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La problématique de la gestion post conflit au Niger. Analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs

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par Abdoul Karim SAIDOU
Université de Ouagadougou (Burkina Faso) - Diplôme d'études approfondies en droit public et science politique 2009
  

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B. Le processus décisionnel au sein du HCRP

Indépendamment des normes officielles, les règles pragmatiques de fonctionnement des institutions ont concouru à élargir la marge de manoeuvre des ressortissants de la politique de réinsertion. Cette structuration des comportements des acteurs est liée au processus décisionnel du HCRP. Celui-ci peut être d'abord appréhendé par la localisation de cette institution à Niamey

1 Le HCRP disposait d'un Attaché de Presse en la personne de Mounkaila N'Goila nommé en 2002. Ce poste n'existe plus actuellement. Le HCRP n'organise plus des conférences de presse à l'occasion du 24 avril, comme cela se faisait au lendemain des Accords de Paix.

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(et non pas dans le Nord). L'emplacement du HCRP dans la capitale est essentiel, et il détermine dans une large mesure le processus décisionnel de cette institution. Cette localisation a eu une incidence sur les actions des ex-combattants.

En terme d'opportunité, cette concentration de la structure à Niamey a été, en partie, à l'origine de certains comportements des élites des Fronts et Mouvements, qui pour la plupart, résident dans la capitale. Contrairement à leurs combattants dont la majorité vit dans le Nord ou l'Est du pays, les Chefs et Cadres ont beaucoup bénéficié de la proximité physique avec le pouvoir central en général et le HCRP en particulier. Cet avantage de proximité leur offre des ressources informationnelles et relationnelles. L'institution n'a aucun démembrement dans le Nord et l'Est du pays1. Cette situation leur permet donc d'influencer le processus de décision du HCRP, souvent au mépris des attentes de leurs combattants.

En 2006, lors de l'examen du dossier des 300 ex-combattants que l'État devait intégrer dans les Sociétés d'État, c'étaient les Chefs des Fronts et Mouvements qui avaient convaincu le HCRP de remplacer les emplois promis par des pécules, soit un million cinq cent mille (1 500 000) FCFA chacun. Or, le HCRP était à pied d'oeuvre pour leur chercher des emplois dans les sociétés minières comme AREVA qui inauguraient de nouveaux chantiers dans le Nord, conformément d'ailleurs à leurs attentes. Aussi, dans beaucoup de cas, ces pécules ont été empochés par d'autres personnes totalement étrangères à la Rébellion. Il est clair que de telles pratiques seraient tempérées si le HCRP était directement en contact avec les ex-combattants.

Aussi, les différents projets de réinsertion socio-économique basés dans les zones concernées étaient pilotés de Niamey par le HCRP. Ce dernier joue un rôle central dans ce processus car c'est cette institution qui identifie et transmet les listes des ex-combattants destinés à la réinsertion aux différentes équipes des projets. C'est également le HCRP qui, à partir de Niamey, transmet aux équipes des projets les listes des ex-combattants désignés comme personnes ressources pour assister le staff du Projet. Les ex-combattants restés dans leurs zones sont devenus dépendants de ceux résidant à Niamey en matière d'information sur le processus.

Cette situation explique en partie pourquoi beaucoup de non-combattants ont pu bénéficier des intégrations dans divers corps de l'Etat au détriment de vrais combattants restés à des centaines de kilomètres dans le Nord. De ce fait, cet emplacement géographique apparaît comme un facteur structurant qui induit des comportements et accroît la marge de manoeuvre de certains acteurs. Ceci est d'autant plus évident que les rares missions que le HCRP effectue dans les zones touchées par le conflit ne permettent pas véritablement de répercuter les attentes des ex-combattants au niveau central.

On retrouve ici une des explications institutionnelles de la gestion néo-patrimoniale de la réinsertion par certains responsables de ces structures. Ceux-ci étaient à l'abri des pressions de leurs combattants restés au Nord et l'Est du pays. Leurs comportements étaient quelque peu dictés par ce dispositif institutionnel. Il est apparu que les leaders des Fronts et Mouvements étaient plus attentifs aux pressions et sollicitations de leurs proches (ex-combattants ou non) résidant à Niamey que de celles de leurs combattants restés très loin de la capitale. Cette

1 Il est à préciser cependant qu'au début du processus, les préfectures du Nord avaient créé des comités régionaux de suivi pour relayer le HCRP. A Tahoua, le Préfet créait par arrêté n°164/PTA du 2 octobre 1995, un comité régional chargé du « suivi et de l'évaluation des actions entreprises dans la cadre de la restauration de la paix ». Ce comité était chargé de « l'application des directives et des mesures ou actions arrêtées par le HCRP, de ses démembrements et des structures créées dans le cadre de la restauration de la paix ».

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concentration du HCRP à Niamey obéit à des visées politiques et stratégiques. Comme l'explique un cadre de cette institution, « un HCRP basé à Agade sera simplement une boite à accumuler des problèmes, vu la proximité avec les ex-combattants »1. En d'autres termes, il serait perçu comme une «maison des Touaregs » ; ce qui mettra à mal la logique universaliste que l'Etat prône.

En somme, il faut dire que cette structuration a créé un processus décisionnel qui fonctionne selon un modèle néo-corporatiste2. Selon ce mécanisme, « la décision publique est le produit d'une forte interaction entre le gouvernement et les intérêts sectoriels »3. Les modalités de mise en oeuvre de la politique de réinsertion n'ont jamais été le produit d'une décision unilatérale des autorités étatiques. Les relations personnelles qui se sont nouées pendant le processus entre les acteurs étatiques et les ex-combattants ont produit un mécanisme informel de décision en marge des normes officielles.

Ces interactions ont abouti à l'émergence d'une policy community constituée des cadres du HCRP et des ex-rebelles. Le concept de policy community désigne « des communautés fermées, ou relativement fermées, qui s'imposent comme parties prenantes incontournables dans le processus de définition d'une politique publique dans un secteur particulier »4. Cette policy community maintient un contrôle sur le processus de mise en oeuvre de la politique à telle enseigne qu'elle s'est finalement institutionnalisée. Ce mécanisme accroît la marge de manoeuvre des ressortissants dans la mesure où il permet des calculs rationnels.

Cette configuration néo-corporatiste du processus de décision constitue une source d'information pertinente, permet aux acteurs d'anticiper sur les actions des autres partenaires impliqués dans le processus. Ceci explique comment à partir d'un certain moment, le HCRP a cessé de travailler avec les quotas des Fronts et Mouvements, contrairement aux normes formelles arrêtées. Ce choix est issu d'un consensus entre les membres de la communauté décisionnelle et échappe totalement aux acteurs étatiques qui sont en dehors de ce cadre institutionnel (les ministères, le Cabinet du Premier ministre etc.). Egalement, les ex-rebelles étaient assurés, grâce à ce dispositif, de faire impunément entorse aux Accords de Paix.

C'est ainsi que des éléments intégrés dans certains corps ont pu à maintes occasions bénéficié de prestations que les Accords ne prévoyaient pas. Ces normes informelles de décision ont ainsi joué sur la conception que les ex-combattants se font de leurs intérêts et ont contribué à influencer certains de leurs comportements. Ce dispositif institutionnel qui fait des ressortissants des acteurs clés de ce processus est lui-même, dans une certaine mesure, le produit de la politique de réinsertion elle-même, notamment celle des élites.

Ces derniers contrôlent depuis lors des ressources politiques indépendamment de leur qualité d'ex-chefs rebelles. Les principaux Chefs rebelles, ceux occupant des fonctions ministérielles par exemple, disposent des mêmes ressources statutaires que le Haut Commissaire lui-même. De cette façon, ils sont apparus à la fois comme bénéficiaires des politiques publiques de gestion post conflit et co-concepteurs de celles-ci. Il ressort donc que l'organisation institutionnelle a favorisé une appropriation du système décisionnel par les anciens combattants.

1 Entretien à Niamey, mai 2008.

2 Le modèle néo-corporatiste en politiques publiques rend compte de «l'interpénétration des institutions de la démocratie représentative» et des groupes de pressions catégoriels dans le processus de décision. Voir Phillipe Braud, Sociologie politique, op cit, pp. 364-369.

3 Charlotte Halpern, «Décision» in Laurie Boussaguet et al, Dictionnaires des politiques publiques, op cit, p. 159.

4 Ce concept est proche mais plus étroit que celui de policy network , voir Guy Hermet et al, Dictionnaire de la science politique... op cit, p. 240 et svt.

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Cette appropriation du système HCRP par ces élites a dissuadé toute velléité contestataire de leur part. Ceci permet de comprendre pourquoi le HCRP, en dépit de certaines contraintes qu'il présente pour eux, a toujours été perçu par ceux-ci comme le cadre institutionnel le mieux indiqué pour la satisfaction de leurs intérêts. Cette attitude positive vis-à-vis de l'institution s'est matérialisée à plusieurs étapes du processus de paix, lorsqu'il s'est agit de désamorcer des crises.

L'impasse que le processus de paix a connu en 1997 avec la reprise des hostilités par l'UFRA, les problèmes de révocations au sein des FNIS, la question de la réinsertion socio-économique pour ne citer que ceux-ci, ont été l'occasion pour les deux parties d'actionner le système HCRP pour surmonter les crises.

En cela, on peut donc estimer que les institutions, dans leurs règles de fonctionnement pragmatiques, ont accru la marge de manoeuvre des ressortissants et contribué à structurer leurs attitudes et comportements. Ceci n'occulte pas les contraintes que les institutions présentent pour ces acteurs.

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