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Le Paris souterrain dans la littérature


par Céline Knidler
Université Paris IV Sorbonne
Traductions: Original: fr Source:

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b) Le mythe de la destruction de Paris

Or, quelle menace destructrice peut bien représenter le souterrain pour la surface ? Une menace d'engloutissement d'abord. En effet, les auteurs n'ont de cesse d'évoquer la fragilité du sous-sol, alors même que le peuple parisien continue de bâtir sur ces fondations incertaines. Louis-Sébastien Mercier offre ainsi un panorama peu rassurant des souterrains parisiens dans son Tableau de Paris: « On regarde au plancher, tantôt bas, tantôt plus élevé : mais quand on y voit des crevasses, et que l'on réfléchit sur quoi porte le sol d'une partie de cette superbe ville, un frémissement secret vous saisit (...). Des cavités, des ciels à demi brisés, des enfoncements qui n'ont pas encore percé à jour, des fontis, des piliers écrasés sous le poids qui les presse et qui menacent ruine, de doubles carrières, sur lesquelles portent à faux les piliers de la première ; quel coup d'oeil ! Et l'on boit, et l'on mange, et l'on dort dans les édifices qui reposent sur cette croûte incertaine ».

La peur d'un écroulement du sol de Paris, d'un engloutissement dans les vides qui minent la capitale va hanter la plupart de nos romans. Ainsi, Louis-Sébastien Mercier met-il en garde le parisien : « il ne faudrait pas un choc bien considérable, pour ramener les pierres au point d'où on les a enlevées avec tant d'effort. »207(*).

Cette idée va nous amener à la vision romantique d'un Paris en ruine. Selon Louis-Sébastien Mercier toujours, toute évolution et toute existence appellent fatalement leur contraire, la chute et la mort. Au 19ème siècle, Paris a été comparé aux villes de Rome et d'Athènes qui, au fil des ans, ont perdu de leurs superbes jusqu'à sombrer dans la décadence, avant la destruction finale. Il suffit de lire Volney et ses Ruines ou méditation sur les révolutions des empires pour dégager cette idée de la fin d'une époque. Dans l'ouvrage de Victor Fournel, intitulé Paris et ses ruines en mai 1871, l'auteur constate que la ruine de Paris s'est déjà produite, au lendemain des révolutions, des incendies, et des destructions haussmanniennes. Lutèce, la ville de boue (Lutèce vient du latin lutum, la boue), qui s'était transformée en la merveilleuse et grandiose capitale qu'est Paris, retournerait ainsi à son stade initial. « Car il ne faut rien flatter, pas même un grand peuple ; là où il y a tout, il y a l'ignominie à côté de la sublimité ; et, si Paris contient Athènes, la ville de lumière, Tyr, la ville de puissance, Sparte, la ville de vertu, Ninive, la ville de prodige, il contient aussi Lutèce, la ville de boue. »208(*).

Mais, à l'instar de ses soeurs jumelles, Paris ne devrait sa ruine non pas à cause d'une puissance extérieure, mais bien à cause de son appétit insatiable. Pour donner à cette idée une illustration complète, la ruine de la capitale française, comme celle de Rome et d'Athènes, tiendrait davantage de l'implosion que de l'explosion. Paris n'est pas « tuée », mais elle se donne elle-même la mort à cause de son faste, ses frasques et son insouciance: « Une pareille existence ne saurait durer, et Paris succomberait par ce genre de mort dont il a conservé le monopole : le suicide »209(*). Le personnage de Eustache Grimm dans Le Roi mystère est la représentation en modèle réduit de la menace qui pèse, et le mot est choisi, sur Paris. Car Paris est boulimique, Paris est obèse, Paris pourrait bien mourir de congestion. Voilà ce qu'entend Victor Hugo par là : « De sorte qu'on peut dire que la grande prodigalité de Paris, sa fête merveilleuse, sa folie Beaujon, son orgie, son ruissellement d'or à pleines mains, son faste, son luxe, sa magnificence, c'est son égout. »210(*). A force de grandir, de construire encore et encore sans se soucier de la solidité de ses fondations, Paris risque bien de connaître le sort prédit par Alexandre Dumas : « Toute la rive gauche depuis la Tour de Nesle [ ...] jusqu'à la Tombe Issoire [...] n'est qu'une trappe de haut en bas. Et si les démolitions modernes révèlent les mystères du dessus de Paris, un jour peut-être, les habitants de la rive gauche se réveilleront effrayées, découvrant les mystères du dessous. »211(*) Sa ruine viendra notamment par les égouts. La démonstration que le romancier propose par la suite à propos de l'influence de l'égout de Rome sur la ville italienne est un présage du sort réservé à Paris. « Les cloaques de Rome, dit Liebig, ont absorbé tout le bien-être du paysan romain. » Quand la campagne de Rome fut ruinée par l'égout romain, Rome épuisa l'Italie, et quand elle eut mis l'Italie dans son cloaque, elle y versa la Sicile, puis la Sardaigne, puis l'Afrique. L'égout de Rome a engouffré le monde. Ce cloaque offrait son engloutissement à la cité et à l'univers. Urbi et orbi. Ville éternelle, égout insondable. »212(*).

On peut expliquer aisément chez les romanciers l'émergence de cette crainte. Car si le 19ème est l'ère du romantisme, c'est aussi celle des révolutions, des bouleversements qui engendreront le mal du siècle mis en lumière par Alfred de Musset dans La Confession d'un enfant du siècle. Hugo expose également la ruine de Paris dans un poème intitulé « A l'arc de Triomphe » dans « Les Voix intérieures », où « la mort de Paris n'est donc pas un châtiment, mais une fatalité »213(*):

II

« Toujours Paris s'écrie et gronde.

Nul ne sait, question profonde,

Ce que perdrait le bruit du monde

Le jour où Paris se tairait ! »

III

« Il se taira pourtant ! - Après bien des aurores [...]. »

C'est l'histoire cyclique qui se répète : Paris connaîtra le même sort que celles qui l'ont précédée. Comme nous l'avons déjà évoqué, l'idée de la mort de Paris « est déterminée d'abord par des facteurs historiques. Le sentiment de brusque instabilité provoqué par les Trois-Jours est entretenu par les émeutes des années suivantes. Le choléra de 1832 lui vaut aussi un regain d'actualité. »214(*). Le tremblement de terre des révolutions est passé par-là.

Mais bien que dépassant le strict cadre historique, une explication biblique peut également tenter d'apporter une explication. Le livre saint menace effectivement «Paris de connaître le destin de Babylone, de Gomorrhe, de Ninive, de Palmyre, de Persépolis, de Sidon, de Sodome et de Tyr. »215(*).

L'idée de l'effondrement de Paris se retrouve dans le pessimisme de Léon Daudet qui, du haut du Sacré-Coeur contemple les monuments parisiens : « D'autres fois, je les voyais rongées par un mal obscur, souterrain, qui faisait choir tels monuments, tels quartiers, des pans entiers de hautes demeures... de ces promontoires, ce qui apparaît le mieux, c'est la menace. L'agglomération est menaçante, le labeur géant est menaçant ; car l'homme a besoin de travailler, c'est entendu, mais il a aussi d'autres besoins... »216(*). Face à ce Paris déshumanisé, où le parisien est assimilé à une machine, à l'instar de la ville titanesque qu'il habite, Léon Daudet s'inquiète de cette possible implosion qui ruinerait les beautés de la ville lumière.

Or, quelle tâche essaye d'accomplir le personnage de Médard dans Les Catacombes de Paris d'Elie Berthet ? «  Le Val-de-Grâce allait sauter, et, selon toute apparence, la plupart des grands édifices publics construits sur les vides auraient prochainement le même sort que le magnifique couvent d'Anne d'Autriche. »217(*). Le lecteur, après avoir suivi les déambulations du sauvage dans les souterrains minés (« Les mines étaient multipliées en cet endroit d'une manière effrayante. « Le Luxembourg » murmura Médard »218(*)), comprend clairement, si ce n'était déjà fait, ses intentions : « Quelques secondes plus tard et un immense désastre allait désoler Paris. ».

En menaçant de faire sauter les fragiles piliers qui soutiennent encore le ciel des carrières pour se venger de la condamnation à mort de son père, Médard, mi-sauvage, mi-bête, incarne parfaitement le retour du chaos sur les lois ordonnées de la société. Ce dernier n'a d'ailleurs pas choisi de manière innocente les points où il a placé ses bombes. Sous le Luxembourg, sous le Val de Grâce et sous l'hôtel particulier des Villeneuve, autant de symboles de la magnificence de Paris, de la richesse de son aristocratie, mais plus généralement, de l'élévation d'esprit de l'homme raffiné. A lire Elie Berthet, on pourrait même considérer la menace comme une puissance autonome, quasi personnifiée : « On ne voyait plus maintenant qu'une masse noire et de forme changeante qui disparut bientôt elle-même dans un immense nuage de poussière. Cependant les roulements, les détonations, les grondements souterrains ne cessaient pas derrière ce voile lugubre ; le sol continuait d'osciller sous les pieds. Plusieurs fois on put croire que le génie de la dévastation avait interrompu son oeuvre ; il y avait des intervalles de silence. Puis un nouveau craquement se faisait entendre, l'écroulement recommençait et se prolongeait d'une manière formidable ; la terre tremblait comme si elle eût été battue par de puissantes machines. Des crevasses, des excavations profondes se manifestaient dans les cours et dans les jardins. Le lendemain, on reconnut avec stupéfaction que l'un des plus grands arbres du parc s'était enfoncé jusqu'à la cime dans les vides ouverts au-dessous de lui. »219(*).

Mais cette idée de destruction provient avant tout d'un renversement des valeurs qui prend alors une tournure manichéenne : « Je pense aux grandes choses qu'eût pu accomplir cet homme, s'il eût employé au bien l'énergie, l'abnégation, la constance qu'il a déployées pour être le fléau de son espèce ! »220(*) s'exclame Philippe de Lussan. Les bons de la surface s'opposent aux mauvais du souterrain. Le jugement du jeune avocat ne tarde d'ailleurs pas à tomber sur le coupable : « Renverser une portion de Pairs, détruire ses plus superbes monuments, ce serait de la barbarie, du vandalisme, de la démence !... Erostrate, pour avoir incendié le temple d'Ephèse, fut voué à l'exécration de la postérité, et comme lui, vous porteriez la peine d'un acte abominable. »221(*).

Cette crainte d'un engloutissement de Paris se vérifie chez Gaston Leroux dont l'énigmatique personnage d'Erik menace de faire s'écrouler l'Opéra Garnier s'il n'obtient pas les grâces de sa belle. Et quel symbole que l'Opéra Garnier ! Le bâtiment ne devait-il pas, comme nous l'avons vu dans notre première partie, représenter la puissance et le rayonnement du second Empire ? Toujours est-il que le prix des travaux, lui, a réussi à briller par son importance.

Ainsi, émerge peu à peu l'idée que Paris, par son obésité, par son insouciance, tient une part de responsabilité dans sa propre ruine. N'est-ce pas elle qui engendre, entretient, favorise le développement de toute cette population de malfaiteurs qui, tapie dans ses ombres, ronge peu à peu le giron de leur mère ? Toute cette société nous est décrite dans les romans de Victor Hugo, notamment avec l'évocation des complices de Thénardier dans Les Misérables. La peinture de la cour des miracles dans Notre-Dame de Paris donne lieu à une comparaison avec le pandémonium, cette capitale d'un enfer imaginaire qui, à l'inverse de la représentation habituelle, ne se caractérise pas par le feu mais par le chaos. Le chaos, encore une fois, vient empiéter sur les lignes droites de la ville.

* 207 Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, (Paris, Mercure de France, 1994), p. 37

* 208 Victor Hugo, Les Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II, 1

* 209 Nouveau tableau de Paris au 19ème, Paris dans ses causes, (Paris, Librairie Mme Charles Béchet, 1835), t.8, p.345-366

* 210 Victor Hugo, Les Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II, 1

* 211 Alexandre Dumas, Les Mohicans de Paris,(Paris, Livre de poche, 1973)

* 212 Victor Hugo, Les Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II, 1

* 213 Pierre Citron, La Poésie de Paris dans la littérature française de Rousseau à Baudelaire, (Paris, Les éditions de minuit, 1961), v.2, p. 33

* 214 Ibid., v.2, p.19

* 215 Pierre Citron, La Poésie de Paris dans la littérature française de Rousseau à Baudelaire, (Paris, Les éditions de minuit, 1961), v.2, p.20

* 216 Léon Daudet, Paris Vécu, 1ère série, rive droite, (Paris, Gallimard, 1930), p. 120-221

* 217 Elie Berthet, Les Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.2, p. 313

* 218 Elie Berthet, Les Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.2, p. 210

* 219 Ibid., v.1, p. 209

* 220 Ibid, v.2, p. 309

* 221 Ibid, v.2, p. 210

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