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La santé communautaire dans la région des savanes, Togo. Une étude de cas sur les commissions santé dans les districts sanitaires de Kpendjal, Tandjouaré et Tône

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par Alexander Doyle
Université libre de Bruxelles - Master en sciences de la population et du développement 2012
  

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I. CADRE DE L'ANALYSE ET APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE

1. CADRE DE L'ANALYSE

Le cadre d'analyse s'avère une première étape primordiale dans la construction de notre sujet d'étude, rattaché au champ de la socio-anthropologie de la santé. Il nous permet de comprendre véritablement le cheminement intellectuel, nous amène à nous positionner dans notre problématique, à définir une question de recherche opérationnelle et à établir des hypothèses construites en conséquence.

1.1. Choix du sujet

Le Togo est un petit pays d'Afrique de l'Ouest. Sous l'emprise de la dynastie Gnassingbé depuis 1967, cet État fut marqué au cours des années 1980 et 1990 par des récessions économiques successives entrainant des coupes budgétaires dramatiques, notamment dans le secteur de la santé publique. La dévaluation du FCFA, la mauvaise gouvernance et les Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) dictés par le Fonds Monétaire International (FMI) ainsi que la Banque Mondiale (BM) eurent des répercussions négatives, tant sur la couverture sanitaire que sur la qualité des soins de base proposés dans le pays. Ces politiques top-down n'ont pu assurer la mise en place de Formations Sanitaires (FS) de qualité en termes d'infrastructures, de matériels et de ressources humaines.

Des politiques de décentralisation, explicitement revendiquées dans la convention de Lomé IV1, furent mises en place à travers l'ensemble du pays, notamment en matière de santé. Par ce biais, l'État amorça son désengagement vis-à-vis du domaine public et politique qui se répercuta inévitablement sur le fonctionnement de la santé ainsi que sur la prise en charge de ses populations en termes sanitaires. Cependant, « les réformes se sont succédées, les propositions se sont multipliées : et, pourtant, une grande insatisfaction persiste, tant du point de vue des populations que des intervenants. Le sentiment est désormais largement partagé qu'une grande partie des problèmes vient de l'offre publique de santé »2.

1 http://ec.europa.eu/europeaid/where/acp/overview/lome-convention/lomeitoiv_fr.htm (Page consultée le 25/07/2013).

2 Jaffré, Y. & Olivier de Sardan, J.-P., 2003a, « Pourquoi et comment de telles enquêtes sur un tel sujet ? », in Jaffré, Y. & Olivier de Sardan, J.-P., Une médecine inhospitalière. Les difficiles relations entre soignants et soignés dans cinq capitales d'Afrique de l'Ouest, Karthala, Paris, p. 10.

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- Intégration de la dimension participative dans le domaine sanitaire

Dans le contexte actuel des années 2010, l'objectif premier de l'Etat togolais en matière de santé est l'amélioration véritable de l'accessibilité des populations à des soins de santé décents. De ce fait, pour permettre au secteur sanitaire de se relever, le Togo et d'autres pays africains - avec l'appui de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et le soutien d'acteurs internationaux participant au développement sanitaire local - décidèrent d'intégrer les populations locales dans ce processus. Ces mesures s'inscrivent dans les lignes directrices de la Conférence d'Alma Ata (1978) et de l'Initiative de Bamako (1987)3 organisée par l'OMS, jetant les bases des Soins de Santé Primaires (SSP) et du recouvrement des coûts. Les orientations institutionnelles en vigueur, inscrites dans le cadre des politiques de décentralisation de la santé publique, voient dans ces mesures un moyen pour l'état de « se décharger d'une partie de sa fonction de protection au profit d'acteurs périphériques »4. Cette conception bottom-up hissa les « acteurs du bas » au centre de toutes les préoccupations ; ce fut l'essor de la santé dite « communautaire ».

Toutefois, le fonctionnement administratif et organisationnel des bailleurs de fonds internationaux et celui des instances nationales semblaient différer largement, ce qui amena des désaccords profonds et une « dynamique de balkanisation du pays »5. Sur ce fond de décor institutionnel pluriel, les ONG locales de développement prirent une part active dans l'insertion des « communautés » afin d'accroître le sentiment d'appropriation quant au devenir de leur état de santé. Dans cette vision « nouvelle » du développement, la mobilisation communautaire devenait une condition sine qua non pour obtenir l'aval et l'aide financière des bailleurs ; cette image permettant ainsi de s'écarter de cette vision unilatérale de l'aide, excluant toue forme d'acculturation. « Globalement, le « communautaire » est une conditionnalité (et donc une obligation rhétorique) pour capter les ressources nécessaires à la mise en oeuvre de projets sanitaires et/ou politiques, personnels ou factionnels »6. En ce sens, on peut parler de « mythe du communautarisme »7.

3 Gruénais, M.-E., 2001a, « Un système de santé en mutation : le cas du Cameroun », Bulletin de l'APAD, 21, pp. 1-7.

4 Gruénais, M.-E, 2001b, « Communautés et État dans les systèmes de santé en Afrique », in Hours, B., (dir.), Systèmes et politiques de santé. De la santé publique à l'anthropologie, Karthala, Paris, p. 79.

5 Gruénais, M.-E., 2001a, ibid., p. 4.

6 Jaffré, Y. & Olivier de Sardan, 2003b, « Un diagnostic socio-anthropologique : des centres de santé malades... » in Jaffré, Y. & Olivier de Sardan, J.-P., Une médecine inhospitalière. Les difficiles relations entre soignants et soignés dans cinq capitales d'Afrique de l'Ouest, Karthala, Paris, p. 77.

7 Jacob, J.-P. & Lavigne Delville, Ph. (sous la direction de.), 1994, Les organisations paysannes en Afrique : organisations et dynamiques. Karthala, Paris, p. 13.

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- Émergence des Commissions Santé

Sous cette égide institutionnelle, de nouveaux protagonistes locaux ont émergé rapidement dans un décor neuf. Suivant ce processus, les Unités de Soins Périphériques (USP) - structures de soins les plus avancées reconnues par l'État - se sont progressivement consolidées sur le territoire.

Pour les soutenir, l'ONG belge Louvain Coopération (LC), en partenariat avec l'ONG togolaise « Association d'Appui aux Activités de Santé Communautaire »8 (3ASC), dont le siège se situe à Dapaong, région des Savanes, a établi un « Projet Intégré de santé dans la région des Savanes ». Ce dernier aboutit en 2008 à la création des « Commissions Santé » (CS).

Ces groupements, inspirés de multiples expériences de divers pays d'Afrique de l'Ouest, sont composés de personnes issues des populations villageoises et des prestataires des USP. Ils ont pour mission première d'offrir « un cadre de réflexion et d'échange entre les différents protagonistes issus de la sphère locale, concernant les problèmes de santé relatifs à leur aire sanitaire » 9 . Les principaux problèmes évoqués sont les suivants : l'éloignement et l'accessibilité géographique des centres de santé, le coût des prestations et médicaments prescrits et la nature des relations en vigueur entre les populations locales et les représentants de la sphère sanitaire officielle.

Sous la tutelle de l'ONG 3ASC, chargée de soutenir et d'encadrer ces groupements, leurs assignations présumées se cantonnent à engendrer des résultats positifs quant à l'offre et la qualité des soins promulgués au sein des centres de soins avancés. Mais aussi à s'ériger en tant que représentants des populations villageoises locales et à faire valoir les préoccupations de ces derniers pour accroître leur participation à l'effort de santé.

Cinq ans après l'élaboration de ce type de groupement dit « communautaire », plusieurs questions importantes méritent toutefois d'être posées. Quels sont les impacts de ces politiques de décentralisation sur la sphère sanitaire locale ? Cette vision participative, présente-elle au final des considérations plus amples pour les bénéficiaires de ces soins ? S'agit-il toujours d'un modèle imposé de l'extérieur ou assistons nous à un véritable processus participatif, dans lequel les outils sont non seulement utilisés mais aussi contrôlés par les premiers concernés ?

8 Voir en annexe (A1. Description de l'ONG 3ASC).

9 Document 3ASC, 2008, « Projet Intégré de santé dans la région des Savanes. Processus de mise en place des Commissions Sante. (Distinction des tâches CS-COGES) ».

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- De la conception externalisée au modèle « participatif »

La diversité de projets en tous genres s'insérant sur la scène locale, fait transparaître ce désir constant de satisfaire les attentes des populations locales mais suivant des schémas établis de l'extérieur. La conviction grandissante reflétant à tort une forme de certitude quant à la nécessité de l'importer sur la scène locale est-elle justifiée, et surtout assistons-nous à une application adaptée ? N'y a t-il pas là une forme de transposition systémique n'appartenant qu'à un type de logique ? « Même si l'émergence des organisations endogènes est antérieure aux discours construits à leurs propos, ces discours ne jouent-ils pas un rôle dans leur multiplication actuelle, dans leur logique d'institutionnalisation ? »10.

Suivant cette perspective, nous pouvons résolument admettre que nous sommes en présence d'un « dispositif », au sens foucaldien du terme. Même s'il n'existe aucune définition exacte de ce que ce terme recouvre, nous pouvons toutefois en donner la version établie par Foucault lors d'un entretien en 1977, qu'Agamben résume en 2006 en trois points dans son ouvrage « Qu'est-ce qu'un dispositif ? » : « 1. Il s'agit d'un ensemble hétérogène qui inclut virtuellement chaque chose, qu'elle soit discursive ou non : discours, institutions, édifices, lois, mesures de police, propositions philosophiques. Le dispositif pris en lui-même est le réseau qui s'établit entre ces éléments. 2. Le dispositif à toujours une fonction stratégique concrète et s'inscrit toujours dans une relation de pouvoir. 3. Comme tel, il résulte du croisement des relations de pouvoir et de savoir »11.

À cet effet, Chauveau intègre cette dernière notion dans le domaine du développement : « le dispositif de développement désigne ainsi non seulement les structures concrètes et organisées de conception et d'administration des interventions mais aussi un ensemble complexe de représentations et de normes acquises structurant les manières de percevoir, de penser et d'agir des agents de développement »12.

Cette « configuration développementiste »13 se « réfère classiquement, à l'ordre légal-rationnel et bureaucratique caractéristique de la culture occidentale et à « l'artificialisme » découlant du système de valeurs individualiste et positiviste. Le développement rural n'est, à ce niveau que le transfert de la croyance en l'ingénierie sociale que la culture occidentale s'est d'abord appliquée à elle-même (É) et qu'elle a ensuite mise en oeuvre dans les territoires

10 Jacob, J.-P. & Lavigne Delville, Ph., op. cit., p. 12.

11 Agamben, G., 2007, Qu'est-ce qu'un dispositif ?, Éditions Payot & Rivages, Paris, pp. 10-11.

12 Chauveau, J.-P., 1994, « Participation paysanne et populisme bureaucratique. Essai d'histoire et de sociologie de la culture du développement », in Jacob, J.-P. & Lavigne Delville, Ph. (sous la direction de.), Les organisations paysannes en Afrique : organisations et dynamiques, Karthala, Paris, p. 40.

13 Olivier de Sardan, J.-P., 1995a, Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social, Karthala, Paris.

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coloniaux »14. En effet, l'« approche participative » tant valorisée, mêlant santé et défense des intérêts locaux, paraît se calquer sur un modèle organisationnel prédéfini par les bailleurs de fonds et appliqué par les ONG locales. Ainsi, il semble légitime de se questionner par rapport au fait de savoir s'il s'agit véritablement d' « un pouvoir local représentatif, comme le souhaitent les tenants de la décentralisation ? »15. L'adaptation des acteurs locaux ou « dérives »16 à ce type de configuration bureaucratique, suivant une perspective wébérienne, laisse entrevoir de multiples phénomènes qui devront être soumis à l'analyse.

« Dans bien des cas, cette standardisation communautaire empêche la prise en compte d'initiatives pragmatiques locales »17 au profit d'un idéal-type18 qui se révèle défaillant à maints égards : les qualifications et les compétences des CS ne sont pas suffisantes au regard des fonctions qui leurs sont attribuées, leur travail est bénévole et constitue une activité secondaire pour la grande majorité d'entre eux, ils ne sont pas soumis à une discipline stricte et homogène et ils ne subissent pas un contrôle suffisant de la part de la direction administrative19, pour ne citer que quelques insuffisances rencontrées.

Cet « appareil bureaucratique »20 bancale impose une vision soi-disant utilitariste aux acteurs concernés mais ne reflète que fort peu leurs perceptions intrinsèques. Les divergences qui en découlent biaisent toutes constructions communes jusqu'à exclure hors de ce dispositif des protagonistes considérés pour nombre des ces populations « bénéficiaires » comme intrinsèquement liés à la situation sanitaire en présence. A cet égard, nous faisons référence aux thérapeutes traditionnels, inclus dans le décor mais non reconnus de la sphère sanitaire officielle, et ainsi délaissés de toutes décisions porteuses d'impacts.

Afin d'éclaircir ces questionnements, notre analyse devra inclure une série d'acteurs issus de la scène locale, pour comprendre la complexité de l'insertion des CS dans ce décor pluriel. Une étude relative à l'implication effective de ces dernières permet d'évaluer le degré d'insertion supposé des populations locales, des prestataires des USP, des acteurs du développement local, des représentants de la médecine « traditionnelle », et enfin des responsables des pouvoirs publics en présence, tous agissant dans ce paysage complexe et multiple. En outre, notre analyse spécifique et approfondie, portant sur un type d'acteurs

14 Chauveau, J.-P., op. cit., p. 42.

15 Jacob, J.-P. & Lavigne Delville, Ph. op. cit., p. 12.

16 Olivier de Sardan, 1995a, op. cit., p. 196.

17 Jaffré, Y. & Olivier de Sardan, 2003b, op. cit., p. 77.

18 http://pedagogie2.ac-reunion.fr/ses/textes/Weber/burau.htm#debut (page consultée le 27/07/2013).

19 Ibid.

20 Ibid.

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intégrés dans la « santé communautaire » de la région des Savanes au Togo, cherche à mettre en évidence les tenants de ce processus « participatif » sur la scène locale.

Par-dessus tout, cette étude veut représenter un moyen exemplaire de concilier deux champs divergents sous une même bannière, à savoir l'anthropologie et le développement. Une expérience réflexive de ce type peut être entreprise au coeur du débat sur l'interdisciplinarité d'un tel champ d'actions. Il est vrai que les procédés mis en oeuvre par les deux enseignements précités diffèrent sur certains aspects. Toutefois, les domaines de recherches s'entremêlent à maints égards. Il y a donc nécessité de faire converger leurs techniques respectives et de créer un apprentissage commun à condition que « du point de vue de l'action, l'intervention de développement soit dissociée de la croyance positiviste en l'ingénierie sociale »21. Un véritable dialogue fondé et construit s'avère nécessaire pour trouver le juste milieu entre « production de connaissances fondamentales et savoir applicable

»22.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore