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Le Jouet ancien au musée - idole d'un nouveau lieu


par Cécile Bricault
Université Lille 3
Traductions: Original: fr Source:

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1.3 Transposer un imaginaire privé dans un milieu public.

Les collectionneurs de jouets participent, plus que tout autre, à une résurrection certaine du passé à travers des objets quotidiens transcendés et valorisés. Les collectionneurs d'aujourd'hui sont les enfants d'hier. Ils constituent un monde à part, car ils conservent l'univers enfantin. Ils édifient leur propre patrimoine et leur propre culture.

La difficulté de collectionner des jouets, ou d'autres objets de collection, réside en ce que la collection appartient à chaque auteur en propre. Autant un collectionneur d'affiches ciblera telle période, telle marque, telle dessinateur, ou un collectionneur de timbres se montrera-t-il plus sélectif dans le choix de ses vignettes, autant un collectionneur de jouets, en fonction de ses préférences, est au seuil de deux chemins. Un collectionneur particulier satisfait son intérêt personnel en sélectionnant soigneusement ses acquisitions. Il peut ne s'intéresser qu'aux poupées en porcelaine, ou bien décider de constituer une collection sur le thème de l'évolution de la poupée, et chercher alors à posséder des oeuvres en bois, en papier mâché, en porcelaine ou en cellulose. De même une passion exclusive pour les voitures Citroën peut animer la recherche et la conception d'une autre collection. Néanmoins si ce collectionneur appartient à une association de collectionneurs, et même s'il préfère une période particulière, il ne peut s'empêcher d'accepter les jouets de toutes sortes, d'où qu'ils proviennent. Ceci afin de participer à la constitution d'une collection la plus exhaustive possible. Ce sont eux, collectionneurs particuliers, ou membres d'association, qui vont offrir au jouet son nouveau destin.

La gageure de présenter des jouets anciens est qu'il faut accepter avec le jouet matériel, toute la part d'immatériel qui émane de lui. Le jouet ne vient pas seul. Il a une histoire créée pour lui et qui lui donne son charme, un contexte que nous pourrions qualifier d'historique - achat, vente, dons..., et un parcours géographique qui parfois le marque physiquement, à l'instar de ces vierges d'Auvergne incendiées décrites par André Malraux12(*). Mais le jouet possède une richesse insoupçonnée, une substance extraordinaire et précieuse. Contrairement aux autres objets d'une collection lambda, timbres, vaisselle ou objets qui n'ont de valeur que par leur appartenance et leur présence dans un hôtel ancien ou un paquebot, contrairement aux tableaux, ou statues, qui sont créés à partir d'un thème, et dont le titre est la cause directe de leur création, le jouet a une identité. Une identité personnelle. Son créateur lui a donné un nom. Un nom propre, qui le reflète et le définit. Or le nom est dans nombre de cultures une connaissance si précieuse de ce qu'est et de qui est le détenteur que le donner ou le savoir est un double pouvoir. Pour le détenteur comme pour le receveur... De même le jouet n'accorde son nom que lorsqu'il se sent en confiance. Le collectionneur le ressent alors comme une évidence.

Tout cet immatériel qui flotte autour de lui, le collectionneur qui expose ses oeuvres, sa collection, ne peut manquer d'y prendre garde. Sa scénographie, sa mise en scène se soumettent à ces « contraintes » imposées, non par le collectionneur, mais par le jouet. Le collectionneur connait ses possessions, il les sent. Il leur crée ainsi un nouvel univers, un nouvel imaginaire.

Seulement le jouet ne se satisfait pas d'un admirateur unique ou de quelques initiés minutieusement choisis. Créé pour le mouvement et l'action même fictive, l'enfermement et l'immobilité le détruisent peu à peu. Dans le même temps, le collectionneur est en proie à un curieux paradoxe. Lui qui a caché ses richesses, qui les a thésaurisées, ressent un manque croissant de reconnaissance. Pour y remédier, le collectionneur n'a guère le choix. Dévoiler et partager sa collection lui apparaissent alors indispensable à son bien-être. Mais il se doit de réussir à susciter l'intérêt et l'admiration de ses visiteurs. Cependant le collectionneur est souvent désarmé en face de ses invités. Soit il se perd en explications de plus en plus détaillées sur un objet particulier, et risque de provoquer l'ennui. Soit il laisse ses visiteurs vagabonder au sein de sa collection, sans véritables directives. Plongé au coeur de sa passion, le collectionneur connait ainsi de nombreuses difficultés. Il a peur de trop dévoiler de lui-même, et conscient du regard des autres, se rétracte dans le rôle d'un guide anxieux et silencieux. Il risque ainsi la perte de la compréhension de sa collection. De même qu'il craint les photos, dans l'appréhension d'une appropriation étrangère de sa collection. Ultime réflexe de propriétaire à l'égard de ses jouets. La frustration des visiteurs est évidente. Sevrés d'explication, ce premier public ne ressent pas les objets de la même manière que le collectionneur, et peut parfois douter de l'utilité et de l'intérêt de la collection.

Néanmoins, le jouet n'est pas un objet de collection comme les autres. Il vit. Il parle et murmure. « Réveillé » par la présence d' « intrus », il les attire. Confronté à d'autres êtres, qui ne le connaissent pas, qui le comprennent pas forcément au premier abord, et à qui il doit se présenter et plaire, le jouet sort de son inertie. Exposé à la lumière des « projecteurs », le jouet quitte les ténèbres de son sanctuaire.

Cependant certains collectionneurs, contrairement à ceux qui se résolvent parfois en dernier recours à montrer leurs collections, constituent les leurs dans l'optique de faire connaitre et apprécier le jouet ancien, de partager leur amour et leur passion de ces jouets au public. Ils exposent alors dans des lieux ou espaces publics, lieux prêtés pour l'occasion, lieux sujets à de nombreuses influences, lieux malléables. Cette immersion dans un monde entièrement différent du sien, l'appropriation d'un lieu temporaire, transforment encore le jouet. Il se retrouve exposé aux regards, non d'une seule personne, ou de rares privilégiés, mais aux yeux innombrables d'une foule qui le scrute avec surprise. Le jouet renait une nouvelle fois de cette apparition publique, de cette confrontation nouvelle avec les yeux d'un enfant, de ses parents. Ceux-ci sacrifient au jouet leurs présences, leurs pensées, leurs rêves. S'effectue alors sa première « incarnation »13(*). Le jouet se divinise, à l'instar de ces statues de l'Empereur romain, exposées dans le Forum, premier pas vers la divinisation et l'adulation. Une nouvelle vie commence pour le jouet, faite de séduction. Il ne peut certes plus être touché ou manipulé, et n'est plus dans la capacité d'atteindre sensoriellement son public, excepté par le sens de la vue. Mais il effleure l'âme du public. Cette deuxième approche avec le public - la première approche s'effectue au magasin, mais il y est prisonnier du choix de l'acheteur, ici le jouet est libre et il domine - permet au jouet de redevenir un patrimoine vibrant, un patrimoine vivant. Il métamorphose alors son lieu d'exposition en un lieu nouveau, plein des histoires rapportées par ses semblables exposés, rempli des souvenirs mutuels partagés du jouet et du public. Le jouet ancien crée un nouveau milieu, qui l'englobe avec le public, et l'englobe de son essence.

Le jouet introduit le passé dans le présent public. Témoin d'un passé révolu, il fascine encore son public et lui transmet son histoire. Il devient « personne » publique, archive pour les historiens, objet de rêve et d'imaginaire pour d'autres. Il est patrimoine, nourri des sacrifices de son collectionneur et de son public.

De sa création industrielle à son devenir éducatif, le jouet a traversé bien des océans, et pénétré dans bien des chambres. Mais à l'heure où le jouet se transforme à l'image de cette société du nouveau millénaire, le jouet ancien se prépare à vivre une nouvelle aventure. Le collectionneur dépassé par son jouet va sacrifier une dernière fois : il offre sa collection au public. Ultime oblation...

A cet instant, le jouet est parvenu au seuil du musée.

* 12 André MALRAUX, Le Musée Imaginaire. 2006.

* 13 Au sens premier de revêtir un être spirituel d'un corps charnel, d'une forme humaine ou animale.

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