WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La santé communautaire dans la région des savanes, Togo. Une étude de cas sur les commissions santé dans les districts sanitaires de Kpendjal, Tandjouaré et Tône

( Télécharger le fichier original )
par Alexander Doyle
Université libre de Bruxelles - Master en sciences de la population et du développement 2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

1.1.3. La médecine « traditionnelle »152

En tant que « représentants » et « porte-paroles » des intérêts locaux, les CS se doivent de prendre pleine connaissance des parcours thérapeutiques pluriels susceptibles d'être empruntés par les populations villageoises. Ce faisant, il semble nécessaire d'apporter un éclairage sur un autre aspect, trop souvent minimisé voir écarté : « les thérapeutes traditionnels ».

Aucune dimension participative vis-à-vis des « thérapeutes traditionnels »153 ne fut émise lors de l'élaboration des CS. L'absence de considération suffisante et d'intégration des

149 Olivier de Sardan, 1995a, op. cit., p. 156.

150 Olivier de Sardan, 1995a, Ibid., p. 159.

151 Olivier de Sardan, 1995a, Ibid.

152 Une réflexion autour du pluralisme thérapeutique se trouve en annexe (A11. Le pluralisme thérapeutique en question).

153 Une personne pratiquant la médecine « traditionnelle » recouvre des significations multiples (tradithérapeute, tradipraticien, guérisseur, herboriste, nganga, rebouteux, féticheur, sorcier, charlatan, marabout, etc.). Même si

84

« charlatans » dans ce projet, empêche toute représentativité sincère des villageois par les CS. En effet, suivant une vision holistique, les présupposés « communautaires » mis en avant dans ce « Projet Intégré de santé dans la région des Savanes » semblent dénués d'une de ses composantes fondamentales : la médecine dite « traditionnelle ».

Toutefois, ce ne fut pas toujours le cas. Comme évoqué précédemment, lorsque les COSAN étaient en vigueur, cette dynamique « participative » vis-à-vis des accoucheuses traditionnelles était de mise. Toutefois, selon un employé de 3ASC, la disparition de ce « partenariat » put causer quelques répercussions :

« Je pense qu'ils ont été un peu déçus qu'on n'ait plus voulu parler des accoucheuses traditionnelles, il y a eu une évolution. On a dit que dans les principes, même dans les normes, OMS et autre, un accouchement assisté, ça doit être un accouchement maintenant qui est réalisé par disons une sage-femme, une infirmière d'État ou un médecin. Donc en bas de ça, on ne considère pas ça comme étant un accouchement assisté. Donc c'est une disposition, une loi qui est prise même par les grandes institutions comme l'OMS et autres. Donc ce qui fait qu'on est obligé d'aller avec cette nouvelle formule. Or à l'époque ce qui donnait un peu d'enthousiasme, un peu de motivation à travailler c'était la présence de ces entités là : accoucheuse traditionnelle et les agents villageois de santé. Maintenant qu'ils ont été amputés, ça démotive un peu. Mais alors qu'est-ce qu'on fait des accoucheuses traditionnelles et tout, parce qu'ils sont toujours là. Et bien on dit qu'ils peuvent aider à la mobilisation, à la sensibilisation et à référer les femmes enceintes mais ils n'ont plus cette mission de faire les accouchements ».

Or, c'est précisément leur rôle. Sensibiliser et référer les malades vers les centres de santé reconnus par l'État, semble, a priori aller à l'encontre de leur logique propre.

Au regard des interviews effectuées avec les patients et les personnes rencontrées dans les villages environnants les USP, il est indiscutable que le recours privilégié est le centre de

chaque terme peut se définir suivant des considérations spécifiques, les appellations tendent à se confondre dans le langage courant, recouvrant une vision visant à s'opposer aux personnes exerçant la bio-médecine. De ce fait, nous utiliserons conjointement ces différents termes afin de varier notre langage. De plus, il convient de préciser que le terme « charlatan » est communément utilisé dans la région des Savanes, et ne relève aucunement une vision péjorative. Quant au terme « marabout », il paraît fort peu probable de trouver une définition spécifique, comme il se présente sous une forme plurielle. En effet, « aucun terme désignant une catégorie d'hommes de savoir n'est entouré d'une confusion de sens comparable au mot marabout » (Fassin, 1999 : 73). Néanmoins, l'islam semble être la référence commune à toutes les différentes formes que peut reprendre ce terme. Outre la religion, les liens avec la magie, le sacré, le surnaturel, le spirituel et la divination semblent étroits. « La fonction médicale n'est que l'une des fonctions du marabout qui a, par ailleurs, la charge de délivrer le message divin, d'organiser prières et rituels, de rendre la justice, d'enseigner le Coran, d'accomplir des miracles » (vu dans : Fassin, D., 1999, Pouvoir et maladie en Afrique. Anthropologie sociale dans la banlieue de Dakar. Paris, Collection les Champs de la Santé, Université de France, p. 73).

santé. Nous pouvons toutefois nous questionner par rapport à notre statut et notre influence face aux résultats obtenus, mais le constat est tel.

Même si les propos qui suivent ne peuvent-être représentatifs de la tendance générale, il est remarquable qu'un nombre conséquent de personnes interrogées ont recours aux deux types de médecines en vigueur dans la région, afin d'obtenir un double point de vue.

« Oui ils consultent [les guérisseurs]. Premièrement, ils vont d'abord à l'hôpital, quand ça ne va pas maintenant, ils consultent le guérisseur, ou ils vont à l'hôpital et en même temps ils consultent quoi pour voir qu'est-ce qui ne va pas, peut-être dans la famille s'il y a une cérémonie à faire, ils le font, c'est pas pour les mêmes causes. (É) Il a pris l'exemple d'une femme enceinte, quand elle est enceinte, ils vont d'abord à la CPN et aussi ils vont aller consulter, voir le guérisseur et le jour qu'elle va accoucher, si elle va à l'hôpital et elle traîne elle ne va pas vite, ils vont aussi aller consulter et voir s'il y a des cérémonies à faire, ils le font et souvent même quand ils font les cérémonies, la femme accouche. Ou bien même si la femme accouche à l'hôpital, elle revient là, ils doivent aussi aller consulter un féticheur, voir bon, faire des cérémonies (É) C'est l'homme qui va et la femme ne va pas, c'est son mari qui va pour consulter. (É) Le guérisseur, il ne donne pas les soins, mais quand tu y vas, il te dit de prendre telle poule, telle poule, aller tuer chez son grand-papa, aller tuer chez tel aïeul, et ça passe, mais il ne donne pas des comprimés ou bien des choses à boire, non il ne donne pas ça, il donne seulement des consignes. (É) C'est pour assurer la santé de la maman et de l'enfant, c'est pour ça qu'ils vont consulter (É) Il dit, aller chez un tradithérapeute, un charlatan, c'est la tradition, c'est la coutume, c'est la croyance, donc il doit quand même faire les deux, tout le monde dans le village fait les deux. (É) Il n'y a pas de guérisseur dans le village ici, c'est loin d'ici, c'est plus loin que l'USP » [Traduction d'un villageois de l'aire sanitaire de Korbongou, Tône].

Comme l'énonce Fassin, « tout l'éventail symbolique et thérapeutique est mis à

contribution pour la recherche de la meilleure efficacité. Aucune contradiction n'est perçue entre les différents registres auxquels il est fait appel : la logique est celle de la guérison »154.

La conviction dans les types de traitements proposés dans les centres de santé reconnus par l'État semble insuffisante, tandis que les us et coutumes restent pour beaucoup prédominants dans les schèmes de pensée locaux. Le recours aux « guérisseurs », demeure courant et la croyance en leurs bienfaits continue à être bien ancrée ; une croyance profonde persiste.

85

154 Fassin, D., 1999, op. cit., p. 115.

86

En combinant ces deux pratiques, ils tendent à se sentir davantage rassurés. Même si la médecine « moderne » s'avère prépondérante, il est communément admis que le recours à des « tradithérapeutes » n'est ni une question de moyens financiers, ni une question de distance. De plus, ces derniers semblent être consultés pour des raisons qui dépassent le cadre strict de la guérison. Les causes de la maladie doivent être recherchées sous un angle extérieur. Elles peuvent être attribuées à un sortilège, un envoûtement, un empoisonnement ou encore un acte de sorcellerie. De ce fait, « quand il y a un malade dans la maison, il faut d'abord savoir d'où vient la maladie » [Villageois de l'aire sanitaire de Papri, Kpendjal].

Nous ne débattrons pas plus longuement de l'attachement de ces croyances dans la sphère locale, ni du poids que représentent ces pratiques, en tant que recours thérapeutiques mais des relations en vigueur entre les CS et les « guérisseurs » : elles ne sont que fort peu pratiquées, voire le plus souvent inexistantes.

Il nous est vite apparu que les CS servaient principalement d'appui aux USP et ne semblaient pas suffisamment se soucier de représenter activement les intérêts des populations villageoises. Cependant, un cas particulier évoqué ex-ante a retenu une nouvelle fois notre attention : le commissionnaire-marabout de Bougou, Tône.

- Un cas particulier : le commissionnaire-marabout de Bougou, Tône

Sous ses grands airs, cette interviewé craignait de dévoiler une fonction qui lui était propre. L'entretien fut des plus faussés pendant les cinquante-trois premières minutes de notre rencontre, moment où il admit, sur un revirement de situation, être aussi un « marabout ». Et ce après avoir dénigré pendant presque une heure les « tradipraticiens », insistant qu'ils devaient disparaître155 :

« Ceux qui vont chez les tradithérapeutes, c'est l'ignorance (É), il dit que s'il était l'autorité, ha là il dit qu'il faudrait les renvoyer, pour pouvoir laisser la médecine moderne faire son travail ».

Cinq minutes plus tard, après que le commissionnaire a retourné sa veste, le traducteur nous tient ces propos :

« Bon certains souffrent de maladies, ils sont allés à l'hôpital, ils n'ont pas eu gain de cause, ils sont arrivés chez lui, ils ont eu gain de cause. Il a ajouté que ceux qui font la

155 Les extraites d'entretiens qui suivent ont tous fait l'objet d'une traduction simultanée : [Traduction du commissionnaire-marabout de la CS de Bougou, Tône].

87

tuberculose, la toux quoi, les gens sont partis à l'hôpital avec leur toux, ils n'ont pas été guéris, ils sont arrivés chez lui, lui les a guéris ».

Mais peu après notre commissionnaire-marabout n'hésite pas à préciser, qu'il est « contre les guérisseurs qui mentent » en précisant que lui fait du bon travail. De plus, il demande sur un ton amusé « de ne pas le renvoyer, de le laisser travailler en tant que tradipraticien ! ».

Il tente de nous expliquer que son travail de « marabout » n'entrave pas celui de la CS, car il parvient à départager les cas qu'il est en mesure de soigner :

« Il dit que, eux les vieux, ils savent qu'ils n'arrivent pas à traiter toutes les maladies et quand ces malades viennent là, ils les réfèrent au niveau des USP. Les médecins aussi savent qu'il y a certaines maladies qu'ils ne peuvent pas traiter et quand ils reçoivent ces cas qu'on les réfère aussi vers les vieux. Il dit qu'entre eux, les vieux et les médecins, qu'ils collaborent, ils discutent ensemble. Mais il précise que ce n'est pas le cas de tous les vieux, mais c'est son cas à lui (É) Si quelqu'un est atteint de la tuberculose par exemple, la médecine moderne ne peut pas le soigner, donc il faut que la personne, elle vienne chez lui et quand elle vient chez lui, elle a la satisfaction, il guérit, pas besoin d'aller à l'USP. Si quelqu'un a été mordu pas un serpent, la médecine moderne ne peut pas le guérir et donc la personne elle vient chez lui. Si la personne, elle vient chez lui, ça va aller mieux dans l'immédiat. Pour les morsures, il y a une poudre, tu bois et la partie qui a été mordue là, il fait trois cicatrices là, trois traits comme ça, il prend la poudre là, il met dedans et c'est fini, tu bois aussi, c'est guéri ».

Petit à petit son discours change, et il nous dévoile de plus en plus d'informations : il fait également des accouchements. Tout en se rendant compte de l'incohérence de ses propos face à ses responsabilités en tant que commissionnaire, il poursuit:

« Les femmes qui veulent accoucher là et que c'est difficile, là aussi il a des produits, il prend ça, il donne à la femme, la femme boit quelques minutes après, l'enfant sort facilement ».

Face à notre incompréhension, nous réitérons nos propos : n'est-ce pas incompatible d'être « marabout » et membre d'une CS ? Sur un ton incertain mais amusé, notre traducteur tente tant bien que mal de narrer ses interventions :

« Par exemple si une femme est enceinte, elle ne sait pas qu'elle est à terme, qu'elle a été surprise, elle va accoucher et elle n'a pas pu venir jusqu'à l'USP, on lui fait appel et là, lui va. Mais normalement il ne fait pas ça, il dit d'aller à l'USP mais quand on l'appelle, il vient (É) Pour les morsures de serpent, comme il sait que c'est extrêmement mortel, quand quelqu'un

88

vient chez lui, il le soigne tout de suite au lieu de le référer, parce qu'il sait ce qu'il doit faire. Il a remarqué, quand les gens viennent au centre ici, on les traite, après la partie s'enfle. Or chez lui, quand quelqu'un vient pour les morsures, il cicatrise, il donne le produit, il boit et ça disparaît en même temps. Bon à l'hôpital, il y a quand même certains ça réussit, mais chez lui c'est automatiquement ».

Pour conclure, « il dit qu'il préfère que les gens se fassent soigner au niveau de l'USP ».

Suite à cette interview interpellante, nous décidons de comparer ce point de vue avec celui de la matrone de l'USP de cette même aire sanitaire. Après une brève explication, nous lui demandons de surenchérir :

« Oui je sais qu'il est guérisseur.

[Vous trouvez ça normal, qu'un membre de la Commission Santé soit guérisseur ?]

Non mais... quand on lui pose la question, il dit que c'est l'héritage de son papa. Lui il

soigne et puis après tout il dit, il faut ajouter la médecine. Il soigne.

[Mais pour certains types de maladies, comme les morsures de serpent, parfois il ne

réfère pas les malades vers l'USP]

Il a dit ça ? Ça veut dire qu'il soigne. Je sais qu'il a déjà soigné la tuberculose.

[Donc ça marche, il ne faut pas forcément venir à l'USP pour se faire soigner de la

tuberculose ?]

Je ne sais pas ! [Elle rit] Je ne sais pas ! Il ne peut pas être Commission Santé et être

thérapeute.

[Mais si, c'est exactement ce qu'il est]

Oui mais normalement il faut le laisser et prendre un autre, il est vieux c'est pour ça je dis

il faut prendre un jeune qui a au moins de l'intelligence dans la tête.

[Mais il est très intelligent, ce n'est pas ça le problème, c'est juste qu'il a une autre façon

de penser - ne sachant que répondre, elle rit]

Ha il est bon hein. (É) Mais toutes les femmes là n'accouchent pas à la maison, là il

connaît, là il ne blague pas pour ça. Mais si quelqu'un est malade là-bas, il soigne, si ce

n'est pas tellement grave, il n'amène pas à l'hôpital, donc c'est ça ».

[Propos recueillis par la matrone de l'USP de Bougou, Tône]

Une forme de profonde contradiction est donc à relever. Cette dualité omniprésente fait partie du tableau quotidien. Autant dans les USP que les CS, les prestataires admettent et acceptent une telle antinomie, tout en marquant, officiellement leur désaccord face à cette ambiguïté. Il s'avère difficile de recueillir des propos n'émettant aucune forme de

89

contradiction. De fait, le discours tenu par la majorité de nos interlocuteurs semblait indiquer en filigrane une certaine forme de reconnaissance des « tradithérapeutes ».

Cette double réalité, il va sans dire, ne rentre aucunement dans la logique du dispositif commanditée par 3ASC. Cependant chacun semble conscient de la coexistence de deux médecines et ferme les yeux, reconnaissant implicitement son impuissance (voir son absence de souhait) d'empêcher que continue à se pratiquer la médecine « traditionnelle » et plurielle. Tout le monde semble accepter l'inclusion d'un « marabout » au sein de la CS et chacun estime qu'il aura la sagesse de faire les choix appropriés suivant les circonstances.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry