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Le migrant africain du grand- Lyon. L'" agir " social et économique à  construire. Enjeux, discours d'acteurs, pratiques, stratégies et cadres d'intégration, de mobilisation et valorisation des compétences des migrants sub- sahariens de l'agglomération lyonnaise

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par Issopha NSANGOU
Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne  - Master 2 Pro en ingénierie du développement social  2012
  

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3.2. Les causes attitudinales et le poids des préjugés

§ La crise de confiance mutuelle et la non-reconnaissance de l'expertise des subsahariens par la

« clientèle africaine »

La valorisation des compétences des migrants est un axe que privilégient de nombreux acteurs par la promotion de la cartographie de ces compétences, leur mise en relation, leur mise en relief et leur mise à contribution dans les actions de développement là-bas et d'intégration ici. C'est une démarche d'autant plus impérative que les migrants ayant développé une expertise dans un domaine particulier souffre parfois d'une double exclusion:

- la non-reconnaissance de leur expertise par la communauté nationale des experts et qui se manifestent par une sollicitation fort marginale des subsahariens de France dans les actions de coopération avec les pays africains, ce fait ayant été confirmé par des associations de français engagées dans le champ de la solidarité internationale notamment avec le Mali.

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- La non-reconnaissance par les migrants subsahariens eux-mêmes qui auraient, de l'avis de certains de nos répondants, un a priori négatif de l'expertise africaine. Pour des raisons qui sont difficilement cernables tant elles relèvent des croyances propres à chacun. Ce déficit de confiance entre membres qui sévit au sein de la communauté associative subsaharienne se nourrit du préjugé que « le goût du travail bien fait est l'apanage du Blanc », un préjugé tenace, stigmate psychoculturels des années de colonisation mentale et qui est aussi à la base de la fragilisation des réseaux d'acteurs associatifs migrants.

Cette situation selon certains responsables d'associations conduit ainsi nombre d'organisations de migrants à ne pas recourir aux savoir-faire et services des cabinets d'études par exemple (quand il en existe) administrés par des migrants, car ceux-ci sont pré-jugés pas assez rigoureux ni compétentes dans leurs démarches d'accompagnement, ni ponctuels ni discrets. Cela relève-t-il de la jalousie entre experts d'origine africaine livrés à une concurrence farouche dans un microcosme de modeste taille (tout le monde se connait dans le Grand Lyon) comme justifiait un de nos enquêtés? Du manque d'ouverture et donc de la méconnaissance des capacités techniques et opérationnelles avérées entre experts? Difficile à dire tant les avis sur la question divergent.

Un médecin africain officiant dans un grand hôpital de l'agglomération lyonnaise et interviewé nous confiait ainsi que les patients immigrés qui prenaient rendez-vous avec son service préféraient consulter les médecins « blancs » et «français ». Principale raison évoquée, réelle ou supposée: les Subsahariens ne seraient pas assez discrets et ne respecteraient assez le secret médical des patients. Le thérapeute interviewé évidemment s'en est défendu et a insisté sur l'importance de la réputation, de l'image, de la présentation de soi, du paraître chez l'Africain corrélée à la crainte de l'opprobre sociale. Aussi, peu de patients migrants de cet hôpital, venant consulter pour les tests de SIDA par exemple, éviteraient soigneusement les médecins subsahariens. Cet évitement est manifeste lors des salons locaux de la solidarité nationale ou internationale où l'association de prévention et de lutte contre le SIDA et les infections hépatiques que co-préside notre enquêté tient souvent un stand de sensibilisation avec distribution des moyens de protection (préservatifs notamment). Une situation qui rend difficile le travail d'information et de prévention contre les Maladies sexuellement transmissibles (MST) de cette association au sein de la communauté subsaharienne, nous confiait son co-président. L'adhésion à un réseau national d'acteurs associatifs et institutionnels de lutte contre les MST répond sans doute au besoin d'approcher par d'autres moyens cette communauté, au travers des campagnes de sensibilisation de l'association nationale AIDES, un de ses plus importants partenaires.

Au total, la crise de confiance entre subsahariens affecte fortement la volonté de travailler ensemble y compris au sein d'une même communauté ethnique et occasionne une déperdition d'énergies et de compétences préjudiciable aux initiatives des migrants.

§ Cette crise de confiance s'accompagne du déficit de la culture du contrat, du respect de la parole

donnée

Ce qui pose la question de l'inscription des acteurs dans un double cadre de référence culturel qui suppose de prendre en compte autant les valeurs de la culture d'origine et celles de la société de résidence. Un des responsables associatifs rencontrés a fort bien résumé cette dialectique entre le contrat écrit moderne et la force de la parole donnée des sociétés africaines :

« Quand on donne sa parole, c'est très africain. La parole c'était le lieu de l'engagement. Elle était lourde de sens et elle était habitée. Il faut les deux. Il faut ma parole et le contrat. Le contrat renforce davantage cet engagement mutuel. Et la modernité de l'Afrique c'est de montrer que la parole, l'engagement, le poids que l'on donne à la parole c'est moderne, c'est d'aujourd'hui. Et que lorsque les contrats capotent, c'est tout simplement parce qu'elles étaient basées seulement sur le papier. Et qu'on n'avait pas travaillé suffisamment sur la dimension confiance, communication, relation&. ».

Une confiance déficitaire, comme on l'a vu, du fait des pré-jugements qui affectent les rapports acteurs sociaux de la même communauté panafricaine:

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« ...tout à fait! Et c'est là que quand je parle de passeur de culture, c'est de dire :''qu'est-ce qu'il y a de bon dans le papier qu'on signe ~', 'qu'est-ce que ça implique ?'', 'qu'est-ce que cela représente ? ~' . Je dirais que quand on est biculturel ou multiculturel et qu'on le vit comme une richesse et comme une ouverture, comme un renforcement, à ce moment-là on essaie de capter, de se passer le meilleur de toutes les cultures en disant que ça permet de mieux être soi-même et de mieux être ensemble les uns les autres(...) C'est là aussi que les associations à travers les réseaux et les collectifs peuvent permettre des avancées, l'acquisition de cette culture de la parole donnée et du contrat. Il y a des manquements sur les deux plans: africain et européen. Le fait que quand on est un collectif on a un souci de se donner des règles».

§ Une insuffisante incorporation des règles du code des associations en France, des codes, des

règles de fonctionnement, et des outils modernes de management des organisations associatives

Cette situation a conduit à des situations telles que l'incurie dans la gestion des fonds de l'association, la personnification de l'association souvent par le créateur, les blocages statutaires consécutifs à une interprétation à géométrie variable des dispositions des statuts et du règlement intérieur. La quasi-totalité des responsables associatifs interviewés ont déploré cet état de fait, sans jamais se mettre en cause eux-mêmes. Nous avons toutefois donné la parole à des membres simples de certaines associations qui nous ont fait part d'une liberté d'interprétation des dispositions des statuts de l'association selon la position au sein de l'organisation et selon la génération des acteurs concernés. Une des raisons du conflit de génération évoqué plus haut réside dans la difficile cohabitation des règles de la démocratie à l'occidentale et les règles coutumières de gestion des groupes et règlement des litiges. La jeune génération estimant que les anciens s'arcboutent sur le sacro-saint principe du droit d'aînesse pour ne pas avoir à engager l'association vers des actions plus progressistes, des actions d'ouverture par exemple; les anciens estimant que les jeunes manquent de plus en plus de respect aux aînés et aux valeurs traditionnelles de la communauté d'origine.

D'où les préconisations qu'ont émis certains de nos répondants de promouvoir au sein des associations subsahariennes la culture de l'évaluation mais aussi de la critique positive qui permettent de progresser vers le mieux-faire. C'est le cas de ce responsable associatif pour qui, en plus de la restauration de la culture de confiance, du respect du contrat et de la parole donnée, des vertus du débat contradictoire, il faut aussi :

« (...) une culture de l'évaluation et faire une pédagogie afin de faire comprendre que ce n'est pas un contrôle; la faire de façon positive. Il y a des gens qui voient souvent l'évaluation comme un contrôle ou une sanction mais il faut montrer l'évaluation dans son aspect positif et contributif à l'évolution, au progrès. On évalue pour progresser. Il faut intégrer ça ».

Cela dit, les conséquences logiques de la crise multiforme de confiance entre subsahariens sont nombreuses :

§ Le délitement du lien communautaire

L'expérience migratoire qui fonde ou renforce le lien communautaire peut, à certains égards, en provoquer son affaiblissement. Cela tient à la qualité et à la force des relations qu'entretiennent les acteurs au sein d'un réseau. Une qualité qui se déprécie au vu des clôtures communautaires qui persistent entre groupes diasporiques, ou des tensions qui agitent jusqu'aux micro-communautés qui jouissent habituellement d'un a priori positif pourtant trompeur. Nous avons ainsi assisté à de vives tensions entre membres de bureau d'un collectif d'associations de migrants d'origine ouest-africaine, migrants perçus de l'extérieur comme une communauté harmonieuse et très intégrée à l'image de la stabilité socio-politique du pays d'origine. La réalité en interne est évidemment tout autre.

D'aucuns ont mis cet affaiblissement du lien communautaire et le primat des individualités sur le compte de la guerre que se livrent groupes et individus pour la captation des ressources et d'autres l'expliquent par une identité culturelle qui se perd au contact de la culture du pays d'accueil et qui justifierait les sursauts panafricanistes visant à se prémunir contre toute tentation assimilationniste. C'est le discours et l'idéal de reconquête identitaire que revendique le collectif Africa 50.

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§ La démobilisation des adhérents et la faiblesse du bénévolat

Ce sont aussi une des caractéristiques des associations subsahariennes du Grand Lyon. Peu de disponibilité des bénévoles happés par les urgences et les charges professionnelles et familiales de la vie quotidienne ou ne voyant pas d'intérêt ou de gain direct à leur engagement. Conjugués à cela les facteurs démobilisateurs soulignés plus haut, la faiblesse du bénévolat associatif subsaharien est une conséquence directe du lien communautaire qui se délite et de la prééminence des intérêts particularistes sur l'intérêt général qui se perd, nous ont confié, amers un répondant sur deux. Nous avons d'ailleurs noté dans la même veine un engagement très marginal des retraités qualifiés ou semi-qualifiés et les migrants âgés de manière générale dans les activités bénévoles des associations de développement solidaire et d'insertion en France, là où la situation dans les associations françaises est différente , avec une très forte implication des retraités ou personnes âgées dans la vie associative. Différences de culture ? Est-ce le fait de facteurs purement conjoncturels liés à la situation matérielle, familiale et socioprofessionnelle personnelle des migrants concernés? Nous n'avons pas eu l'occasion de rencontrer individuellement les migrants âgés pour nous enquérir des causes de cette attitude.

§ La notion de l'africanité des migrants d'origine subsaharienne en France et dans le Grand Lyon

est elle-même en question

En effet, le délitement de ce lien communautaire trouve aussi explication dans la façon dont chacun vit son « africanité » et la reconstitution de l'idéal culturel africain par sa promotion dans le département du Rhône. L'africanité ici diffère selon les générations, les projets migratoires, les groupes communautaires, la situation socio-politique des pays de départ, le degré de mixité interculturelle des alliances familiales, etc.

L'africanité, dans notre entendement, c'est le sentiment d'appartenance d'une personne à un groupe d'individus liés «culturellement » par un ensemble de manières, conscientes ou non, de faire, d'agir, de sentir, d'être à soi et au monde, de penser, par la similitude des invariants liés aux us et coutumes des groupes ethniques et qui transcendent les frontières politiques et linguistiques. Les individus constitutifs de ce groupe culturel sont originaires (directement ou par leur ascendance immédiate) de l'Afrique subsaharienne. Ils sont conduits, volontairement ou non, à cohabiter plus ou moins pacifiquement, puis à construire et partager une vision, mieux, un regard endogène sur le monde, une philosophie de l'être et de la vie, et une relation à l'Autre influencée par moult facteurs.

L'africanité tient aussi au partage d'une mémoire commune construite autour des traumatismes et expériences douloureuses liés à la Traite négrière, l'esclavage, la colonisation, la participation de la «force noire » à l'effort des deux guerres mondiales et ses répercussions multiples sur les soldats africains et leurs descendants , les problématiques actuelles des économies en déliquescence , des situations d'anomies socio-politiques et de profonde crise des valeurs morales , sociales et sociétales , de l'élargissement du fossé entre les élites politiques et le peuple; des phénomènes qui drainent des transformations permanentes et en profondeur des sociétés africaines contemporaines et des personnalités individuelles.

Un essai de définition loin d'être parfait mais qui ne doit cependant pas minorer l'idée qu'au-delà de ses caractéristiques «objectives », l'africanité est avant tout une affaire de perception et d'appréciation personnelles, une notion à géométrie variable qui, par les manoeuvres de l'Histoire , mute avec le temps, avec les gens , avec l'espace et les mouvements migratoires des populations, les réalités et conditions historiques propres à chacun selon ses origines, ses trajectoires de vie et son projet migratoire personnel167. L'africanité varie donc, c'est une dynamique, une dialectique, un état en mouvement, qui enfle ou désenfle selon les contextes.

167 C'est typiquement le cas des migrants âgés tiraillés entre le désir du retour dans le pays d'origine et la prolongation du séjour dans la société d'accueil.

Les subsahariens du Grand Lyon n'échappent pas à cette observation. Les acteurs entendus au cours de l'enquête ayant déploré le délitement de ce sentiment communautaire en dénonçant le primat des intérêts particularistes des uns et des autres sur l'intérêt général, le peu d'ouverture de certains acteurs associatifs à la culture démocratique de la société d'accueil, la tentation et la personnalisation à outrance du pouvoir au sein de quelques organisations, le manque de rigueur dans la gestion de la chose commune et plus encore les disensus ethno-politiques qui fragilisent le mieux vivre ensemble au sein même de la communauté associative subsaharienne du Grand Lyon.

Débattre de cette problématique (et notamment de la substance que chaque rhodanien se reconnaissant dans une quelconque origine subsaharienne veut bien donner à ce concept) est d'autant plus essentielle qu'elle influe directement sur le vouloir-agir des acteurs, les motivations, l'implication des uns et des autres dans le renforcement des liens communautaires, au sein et en dehors des associations et la réalisation des actions collectives de développement économique et social au bénéfice de l'ensemble des migrants et des non-migrants. Refermons cette section avec cette analyse ô combien pertinente du journaliste et sociologue Ndongo Mbaye:

« Une première réalité s'impose de manière flagrante: (l'africanité) est seule. Que véhiculent les concepts (si tant est qu'ils existent?) d'européanité, d'américanité, d'asiaticité, d'océanité ? Rien. Ou en tout cas rien de palpable tant dans une dimension et une perspective historique, sociologique, économique que culturelle et politique. Dès lors, l'africanité ne serait-elle pas une sorte de monstre du Loch Ness, d'Arlésienne dont on parle, mais que personne n'a jamais vu ? N'est-elle pas une simple commodité lexicale dont la signification chercherait en vain son sens ? Et à supposer même qu'elle existe, il faudrait poser les fondements de la réalité de sa représentation et de son autoreprésentation (&) Étant entendu que la vision de l'Africain sur son ~'Africanité'' (supposée ou présupposée) ne sera sûrement jamais la même que celle dont on l'affuble, aussi riches et scintillants qu'en soient les oripeaux. Que peut signifier ~'africanité'' pour les paysans de l'Afrique profonde, pour les éleveurs des contreforts du Fouta-Djalon, pour le commerçant dioula, pour le pêcheur Lebou ou pour le Dogon ? Parlez-lui de valeurs et de traditions africaines eu égard à son ethnie, à sa tribu, à son aire de vie, à son cercle d'us et coutumes: il vous comprendra mieux. »168

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"