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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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SECOND TITRE - UN DROIT D'ALERTE RISQUÉ

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À l'issu d'une divulgation interne ou externe, le lanceur d'alerte se place en position infractionnelle vis-à-vis de son supérieur hiérarchique ou son institution. Se pose, dès lors, la problématique pour lui d'exercer sa liberté d'expression, de diffuser les informations qu'il détient, et ce sans craindre de représailles ou de poursuites.

Après l'étude d'un droit d'alerte étriqué et des formes de divulgation encadrées, il faut analyser les accusations avancées contre les lanceurs d'alerte et les armes dont ils disposent pour se défendre.

La répression des lanceurs d'alerte sera appréhendée à l'aune du droit pénal (Section 1) et du droit pénal de la presse (Section 2).

Section 1 Ð La pénalisation en réponse à l'insurrection des consciences

En réponse à la dénonciation, de multiples infractions au droit pénal sont opposées aux lanceurs d'alerte (Paragraphe I), entraînant ces dernières années de récurrentes condamnations. Pourtant des mesures de protection accessibles et sécurisantes n'ont pas été mises en oeuvre (Paragraphe II).

I Ð Des poursuites persistantes

C'est par des infractions précises au Code pénal que les poursuites sont régulièrement diligentées251 (A). À l'inverse, les moyens de défense dont disposent les lanceurs d'alerte sont aléatoires, variables et hésitants (B).

A Ð Un droit pénal mobilisé contre les lanceurs d'alerte

Les infractions de violation du secret, vol et recel sont principalement utilisées (1). La dénonciation calomnieuse est également employée (2).

251 Que les lanceurs d'alerte aient effectué un signalement interne (administratif ou judiciaire) ou externe (médiatique).

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1 - La violation, le vol et le recel du secret : terreau fertile des poursuites

Le secret professionnel et sa violation sont mentionnés à l'article 26 de la loi de 1983 pour les agents publics et, de manière générale, à l'article 226-13 du Code pénal252.

Selon Gilles Devers « la protection du secret est marquée par cette spécificité que c'est la seule règle professionnelle directement définie par la loi pénale, et dans des termes inchangés depuis la première rédaction du Code pénal en 1808 »253. L'article 226-13 du Code pénal s'applique au confident nécessaire254. Le délit de violation du secret suppose qu'une personne tenue au secret révèle des informations ou transmette des documents couverts par le secret, à des personnes n'ayant pas qualité pour les recevoir, et ce, en toute connaissance de cause.

Deux conditions préalables sont requises pour la mise en oeuvre de cette incrimination : une information à caractère secret, dont le secret a été recueilli à titre professionnel. L'article 22613 du Code pénal ne propose aucune définition des informations couvertes par le secret professionnel et le caractère secret de l'information. Mais la jurisprudence Watelet255 a déterminé de façon constante que les informations soumises au secret sont « tout ce qui aura été appris, compris, connu ou deviné à l'occasion de l'exercice professionnel ». Cela concerne, donc, toutes les informations à caractère privé et industriel.

L'élément matériel de l'infraction est caractérisé par la révélation du secret. La Cour de cassation interprète cet élément de manière large256. Néanmoins, elle exige que la personne ayant reçu la révélation soit un tiers à la relation professionnelle. Le lanceur d'alerte, qui a divulgué à la presse ou à certaines autorités non habilitées, satisfait à cette exigence.

La connaissance du caractère secret et la révélation volontaire de celui-ci sont requises pour caractériser l'élément moral. Très tôt, la Cour de cassation a tranché en faveur d'une condamnation même en l'absence d'un préjudice découlant de la révélation (Cass, crim, 19 décembre 1885, arrêt Watelet). Ainsi, les lanceurs d'alerte seront condamnés même si leurs révélations ne suscitent aucun dommage pour l'entreprise ou l'institution.

Par ses éléments, l'article réprime fréquemment les lanceurs d'alerte pour manquement à leur obligation de secret professionnel257.

252 Art. 226-13 du Code pénal : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

253 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 77-171

254 C'est-à-dire aux professionnels dont les missions supposent de connaître l'intimité du client ou sa vie privée.

255 Cass. crim, 19 décembre 1885, Watelet, Bull. crim. 1885, n°363 ; S. 1886, p. 86.

256 Par écrit, oral, etc.

257 Voir Titre II, Paragraphe I, B, 1

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Concernant le vol et le recel de vol, sans revenir sur les éléments constitutifs de ces infractions, il est important de revisiter certains paramètres.

Incriminé à l'article 311-1 du Code pénal, le vol est « la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui ». L'objet du vol doit d'une part, être une « chose » susceptible d'appropriation et, d'autre part, pouvoir être soustrait à son propriétaire. En principe, l'article 311-1 du Code pénal ne s'applique pas aux choses immatérielles. Dès lors, la question du vol d'informations a été posée. En effet, peut-on voler une information alors même que son propriétaire l'aurait toujours à sa disposition et n'en serait donc pas dépossédé ?

Cette question intellectuelle prend tout son sens lorsqu'à de maintes reprises des lanceurs d'alerte, ayant extrait et reproduit des données numériques, ont été poursuivis pour vol d'informations. Cette interrogation a fait l'objet d'une jurisprudence évolutive mais éparse.

Dans la jurisprudence Bourquin258, la Cour de cassation avait validé la condamnation d'un individu en employant le terme de « vol du contenu informationnel ». À de nombreuses reprises, la Cour était revenue sur sa position première 259.

Un arrêt datant de 2015 a enterré la discussion. En effet, dans sa jurisprudence Bluetouff, la Cour a estimé que l'informaticien avait « soustrait des données qu'il a utilisées sans le consentement de leur propriétaire ». Donc, la copie et l'exfiltration de données étaient assimilables à une soustraction pouvant être qualifiés de vol260.

Cette décision est arrivée quelques mois après que le législateur ait opéré une modification permettant la répression du vol d'informations. La loi du 13 novembre 2014 relative à la lutte contre le terrorisme (loi Cazeneuve)261 a modifié l'article 323-3 du Code pénal pour réprimer l'extraction, la détention, la reproduction ou encore la transmission frauduleuse de données issues d'un système informatique.

Arrivant après la bataille, l'arrêt Bluetouff présente-t-il un indiscutable intérêt ?

D'une certaine façon, puisque l'article 311-1 pourra servir de texte supplémentaire au cas où l'article spécifique de 323-3 ne trouverait à s'appliquer.

Dès lors, le lanceur d'alerte ne pourra contourner l'accusation de vol d'informations.

258 Cass, crim, 12 janvier 1989, n°87-82265, Bourquin, Bull crim 1989 n° 14, p. 38

259 Cass, crim, 4 mars 2008, n° 07-84.002 (inédit) : La Haute juridiction avait précisé que « n'encourt pas la cassation l'arrêt qui déclare les prévenus coupables, d'une part du vol d'un certain nombre de disquettes et d'autre part, du vol du contenu informationnel de certaines de ces disquettes, durant le temps nécessaire à la reproduction des informations ».

260 Cass, crim, 20 mai 2015, n° 14-81336, Bluetouff

261 Loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (Loi Cazeneuve), JO n°0263 du 14 novembre 2014, p. 19162

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En matière de recel de vol d'informations, c'est-à-dire le recel de choses dématérialisées, incorporelles, la question est identique. Le recel, infraction de conséquence, est réprimé à l'article 321-1 du Code pénal. Le recel peut être appréhendé sous deux formes. Le recel dit « classique » qui consiste dans le fait de dissimuler, de détenir ou transmettre la chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre et le recel dit « de profit » permettant de bénéficier, par tout moyen, du produit de l'infraction d'origine.

C'est par la notion de « profit » tirée de la chose d'origine délictueuse que le recel des choses incorporelles a pu être évalué.

En 1995, la Cour de cassation a exposé qu'« une information, quelle qu'en soit la nature ou l'origine, échappe à l'article 321-1 du Code pénal, et ne relèverait, si elle faisait l'objet d'une publication contestée, que des dispositions spécifiques à la liberté de la presse ou de la Communication audiovisuelle »262.

Elle énonce qu'il ne peut y avoir recel d'une information puisqu'une information n'est pas assimilable à une chose, objet du recel263. Néanmoins, elle précise que c'est la reproduction d'un document qui fonde la qualification de recel264 265, et non la publication des informations que celui-ci contient. Selon Reynald Ottenhof « Cette attitude nouvelle, qui tend à distinguer entre le support matériel (photocopies, fichiers, disquettes informatiques) et les informations elles-mêmes, laisse augurer de l'émergence d'un droit spécifique de l'information » 266 puisqu'une seule alternative est offerte aux journalistes ou lanceurs d'alerte qui diffusent : l'accusation de recel s'ils produisent les preuves ou de diffamation s'ils ne les produisent pas.

Le recel de l'infraction de violation professionnelle pourra être retenu dès lors qu'est constatée l'existence du délit de violation du secret professionnel en tous ses éléments.

Ainsi, si l'auteur tenu au secret (condition exigée pour la violation du secret professionnel) n'a pu être identifié ou sa qualité connue, la condition préalable n'est pas établie267. Le recel ne peut, donc, être retenu et le lanceur d'alerte poursuivi.

262 Cass, crim. 3 avril 1995, n° 93-81569, Canard Enchaîné, Bull. n°142 ; JCP. 1995. II- 22429

263 Les tribunaux restent toujours hésitants à condamner le recel d'informations, en particulier le recel ayant trait au téléchargement de fichiers (Crim. 9 juin 1999, Bull. crim. n°133) - M. VERON, « Le recel d'odeur des pastis ». Réflexion sur l'élément matériel du recel », Droit pénal, Chron.1, avril 1990

264 Cass, crim,19 juin 2001, n°99-85188, Bull crim 2001 n°149 p. 464 ; Cass, crim, 12 juin 2007, n°06-87361, Bull crim 2007, n° 157

265 C. L, « Recel de violation du secret professionnel : de la nécessité de caractériser la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en aurait été dépositaire », Dalloz-étudiant.fr, publié le 22 mars 2012 (consulté le 11 juin 2016)

266 R. OTTENHOF, « Recel, nature de l'infraction d'origine et nature de la chose recelée », Revue de Science criminelle, 1995, Editions Dalloz 2012, p.821

267 Cass, crim, 6 mars 2012, n° 11-80801, Bull crim 2012, n° 61 : la Cour de cassation a estimé « qu'en se prononçant ainsi, sans caractériser la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en aurait été dépositaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ».

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