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L'incrimination du délit d'initié en France. Atouts et faiblesses d'une répression

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par Pierre ROCAMORA
Faculté de droit et science politique, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III - Master 2 prévention et répression de la délinquance économique et financière 2007
  

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II / L'EUPHEMISATION25(*) DE LA REPRESSION EN MATIERE DE DELITS BOURSIERS

La réponse pénale face aux actes de délinquance économique et financière reste bien souvent en deçà de ce qu'elle devrait être. Il apparaît en effet que la répression des individus poursuivis pour de tels actes, s'avère moindre, voire nulle, parallèlement à la tendance fortement répressive ou punitive des pouvoirs publics envers des actes de délinquance de proximité. D'après M.Pierre LASCOUMES, il existe une « euphémisation sociale des transgressions de la criminalité économique » qui «  contraste avec la dramatisation d'autres formes de délinquance ». Nous pouvons dès lors nous interroger sur les raisons pour lesquelles il existe cet adoucissement répressif en matière de criminalité financière, notamment pour le délit d'initié. Deux possibilités seront envisagées dans cette partie, tout d'abord sur la dualité des sanctions pouvant être prononcées à l'égard des initiés, mais également sur les enjeux situationnels gravitant autour de ce délit.

A/ LA DUALITE DES POURSUITES

La répression des infractions boursières, notamment en matière de délit d'initié, connaît une particularité, quant à la dualité des poursuites. Il est possible en effet de poursuivre et de condamner un individu qui a commis un tel délit, deux fois pour le même acte : l'AMF en tant qu'organe administratif pourra condamner la personne à une peine d'amende, tout comme le juge pénal qui pourra, outre la condamner à une amende, prononcer une peine d'emprisonnement ferme.

Or, il existe un principe en droit, le principe de « non bis in idem ». Cet adage latin est un principe classique de la procédure pénale, déjà connu du droit romain, selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement deux fois en raison des mêmes faits. Ce principe entraîne ainsi l'impossibilité pour une personne de se voir infliger deux sanctions pour un même acte délictueux. Cette règle qui répond à une double exigence d'équité et de sécurité juridique, est reconnue par la plupart des systèmes juridiques. En France, elle figure notamment à l'article 368 du Code de procédure pénale et le Conseil d'Etat considère qu'elle fait partie des principes à valeur constitutionnelle. Elle est également consacrée au niveau international, notamment par le protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, en date du 22 novembre 1984. Elle figure enfin dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Pourtant, l'ordonnance du 28 septembre 196726(*) dans sa rédaction du 2 août 1989, prévoit un cumul des sanctions pénales et administratives, pour les mêmes comportements.

Le comportement punissable pénalement par l'article 10-1 de l'ordonnance de 1967 -qui constitue un délit correctionnel- pour une infraction à une disposition de celle-ci, peut également être puni par une sanction administrative de l'AMF, pour violation -manquement- à l'un de ses règlements.

Ce cumul de sanctions est incompatible avec le principe non bis in idem, lequel s'oppose à un cumul des sanctions de différentes poursuites concernant la même infraction. Le fondement de ce principe réside dans l'intérêt de l'accusé de connaître qu'il ne sera pas à nouveau poursuivi pour le même fait. De cette manière sont garantis, comme vu précédemment, l'exigence générale d'équité, la sécurité juridique et les droits de la défense avant le procès.

De plus, nous relèverons que la sanction administrative remplit une fonction distincte de la fonction pénale. L'AMF utilise son pouvoir répressif comme moyen de régulation. Le but de l'amende étant de respecter le bon équilibre des marchés financiers et non pas de maintenir l'ordre public. Saisi, le conseil constitutionnel a précisé dans sa décision du 28 juillet 198927(*) que «  si l'éventualité d'une double procédure peut effectivement conduire à un cumul de sanctions, le principe implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevée de l'une des sanctions encourues » et qu « il appartiendra aux autorités administratives et judiciaires compétentes de veiller au respect de cette exigence ».

Ainsi, le conseil est parvenu en fait, à des résultats équivalents à ceux qu'engendraient une application du principe non bis in idem, entre sanctions de nature différente, venant sanctionner le même acte.

C'est pour répondre à ces questions, que le législateur, sept ans après la décision du conseil constitutionnel, a prévu la possibilité de non cumul entre sanctions pénales et administratives de même type (pécuniaire). En effet, la loi du 2 juillet 1996, modifiant l'ordonnance du 28 septembre 1967, en admettant en même temps qu'une sanction pénale et une sanction administrative peuvent être appelées à réprimer les mêmes faits, ou des faits connexes, prévoit dans l'art. 9-3 que « lorsque la COB a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, celui-ci peut ordonner que la sanction pécuniaire s'impute sur l'amende qu'il prononce ».

Par ce moyen, le législateur a exclu indirectement une partie de la sanction pénale, puisqu'il a laissé la faculté au juge, le soin d'imputer ou pas la sanction administrative sur la sanction pénale.

Par conséquent, ce cumul des poursuites pour des faits identiques porte en germe un risque de confusion et de contradiction quant aux décisions prises par la justice pénale et l'AMF, les deux instances risquant de se prononcer en même temps en rendant deux décisions contradictoires et ce, même si les incriminations pénales et administratives se sont rapprochées notamment quant à la définition du délit d'initié.

Par ailleurs, ce cumul risque de ne pas être admis par la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, dans l'arrêt « GRADINGER c/ Autriche du 23 octobre 1995, relatif à un accident de la route, la Cour déclare qu'elle « n'ignore pas que les dispositions en cause se distinguent non seulement sur le plan de l'appellation des infractions mais aussi sur celui, plus fondamental de leur nature et de leur but. «  Elle relève en outre que l'infraction punie » par le code de la route « ne représente qu'un aspect du délit sanctionné » par le Code pénal. « Néanmoins, les deux décisions litigieuses se fondent sur le même comportement. Partant, il y a eu violation de l'art. 4 du protocole n°7 28(*)». Ainsi, comme la loi prévoit un cumul des sanctions pécuniaires, d'une part pénales, d'autre part administratives, la question qui se pose est, quel est l'intérêt de cette double procédure, notamment quand elle aboutit à des sanctions de même type ?

Dans un arrêt récent du 9 mars 2006, la Cour de justice des Communautés européennes est venue confirmer cette conception. Cette affaire concernait un ressortissant belge, qui avait été condamné en Norvège pour importation illégale de stupéfiants à une peine de cinq ans d'emprisonnement. Après avoir purgé sa peine, il était retourné dans son pays, où il a été poursuivi pour exportation illégale de stupéfiants. La Cour de Justice a estimé que le principe « non bis in idem » était applicable en l'espèce, étant donné que l'importation et l'exportation des mêmes stupéfiants constituaient des faits identiques, indépendamment de leur qualification juridique. Par cet arrêt, la Cour de justice a donc estimé que la notion de « mêmes faits » « vise la seule matérialité des faits en cause, à l'exclusion de leur qualification juridique ».

Cette non application du principe non bis in idem, entraîne des conséquences préjudiciables quant à la répression du délit d'initié. Il apparaît en effet, que cette possibilité de condamner deux fois pour le même acte délictueux une personne soupçonnée d'avoir commis un délit d'initié, crée, au contraire de ce que l'on pourrait croire, un adoucissement de la répression. La raison de cet adoucissement est simple : la sanction prononcée par l'AMF intervient le plus souvent avant la décision du juge pénal ; il ne restera dans la plupart des cas, que la possibilité pour le juge répressif d'aligner sa répression sur celle de l'AMF, et d'imputer l'amende sur le montant fixé par l'AMF. D'où une exclusion quasi-systématique de la répression pénale, face aux décisions de l'organe administratif. Rares sont les cas ou le jugement du tribunal correctionnel intervient avant la décision de l'AMF, mais même dans un tel cas, la tendance répressive est légère. La sanction privilégiée restera donc l'amende ; une amende qui peut aller jusqu'au décuple du profit engendré. Mais une telle sanction, lourde en apparence pour le commun des mortels, ne dissuade pas ces délinquants en « col blanc » - qui brassent des millions d'euros quotidiennement- de commettre ce délit.

La nécessité de l'organe administratif, spécialisé dans la détection des fraudes dans le domaine boursier ne doit pas être remis en cause. Cependant, afin d'apporter une réponse ferme à ces comportements délictueux, il apparaît opportun de se questionner sur la légitimité du pouvoir de sanction de l'AMF. Ne vaudrait-il pas mieux laisser la répression au juge pénal29(*), tout en gardant l'organe administratif en tant qu'enquêteur spécialisé dans un domaine particulièrement complexe ?

Il ressort donc de l'étude de la jurisprudence en matière de délit d'initié, que les personnes poursuivies pour de tels actes, se voient infliger dans la majorité des cas, des sanctions pécuniaires. Or, pour que la dissuasion de commettre un délit -objectif de la politique pénale de chaque Etat- soit effective, il apparaît nécessaire de punir des individus en appliquant à leur égard des peines d'emprisonnement ferme. Une telle sanction devrait mettre un frein à l'attrait toujours plus poussé de ces délinquants d'affaire pour l'argent ; des délinquants qui, pour satisfaire leur appétit d'argent facile, usent et abusent des privilèges que leur procure leur fonction.

* 25 Terme employé par M.Pierre LASCOUMES, directeur de recherche au CNRS, Cevipof, Sciences Po, dans un article paru dans le magazine Alternatives Economiques n°65 -Hors-série- Le capitalisme ; 3ème trim.2005

* 26 L'ordonnance du 28 septembre 1967 a institué la COB.

* 27 Décision n°89-260 DC du 28 juillet 1989

www.legifrance.gouv.fr

* 28 L'art. 4 du protocole n°7 §1 énonce : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ». Ce principe est également prévu par l'art.6 dans le cadre d'une interprétation extensive de celui-ci. L'art. 6 contient une règle assez générale sur le procès équitable dans le sens qu'il serait interdit de punir une personne deux fois pour le même acte.

* 29 Une certaine doctrine pense au contraire qu'il vaut mieux confier au droit pénal le domaine des infractions troublant l'ordre social, composée de valeurs de haute protection, et laisser les infractions économiques à la compétence de l'AMF.

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