I-3-Le dualisme financier
Les systèmes financiers des pays en
développement se caractérisent de façon
générale par leur dualisme, marqué par l'existence deux
secteurs financiers : formel et semi-formel ou informel.
Le système formel est celui des banques et des
intermédiaires financiers agréés. Dans la plupart des pays
en développement et notamment ceux de l'UEMOA, il y a un sous
développement évident du système financier formel. Les
pays d'Afrique subsaharienne ont un désavantage par rapport à
d'autres pays du Tiers-Monde en ce qui concerne l'état de
développement de leurs institutions financières formelles. Alors
que les économies en développement d'Amérique Latine et
d'Asie montrent des taux de densité bancaire de 8000 à 30 milles
habitants par succursale bancaire, les taux de l'Afrique subsaharienne sont de
l'ordre de 100 milles à 420 milles habitants par succursale bancaire
Soulama (2005). Cette situation favorise le développement d'un
système informel d'une part et d'un système financier
semi-formel, appelé aussi système financier
décentralisé d'autre part.
Le système informel peut être défini comme
un ensemble d'activités financières se déroulant en dehors
de toute réglementation ou supervision des autorités
monétaires et financières. Ses caractéristiques
distinctives sont : la prédominance des transactions en espèces,
l'absence d'enregistrement et de réglementation, une échelle
restreinte des opérations, la facilité
d'entrée, l'échange d'actifs hors des cadres
juridiques, un fonctionnement qui s'appuie sur des relations personnelles ou
sur des solidarités communautaires14.
Le système financier décentralisé est
constitué d'intermédiaires financiers légaux et
formalisés, parfois établis comme institutions financières
à part entière ayant pour vocation de collecter l'épargne
et/ou de faire du crédit aux micro-entreprises et aux ménages
exclus du système financier officiel, et en utilisation des techniques
inspirées de celles mises en oeuvre par la finance informelle.
Les deux dernières catégories, peuvent
être regroupées dans une catégorie plus large, celle de la
microfinance. Dans les pays de la zone Franc et en particulier de l'UEMOA, le
système financier se caractérise par le fonctionnement
parallèle des deux systèmes financiers: la finance formelle et la
microfinance. C'est ainsi que le système financier est qualifié
de dual.
Selon les théoriciens de la libéralisation
financière, la présence d'un secteur informel à
côté d'un secteur formel serait la conséquence de
l'inefficacité du secteur financier formel. Cette inefficacité
est due en grande partie à la rigidité du secteur formel et
l'omniprésence des pouvoirs publics, principalement en matière de
fixation des taux d'intérêt, au niveau des institutions du secteur
formel, empêchant celles-ci de s'adapter aux conditions
spécifiques de l'économie des pays en développement. La
finance informelle est le signe du sousdéveloppement financier de ces
pays.
Selon les structuralistes, par contre, l'une des causes du
dualisme financier est la complémentarité intrinsèque des
structures économiques et sociales et l'attachement de la population aux
valeurs et coutumes traditionnelles15. Ils ajoutent que
l'accès aux crédits bancaires, difficil pour les petites
entreprises du secteur informel qui ne possèdent pas les garanties
nécessaires, favorisent l'émergence des tontines.
Les caractéristiques des économies de l'UEMOA
permettent d'expliquer le développement important de la finance
informelle. Le secteur informel apparait comme une panacée car il est
basé sur la confiance et la solidarité. Par exemple le volume des
dépôts collectés par les institutions de microfinance a
augmenté de 175% entre 1996 et 2000 (UEMOA, 2002). Cette forte
croissance du volume des dépôts s'accompagne aussi d'une hausse
similaire du volume
14Cité par Soulama S. (2005) «
Microfinance pauvreté et développement », éditions
des archives contemporaines, Agence Université de la Francophonie.
15Rappelons que ce courant de pensée
soutient l'idée selon laquelle l'économie des pays en
développement se caractérise par la coexistence de deux secteurs
distincts : un secteur moderne capitaliste et urbain et un secteur traditionnel
non capitaliste et rural.
des crédits (168%) et du taux de
pénétration, c'est-à-dire de la proportion de la
clientèle bénéficiaire des services des institutions de
microfinance par rapport à l'ensemble des ménages, de plus de
200%. Ces résultats font des institutions de microfinance des
opérateurs économiques performants et une alternative au secteur
bancaire dans la fonction d'intermédiation Lelart (2002).
A côté de cet inventaire des causes du dualisme
financier qui caractérise le système financier de l'UEMOA, il est
tout aussi important de s'interroger sur les voies et moyens visant à sa
réduction ou à sa suppression puisque ce dualisme financier peut
avoir un impact négatif sur le développement par ses effets sur
le processus d'accumulation et de répartition des ressources des pays en
développement et donc sur le taux de croissance. En effet le dualisme
financier introduit des distorsions sectorielles et régionales entre la
collecte de l'épargne et son affectation (l'épargne rurale
drainée vers les centres urbains). Il entrave également la
poursuite par les pouvoirs publics de politiques économique
monétaire et financière cohérentes en raison de la
méconnaissance des agrégats économiques. Par nature, le
secteur financier informel échappe aux différents impôts,
tandis qu'il est difficile d'identifier les sources de création
monétaire et de fixer des objectifs monétaires dans les
structures dualistes.
En définitive, l'environnement financier de l'UEMOA est
particulier. Il est non seulement segmenté mais aussi fragmenté,
dans la mesure où le secteur formel et informel évoluent et
fonctionnent séparément et s'adressent à des
catégories particulières de clients. Les banques ne s'adressant
uniquement qu'aux secteurs formels et les institutions informelles du fait de
leur proximité financent un type particulier de clients exclus du
système formel et menant des activités dans les secteurs agricole
et informel.
La libéralisation financière entamée
depuis les années 1990 par les pays de l'UEMOA, a eu pour objectif
global la réduction du coüt d'intermédiation
financière et l'augmentation de l'épargne par la hausse des taux
d'intérêt et son allocation à l'investissement, n'a pas
été atteinte. La réussite d'une telle politique peut
être évaluée à travers ses objectifs. Ainsi quel
bilan peut-on faire de la libéralisation financière des pays de
la zone UEMOA?
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