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L'intégration des médiums environnementaux dans la peinture contemporaine, une nouvelle écologie à  Kinshasa

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par Yves NGOY EBONDO
Académie des beaux- arts de Kinshasa - Licence 2013
  

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2.1.10. Pierre noire

La pierre noire est aussi appelée pierre d'Italie car, selon les premières sources, elle proviendrait du Piémont. Plus tard, on la dira de France, puis d'Espagne. C'est toutefois en Italie, vers la fin du 15e siècle, que les peintres commencent à l'employer, d'abord dans les cartons qui remplacent la sinopia des fresques, puis dans le dessin préliminaire d'études de figures ou de compositions, au même titre que la pointe de métal et le fusain101(*).

Ce schiste argileux est constitué d'une alternance de couches dures et cassantes et de couches noires et tendres; les premières sont récupérées par les maçons, les tailleurs de pierre et les charpentiers, tandis que les artistes se réservent les couches de meilleure qualité qu'ils peuvent aiguiser à l'aide d'un couteau.

Comme il s'agit d'un matériau naturel, sa composition renferme des impuretés granuleuses qui peuvent parfois abîmer le support. Ainsi, la « pierre tendre à la pigmentation bien noire, que l'on peut rendre aussi parfaite que le charbon » de Cennini ne serait, selon Meder, qu'un ouï-dire, l'auteur du 14e siècle n'étant pas bien informé des caractéristiques du nouvel instrument. Pour sa part, Watrous croit que si la texture est effectivement moins tendre et moins noire que celle du fusain, Meder a tort de dire qu'elle est dure et rugueuse, et il donne à l'appui les études d'Andrea Del Sarto pour ses fresques florentines dont le trait de la pierre noire naturelle exprime parfaitement la douceur et la texture sombre du matériau. La pierre d'Italie surpasse le fusain par la densité chromatique de son pigment qui demeure à la surface du papier et lui confère un caractère couvrant plus difficilement effaçable.102(*)

Il est difficile de dire si les utilisateurs de la pierre noire tracent un dessin préliminaire. Comme nous le savons, l'instrument que l'on dit parfois effaçable ne l'est, en réalité, pas tout à fait. Ainsi, comme l'indique Meder, un tracé au fusain, qui ne laisse aucune trace, conviendrait aux artistes moins habiles ou inexpérimentés. Et parfois, même les plus grands préfèrent se fier à un tracé invisible de la pointe.

La pierre noire, dans les premiers temps de son utilisation, est employée principalement sur le papier blanc à gros grains auquel elle adhère le mieux. À partir du 16e siècle, donnant suite à la tradition des supports colorés pour la pointe de métal, les artistes utilisent le matériau sur des papiers préparés ou teintés. La pierre noire permet, comme on le sait, une plus grande variété de reliefs et d'effets plastiques, surtout lorsque la craie blanche ou le blanc liquide se joignent à elle. Dans une Étude pour un homme damné, Fra Bartolomeo se sert d'une préparation jaune-brun, tandis que Jacopo da Empoli emploi le fameux paonazzo des florentins pour le fond d'une Étude pour une figure de Christ (Florence, Offices).103(*) Au cours des premières décennies du Seicento, la préparation des supports est souvent la même que pour la plume ou que dans les carnets de croquis, c'est-à-dire une fine poudre de sanguine ou de vermillon. La variété des teintes demeure toutefois limitée si l'on compare aux préparations pour la pointe d'argent du siècle précédent.

Évidemment, la popularité du papier bleu teint dans le grain ne laisse pas indifférents les utilisateurs de la pierre noire qui emploient, à même escient, un fond coloré. D'abord rencontré à Venise avec Carpaccio ce type de papier se répand dès la moitié du 16e siècle vers Milan et Florence. Enfin, on trouve également des fonds brun pâle et gris chez différents artistes comme les Carrache, mais aussi dans une Étude de vieillard chauve de Léonard de Vinci datant de 1513-1516 (Windsor, Bibliothèque Royale).

Pendant longtemps, la pierre noire a eu comme rôle de tracer le dessin préliminaire destiné à être repassé à la pointe de métal ou à la plume. Taillée en pointe, la pierre permet de fines lignes qui disparaissent aisément sous un autre matériau. Grâce à la pierre noire, l'artiste peut se laisser aller à un dessin libre et rapide qui sera dissimulé derrière l'encre ou le tracé métallique auxquels elle concède un trait confiant et des détails minutieux104(*).

Selon Van Cleave, un des premiers à avoir utilisé la technique serait Pisanello dans ses Études pour des pendus (New York, Frick Collection); la pierre noire permet à l'artiste de croquer ses figures sur le vif, c'est-à-dire face à la potence, et, à son retour au studio, de les travailler proprement à la plume. Un autre avantage du dessin préliminaire est illustré dans le dessin d'Adam d'Antonio Pollaiuolo. Si l'on regarde le bas des jambes, là où elles se croisent, on remarque que les contours de la jambe droite du personnage, qui passe derrière sa jambe gauche, ne sont pas coupés, ce qui indique que cette partie du dessin a probablement été exécutée directement avec la plume, car un dessin préliminaire à la pierre aurait permis d'éviter cette erreur.

Parfois, comme c'est le cas dans l'étude de Pisanello susmentionnée, le dessin préliminaire n'est plus visible à l'oeil nu, tandis qu'à d'autres moments, les artistes le laissent dépasser de chaque côté du tracé principal ou le laissent à son état de croquis, sans se préoccuper de repasser certaines parties de la composition à la pointe ou à l'encre. À côté de ce manque de finition, d'autres artistes optent pour un dessin plus poussé, offrant davantage d'indications grâce à l'utilisation de techniques telles que le lavis.

Graduellement au cours du 15e siècle, la pierre noire se libère de ce rôle de second plan pour finalement, vers la fin du siècle, être employée seule. L'avènement des cartons pour les peintures murales a, comme on le sait, lancé la pierre noire comme instrument de dessin. Malgré le sort réservé à plusieurs d'entre eux, certains fragments de ces cartons ont survécu et il est intéressant de les étudier afin de mieux comprendre l'évolution stylistique du matériau. Le croquis d'une Tête de femme d'Andrea Del Verrocchio est un des premiers exemples de la versatilité de la pierre noire, et ce, dans un même dessin :

Les lignes qui indiquent le contour de la figure, ainsi que le mouvement du drapé, des cheveux et du voile que porte la jeune femme sont à la fois larges, fluides et pâles; à l'inverse, c'est par estompage qu'est marqué le modelé subtil qui structure les traits du visage et du cou. Ces ombres, qu'on ne retrouve ordinairement pas dans les cartons, indiquent qu'il s'agit ici d'un « carton auxiliaire », et dénotent les parties à peindre à l'aquarelle sur le mur ou sur le panneau de bois.

C'est d'abord à Florence que les artistes tentent de se servir autrement de la pierre noire, en particulier à des fins de rendus de volume et de modelé sur la figure humaine. Sous la forme de croquis rapides, des nus sans modelé intérieur ou presque, représentent les premières tentatives de ces expériences. Au tournant du siècle, la technique ressemble toujours à celle de la pointe de métal, avec un contour fin et bien marqué et de timides ombres hachurées. Par exemple, si l'on compare le Profil de gitan de Léonard avec son Guerrier antique à la pointe d'argent, on reconnaît la tentative du dessinateur d'utiliser la même technique qui ne convient cependant pas à la pierre noire. Les premiers dessins de Raphaël avec le matériau sont aussi caractéristiques de cette mentalité.

Avec la pierre noire, Michel-Ange conserve le style « toujours puissant et impétueux » qu'on lui connaît avec la plume, mais dans un traitement moins minutieux. Il est intéressant de constater que c'est Michel-Ange qui, le premier, exploite le potentiel de la pierre dans l'étude du corps humain. Il l'emploie surtout pour ses études de nus où il utilise à la fois la pointe finement taillée du matériau et son côté plus large. Malgré qu'il réussisse, avec la plume, à obtenir des effets très poussés de jeux de lumière, faisant ressortir la musculature de ses figures, avec la pierre noire il surpasse les limites atteintes, et il en résulte une douce transition des tons de ses modelés et un contraste marquant des ombres et des lumières qui mettent davantage en évidence la tension des muscles contractés. De plus, Michel-Ange n'hésite pas à appliquer des rehauts de blanc liquide en juxtaposition à la pierre.

Bien qu'il ne soit pas un facteur majeur dans le changement de mentalité qui a lieu au tournant du 16e siècle, Signorelli parvient toutefois à ouvrir des horizons dans son milieu artistique en ce qui a trait à la pierre noire. De loin plus talentueux en dessin qu'en peinture, l'artiste florentin s'adonne avec spontanéité et liberté au matériau afin de donner du volume et du poids à ses personnages. Particulièrement remarquable pour l'époque, son dessin d'Hercule et Antaeus se compare aisément à ceux que Michel-Ange fera, quelques décennies plus tard, pour la chapelle Sixtine.

Tout comme ce dernier, Signorelli concentre ses efforts sur le modelé des corps plutôt que sur les extrémités qu'il laisse à l'état de croquis rapide, mais empreints de beaucoup d'expressivité. Ses proportions entre l'ombre et la lumière sont justes, les plans picturaux sont structurés et les contours sont souples.

Moins attachés aux conventions de la pointe de métal et plus enclins à un style pictural, les artistes vénitiens, à partir de Giovanni Bellini, adoptent la pierre noire sans contrainte. Cette période est marquée par une importante série d'études de têtes, bien souvent des portraits, qui nous permettent de présumer une continuation de la tradition des cartons. Au départ, le trait de la pierre noire est fin et précis pour marquer les détails des visages, comme dans le Portrait de Filippo Maria Visconti de Pisanello (Paris, Louvre) ou dans l'étude pour un portrait d'homme de Francesco Monsignori exécutée pour un tableau de 1487 et qui se rapproche du style de Mantegna que l'artiste rencontre environ à cette époque à la cour des Gonzague. Mais déjà dans ces études de têtes et ces portraits, la pierre noire est utilisée pour rendre le dégradé délicat des ombres et des lumières sur les formes des visages, ce qui les distingue du style linéaire et rigide des Florentins.

On ne peut toutefois parler de la pierre noire sans évoquer les noms du Titien et du Tintoret. Les Vénitiens sont passés maîtres dans l'utilisation des papiers bleus de format moyen sur lesquels ils dessinent des figures aux contours saccadées, dans une recherche d'effets toujours plus picturaux. Il en résulte une liberté d'expression et de mouvement sans frontière. Nous avons déjà eu l'occasion d'observer quelques oeuvres du Tintoret pour lesquelles il est difficile de dire si elles sont au fusain ou à la pierre noire. Pour sa part, Titien, dans un amas de lignes, parvient à décrire la fougue d'un cheval et le geste de son cavalier en train de tomber, ou encore la passion des amants embrassés (Cambridge, Fitzwilliam Muséum). Les figures principales de ces deux dessins se devinent par les grands plans de lumière qui émergent d'une ombre profonde.

Enfin, Federico Barocci et Annibal Carracci en arrivent à une épuration des formes où, en quelques traits, la figure est délimitée et les détails sont clairement définis. Le travail du modelé, composé de pierre noire estompée et de craie blanche, donne vie au personnage et semble le faire surgir d'une lumière presque mystique. Les têtes du Baroche, tout comme la très belle figure d'Atlante du Carrache, démontrent parfaitement où en sont arrivés les artistes vénitiens. Rudel dit que, dès lors, « le dessin italien a gagné en rapidité de notation, en simplification des masses et des traits, en équivalences tactiles, en suggestion du « relief », [et] surtout en accords et transitions entre l'ombre et la lumière », toutes des qualités que l'on peut aussi attribuer à la peinture à l'huile.

* 101 Cennino CENNINI, op cit p 243

* 102 VASARI, Giorgio. Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes , traduction et édition critique sous la direction d'André Chastel, 12 volumes, Paris, Bibliothèque Berger-Levrault, 1981-1989.

* 103 ibidem

* 104 Ibidem

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein