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Opinion publique et géopolitique

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par Daouda GUEYE
Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) - Diplome d'Etude Approfondie (D.E.A) 2004
  

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2°) L'OPINION PUBLIQUE

Dans toutes les formes de constructions politiques, la distinction a toujours été établie entre les gouvernants et les gouvernés, entre une classe dirigeante et la masse des citoyens ou des sujets, selon les contextes. Cette dichotomie apparaît d'ailleurs chez tous les penseurs et philosophes politiques comme l'essence des unités politiques. La classe dirigeante est souvent représentée comme étant le siège de l'intelligence, l'âme de l'Etat qui, si elle se retire de l'Etat, entraîne aussitôt sa mort ou sa dislocation. C'est « une présomption fausse et dangereuse, écrit Hegel, que seul le peuple détient raison et sagesse et sait le vrai ; car chaque fraction du peuple peut se poser comme peuple. De surcroît ce qui constitue l'Etat, est l'affaire d'une connaissance cultivée et non du peuple »25(*).

Cette conception du politique influence beaucoup les relations internationales. En effet les Etats sont toujours apparus comme les principaux acteurs sur la scène internationale, et, à ce niveau, ce sont les politiques qui ont de tout temps défini et mis en oeuvre les modalités des relations entre les différents Etats. Et lorsque ces derniers ont décidé, comme cela a souvent été le cas, d'entrer en conflit les uns avec les autres, ou lorsqu'ils ont voulu rompre un traité de paix ou enfreindre la législation internationale en matière de maintien de la paix, ils l'ont toujours fait délibérément, à tort ou à raison, au nom de la masse de leurs citoyens, sans que rien n'ait pu les en empêcher si ce n'est peut-être leur faiblesse. Et, en général, la masse des citoyens qui est la première, si ce n'est la seule à subir les affres de la guerre, n'est pas autorisé à opiner, à exprimer librement et publiquement ses opinions, ou, dans le meilleur des cas, ses opinions ne sont tout simplement pas prises en compte par les politiques.

Les masses ont toujours reçu des qualificatifs péjoratifs. Elles sont incultes, aveugles, impulsives, incohérentes, incapables de volonté soutenue, grégaires et tant d'autres choses encore, toutes négatives. « La foule (...) est conduite presque exclusivement par l'inconscient. Ses actes sont beaucoup plus sous l'influence de la moelle épinière que sous celle du cerveau »26(*). Voilà les termes dans lesquels Le Bon analyse la foule, parmi d'autres comme, par exemple, lorsqu'il établi une similitude entre les caractères spéciaux des foules et ceux des êtres appartenant à des formes inférieures de développement, comme le sauvage et l'enfant. Ces caractéristiques spéciaux sont, entre autres, l'impulsivité, l'irritabilité, l'incapacité de raisonner, l'absence de jugement et d'esprit critique, l'exagération des sentiments.

Parmi les penseurs qui se sont penchés sur le phénomène « foule », Gustav Le Bon fait parti de ceux qui ont, de manière systématique, analysé cette question. L'ouvrage qu'il lui a consacré en 1895 est bien indiqué pour qui voudrait en faire objet de réflexion. Autre chose qu'on peut lire dans cet ouvrage, ce sont ces phrases où il caractérise son époque comme celle des foules. Il écrit : « D'universels symptômes montrent chez toutes les nations, l'accroissement rapide de la puissance des foules. Quoi qu'il nous apporte, nous devrons le subir. Les récriminations représentent de vaines paroles. L'avènement des foules marquera peut-être une des dernières étapes des civilisations de l'occident, un retour vers ces périodes d'anarchie confuse précédent l'éclosion des sociétés nouvelles »27(*). En cela, Le Bon ne fait qu'apporter une sorte de systématicité à cette kyrielle d'idées éparses et somme toute dévalorisantes qui ont été émises çà et là par des penseurs, politiques et philosophes de son époque et des époques qui l'ont précédée. Les philosophes ont adopté la même attitude vis à vis de la foule que par rapport à la femme, au féminin.

Trois notions sont généralement confondues et utilisées les unes pour les autres pour désigner une seule et même réalité. Il s'agit des notions de « foule », de « masse » et de « public ».

Dans un ouvrage paru en 1907, Gabriel Tarde28(*) s'oppose à Le Bon sur le point où ce dernier décrit leur époque comme étant « l'ère des foules ». Selon Tarde, ils s'agit plutôt de « l'ère du public », le public dont il dit dans cet ouvrage que c'est le groupe social de l'avenir. Pour ce qui est des différences qu'il y a entre le « public » et la « foule », il dit qu'il faut en compter trois : d'abord les facteurs climatiques ou autres qui influent sur le comportement de la foule n'ont pas le même impact sur le public ; ensuite, le public peut être international, ce qui n'est pas le cas pour la foule ; enfin, il y a surtout le fait que la foule peut être incluse dans le public, puisque ce dernier peut générer le phénomène « foule », mais qu'à l'inverse, une foule, en se dispersant, redevient « masse » ou »public ». Par rapport à ce processus de génération du phénomène « foule » et de son inclusion dans « le public », voici ce qu'écrit Tchakhotine « La physionomie du « public » peut être différencié selon la foule qui en sort ; ainsi les éléments pieux du public se rassemblent dans la foule des fidèles à l'église, dans les pèlerinages à Lourdes, etc. , les éléments mondains dans les courses de Longchamp, les bals et les banquets, les éléments intellectuels dans les théâtres, les conférences, etc., les éléments ouvriers dans les grèves, les éléments politiques dans les réunions électorales, les parlements, les éléments révolutionnaires dans les mouvements insurrectionnels »29(*).

Par ailleurs, en dépit du fait que la masse est généralement dispersée topographiquement - ce qui la distingue du point de vue psychologique de la foule -, ce qui fait que les éléments qui la composent n'ont pas de contact immédiat, corporel, il y a tout de même un lien entre ces derniers : « une certaine homogénéité quant à leur structure psychique, déterminée par une égalité d'intérêt, de milieu, d'éducation, de nationalité, de travail, etc. »30(*)

Ce lien qui unit les éléments du public devient de plus en plus manifeste et solide aujourd'hui par la conjugaison de plusieurs facteurs dont l'ensemble constitue ce que nous désignons par le concept de mondialisation. Un concept apparemment indéfinissable du fait de son caractère multidimensionnel. Il souffre en fait d'une amphibologie de sens identique à celle de l'Etre de l'ontologie.

Parmi ces dimensions de la mondialisation, nous pouvons citer le développement de la communication à l'échelle globale qui a fini par couvrir la planète d'un réseau de fils, de câbles et de satellites. Dans ce domaine de la communication, l'humanité est allée de révolution en révolution, perfectionnant les méthodes d'acquisition, de traitement et de diffusion de l'information. Déjà la radio, puis la télévision permettaient aux habitants de diverses localités du monde de se rapprocher, et avaient ainsi comme rétréci les dimensions de la planète, au point qu'on s'est mis à parler de la transformation du monde en village planétaire. L'avènement de l'Internet et des multimédias, suite aux progrès épatants enregistrés dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication, a mené loin le processus jadis enclenché par l'invention de la radio et de la télévision dans le sillage du télégraphe et du téléphone. Bref, depuis que l'italien Guglielmo Marconi a réussi pour la première fois en 1901 à faire franchir l'océan à la lettre s, ouvrant ainsi l'ère des radiocommunications, beaucoup de progrès ont été accumulés dans ce domaine. Les peuples du monde entier, par le fait de la planétarisation de la communication et surtout de l'Internet, sont devenus comme autant d'agglomérations situées de part et d'autre le long de l'autoroute de l'information. L'un des mots d'ordre des disciples de Claude-Henri de Saint Simon se trouve en cela réalisé : « Enlacer l'univers ».

Le rapport entre opinion publique et mass média est manifeste dans la mesure où dans une tentative de démêler la complexité de la nature de l'opinion publique, on ne peut guère manquer de constater, comme l'affirme Jean Maisonneuve, que cette dernière « touche d'une part à un système de croyances fortement enraciné et cristallisé au niveau tant collectif qu'individuel ; d'autre part à des processus évènementiels affectés d'une forte contingence, correspondant à ce qu'on appelle « l'actualité » ou « les nouvelles » ».

Les « news » qui passent en boucle sur les écrans de télévision projettent dans tous les coins du monde des informations à temps réel, qui provoquent naturellement des réactions de la part de ces téléspectateurs épars. En cela, la télévision joue un rôle crucial dans la formation d'une opinion publique internationale qui s'active manifestement en fonction de la nature de l'événement rapporté sous forme de « nouvelle ». Evoquant les écrits du canadien Marshall Mac Luhan et de son collègue Quentin Fiore, Mattelard affirme que « grâce au pouvoir de la télévision de mobiliser le sensorium de ses audiences, l'avènement du « village global », la communauté retrouvée par l'entremise du petit écran, est, selon eux, en train de réduire à néant les menaces de guerre, de combler l'écart entre militaires et civils, et de faire progresser à grands pas tous les territoires non industrialisés, comme la Chine, l'Inde et l'Afrique »31(*).

Une autre dimension de la mondialisation, c'est le développement de l'éducation et de l'alphabétisation à l'échelle-monde. Ce phénomène, combiné avec la révolution industrielle et l'urbanisation ou la massification, constitue un élément explicateur de l'éveil de la conscience politique des masses qui, parti d'Europe, s'est répandu dans le reste du monde. Brzezinski voit dans le développement de l'alphabétisation « le préalable nécessaire pour une activité politique des masses. »32(*) Même si le niveau d'alphabétisation n'est pas homogène au niveau planétaire, il est possible de dire que même dans les PMA(*), dont le processus se situe encore au stade de l'enfance, une bonne partie des populations, les hommes surtout, a atteint un niveau d'étude plus ou moins satisfaisant pour s'imprégner de la situation géopolitique, économique, etc., du monde. Depuis quelques années maintenant des efforts énormes sont consentis pour promouvoir l'alphabétisation des filles dans cette partie du monde.

Ces deux aspects de la mondialisation en cours, combinés avec les autres dont il nous est ici impossible de faire une revue exhaustive, étant limités dans le temps et dans l'espace, confèrent à l'opinion publique un niveau de conscience et un caractère international à même de favoriser une mobilisation transnationale de toutes ses composantes qui, après tout, et par le fait même qu'elles ont l'humanité pour dénominateur commun, et aussi par le fait qu'elles partagent le même inconscient collectif meublé d'atrocités dues aux conflits passés, ont cette homogénéité quant à leur structure psychique, nonobstant le fait qu'elles soient éparpillées sur la surface du globe. Bref la mondialisation de l'opinion publique est un fait réel, un aspect de la mondialisation, au même titre que ceux qu'on vient d'évoquer.

Avec la mondialisation de la communication, les avancées fulgurantes enregistrées dans les nouvelles technologies de l'information et de communication et le développement notoire de l'alphabétisation, même dans les PMA, l'opinion publique internationale est plus ou moins bien outillée pour gagner en maturité et sortir de la minorité qui l'a toujours caractérisée dans le cadre des affaires internationales. Ces outils devraient également lui permettre de guérir le mal qui l'a toujours affectée, et qui consiste dans l'ignorance dans laquelle sont restés confinés ses différents membres par rapports aux valeurs, coutumes et croyances des uns et des autres ; cela a souvent été source d'incompréhension, d'intolérance et de conflits. Ces divisions de l'opinion publique internationale ont souvent été mises à profit par des politiques dépourvus de scrupules et mus par le désir d'avoir une préséance au plan international, parfois au grand dam de leur opinion publique nationale.

Toutefois, il faut remarquer que la maturité n'est jamais chose effective, c'est à dire qu'elle ne signifie pas un stade de développement d'une mentalité qui serait en nette rupture avec ceux qui l'ont précédé. Ainsi, même si l'on peut dire que l'opinion publique internationale est assez mature pour s'opposer aux conflits géopolitiques, géoéconomiques ou ethnopolitiques dont elle est toujours la première victime, il faut également prendre en compte le fait qu'elle peut connaître des moments de régression vers des stades de développement inférieurs, qu'elle avait certes dépassées, mais aussi conservées tout au fond de son inconscient. Ceci rend les propos de Raymond Aron encore d'actualité : « Bien sûr, ils voudraient échapper aux horreurs de la guerre, mais veulent-ils renoncer aux joies de l'orgueil collectif, aux triomphes de ceux qui parlent à leur nom ? Peuvent-ils, d'une collectivité à une autre, se faire confiance au point de se priver de moyens de force et de confier à un tribunal d'équité la tâche de trancher leurs conflits ? D'ici un siècle, auront-ils décidé en commun la limite raisonnable de peuplement, faute de quoi ils seront confrontés par la menace d'un surpeuplement qui ranimerait une lutte pour les ressources, les matières premières, l'espace lui-même, lutte auprès de laquelle les guerres du passé sembleraient dérisoires ? Enfin et par-dessus tout, les hommes seront-ils assez proches les uns des autres dans leurs systèmes de croyances et de valeurs pour tolérer les différences de cultures ,de même que les membres d'une même unité politique tolèrent les différences entre provinces ? »33(*)

La résolution de ces questions constitue un préalable parmi tant d'autres que l'opinion publique doit régler pour devenir encore plus mature et se doter de moyens de se prémunir du viol psychique .En effet, outre ses propres démons, celle-ci fait face à deux menaces qui la bordent de part et d'autre tels le marteau et l'enclume.

* 25 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Leçons sur la philosophie de l'Histoire, vol I, trad. Gibelin, Vrin, p. 46.

* 26 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, 1895, Félix Alcan, in Dominique Colas, La pensée politique, Textes essentiels, Larousse, 1992, p.549.

* 27 Op.cit., p547.

* 28 Gabriel Tarde, L'opinion et la foule, P.U.F., 1989.

* 29 Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande politique, Tel, Gallimard, 1952, p. 150

* 30 Op.cit, pp. 149-150.

* 31 A. Mattelard, op.cit. pp. 77-78.

* 32 Z. Brzezinski, op.cit., p.50.

* Pays Moins Avancés.

* 33 Raymond Aron, Paix et Guerres entre les nations, Paris, pp. 768-769.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault