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Les mots du sida à  Libreville: métaphores postcoloniales et hétérotopies

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par Yannick ALEKA ILOUGOU
Université Omar Bongo - Master 2012
  

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SECTION 2 : Les métaphores du Sida, de la décolonisation au postcolonialisme

Cette section ouvre la réflexion sur le fait d'une forte imagination à se représenter la maladie autrement que biomédicalement dans les sociétés postcoloniales. Nous soupçonnons à cet effet, que la décolonisation joue un rôle important dans la construction des métaphores du Sida. En fait ces représentations métaphoriques du sida sont une revendication, ou, plutôt une revendication identitaire. C'est un refus du colonialisme, une quête personnelle d'une nouvelle identité extirpée des notions coloniales.

1) Les métaphores du Sida : stéréotype du discours de la décolonisation

Nous voulons commencer ce propos avec une condition sine qua none pour expliquer ce rapport entre les métaphores du Sida et la décolonisation ou encore la postcolonie. Cette condition est la puissance de production de l'imaginaire des lieux ou des espaces hétérotopiques. Michel FOUCAULT les conçoit comme des lieux de transgression, des lieux de la déviance. Les métaphores en Afrique postcoloniale par leur nature analogique, comparent et déforment la réalité. C'est certainement parce que « le bidonville est devenu le lieu névralgique de ces nouvelles formes de sécessions sans révolution, d'affrontements souvent sans tête apparente, de type moléculaire et cellulaire, et qui combinent des éléments de la lutte des classes, de la lutte des races, de la lutte ethnique, des millénarismes religieux et des luttes en sorcellerie.271» C'est du fait que ces lieux sont des lieux des bidonvilles qui sont le bastion des rumeurs, de la déformation. Mais peut-être que Eugénia VILELA trouve mieux les mots pour décrire ce que nous venons de dire. Pour elle, « l'ordre politique et économique a créé l'espace sans lieu. Un espace qui, renversant le sens d'un lieu, le définit comme un endroit presque mystique dans sa plus absolue facticité, un espace de déracinés.272 " C'est donc un lieu qui « a pour fonction de tisser un lien funèbre entre la vie et la terreur. En prenant la mort pour la vie et en maintenant les deux termes dans un rapport d'échange aussi

271 Achille MBEMBE, Op cit, p 25.

272 Eugénia VILELA, « Sur l'exil. Le corps des ombres « , in La tentation du corps,, Paris, EHESS, coll « cas de figure », n°9, 2009, p 11

infernal que quasi permanent, il peut ainsi renouveler, presque à volonté, des cycles prédatoires dont chacun enfonce chaque fois davantage l'Afrique dans le midi dionysiaque273». Les métaphores du Sida ont la faculté de dépiécer ou de pervertir par la puissance de l'image et par la puissance de l'imaginaire la réalité. Les espaces hétérotopiques dans lesquels nous nous mouvons sont des espaces qui nous font vivre ou transcrivent, l'espace imaginaire dans lequel nous nous exprimons. C'est des espaces de réalités qui sont en fait des lieux vidés du réel. Et c'est exactement ce que font les métaphores du Sida. Elles vident la réalité postcoloniale de son réel. Elle déracine le mot de son sens.

Cela dit, le discours de la décolonisation ou le discours postcolonial est un refus de la colonisation. Le discours postcolonial est le lieu ou s'exprime l'identité. Une identité africaine qui jubile son autorité au soleil des indépendances. A l'époque de la colonisation il y avait cette interdiction de parler sa propre langue vernaculaire. Car elle était une forme de repli identitaire devant la langue européenne qui était la seule identité ; la seule langue qui avait le propre d'être la langue universelle. Joseph TONDA disait entre autre à ce sujet que « l'infraction, c'était le patois. De manière tout à fait pratique, vécue, le symbole signifia pour nous l'Interdit, la Loi. La langue indigène, le patois étaient ainsi métonymiquement associés à la puanteur du Symbole, et c'est la Loi qu'incarnait la langue française qui autorisait, c'est-àdire imposait cette stigmatisation.274» C'est ainsi que les indépendances sont venues imposer une nouvelle norme qui réifia les considérations au sujet du patois. « Chacun peut s'exprimer en sa propre langue, et les destinataires de ces propos peuvent les recevoir dans la leur275.» Or, le langage et la multiplicité des langues vernaculaires parlées au Gabon posent le problème de l'identité et la crise du repli propre à la société postcoloniale. Nous voyons cette idée dans la production symbolique des métaphores du Sida. Chaque ethnie la ramène à son sens et non à celui de la biomédecine. La multiplicité des métaphores vernaculaires du Sida sont une forme de (re)quête de l'identité.

Les métaphores du Sida, nous l'avons vu, ont cette forte propension à dénier le discours biomédical. Mais, ce dénie est parce que les métaphores se transcrivent dans les langues vernaculaires qui sont elles mêmes radicalement, au sortir de la colonisation, hostiles aux langues du colonisateur. Nous sommes bien loin de ce que pense Tahar Ben JELLOUN quand il dit « ma langue maternelle cultive l'hospitalité et entretient la cohabitation avec intelligence et humour.276» Peut-être avec intelligence et humour, certes. Mais quand à l'hospitalité nous émettons des réserves. Car, à notre sens, il n'y a aucune hospitalité dans les métaphores indigènes sauf la présence avérée d'un ressentiment et de réminiscences sombres aux douleurs des martyres des plantations de café, de tabac, de canne à sucre et des guerres pour les indépendances. « On a, pendant quelque temps, prétendu que la réticence de

273 Achille MBEMBE, Ibid, p 25

274 Joseph TONDA, « Mots-objets, mots-sujets, mots-esprits », Les mots passants, Paris, Riveneuve éditions, 2009, p 133.

275 Achille MBEMBE, Op cit, p 16.

276 Tahar Ben JELLOUN, << On ne parle pas le francophone >>, Le monde diplomatique, Paris, n° 638, mai 2007, p 20.

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l'autochtone à se confier au médecin européen trouvait dans l'attachement de l'indigène à ses techniques médicales traditionnelles ou dans sa fixation aux sorciers ou aux guérisseurs de son groupe.277 » De fait, au même moment que ce développe cette hostilité pour la langue du colonisateur et à l'endroit du colonisateur, réciproquement, il y a une opposition entre le discours biomédical et le discours trivial des espaces hétérotopiques, assiégé par les spectres imagés et imaginaires qui hantent les représentations sociales indigènes de la maladie. Cette opposition est la cause des réminiscences de la médecine coloniale interprétée ( à l'époque de la lutte pour les indépendances) comme une médecine pour tuer les rebelles à la colonisation. Dès lors, « c'est à travers les mythes terrifiants, si prolifiques dans les sociétés sousdéveloppées, que le colonisé va puiser des inhibitions à son agressivité :génies malfaisants qui interviennent chaque fois que l'on bouge de travers, hommes-léopards, hommes-serpents, chiens à six pattes, zombies, toute une gamme inépuisable d'animalcules ou de géants dispose autour du colonisé un monde de prohibitions, de barrages, d'inhibitions beaucoup plus terrifiant que le monde colonialiste.278» Les métaphores du Sida donnent « l'illusion de comprendre le monde, de le sonder, de le connaître et même de le dominer.279» Du coup, les représentations sociales de la maladie ou encore les métaphores du Sida sont, sous un certain angle, ce refus de la colonisation. Un refus de la chose du blanc qui est la biomédecine, un refus de la chose du blanc qui est la langue française et tout ce qui s'y rapporte telle que la médecine. Cette médecine coloniale qui n'a pas hésité à tuer, décimer les rebelles à la colonisation. Les métaphores à l'ère de la postcolonie gabonaise sont un stéréotype du discours de la décolonisation. Un discours dans sa forme la plus triviale et la plus proche du discours de la décolonisation, le repli identitaire. Les métaphores du Sida au Gabon sont la forme première du discours de la décolonisation. Là oü l'Autre ne se concevait que dans l'expression du dominant, c'est-à-dire un nègre « primitif » et dérobé de toute humanité. Comme le dit Frantz FANON un « objet au milieu d'autres objets.280»

Le besoin de vouloir tout expliquer dans sa langue, dans ces termes, même au détriment du discours officiel de la biomédecine, est plus une contre attaque contre la criminalisation des pratiques thérapeutiques indigènes qu'une une forme de « nihilisme » de l'autre. « Les mots ne correspondent jamais à ce qu'ils s'efforcent d'exprimer.281» Encore que la notion d'officiel reste, elle-même, profondément suspecte. Car le fait est de savoir si ce discours n'est pas une fois de plus l'intention du dominant colonisateur. Toutefois, l'obsession des sociétés indigènes de l'Afrique centrale, et plus précisément du Gabon, à vouloir tout réifier, tout tailler à sa mesure idéologique est une forme de concaténation et des stigmates indélébiles de la colonisation. La pensée des métaphores du Sida est cloîtrée dans un repli identitaire du sens qui est aussi une lutte contre le discours colonial. Lorsque nous disons repli identitaire du sens , nous entendons une réflexion qui veut tout expliquer par sa vision du

277 Frantz FANON, L' an V de la révolution algérienne, Paris, La découverte, 2010, p 359.

278 Frantz FANON, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2010, p 465.

279 Tahar Ben JELLOUN, Ibid, p 20

280 Frantz FANON, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952. Extrait parut dans Le Point, Hors-série, numéro 22, Avril- mai 2OO9, p 89.

281 Tahar Ben JELLOUN, Ibid, p 20.

monde et qui exclu les apports théoriques des autres. Get Autre qui a longtemps condamné le patois et la liberté à coup de fouet et de torture. Il doit être, à son tour, exclu du discours formel de la scène sociale indigène. Et même si la puissance de la biomédecine reste avérée, elle doit être d'abord éprouvée par la puissance des spectres de la nuit indigène qui sortent de la forét et de l'eau. Il faut que les Mbumba, les Nzatsi, les arc-en-ciel, les Kôhng, les Mbumba Iyanô, les Mwiri aient montré leurs limites pour que la biomédecine, sortie de l'ombre de la nuit du repli identitaire, prenne sa place tout comme les indépendances ont redonné sa place humaine à la race noire. « Loin de n'être que des complexes politico-économiques, les différents régimes coloniaux furent aussi des complexes de l'inconscient et, souvent, c'est à ce titre qu'ils laissèrent d'indélébiles traces dans l'imaginaire des colonisés.282» C'est donc, lorsque l'impuissance des esprits de la nuit indigène (une nuit idéologique que nous qualifions de « nuit de la prestidigitation postcoloniale »), ces esprits qui viennent souverainement envahir et coloniser le jour et les réalités des villes de l'Afrique centrale est constatée, que la conquête biomédicale prend son autorité à contre poids sur la pensée indigène. Par le fait que les métaphores du Sida soit une pensée qui est un stéréotype de la pensée de la décolonisation (avec tous ce repli identitaire et ce « nihilisme » de la biomédecine), nous avons ici un pléonasme. Nous parlons de pléonasme parce que si la société indigène a été décolonisée, il n'en demeure pas moins que la pensée, et donc son idéologie profonde, reste elle-même une pensée qui doit être décolonisée. C'est-à-dire que la pensée de l'idéologie du Librevillois a été colonisée par les esprits de la nuit. Ges esprits qui étaient une forme de contestation du joug colonial283, mais qui en définitive, après leur départ continuent de les posséder, de les garder dans une transe symbolique et imaginaire. Les esprits indigènes, la pensée indigène est une forme de transe qui habite la société moderne de l'Afrique centrale. Ce qui conduit à ce que nous énoncions que la pensée indigène, la société gabonaise doit être décolonisée du joug des esprits de la nuit afin qu'elle entre véritablement dans l'antre des sociétés modernes. Voilà où nous voulions arriver. Nous voulons que les lecteurs regardent les métaphores du Sida comme le stéréotype de la décolonisation. Non pas seulement comme le discours qui est en lutte contre le discours colonial et, par extension, contre la biomédecine. Mais aussi ce discours indigène, cette idéologie qui est profondément corrompue, envahie, colonisée par le sens trivial des esprits de la forét, de l'eau et de la grande nuit, qui doit être décolonisée. De façon plus simple, les métaphores du Sida sont un discours du pléonasme de la décolonisation. Elles le sont en ce sens qu'elles sont l'expression d'un repli identitaire propre à la décolonisation, mais aussi l'antre du cauchemar colonial qui les hantent par le recours excessif à une violence symbolique et une violence de l'imaginaire. Les métaphores du Sida sont la présence évidente des stigmates de la colonisation qui édifient le fait que la société et la pensée gabonaise n'est pas encore sortie de la nuit du combat idéologique.

282 Achille MBEMBE, Op cit, p 91.

283 Au sujet de cette contestation du joug colonial par le sens des métaphores nous pouvons trouver un complément de réponse avec Achille MBEMBE. Pour lui la colonisation est une « tentative d'invention de nouvelles coutumes [qui] fut a l'origine de nouvelles contraintes, elle libéra également de nouvelles ressources et obligea les sujets coloniaux soit à chercher à en tirer profit, soit à les contester ou les déformer, soit à faire tout cela sinon simultanément, du moins parallèlement. », Op cit, p 88.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984