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Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme

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par Yann Kergunteuil
Université catholique de Lyon - Master 2 2006
  

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- Deuxième Partie -

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LES REPERCUSSIONS DE L'ONTOLOGIE NOMINALISTE

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CHAPITRE 1 :

NAISSANCE DE LA MODERNITE JURIDIQUE

L'ontologie nominaliste présente au Moyen Age une vision de l'humanité inconnue de l'Antiquité, et préfigurant l'individu moderne occidental : bien que métaphysiquement isolé, tout être est complet, puisqu'il n'a d'autre modèle que sa propre essence dont l'unité est assurée par un Dieu tout-puissant. Que les relations n'aient aucune réalité n'implique pas pour autant que les individus soient seuls. Dieu fait face à tous les êtres singuliers, ce qui assure à chacun l'expérience d'une altérité radicale le transcendant. Pour quelques siècles encore, la valeur suprême aux yeux de l'individu est le divin, non lui-même.

La métaphysique ockhamienne apparaît dans l'histoire de la pensée comme un passage. Le Moyen Age est d'ailleurs souvent considéré comme une époque de transition entre deux mondes, ambivalence que l'on retrouve dans les écrits d'Ockham, aussi soucieux de dépasser les incohérences de son temps que de s'inscrire dans la continuité de ses prédécesseurs illustres. Ceci explique que les liens établis entre l'ontologie nominaliste et les droits de l'homme soient indirects, théoriques.

A. La naissance du droit subjectif

Il est possible d'expliquer le désintérêt d'Ockham pour les questions pratiques et temporelles par les particularités de sa condition. Les franciscains dédaignaient les problèmes politiques, les considérant de valeur bien moindre que les questions religieuses. Durant la première partie de sa vie, Ockham limite donc la portée de son rasoir aux débats métaphysiques concernant la nature des substances, de la relation et de Dieu. Vers 1320 en revanche, des évènements historiques le poussent à s'intéresser aux débats juridiques. L'histoire le contraint à déployer les conséquences juridiques de son ontologie.

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1. La querelle de la pauvreté

Suite à l'élection du pape Jean XXII, de vives tensions apparaissent entre l'ordre de saint François et le Saint- Siège. Soucieux de vivre dans une pauvreté absolue pour rester fidèles aux principes de leur fondateur, les franciscains affirment avoir un simple usage sans être pour autant propriétaire des biens dont ils jouissent au quotidien. L'Eglise avait au XIIIe siècle soutenu cette approche en acceptant, dans un premier temps, que la propriété soit attribuée à des « amis spirituels » (bienfaiteurs laïcs), avant de prendre finalement elle-même ces biens en charge et d'en devenir propriétaire1. Ceci revenait à dissocier pour tout objet trois genres de propriétés : l'usus (acte même d'user), l'usufructus (droit sur les fruits), et la proprietas (droit permanent sur la substance même de la chose). L'Eglise était à proprement parler seule propriétaire des biens et de leurs fruits, dont les franciscains n'avaient que l'usage. La vie des moines s'accordait donc aux principes établis en 1221 par saint François :

« La règle de vie des frères est la suivante: vivre dans l'obéissance, dans la chasteté et sans aucun bien qui leur appartienne; et suivre la doctrine et les traces de notre Seigneur Jésus-Christ qui a dit : « Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu as et donnes-en le prix aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis-moi »2 ».

En dénonçant cette construction qui n'était à ses yeux qu'une fiction juridique sans cohérence, Jean XXII exigeait de l'Ordre qu'il accède à la propriété, ce qui signifiait pour certains le renoncement au franciscanisme même. En réaction, les frères les plus radicaux s'allièrent au sein du courant des « spirituels ». La querelle de la pauvreté commençait.

La vie d'Ockham bascule en 1324, année de sa convocation en Avignon pour s'expliquer de certaines de ses positions théologiques et gnoséologiques. Prenant connaissance de la bulle Quia quorundam3, il entre en dissidence contre Jean XXII et rallie progressivement les spirituels en se rapprochant du juriste Bonagrazia et de Michel de Césène, ministre général de l'Ordre. A la

1 Grégoire IX énonce que les franciscains ont l'usage, non la propriété des biens dont ils jouissent (bulle Quo elongati - 1230). De même, ils ont pour Innocent IV l'usage (usus) de biens dont le dominium relève en réalité de l'Eglise (« in jus et proprietatem Baeti Petri », bulle Ordinem Vestrum - 1245). Leurs successeurs ne les contredisent pas : Alexandre IV reconnaît le bien fondé de cette théorie (bulle Virtute conspicuos - 1258), Nicolas III rappelle que les franciscains n'ont que le simplex usus facti des biens qu'ils utilisent, la proprietas revenant à l'Eglise romaine (bulle Exiit qui seminat - 1279).

2 Saint François, Première Règle des frères mineurs, 1 § 1 et 2. Il est possible de consulter l'ensemble de ses écrits à l'adresse : http://www.livres-mystiques.com/partietextes/Fdassise/table.html

3 Cette bulle du 10 novembre 1324 affirme d'une part qu'il est hérétique de soutenir que le Christ n'avait aucun droit sur les choses dont il usait, d'autre part que l'intention des papes précédents n'était pas de séparer la propriété de l'usage de fait, mais uniquement d'attribuer à l'Ordre sa part juste de biens. Les moines étaient donc individuellement propriétaires des biens dont ils jouissaient. Elle fait suite à la bulle Ad conditorem canonum du 2 décembre 1322, où Jean XXII dénonce la doctrine franciscaine de la propriété en matière de choses consumptibles, ainsi que la bulle Cum inter nonnullos, du 12 novembre 1323.

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demande de ses frères, il étudie dans le détail les textes condamnant les thèses franciscaines afin, espère-t-il, de convaincre Jean XXII d'hérésie. Sa colère, et même sa haine envers la papauté croissent au cours des quatre années durant lesquels il est contraint de rester auprès du pape. En 1328, il s'enfuit d'Avignon et se réfugie avec Michel de Césène à la cour de Louis de Bavière. Ce dernier, aux portes de l'Italie depuis 1324, n'avait pas vu son élection reconnue par le pape dont il était le premier ennemi. Les spirituels voyaient en l'empereur un allié de circonstance : à la condition qu'il le défende par l'épée, Ockham le défendrait par la plume1.

L'existence de l'Ordre étant en jeu, les frères mineurs sont contraints de plonger au coeur de débats juridiques extrêmement pointus. Juriste de formation, Jean XXII les attaquait sur un terrain qui n'est pas le leur. Pour continuer à vivre hors du droit, préservés de la propriété qu'ils méprisaient, les moines devraient être capables de justifier juridiquement de la cohérence des bulles du siècle passé. Conscients de ses talents de logicien et de son génie argumentatif, c'est à Ockham que ses frères confient cette tâche. Ses choix l'avaient fait théologien, les circonstances le font juriste.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius