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Construction des infrastructures sociales pour les Bakola/ Bagyelli et incidence sur la coexistence avec les Bantou: contribution à  une ethno- anthropologie du conflit

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par Bernard Aristide BITOUGA
Université de Yaoundé I Cameroun - Master en anthropologie 2011
  

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II-2- REVUE DE LA LITTERATURE

Traditionnellement chasseurs-collecteurs instables, les Pygmées en général et les Bakola/Bagyelli en particulier n'ont pas souvent intéressé les colonisateurs successifs du Cameroun, de même que les nouvelles autorités du pays. Ceux-ci ont engagé les populations Bantoues dans les processus politique, économique et social de modernisation du triangle national. Les Pygmées, à l'inverse, sont restés confrontés à l'exclusion et à la marginalisation de la vie socio-économique. Le dépouillement des archives a permis par exemple au Congo de montrer que dans les années 1930-1950 des recensements des Pygmées avaient été effectués. Il ressort de cette documentation ,que pour mieux attirer les Pygmées vers les villages bantous ou oubanguiens, quelques villages pygmées avaient été construits à côté des villages des « Grands Noirs » ; que les administrateurs coloniaux de la Likouala allèrent jusqu'à offrir des primes de 80 à 125 francs à quelques chefs indigènes qui avaient réussi à sortir un certain nombre de Pygmées des forêts et , qu'à la Foire Internationale de l'Afrique Equatoriale

Française de 1938, organisée à Brazzaville , sous le patronage du Gouverneur RESTE, des Pygmées y furent amenés et qu'aux dires de l'écrivain Antoine Letembet Ambili21 :

Ceux-ci habitaient comme des parias dans des huttes en feuilles de bambous, entourés de bananiers tout au long de la rivière Mfoa, à quelques mètres du lieu où est actuellement bâtie l'Ambassade de France au Congo. Pour les Européens, comme pour les colonisés, ces Pygmées n'étaient parqués en ces lieux que pour aiguiser la curiosité de leur engouement inhumain.

A dire vrai, au moment où le Cameroun accède à son indépendance le 1er Janvier 1960, les Pygmées n'ont de dignité qu'entant qu'êtres de forét asservis par les Bantou et non en tant que membres libres d'une société nationale « moderne ». Ils sont encore ces marginaux d'un ordre socio-politique nouveau qui proclame les idéaux d'unité, de travail et de progrès. Cette tendance, bien qu'elle tende de nos jours à disparaitre, transparaît encore dans le quotidien de ces peuples au regard des rapports de cohabitation qu'ils entretiennent avec les Bantou. Les actions visant l'amélioration des conditions de vie des Pygmées dans la communauté nationale et internationale vont se faire ressentir aux alentours des années 60. Ces actions sont l'oeuvre de quelques Bantous et des missionnaires qui manifestent un réel intérét pour le développement des Pygmées. Ils mènent des activités liées à l'alimentation, à la scolarisation, à l'hygiène et à la santé.

Les exemples les plus patents dans cette dynamique sont ceux de Monseigneur Lambert VAN HEYGEN, Archevêque de Bertoua, le regretté père Ignace DHELLEMES dans le Sud-ouest Cameroun et les Petites Soeurs de Jésus dans le Sud-ouest Cameroun. Ces pionniers seront suivis plus tard par d'autres acteurs notamment l'Etat à travers le MINAS (Ministère des Affaires Sociales), l'Association Néerlandaise d'Assistance au Développement(SNV) et depuis 1994, par le SAILD/APE. De manière générale, on peut souligner que l'Etat et les autres populations voisines des Pygmées sont encore loin d'assumer la citoyenneté des Bakola. Certes, dans une perspective d'adaptation et d'ajustement au débat international, quelques avancées ont été enregistrées telles que la construction des infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli de Bidjouka et de Ngoyang pour ne citer que ces exemples d'actions concrètes sur le terrain, puisque c'est de cela qu'il s'agit dans ledit travail de recherche. Mais au-delà de toutes ces avancées visibles, il faut souligner que les pratiques sociales des Bantou perpétuent la banalisation, la domination et l'assimilation des Pygmées.

Bahuchet22, parlant des rapports qu'entretiennent les Bantou avec les Pygmées, adopte une approche mitigée. Dans son ouvrage Introduction à l'ethnologie des Pygmées, il

21 LETEMBET AMBILI A., 1984, « L'intégration des pygmées dans la société moderne », ETUMBA, n0 722, du 21 janvier.

entrevoit la cohabitation entre Bantou et Pygmées comme étant des rapports de crainte mutuelle et d'entraide. Pour Bahuchet, le fait que les Pygmées soient relégués à la forêt, domaine de la sauvagerie confèrent aux Pygmées d'être considérés aux yeux des Grands Noirs, comme étant des Etres civilisateurs, Sauveurs, mais également des Sauvages. L'ambigüité de l'espace forestier, à la fois dévalorisé, dangereux, peuplé de monstres et de puissances maléfiques mais aussi pourvoyeur d'abondance et de nourritures convoitées sous-tend la vision des Pygmées, objet de mépris mais aussi de crainte. La cohabitation sur un même territoire avec les esprits et des génies redoutés, le partage de facultés communes (force, habilité, agilité, mobilité), le pouvoir de les contacter, impressionnent, voire effraient les « Grands Noirs ". Ceux-ci d'ailleurs recourent aux savoirs thérapeutiques et magiques des Pygmées et leur panthéon n'est pas sans être influencé par le monde naturel et surnaturel de ces derniers.

Dounias23, s'exprimant au sujet des relations entre les Bantou et les Pygmées montre que les Bagyelli entretiennent de très anciens contacts avec leurs voisins Bantou, et leur étroite parenté linguistique avec les Ngoumba laisse penser que leur histoire est étroitement liée aux migrations ancestrales de ces derniers. En parcourant l'ensemble de l'oeuvre de Dounias il ressort que tout porte à croire que le système d'échanges qui prévalait alors, s'opérait selon le principe de troc équilibré, motivé par une réelle complémentarité. Les Bagyelli pourvoyaient les Bantou en produits de la forêt (venaison, plantes médicinales) louaient leurs services (guides, travaux d'essartage...). En échange, les Bantou fournissaient en fer, en produits agricoles, et les garantissaient d'une certaine protection.

Pour Ngima24, les rapports entre villageois et Pygmées se situaient à deux niveaux : les rapports de maîtres à dépendants et le troc entre produits de chasse, de cueillette, de ramassage, et les produits fournis par les « Grands Noirs " (vêtements, drogues, aliments, dot, fer). Pour cet auteur, le Pygmée dépendait presque entièrement de son « patron " villageois. Il travaillait dans ses plantations, chassait pour lui, lui donnait du Strophantus pour rien, le plus souvent, soumettait ses déplacements et événements familiaux. Cette dépendance provenait du fait que la plupart des mariages pygmées étaient supportés par le patron. Enfin, le manque

22 BAHUCHET S., 1978, Introduction à l'ethnologie des Pygmées Aka de la Lobaye, Paris, EHESS.

23 DOUNIAS, E ; 1987, Ethnoécologie et alimentation des Pygmées Bagyelli ; Le Havre, ISTOM.

24 NGIMA, M, G; 1993 Le système alimentaire des groupes pygmées Bakola de la région de Campo ; Thèse Doctorat, Paris.

de nourriture (manioc, plantain, macabo, couscous, ignames, etc.), dû à la non pratique de l'agriculture, ramenait la petite famille ainsi formée auprès de ses protégés et se définissait en fonction de ceux-ci. C'est ainsi qu'elle adoptait leurs clans et la famille et en faisait partie avec toute sa descendance, sans qu'il y ait eu auparavant, des liens de parenté et de sang. En contrepartie, le villageois pouvait héberger, nourrir et soigner son Pygmée. Mais cette situation d'étroite dépendance unilatérale étant devenue un état de fait pendant longtemps, celle-ci était acceptée et vécue tout naturellement par les deux parties, et n'empêchait pas des rapports presque amicaux et détendus dans la vie quotidienne.

La diminution constante de la venaison comme terme de troc entraine un accroissement proportionnel des services. Pour continuer à recevoir du sel et des produits agricoles, les Bakola/Bagyelli doivent investir plus de temps aux tâches agricoles chez leurs voisins, pour combler le manque à gagner des chasses de plus en plus aléatoires.

Le phénomène de l'endettement accroit considérablement la dépendance alimentaire des Bakola/Bagyelli. On note sur le terrain une forte expansion de cette dépendance des Pygmées vis-à-vis des Bantous. Ceci peut s'expliquer entre autres par l'attrait des Bakola/Bagyelli vers l'alcool, le tabac et le chanvre ; trois vices indissociables que les Bantous entretiennent savamment à leur profit. L'accoutumance aidant, les Pygmées n'hésitent pas à contracter de lourdes dettes pour satisfaire leur manque. Ces derniers se voient dès lors, imbriqués dans un processus de remboursement sans fin, qui bien sûr, accroît la dépendance économique, mais aussi ajoute une dimension conflictuelle aux relations : le « patron " bantou en position de force s'attribue le droit de faire pression sur « son pygmée " pour obtenir le dédommagement de la dette.

Cette situation de dépendance n'est pas sans avoir une incidence psychologique complexe sur les rapports Pygmées/Bantous. Le « patron " bantou adopte une attitude paternaliste et protectionniste à l'égard de son « enfant pygmée ". Il perçoit en effet, ce dernier comme un être inférieur, ignorant, car très peu scolarisé, et influençable. De ce point de vue, le comportement protectionniste est une habile façade pour justifier leur forte emprise sur les Pygmées. L'attitude méprisante et dévalorisante à l'égard du mode de vie pygmée contribue à la valorisation de l'écosystème villageois par le Bagyelli/Bakola. Le Pygmée qui vit en permanence cette relation de dominant à dominé, finit, à la limite, à se persuader luimême de son infériorité.

Aujourd'hui, la sédentarisation apparait comme une marque d'évolution. Cela apparait à travers des indices visibles tels que les transformations enregistrées au niveau de l'habitat, de l'économie, de l'éducation et de la santé. Lentement mais progressivement, les Bakola

abandonnent la vie nomade pour se constituer en établissements fixes ou semi-mobiles. Ils sortent de plus en plus de brousse pour aligner à l'instar de leurs voisins Bantou leurs habitations le long de la route ou des pistes carrossables. Les villages ou hameaux qui se créent n'ont qu'un lointain apparentement avec les anciens campements. Les huttes de branchages et de feuilles de maranthacées cèdent la place à des cases modernes, aux casesnattes ou pailles tressées, géométriquement alignées.

Sur le plan économique et social, les Pygmées mènent aujourd'hui des activités visant à réduire leur marginalisation sociale, leur dépendance et leur subordination aux populations Bantous voisines. Le processus de changement des modes de vie dans les activités de production est marqué par l'adoption et le développement de l'agriculture vivrière et l'insertion problématique dans l'économie de marché, eux-mêmes liés au processus de sédentarisation des communautés pygmées. En fait, les Pygmées ne vivent plus exclusivement de la chasse et de la cueillette, ils pratiquent l'agriculture. Certes la pratique de l'agriculture ne date pas d'hier, mais elle a pris une réelle ampleur ces dernières années et elle tient une place de plus en plus importante dans l'économie. L'agriculture pratiquée ici est davantage tournée vers la production vivrière. On constate dans les arrondissements de Bipindi et de Lolodorf que les Bakola se sont réellement investis dans les activités agricoles, il y a une régression de leur dépendance vis-à-vis des Bantous.

Dans le domaine de l'éducation, l'école s'est ancrée bien que timidement dans les mentalités de ces derniers. Par le passé, les enfants pygmées étaient éduqués par leurs parents sur la base de leur propre expérience. Actuellement, cette éducation de base est complétée par les enseignements de l'école moderne. Les enfants pygmées suivent les enseignements soit dans les centres préscolaires mis en place dans leur hameau par les structures d'appui, soit dans les écoles publiques installées dans les villages Bantous voisins. La formation reçue au centre préscolaire prépare l'entrée des élèves dans les écoles publiques villageoises. Dans certains cas, les enfants pygmées partent directement des hameaux pour l'école publique du village. La scolarisation a nettement progressé grâce à la sensibilisation menée auprès des parents par les organisations non gouvernementales.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote