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Première alternance politique au Sénégal en 2000: Regard sur la démocratie sénégalaise

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par Abdou Khadre LO
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - DEA Science Politique (Sociologie Politique) 2001
  

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3. L'armée et le général ministre de l'intérieur.

Contrairement à ce qui s'est passé et qui se passe encore dans beaucoup d'Etats africains, l'armée sénégalaise a toujours fait preuve d'un loyalisme absolu à l'égard du régime en place, en rétablissant l'ordre, chaque fois que cela a été nécessaire, et en regagnant ensuite ses casernes sans laisser de traces. Ainsi, lors du conflit entre le Président de la République Senghor et le Président du Conseil (Mamadou Dia) en décembre 1962, elle a pris fait et cause pour le premier14(*).

Aux mois de mai et juin 1968 où la grève générale a eu lieu en même temps que les troubles universitaires, elle a encore assuré le maintien de l'ordre intérieur. Et plus tard, en 1988, aux lendemains des élections présidentielles, très controversées, suivies de la proclamation de l'Etat d'urgence, les militaires et les gendarmes ont été les derniers remparts contre le chaos, avant de retourner sagement dans leurs casernes.

Cependant, si les opposants sénégalais se bornaient, avant, à contester les résultats des différents scrutins en organisant des manifestations de rue ou des opérations de désobéissance civile, ils étaient conscients que le scrutin de février 2000 était porteur de plus de dangers que tous les autres.

Il y avait une détermination inébranlable des électeurs, qui étaient prêts à toute éventualité, quand bien même les résultats auraient été validés par le Conseil constitutionnel.

Djibo Leyti KA, candidat de l'Union pour le Renouveau Démocratique (URD) et ancien responsable du PS, tenait des propos assez significatives : « ... nous ne pouvons pas toujours tenir nos militants. Si Diouf se proclame cette fois-ci élu, il y aura des émeutes. »15(*)

En effet, au Sénégal d'avant les élections présidentielles de 2000, l'ambiance était plutôt exceptionnelle, par rapport à celles des deux précédentes de 1988 et 1993. Soupçons de fraude, rumeurs alarmistes, manifestations de protestation et irruptions de violence, autant de menus habituels de la veille, cependant juxtaposés d'une grande différence sous-jacente : certains leaders politiques trouvaient des similitudes avec la situation qui prévalait, juste un an auparavant , en Côte d'Ivoire avant le putsch du général Robert Guei.

L'armée sénégalaise a certes été suspectée à plusieurs reprises, sous les présidences de Senghor puis de Diouf, de velléités putschistes. Cependant, en vertu de la Constitution, les militaires sénégalaises (l'armée avec 11000 hommes et le gendarmerie avec plus de 5800 hommes) ne peuvent être ni électeurs ni éligibles. Etant considérés, depuis l'indépendance, comme le seul garant de la cause républicaine du pays, ils sont à présent qualifiés d'être professionnels et expérimentés : formés dans les meilleurs écoles étrangères, et ayant participé à de nombreuses opérations onusienne de maintien de la paix, les cadres compétents sont régulièrement affectés dans la haute administration, voire à la tête des départements ministériels.

A ce stade, c'est le rôle du ministre de l'Intérieur qui retient notre attention. En dehors des interventions stabilisatrices du pouvoir militaire que nous avons soulignées plus haut, on a pu remarquer ces dernières années la participation accrue de personnel militaire dans la vie politique sénégalaise.

Le président Diouf qui a dû avoir recours plusieurs fois à l'armée pour décrisper le débat politique, a nommé le général Lamine Cissé, ancien chef d'état-major de l'armée, au poste de ministre et, à l'occasion des législatives de mai 1998, le général de division Mamadou Niang, ancien patron du contre-espionnage, à la tête de l'ONEL, puis le général Boubacar Wane, ancien aide de camp du chef de l'Etat, comme gérant de la crise casamançaise.

Il faut noter que théâtre d'une rébellion indépendantiste depuis près de vingt, la Basse-Casamance est peuplée des Diola qui résistent farouchement au centralisme de l'Etat sénégalais. Dirigé par le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) de l'abbé Augustin Diamacoune Senghor, le séparatisme casamançais semble être plutôt d'ordre culturel, car ce qu'il réclame est surtout le respect du particularisme casamançais16(*). Mais là n'est pas notre centre d'intérêt.

Cette immixtion plus ou moins indirecte du pouvoir militaire dans la vie politique suscite de fortes réserves au sein de la société civile. En imaginant une prise de pouvoir par l'armée, comme c'était le cas en décembre 1999 en Côte d'Ivoire, il était légitime de se demandait si l'armée pouvait jouer un rôle d'arbitre en cas de troubles majeurs. Les évêques et les imams ont même lancé un appel à la modération aux responsables politiques, justement pour conjurer toute dérive grave qui pourrait justifier, à l'instar de la Côte d'Ivoire, une éventuelle immixtion, directe et brutale, du pouvoir « kaki » dans l'arène politique.

Cette psychose amena une déclaration commune, entre les musulmans et les chrétiens publié le 31 janvier, qui indiquait : « nous demandons de s'imposer le respect des règles du jeu démocratique et de l'éthique. Qu'ils se montrent, dans le combat pour le pouvoir, véridiques et dignes, respectables et respectueux des citoyens, de la réputation et de l'honneur de notre nation.»17(*)

C'est justement pour éviter tout débordement et mener à bien les échéances électorales que le ministre de l'Intérieur, le général Lamine Cissé dit avoir été nommé. « En 1998, écrit-il, le Président de la République du Sénégal a nommé le général que je suis ministre de l'Intérieur, chargé de la décentralisation. Une première dans l'histoire politique du Sénégal. Une première doublée d'une autre, conjoncturelle : durant les deux années qui allaient suivre, le ministre de l'Intérieur allait avoir la responsabilité d'organiser trois élections d'une importance majeure, chacune comportant des enjeux susceptibles de créer de vives tensions pouvant faire basculer le pays dans un chaos dont il se serait difficilement remis : élections législatives en mai 1998 ; élections sénatoriales en janvier 1999, qui devaient pour la première fois instaurer le bicaméralisme au Sénégal ; élection présidentielle à deux tours, en février et mars 2000. Cette élection présidentielle, davantage que toute autre, s'annonçait comme celle de tous les dangers.»18(*)

Le général précisant ensuite : « un général à l'ONEL et un autre au ministère de l'Intérieur ? Cela n'inquiète guère les sénégalais. Au contraire, cela rassure. Maître Abdoulaye Wade, l'irréductible opposant promis à la plus haute destinée, à bien résumé le sentiment général en déclarant : « celui-là, il pourra être un arbitre, il n'a aucun lien avec les partis. »19(*)

Pour le Général Cissé, l'objectif était de mener à bien la mission qui était la sienne, celle que lui avait confiée le Président Diouf : « Des élections impartiales », « libres », « régulières » et « transparentes »20(*). Il devait veiller à ce que ces quatre adjectifs, employés par le Président Diouf, aient leur sens dans la présidentielle tout en faisant face à la tension palpable.

En effet, les propos tenus par les deux candidats principaux n'étaient pas de mesure à calmer les esprits. Face à un Diouf qui relate longuement la cause républicaine de l'armée, Wade tranche rapidement sa posture devant une éventuelle intervention de l'armée21(*) : «... dès lors que certains civils confisquent le pouvoir, il ne reste pas d'autre solution que les militaires pour débloquer la situation. Encore une fois, si Diouf se proclame élu, le 27 février, je donnerai une réquisition à l'armée, à la gendarmerie et à la police pour qu'elles ne le laissent pas faire. Je prendrai toutes mes responsabilités .»22(*)

Donc malgré tous les efforts consentis pour avoir des « élections impartiales», « libres », « régulières »et transparentes » et tous les observateurs présents à la veille des élections, la question de la régularité du scrutin est plus que jamais posée. La question est au coeur de la campagne présidentielle. On a assisté, au cour des derniers mois précédents l'élection, à une empoignade entre l'opposition et le gouvernement sur les moyens d'assurer le bon déroulement et la transparence du scrutin. Comme nous l'avons déjà souligné, ce sont les cartes électorales « israéliennes » qui provoquèrent les plus sérieuses querelles.

Rappelons que le gouvernement en avait initialement confié la fabrication à une entreprise nationale, avant de décider, sans en informer l'opposition, de confier la réalisation d'un autre lot à une société israélienne. Pour sa défense, le ministre de l'Intérieur, affirme avoir découvert que les premières cartes pouvaient aisément être photocopiées, d'où la commande au prestataire israélien, de documents infalsifiables censés remplacer les précédents, destinés à la destruction.

Pour les adversaires du Parti socialiste, regroupés au sein d'un Front pour la régularité et la transparence des élections (FRTE), il ne s'agit rien moins que d'une tricherie. Ils reprochent au gouvernement une opération qualifiée de « secrète » et assurent qu'elle a entraîné la radiation des listes électorales de nombreux électeurs, et notamment de membres de partis d'opposition. Ils tiennent même en suspicion l'Observatoire National des Elections à qui ils reprochent de ne pas avoir suffisamment mis son nez dans cette affaire. L'ONEL n'est certes pas chargé de contrôler la fabrication des cartes électorales mais, estime-t-on, il ne pouvait être tenu à l'écart d'une décision aussi essentielle.

Il reste que l'opposition a obtenu certaines garanties supplémentaires, comme la possibilité d'avoir des représentants dans tous les bureaux de vote. De plus, les parties ont fini par tomber sur l'organisation d'un audit concernant l'établissement du fichier électoral. Par ailleurs, plusieurs organisations non gouvernementales sénégalaises, dont l'organisation des droits de l'homme (ONDH) ont formé des observateurs qui devaient surveiller le déroulement des élections, aux côtés des scrutateurs internationaux que nous avons déjà cités. Mais au yeux de nombreux observateurs, le débat sur l'organisation des élections était définitivement vicié. A ce stade de notre étude, il nous faut présenter les différents candidats qui étaient en lice.

* 14 Mamadou Dia qui tenait également les portefeuilles de la Défense et de la Sécurité, essaya, sans succès, l'armée ayant refusé de le suivre, d'engager une épreuve de force avec Senghor. Cf. Philippe Decraene, Le Sénégal, Que sais-je ?, PUF, Paris, 1985, p. 71 : Voir également Elikia M'bokolo, l'Afrique au 20ème siècle, Seuil, Paris, 1985, pp. 165-166.

* 15 Jeune Afrique, N° 2037, 25-31 jan. 2000, p. 19.

* 16 Cf. Mar Fall, Sénégal, L'Etat sous Abdou Diouf, op. cit., pp. 78-82.

* 17 Jeune Afrique, N°2024, 15-21 février. 2000, p. 27.

* 18 Général Lamine Cissé, Carnets secrets d'une alternance, un soldat au coeur de la démocratie, op. cit, p. 11.

* 19 Général lamine Cissé, op. cit., p. 23.

* 20 Ibid.

* 21 Jeune Afrique, N°2039, 8-14 fev. 2000, p. 21.

* 22 Jeune Afrique, N°2037, 25-31 jan. 2000, p. 19.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway