3. Du point de vue des chercheurs et universitaires
gabonais.
Partant du point de vue littéraire, Honorine
NGOU68, dans son oeuvre, nous présente la relation entre
belle-mère et belle-fille. Pour elle, la belle-mère intervient
dans le choix de la belle-fille. De plus, « Féminin
interdit » est donc la narration de l'histoire d'une jeune fille
DZIBAYO qui, depuis son enfance, ne cesse de connaître les vicissitudes
de la vie ; à savoir, le décès de son père dans son
enfance, la tentative de viol et pour finir, des conditions de vie qui se
dégradent autour d'elle. Pourtant, elle parvient à faire de
brillantes études qui la contraignent à aller en Europe, pour
obtenir un doctorat en droit. En Europe, elle fait la connaissance de
Hémiel ATSANGO, jeune étudiant à l'Ecole de Pilote de
Fréjorgues.
Très vite ils décident, après la
naissance de leur premier fils, de se marier. Sa vie bascule dès
l'instant où sa belle-mère ne vient pas à son mariage
parce qu'elle n'est pas de son choix. S'en suivent des actes de sorcellerie. La
belle-mère envoie sa fille déposer une poudre magique sur le
siège de sa belle-fille pour qu'il ait rupture. En outre, l'apparition
d'un gros serpent noir dans la maison ne vient pas arranger les choses qui ne
cessent de se compliquer de jour en jour. En somme, les rapports entre la
belle-mère et la bru sont conflictuels et reposent sur la sorcellerie.
C'est la bellemère, a priori, qui n'a pas choisi la bru, fait tout ce
qui est en son pouvoir pour chasser sa bru, qu'elle considère comme une
rivale, une étrangère.
68 Honorine NGOU, Féminin Interdit,
Paris, l'Harmattan, (coll. « Encres noires »), 2007, 291
p.
Par ailleurs, Jean-Ferdinand MBAH et Mesmin-Noël SOUMAHO,
à travers leur etude69, se sont appesantis sur les strategies
matrimoniales des etudiants au Gabon dans le choix du conjoint. Les conclusions
de cette monographie, sur la question du mariage en milieu universitaire, nous
permettent de nous rendre compte « qu'il existe une
préférence nettement marquee des deux sexes pour le mariage
»70 ; mais surtout que les etudiants ne se marient pas entre
eux.
Plus important encore, c'est le fait que « les
comportements et attitudes heterogames des universitaires gabonais
reflètent bien ceux des autres groupes de la société. En
partant de cette vision globale de l'interaction entre groupes sociaux
différents, on peut considérer l'homogamie comme alternative
à un véritable changement des attitudes et strategies sexuelles
en milieu etudiant.»71 D'autant plus que « la nuptialite
est retardee parce que les etudiants ne parviennent pas encore à
surmonter l'incompatibilité entre mariage et les études qu'ils
ont établie. »72 Ou encore, « la sexualite en
milieu etudiant gabonais se deroule dans un contexte de forte heterogamie.
D'où la faible proportion de mariages entre
étudiants.»73 En fin de compte, « quand les
étudiants se marient à l'Université, c'est
généralement en fin de cycle dans la perspective de leur
insertion sociale.»74
Josiane MELEANG M'ATOME75 a pu se rendre compte que
la femme diplômee gabonaise, grâce à ses acquis scolaires,
universitaires et avec ses pretentions, semblerait avoir rompu a priori avec
les rôles assignes par la tradition. Il s'agit donc d'une femme qui n'est
plus inscrite dans un mode précapitaliste, mais
69 Jean-Ferdinand MBAH et Mesmin-Noël SOUMAHO,
La question du mariage en milieu universitaire au Gabon, Libreville,
CERGEP/Les Editions Udégiennes, 1996, 213 p.
70 Ibid., p.183.
71 Ibid., p. 184.
72 Ibid., p.183.
73Jean-Ferdinand MBAH et Mesmin-Noël SOUMAHO,
La question du mariage en milieu universitaire au Gabon, Libreville
p.183.
74 Ibid., p.183.
75-MianeE0 ( / ( $ 1 * E0 7$ 72 0 ( ,
De la bénédiction parentale lors du mariage coutumier de la
femme diplômée : permanence et paradoxe, Mémoire de
Maîtrise en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, Juin 2008, 99p.
plutôt d'une femme devenue individualiste, autonome ;
qui se trouve dans un paradoxe ; car reposant toujours sur les valeurs
traditionnelles, plus precisement la benediction parentale dans le mariage
coutumier. Elle a instrumentalise la benediction parentale. Ainsi se retrouve
t-elle prisonnière de la famille en ayant recours à cette
bénédiction, au risque d'être menacée. Le
diplôme apparaît dès lors que comme une illusion de
l'épanouissement.
D'autre part, Josiane MELEANG M'ATOME a abordé l'aspect
de la belle famille et la belle-fille (ici, femme diplômee). La famille,
qui avait la main mise sur la vie du couple par le passe, a souvent des
antagonismes recurrents avec la belle-fille. Mais la femme diplômee veut
restructurer les rapports au sein de la famille. La belle famille qui pouvait
s'imposer au sein du foyer est écartée et les obligations de la
belle-fille vis-à-vis de la belle famille disparaissent.
Nous pouvons convenir avec elle que la femme diplômee
entend donner une nouvelle orientation du couple au sein de la famille, elle
veut diriger son foyer comme elle l'entend, sans avoir à rendre des
comptes à la famille. Nonobstant, n'estce pas là encore une
façon une façon d'accentuer le conflit entre la belle-mère
et la bru ? Qui plus est, la belle-mère, se sentant depossedee de son
autorite sur la gestion du couple, acceptera t-elle que la belle-fille la
depossède t-elle aussi de son autorite sur son fils ? Telles sont
quelques perspectives qui peuvent se degager et meritent un interêt de
notre part.
En ce qui concerne Noëlla Maryse BELLA M'BA76,
il s'agit de voir l'implication de la femme gabonaise et sa participation dans
la sphère politique. Elle etudie donc cette emergence progressive de la
femme dans le politique. Ce qui est interessant dans son étude, c'est le
rôle de la femme dans la société traditionnelle gabonaise.
De façon générale, l'image traditionnelle de la femme
gabonaise se situe en marge de la vie publique, bien qu'il lui soit reconnu un
rôle important au niveau
76 1 RoaaCID 1r.1111-C/( / / $ CID r/$ ,
Participation politique de la femme ou mystification : essai d'analyse des
rapports sociaux de genre dans le champ politique gabonais, Mémoire
de Maîtrise en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, 2006-2007, 102 p.
de la sphère économique. S'appuyant sur les
travaux de Rose NTSAME77 qui « postule que la femme
traditionnelle n'avait pas un accès aux conseils régissant la vie
au village, et donc à la vie publique. Son rôle se limitait pour
l'essentiel à veiller au bon fonctionnement du ménage.
Agricultrice, elle était donc productrice d'une certaine richesse, elle
seule possédait le pouvoir de procréer et donc de
perpétuer la lignée. Elle seule porte la progéniture,
c'est elle qui a la charge de la "conduire" à
maturité.»78
La politique est une affaire d'homme. A partir de 1974, les
femmes y font une entrée progressive, elles investissent la scène
politique. Elles sont sénatrice, député, ministre. Cette
émancipation qui donne droit à la femme d'adhérer à
la sphère politique, c'est-à-dire à la vie publique, ne
serait-ce pas l'un des facteurs du conflit entre bru et belle-mère ? Un
homme n'occupant pas une fonction qui soit élevée à celle
de sa femme, à l'exemple de parlementaire, quelle serait la
réaction de la mère ? Acceptera t-elle que son fils soit en "en
dessous" de sa femme ? Toutes ces préoccupations feront l'objet de
perspectives à envisager.
Mieux encore, notre examen s'est arreté sur l'analyse
de Steeve Thierry BALONDJI79. Ce dernier étudie les
conjugalités de fait en milieu ouvrier au Gabon ; qu'il présente
comme des unions hors mariage en émergence considérable. Pour
lui, « il est en effet chose courante, dans notre société,
que deux personnes choisissent de faire vie commune sans se marier, s'unir
civilement ou coutumièrement. »80 Et c'est au cours des
années 1950 ; surtout au cours de l'année 1972 que le nombre de
cohabitations sans mariage avait presque quadruplé dans l'ensemble des
couples issus des milieux ouvriers et cela, même dans les années
1990.
77 Rose NTSAME, Les conditions de la femme au
Gabon, essai sur les conditions de la femme fang, Thèse de Doctorat
de 3ème cycle en Sociologie, Université de Bordeaux
II, 1982, 450 p ; cité par Noëlla Maryse BELLA M'BA,
op.cit, p.30.
78 Rose NTSAME citée par Noëlla Maryse
BELLA M'BA, op.cit., p.41.
79 Steeve Thierry BALONDJI, Les
conjugalités de faits en milieu ouvrier au Gabon, Mémoire de
Maîtrise en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, sept.2005, 114 p.
80 Ibid., p.1.
Steeve Thierry BALONDJI estime que comme les moeurs changent,
aujourd'hui bien des couples décident de faire vie commune sans passer
par le mariage, c'est le domaine de l'amour sans formalités.
D'où, a priori, il y aurait crise du mariage, pourtant institution bien
solide dans la formation sociale gabonaise. Il déduit de son observation
que le nombre de couples vivant en union libre ne cesse d'augmenter.
L'intérêt de cette étude résiderait dans la
compréhension des causes et l'évolution des conjugalités
de fait à travers les mutations profondes du monde paysan en force de
travail, largement de plus en plus absorbé dans l'orbite du capitalisme
occidental.
En définitive conclut-il sur le fait que « dans ce
milieu ouvrier, les hommes sont enclins à la mise en
infériorisation des femmes. Leur quête d'autorité de
domination, les incite à chercher les femmes parmi celle sui ne
travaillent pas ou parmi celles qui ont un revenu suffisamment inférieur
aux leurs.»81 Toutefois, à la suite de Steeve Thierry
BALONDJI, est-ce que cette persistance à ne pas officialiser leurs
relations sur les plans coutumier et civil en milieu ouvrier au Gabon, n'est
pas la résultante, sinon la conséquence des perceptions de la
belle-mère, avec qui la bru entre en rapports conflictuels ?
En dernière analyse, Annick Sandra
NYINGONE82 nous propose de revisiter l'impact de l'institution
matrimoniale sur la condition sociale de la femme esclave chez les peuples
Nkomi du Gabon au milieu du 18ème siècle jusqu'au
début du 20ème siècle. Nous nous sommes
intéressés à l'impact sur la situation sociale de la femme
esclave dans la communauté des hommes libres ; surtout, les rapports
qu'elle entretenait avec ses co-épouses, sa belle famille. La jeune
esclave avait été élevée par une femme libre qui
lui avait inculqué une éducation, dont le but était de
faire d'elle une femme soumise, travailleuse et respectueuse de la
hiérarchie familiale et conjugale. En dépit des rapports de
soumission tenant à l'âge, à l'inégalité
des
81 Ibid., p.106.
82 Annick Sandra NYINGONE, Mariage et condition
sociale de la femme esclave sous la royauté Nkomi( 1750- 1903),
Mémoire de Maîtrise en Histoire et Archéologie, Libreville,
UOB/FLSH,sept.2004, 116p.
statuts, à la condition même de l'épouse
esclave, des rapports conflictuels pouvaient surgir entre co-épouses
parce que le mari avait tendance à la préférer.
La jeune esclave était protégée par sa
belle famille. La première épouse « owantolonga » ne
pouvait éviter les conflits avec la mère de son mari ; la jeune
esclave « owongune » travaillait la plupart du temps non pour elle,
mais pour son mari, ses enfants, et qui savait satisfaire les besoins des
membres de la famille. A tout moment, n'importe quel parent du mari pouvait
venir lui demander la nourriture, parfois l'envoyer chercher de l'eau, lui
faire balayer la chambre sans qu'elle n'ait le droit de refuser. Quelle
était la cause réelle des conflits entre belle-mère et la
bru (première épouse du mari) ? Etait-ce à cause de la
préférence de la belle famille ? Pourquoi cette
préférence, pourtant c'est la première épouse qui
était considérée comme la mère ou grande soeur qui
avait inculqué les bonnes manières à la jeune esclave.
Nous supposons que elle-même, en principe, était aussi soumise,
travailleuse, respectueuse, etc.
De même ici, Séverin Cécile ABEGA aborde
aussi cette perspective d'Annick Sandra NYINGONE. Selon lui, « il y eut un
temps où dans la société Béti, parce que les filles
pouvaient être mariées jeunes, certaines belles-mères
élevaient leurs brus. Il est évident que celles-ci ne pouvaient
être considérées comme étrangères, et que
l'épouse ainsi éduquée s'insérait plus
harmonieusement dans as nouvelle famille qu'en y débarquant avec le
voile blanc seulement au soir de la cérémonie nuptiale. »83
Ceci pour dire que puisque la bru, à ce moment là,
façonnée à la convenance de la belle-mère, il se
trouve qu'elle avait les qualités exigées par la
belle-mère pour être introduite sans heurts dans sa nouvelle
famille. Car la belle-mère lui aura expliquée les us, coutumes et
les interdits les relations particulières qui lient la famille à
telle personne, tel groupe, telle institution. Chacun de ses manquements est
rapporté à sa belle-mère, afin qu'elle la reprenne, la
corrige, l'aide à s'amender, à s'améliorer, à se
conformer aux usages.
En analysant le mariage et ses représentations
sociales, Julie NDOMENGANE ONDO84 montre les attitudes et les
opinions d'une classe sociale, les ouvriers, à l'égard du mariage
à l'état civil et le mariage coutumier. Si l'intérêt
de cette étude réside dans le rapport objectif et subjectif que
les enquêtés ont à l'égard des deux types de
mariage, on peut souligner l'absence des rapports entre belle-mère et
bru. Les tensions entre belle-mère et bru existent-elles dans le mariage
coutumier et le mariage civil ? Quelles formes prennent-elles ?
Denise NGWAGANGA85 étudie les
représentations sociales du mariage chez la femme salariée en
montrant les transformations dans les rapports sociaux de sexe, autrefois
définis comme une relation de dépendance socio-économique
de la femme envers le mari, seul pourvoyeur des biens. La domination masculine
se trouve mise en mal par le nouveau statut de la femme mariée
salariée car l'homme se voit dépossédé de toute sa
supériorité sur la femme. Pour Denise NGWAGANGA, ces
bouleversements sont imputables à l'introduction du mode de production
capitaliste.
A la suite de Denise NGWAGANGA, on peut formuler deux
interrogations : les rapports conflictuels entre belle-mère et bru
sont-ils l'expression d'un affranchissement de la domination masculine que la
belle-fille exprimerait à l'égard de sa belle-mère ; qui
incarne ici la famille de l'homme, membre de cette famille qu'elle côtoie
plus au quotidien ? Les rapports de force entre bru et belle-mère
sontils l'effet, dans l'ordre domestique, de l'introduction du mode de
production capitaliste et des rapports de domination qui lui sont
inhérents ?
En définitive, tous ces auteurs universitaires gabonais
parlent du mariage sans évoquer l'aspect des rapports entre bru et
belle-mère, exceptée Josiane MELEANG M'ATOME, qui a
effleuré l'aspect conflictuel sans en donner l'origine véritable
et les conséquences.
84 Julie NDOMENGANE ONDO, « Mariage et
représentations sociales en milieu ouvrier au Gabon »,
UOB/FLSH, Libreville, rapport de Licence en Sociologie, septembre 1998, 27
pages.
85 Denise NGWAGANGA, « Les
représentations sociales du mariage chez la femme mariée
salariée », UOB/FLSH, Libreville, rapport de Licence en
Sociologie, novembre 1999, 26 pages.
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