WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le migrant africain du grand- Lyon. L'" agir " social et économique à  construire. Enjeux, discours d'acteurs, pratiques, stratégies et cadres d'intégration, de mobilisation et valorisation des compétences des migrants sub- sahariens de l'agglomération lyonnaise

( Télécharger le fichier original )
par Issopha NSANGOU
Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne  - Master 2 Pro en ingénierie du développement social  2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

124

3. Migrants subsahariens du Grand Lyon: la Force du réseau? Inventaire des motifs de démobilisation des membres de l'engagement associatif

De l'aveu de l'ensemble des responsables associatifs interrogés (une vingtaine environ), s'il est un commun dénominateur à la balkanisation de la communauté associative africaine du Grand Lyon et les velléités de regroupement des communautés à l'échelle ethnique, nationale et continentale, c'est bien en raison du constat globalement partagé que les Africains, les subsahariens du moins, peinent à composer et travailler ensemble, pour toutes sortes de raisons. Les plus communément évoquées pour expliquer la fragilisation des initiatives intégratives étant:

3.1. Le pouvoir

Autour du pouvoir que confère la position de Président, dont la réalité et l'importance des privilèges varient d'une association à l'autre, gravitent tout un ensemble de problématiques dérivées dont:

§ « La malgouvernance »

Des cas de mauvaise gestion, de détournements de fonds, de non-traçabilité des investissements financiers effectués par l'exécutif, d'absence de cap défini par le « chef »&nous ont été rapportés, et qui ont justifié la démobilisation massive des membres, ou le démembrement ou pire, la dissolution pure et simple de certaines organisations associatives dont la plus emblématique et la plus mémorable est le Collectif des Associations Africaines de la Région Rhône-Alpes ( CARA).

§ La personnalisation à outrance

Elle est subie dans le sens où toutes les responsabilités incombent ou sont laissées par les autres membres à la seule charge du président, souvent initiateur de l'association. Il est donc considéré comme légitime qu'il doive être sur tous les fronts. C'est souvent le cas pour les associations de moindre envergure. Mais l'identification de l'association à la personne du Président est souvent voulue et le pouvoir devenant monopolistique au-delà des limites qu'en fixe le statut163 ; ce fait d'abus de pouvoir a été régulièrement énoncé au cours de notre enquête.

§ La lutte pour le leadership

Corollaire du fait précédent, la lutte pour le pouvoir au sein des associations subsahariennes est perçue comme l'une des causes principales du délitement du lien communautaire et la démobilisation des bénévoles. Les associations sont lieux de débats, d'initiatives, mais aussi de tensions, de conflits parfois bloquants. Cela est dû en partie au modèle organisationnel de ces associations très hiérarchisé, vertical et qui accorde une place centrale à la fonction du Président ou à un comité restreint de personnes chargés de la définition et la mise en oeuvre des orientations de l'organisation. Le pouvoir a tendance à y être contesté en raison de la non-reconnaissance par les contestataires de la légitimité ou de la représentativité de la personne élue ou alors de la non-reconnaissance d'une motion de démission du président initiée par une assemblée générale. Selon certains de nos répondants, ces

163 Le président a pour attribution de convoquer le conseil d'administration et les assemblées générales. Les statuts précisent en temps normal le pouvoir du président mais dans le cas contraire, ce dernier représente l'association dans tous les actes de la vie civile. C'est lui qui, en cette qualité, passe les contrats au nom de l'association : location, vente, achat, engagement de personnel, mise en oeuvre d'une procédure de licenciement. De plus, l'article L.225-56 du code de commerce français précise que le président d'une association est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom et dans l'intérêt de cette dernière. Cela lui donne le droit en particulier de prendre toute mesure conservatoire, en l'occurrence de suspendre de leurs fonctions, les membres du bureau, alors même que les statuts de l'association ne confèrent au président aucun pourvoir particulier. Le président a donc qualité pour agir devant les tribunaux au nom de l'association, que ce soit comme demandeur ou comme défendeur, sans qu'il soit nécessaire que les statuts le prévoient expressément. C'est à lui que devront être délivrées les assignations à comparaitre, les significations de jugement.

125

conflits pour le pouvoir sont particulièrement exacerbées dans les associations ayant bénéficié d'importantes subventions et dont la gestion peut être perçue comme non-transparente par une partie de l'assemblée. Les cas de figure menant à la lutte pour le leadership sont légion, en dépit de la fonction finalement ingrate de présidente, particulièrement en période de crise.

§ La désarticulation entre culture du pays d'accueil et la culture d'origine

Elle va se traduire par une appropriation insuffisante des outils et méthodes modernes de gestion et de management des organisations associatives, les modèles culturels du groupe d'origine (qui s'appuient sur la force du consensus, l'adhésion aux positions du chef en dépit des résistances souvent larvées) ayant tendance à prendre le pas sur la culture démocratique (la force de la majorité, la légitimité populaire, la transparence dans la gestion&) que prône le code juridique appliqué au management des associations en France.

Témoignage d'un membre d'un collectif d'associations issues d'un pays africain et qui illustre à suffisance le tiraillement permanent des migrants africains entre références à la culture d'origine et la culture du pays d'accueil, selon les situations et les contraintes :

« Nous avons toujours été une société basée sur l'unité. C'est-à-dire que lorsqu'on a un problème, on ne le règle pas tout seul dans son coin. Donc chaque membre vient et chacun discute. Au milieu, il y a ce qu'on appelle le chef du village, apparenté ici à un juge, et qui va donner tort ou raison à untel. Et lorsque le verdict tombe, personne ne le discute. Cela veut dire que l'autorité est installée. Or, aujourd'hui dans notre association, il y a un problème qui se pose. C'est que le chef n'a plus le rôle de juge. Il devient décisionnaire et a tendance à tout imposer. C'est lui dicte l'objectif à atteindre. Or, pour pouvoir définir un objectif, il faut où toi-même tu veux aller. Si c'est pour faire des soirées, nous on n'a pas besoin de chef pour faire les soirées(...) Notre association est une structure démocratique dans les textes mais pas dans la culture, parce que c'est la culture qui détermine l'être humain. Si l'être humain ne se reconnait pas dans sa culture et ne voit pas sa culture exprimée dans ce qu'il met en place, il est complètement en déphasage. Et c'est ce qui amène les guerres intestines. Donc la manière dont notre association est structurée ne correspond pas à notre culture. Parce que dans notre culture, on a le respect du chef. La manière dont nous avons parlé du chef la dernière fois [contestation des positions du président à propos d'une stratégie partenariale à engager avec des structures non migrantes], on n'aurait pas pu ».

Et cet autre président d'association, dépité, qui regrette que la personnalisation à outrance de la question du pouvoir, choisie ou subie, affecte des enjeux importants :

« C'est peut-être aussi un problème démocratique. Se dire que si nous mettons aujourd'hui telle ou telle personne à tel poste, c'est des mandats, 3 ans par exemple, puis on renouvelle une fois. C'est aussi important d'expérimenter d'autres personnes puis de faire en sorte qu'il y ait d'autres personnes qui prennent des responsabilités et qui se forment pour les prendre. Donc il y a ce travail qui à mon avis n'est pas suffisamment fait parce que cela relève du long terme bien entendu, du renforcement des compétences, des capacités. Mais on reste très souvent englué dans le quotidien, le montage des projets, la course aux moyens pour réaliser ces projets. Et on perd de vue finalement que chaque action que nous posons, nous devons la mettre en perspective avec les objectifs. Il y a ce décalage, ce déphasage, cette césure qui pose problème. C'est pareil aussi dans le domaine du développement. Les prêts, on finit par les considérer comme une fin en soi. Alors que pour moi, c'est des étapes, des moyens... »

§ Le conflit entre les générations au sein des associations

La difficile communication entre les <(anciens et les jeunes » est une des manifestations éloquentes du <(choc des cultures » à l'Suvre dans les organisations associatives. Faisons parler cet acteur associatif qui rend bien compte de cette tension :

« Il y a dans nos associations, un problème de génération; la génération qui est la mienne [trentenaire] n'est pas celle du président. Si tu veux, lui, sur certains points, il va avoir une position pas très souple, rigide, fermée. Moi je vais être plus souple. Je vais lui dire 'tu as tort''. Or, dire cela au président, chez nous ça ne se fait pas. Ce n'est pas dans ma culture. Mais la culture occidentale veut que je dise à mon président tu as tort. Ce qui a fait que j'ai puy lui dire ça, c'est que j'ai été formaté. Je suis en

126

France depuis 23 ans. J'en ai aujourd'hui 38. Mais celui qui n'a pas été formaté comme moi, qui est par exemple arrivé depuis 5 ou 10 ans, lui il ne va jamais comprendre pourquoi un 'petit'', parce que je suis un 'petit'', lui dit Non ! ».

Cette attitude est confirmée par un autre responsable d'association qui estime que : « Il y a cette difficulté de passer de l'implicite à l'explicite. Une difficulté à trouver les moyens ou les mots pour dire les choses à un aîné, à une femme, à un jeune, de façon respectueuse, en lui faisant comprendre que ce n'est pas contre sa personne mais pour viser l'objectif que nous nous sommes collectivement fixés»

§ Les rapports hommes/femmes sont aussi en question

Une responsable d'association nous faisait ainsi remarquer que dans l'essentiel des organisations des migrants dans le Rhône, peu étaient les responsables femmes à la tête des associations mixtes, y compris des collectifs. Sexisme ou non-intérêt ou non-disponibilité des femmes pour ces postes à responsabilité? Une enquête plus approfondie permettrait d'en savoir un peu plus. Nous n'avons pas porté l'investigation plus loin sur ce champ-là, faute d'interlocutrices et de temps.

§ Le contrôle de l'information comme facteur de renforcement des positions dominantes

Selon Kamel Béji et Anaïs Pellerin soulignent que « la recherche d'informations pertinentes dépend: de l'accessibilité à l'information, de l'engagement et la volonté du détenteur de l'information de la diffuser et de la confiance accordée à l'informateur »164. Or, au vu du comportement des migrants, en règle générale, qui consiste à recourir plus souvent aux informations provenant du réseau ou du lien auquel ils ont le plus confiance, le réseau communautaire, la détention et la rétention de l'information devient un attribut du pouvoir, comme en ont témoigné nombre de nos répondants et parfois source de conflits entre le détenteur et les autres. Les informations pouvant être diffusées au compte-gouttes, partielles, avec des biais ou pas du tout selon les ressources en jeu. Parce qu'au sein d'un réseau les informations accumulées peuvent être convergentes, complémentaires, divergentes ou contradictoires, des théoriciens des réseaux sociaux tels Ronald Burt (1992) suggèrent de «bâtir des ponts entre les différents réseaux permettrait pour les nouveaux arrivants d'accéder à une information de meilleure qualité et de réduire les possibilités d'émergence de biais informationnels »165. En d'autres termes, les migrants récents en recherche d'emploi gagneraient à recourir à différents réseaux, ce qui permettrait d'accéder à plus d'informations pertinentes et utiles à l'intégration dans l'emploi, même si cette multiplication des réseaux ne va pas sans un risque de biais informationnels, c'est-à-dire « l'écart entre deux informations provenant de sources différentes, soit entre l'information reçue et l'information pertinente »166.

§ La politisation latente des groupes associatifs des migrants participe aussi de cette

démobilisation

Par politisation, nous entendons le processus par lequel pour des raisons d'intérêts personnels ou collectifs manifestes ou occultes des acteurs d'une organisation associative vont prendre position sur des questions liées à la confrontation politique entre professionnels de la politique dans le pays d'origine avec lequel l'association reste très en lien et/ou dans le pays d'accueil. L'engagement politique en faveur de tel ou de tel groupe, notamment en situation électorale, peut être pourvoyeur de ressources ou en tout cas faciliter l'accès à celles-ci dès lors que les acteurs politiques soutenus, officiellement ou de manière voilée, arrivent aux affaires, généralement à la tête des

164 « Intégration socioprofessionnelle des immigrants récents au Québec : le rôle de l'information et des réseaux sociaux», 2010, idem.

165 Ronald Burt, "Structural Hole: The Social Structure of Competition', Cambridge, Massachusetts: Harvard University Press, 1992.

166 Kamel Béji, Anaïs Pellerin, idem.

127

instances administratives qui octroient les subventions (Mairie, communautés de communes, conseil général, conseil régional, etc.). Témoignage d'un acteur associatif africain :

« Effectivement, ça c'est réel hein, même si on est apolitique, on va forcément côtoyer des gens qui sont politiques. Parce que quand tu organises un forum, une conférence d'envergure et que tu présentes un dossier de subventions, il y a des politiques qui sont en face, ce sont des élus qui vont lire ton dossier ou en tout cas une partie et qui vont prendre la décision. Même s'ils ne lisent pas tout ton dossier, ils vont prendre la décision de t'accorder la subvention ou pas. Dans ce cas-là effectivement, il y a la politique qui intervient(...) Mais ça ne nous empêche pas de chercher d'autres subventions ou de réaliser ces activités qui nous tiennent à coeur par d'autres moyens; Par les cotisations des bénévoles, nous on réalise ces projets... ».

Toutefois, de manière générale, les responsables d'organisations dites apolitiques se méfient de l'engagement partisan au sens de la politique politicienne:

« Les politiques ici, on connait leur capacité d'instrumentalisation. Ils veulent des adhérents, s'afficher :''nous on est avec ceux-là... etc... .etc.'' Afficher nos convictions c'est important. Mais ce qui est malheureux, c'est encore cette tentative de coloration pour bien se faire voir. Moi je dis qu'il faut absolument éviter cette instrumentalisation-là. Nous sommes ici pour réfléchir. » .

D'autres en appellent carrément à un apolitisme radical et s'en explique:

« Le fait d'être apolitique c'est pour que tout le monde se retrouve autour d'une table, bossent sur un projet....Faire sa journée culturelle, faire son forum, sans parler de politique. Parce que si tu parles...disons tu es de tel ou tel parti, ça va froisser les gens. Il ne faut pas parler de politique. Notre objectif n'est pas de faire de la politique. Par contre s'il y a une information qui concerne par exemple les élections , le vote des ressortissants de notre pays ici, c'est une information à passer qui n'est pas politique mais qui est un devoir...s'il faut passer par l'association pour donner ces informations sans prendre parti, on les donne...Après , au niveau du vote, chaque adhérent vote pour qui il veut. Voilà! Nous on ne parle pas de politique au sens de la politique politicienne. Notre objectif n'est pas du tout ça ».

C'est le signe que certains responsables associatifs restent, en dépit des sollicitations de politiques, tout à fait lucides quant à la nécessité de prendre part au débat politique au sens de l'art de gérer la cité, du diagnostic, de l'analyse et la gestion des questions sociales ou sociétales. L'articulation Migration et Intégration en est. Telle est en tout cas la conviction de ce responsable associatif pour qui la résolution de tentation du politique n'est possible que:

« ...dans la mesure où on est capable de se poser des questions de confiance, de l'équilibre entre intérêts personnels et intérêt général, de la capacité à résister pour ne pas se laisser instrumentaliser. Être au clair pour ne pas se laisser solliciter par les politiques ici , y compris les politiques de nos pays, comme ces associations qui sont purement et simplement des relais ici de partis politiques locaux. Il faut rester vigilant ».

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry