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La santé communautaire dans la région des savanes, Togo. Une étude de cas sur les commissions santé dans les districts sanitaires de Kpendjal, Tandjouaré et Tône

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par Alexander Doyle
Université libre de Bruxelles - Master en sciences de la population et du développement 2012
  

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1.1.2. Les compétences et formations

Les CS ont été dotées d'un statut particulier, se trouvant en interface avec deux mondes distincts qui éprouvent, non sans peine, des difficultés de compréhension mutuelle. Elles sont pourvues, a priori, d'une « double fonction de « porte-parole » des savoirs technico-scientifiques et de médiateur entre ces savoirs technico-scientifiques et les savoirs populaires.

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Ce double rôle n'est pas sans relever de l' « injonction contradictoire » (double bind) : d'un côté l'agent de développement doit prôner les savoirs technico-scientifiques contre les savoirs populaires, de l'autre il doit les « marier » l'un à l'autre »138. Le problème étant que les agents n'ont pas toujours les compétences requises pour prétendre à exercer cette fonction. Davantage, ils n'ont jamais été formés correctement par 3ASC à cet effet. Ainsi, certains CS ne perçoivent pas l'utilité réelle de leurs agissements et finissent par se sentir inutiles, d'autant plus qu'elles se trouvent sous l'emprise de 3ASC ; les RFS, n'ayant au final, qu'une existence fort abstraite.

La multiplication des rôles qui leurs ont été attribués, à l'aune de différents savoirs, les soumet à des pratiques qui sont concrètement, difficilement réalisables. De ce fait, « tout « message technique », tout projet de développement, toute intervention sont des packages, des ensembles de mesures coordonnées et prétendent à la cohérence. Aucun ensemble proposé n'est jamais adopté « en bloc » par ses destinataires : il est toujours plus ou moins désarticulé par la sélection que ceux-ci opèrent en son sein »139. Dans ce cadre, les CS, bien que sollicitées pour des brèves formations, peinent à s'intégrer au monde de la conception bureaucratique - qui n'est pas le leur - et à remplir les attentes escomptées par les intervenants externes. « On voit mal par ailleurs comment les cultures professionnelles locales pourraient être modifiées « par en haut » de façon technocratique : on sait les échecs des réformes multiples qui ont été mises en place en Afrique depuis vingt ans, à travers les administrations de la santé ou à travers les « projets » »140.

Toutefois, en 2008, après la mise en place des CS, la validation des enquêtes et sondages, l'identification des problèmes de santé des aires sanitaires et l'élaboration des plans d'actions de résolution de ces problèmes, les CS ont été formées quelque peu à leurs fonctions. Il s'agissait de leurs enseigner différents aspects concernant la qualité des soins et à leur nouveau « rôle » de « représentants » des populations villageoises. Depuis, 3ASC organise chaque année un « atelier de recyclage » de deux jours à destination des CS dans le but de renouveler leurs connaissances, notons toutefois que les thématiques abordées sont identiques chaque année. La première journée se résume en un « brainstorming-exposé »141, se voulant participatif, consistant à rappeler les attributions des CS et « les différents aspects de la qualité des soins »142. La deuxième journée, quant à elle, se déroule autrement : chaque CS se regroupe, formule en interne le bilan annuel des activités menées et élabore le « plan d'actions » pour l'année à venir. Elles consignent l'ensemble des faits sur une simple feuille

138 Olivier de Sardan, 1995a, op. cit., pp. 155-156.

139 Olivier de Sardan, 1995a, Ibid., p. 133.

140 Olivier de Sardan, 2003, op. cit., p. 293.

141 Document 3ASC, 2008, Recyclage des membres des Commissions Santé et des ICP, Termes de références.

142 Document 3ASC, 2008, Ibid.

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A4. Le caractère réducteur de ce processus est de mise. À la fin de cet atelier, chacun vient prendre son dû et rentre dans son village respectif ; le cycle peut recommencer pour les CS. Les accomplissements ne sont pas récompensés, les échecs ne sont pas sanctionnés. Aucune répercussion n'est à mentionner ; les activités sont simplement reprogrammées pour l'année suivante. Face à ce constat, 3ASC devrait impérativement fixer « des objectifs et non pas seulement (É) des actions »143.

Un des problèmes majeurs de ces formations est qu'elles se cantonnent à une vision « vulgarisatrice ». En d'autres termes, elles n'intègrent aucunement « la culture professionnelle locale (É). Les formations apparaissent alors comme des « parenthèses » où l'on discourt gentiment des normes officielles, avant de revenir aux routines habituelles de la vie professionnelle réelle »144. À notre demande, un tour de parole recensant les difficultés que les CS sont amenées à rencontrer fur opéré. En l'absence de ce dernier, cette formation n'eut été que la simple transmission d'un message sous sa forme la plus passive.

Il convient également de se pencher sur le fonctionnement effectif de ces formations. Il paraît nécessaire de rendre compte du langage qui y est déployé. L'exposé PowerPoint est exclusivement en français. Cependant, un nombre important de personnes présentes ne pratique pas l'usage de cette langue, d'autres sont illettrées. Malgré tout, ces séances se font conjointement en français et en moba. Mais par delà la simple traduction, nous sommes face à une « mise en rapport de champs sémantiques différents, de différentes façons de découper ou penser la réalité »145. Nous sommes résolument en présence d'un « langage-projet »146 qui valorise les bienfaits de son dispositif. De ce fait, « le problème de la transmission d'un « message technique » aboutit toujours à cette fameuse confrontation de deux systèmes de sens, au coeur de laquelle l'agent de développement se trouve placé »147. Autrement dit, le « langage-projet » ne trouve résolument pas sa place en interne. Cependant, il « est indispensable à la reproduction du projet et à la perpétuation des flux de financement : c'est lui qui définit à l'intention des bailleurs de fond la « personnalité » du projet (É). [Le « langage-projet »] est également une des composantes de l'identité professionnelle des cadres du projet, qui affirment en l'utilisant régulièrement leur position propre dans la configuration développementiste locale, et légitiment grâce à lui leur compétence et leur utilité sociale »148.

143 Muller, J-D., 1989, Les ONG ambiguës. Aides aux Etats, aides aux populations ?, L'Harmattan, Logiques sociales, Paris, p. 197.

144 Olivier de Sardan, 2003, op. cit., p. 293.

145 Olivier de Sardan, 1995a, op. cit., p. 158.

146 Olivier de Sardan, 1995a, Ibid., p. 166.

147 Olivier de Sardan, 1995a, Ibid., p. 158.

148 Olivier de Sardan, 1995a, Ibid., p. 169.

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Il faut admettre que les critères de sélection qui furent mis en avant lors du processus de mise en place des CS n'étaient pas suffisamment stricts. Le niveau d'instruction ne fut pas retenu comme un élément décisif. En conséquence, nonobstant le fait que les formations se déroulent en « langage-projet », le contenu ne peut-être que foncièrement basique. En ce sens, les formations ne peuvent porter sur la présentation de programmes trop spécialisés ou l'étude de maladies spécifiques ; ce qui - suivant une perspective projet - aurait été nécessaire pour un travail de sensibilisation pointilleux et ciblé.

Mais que les choses soient claires, « si on n'a pas « appris » aux agents de développement à être des médiateurs, cela ne signifie en rien qu'un tel rôle n'existe pas, ou qu'il ne soit pas indispensable : cela signifie simplement qu'il est mal ou très mal rempli (É). Ne disposant pas des compétences nécessaires à la médiation entre savoirs, les agents de développement assurent cette médiation de façon inappropriée ou unilatérale »149.

De ce fait, ces CS sont résolument en présence de ce qu'Olivier de Sardan nomme une « triple fonction »150, remplie d'antinomies et d'incohérences, qui s'avère à bien des égards, difficile à réaliser :

- « la défense de leurs propres intérêts personnels,

- la défense des intérêts de l'institution,

- la médiation entre les divers intérêts des autres acteurs et des factions locales »151.

De ce fait, devant une situation si équivoque, les nouveaux « représentants » éprouvent bien des difficultés à s'insérer véritablement dans le décor sanitaire.

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