pas de mensonge si la tromperie est inconsciente ; [c'est pourquoi] il ne faut pas confondre mensonge et erreur. Affirmer une chose fausse, qu'on ne sait pas être fausse, n'est pas un mensonge.12(*) »

Pour mentir, il faut disposer de l'imagination qui construit la fable. En d'autres mots, il faut « connaître le réel et construire l'imaginaire13(*) ». Le menteur doit ainsi se servir de son imagination pour construire son histoire pour qu'elle puisse être la plus vraisemblable possible. Il doit tout faire pour ne pas être pris à son propre jeu. Il doit prévoir tous les coups possibles du destin.

Si le menteur croit à la réalité de ses mensonges, en leur bien-fondé ou en leur durée alors qu'ils n'ont d'existence que dans et par l'imagination, nous nous approchons de la mythomanie. Comme le mentionne si bien Hannah Arendt : « Le mensonge est souvent plus plausible, plus tentant pour la raison que la réalité, car le menteur possède le grand avantage de savoir d'avance ce que le public souhaite entendre ou s'attend à entendre14(*) ».

Nous pourrions affirmer que ce qui fait du mensonge une mauvaise action, ce n'est pas seulement qu'il soit faux, mais délibéré. Pour être plus précis, ce n'est pas l'énoncé qui fait en soi la gravité du mensonge, mais son intention.

1.1.1 Le mensonge à soi-même

Comment peut-on être victime d'une manipulation dont on est soi-même l'auteur ? Comment ne pas être conscient que, si nous mentons dans le but de berner l'autre, nous nous bernons nous-mêmes ? Toutefois, la situation s'avère un peu plus complexe, car nous savons qu'à priori, le mensonge suppose en effet un trompeur et un trompé, le trompeur étant celui qui ment et qui, par définition, connaît la vérité qu'il cache et falsifie. Marcel Côté, qui a analysé en profondeur le paradoxe du mensonge à soi-même, explique que :

Le mensonge à soi-même est à la démarcation du conscient et de l'inconscient, de la raison et de l'affectivité. Certes, il est une conduite intentionnelle, se distinguant par là de la simple erreur ; mais, plus essentiellement encore, il est un refus inavoué de se rendre à l'évidence, un effort pour compenser une perception désagréable par une représentation plus conforme à l'idée que l'on se fait de soi-même et du réel.15(*)

Le menteur a, par définition, la pleine connaissance de ses pensées et, par extension, de ses mensonges. Il peut bien se mentir à lui-même, mais il ne saurait le faire délibérément. Dans cette conception du mensonge, il y a, d'un côté, le moi qui ment et qui sait qu'il ment, et de l'autre, le moi à qui il ment, qui est trompé et qui ignore la vérité. Le menteur tend à « raisonner faux » et à se convaincre qu'il a raison tout en sachant qu'il a tort, afin de conserver l'image la plus valorisante possible de lui-même. Nous verrons dans le chapitre suivant qu'il en est de même pour tous les personnages de Carrère. Cette solution est celle que propose la psychanalyse en séparant le conscient et l'inconscient. D'une part, il y a le sujet qui croit ce que l'inconscient veut bien lui laisser croire ; et d'autre part, il y a l'inconscient qui dissimule ou modifie la vérité que la conscience ne pourrait supporter.

Selon Guy Durandin, le mensonge à soi-même relève d'un paradoxe et semble a priori absurde : « L'expression de mensonge à soi-même [...] comporte un aspect paradoxal [...] car si le trompeur et le trompé ne font qu'un, le second sera informé aussi bien que le trompeur de la réalité que celui-ci voudrait lui dissimuler, et il ne pourra donc pas être trompé.16(*) »

Ainsi, le menteur connaît la vérité et il sait qu'il ment. Il le fait dans un but évident, celui de berner autrui. Il va disposer des moyens nécessaires pour arriver à ses fins. Car il est clair qu'« il n'est pas de mensonge normal qui ne comporte son intentionnalité. Le mensonge sans intention précise est presque toujours un mensonge pathologique, une maladie.17(*) » Voilà la raison pour laquelle il est important de bien faire la distinction entre mensonge et mythomanie : le premier est volontaire, le second est pathologique.

* 9 Marcel Côté. « Narcisse et la philosophie : Le paradoxe du mensonge à soi-même ». Mémoire de maîtrise, Montréal, Université du Québec à Montréal, 1981, p. 50.

* 10 Paul Ekman, Menteurs et mensonges : comment les détecter, Paris, Pierre Belfond, 1985, p. 21.

* 11 Ibid.

* 12 Marcel Eck, Mensonge et vérité, Paris, Casterman, Coll. Feuilles Familiales, 1965, p. 42.

* 13 Jean M. Sutter, Le mensonge chez l'enfant, Paris, PUF, 1956, p. 9.

* 14 Hannah Arendt, Du mensonge à la violence : essais de politique contemporaine, Paris, Presses Pocket, Col. Agora, 1989 [1972], p. 12.

* 15 Côté, op. cit., p. 3.

* 16 Guy Durandin, Les fondements du mensonge, Paris, Flammarion, 1972, p. 195.

* 17 Eck, op. cit. p. 3.

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