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Les apprentissages entre pairs: construction d'une identité plurielle

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par Carine Amouriaux-Menou
Université Rennes 2-Haute Bretagne - Master 2 Education, apprentissage et Didactique. Département des Sciences de l'éducation 2013
  

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1.2.2 Les instituts de formation

Au cours de la formation en pédicurie-podologie, les acquisitions de compétences dans le domaine du soin sont construites sur des mises en situations pratiques et sur des

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bases théoriques. La théorie des soins concerne les connaissances des différentes pathologies relatives aux pieds (cors, ongles incarnés, verrues...). Des cours de Santé Publique relatif à la prise en charge de la personne âgée (la majorité de la patientèle en soin est une population de séniors, de plus de soixante ans) sont également dispensés aux étudiants en formation. Les situations pratiques s'effectuent dans le cadre de stages en présence de patients sur des sites hospitaliers (dans des services de gériatrie, de rééducation fonctionnelle, de diabétologie, de rhumatologie...), extrahospitaliers (maisons de retraite) mais également au sein même des instituts qui possèdent tous une clinique de soins. Les instituts de formation en pédicurie-podologie sont des lieux d'enseignement (salles de cours, amphithéâtres, salles de travaux pratiques, centres de documentations, salles informatiques...) mais également des lieux où l'on reçoit des patients : les personnes prennent des rendez-vous et sont prises en charge par les stagiaires pédicures-podologues. C'est aujourd'hui la particularité des centres de pédicurie-podologie qui, souvent, associés aux centres de formation en kinésithérapie et en ergothérapie, pour des facilités organisationnelles et financières (partage des salles de cours, des centres de documentation, du matériel informatique, mutualisation de certains cours, d'un centre administratif ...), sont, pour autant, la seule profession en rééducation à posséder une clinique de soins (à l'instar de la formation dentaire).

1.2.3 L'organisation de la pratique des étudiants

L'apprentissage du métier de pédicure-podologue est un processus qui met en relation des individus aux statuts différenciés : enseignants, patients et étudiants. Devenir un professionnel de la santé nécessite des enseignements spécifiques, techniques et théoriques pour une prise en charge thérapeutique.

Dans les apprentissages de l'acte de soin pédicural, tous les instituts ne procèdent pas comme dans l'institut où j'ai effectué mon observation. Là, les étudiants interviennent majoritairement en binôme auprès des patients : un étudiant de première année (P1) avec un étudiant de troisième année (P3) soignent en commun un seul patient à la fois. Les situations pratiques ont lieu à l'institut, deux à trois fois par semaine pour chacun des stagiaires, durant les trois années d'études nécessaires à l'obtention du diplôme d'État. Les étudiants choisissent leur binôme; l'unique contrainte consiste dans le fait que les groupes de personnes, deux ensembles de sept étudiants (sept étudiants en première année, sept étudiants en troisième année), sont définis par les formateurs

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pédicures-podologues responsables de l'organisation. Les roulements se font toutes les trois semaines; de fait, les binômes d'étudiants varient très régulièrement. A la fin de l'année, tous les étudiants de troisième année ont été en stage de soins avec la cohorte complète des étudiants de première année. Les étudiants sont donc fortement encouragés à travailler conjointement tout au long de leur formation.

La salle clinique de soins où j'ai effectué mes observations comporte douze postes de travail. Les étudiants sont en blouse blanche. Leur prénom et initiale de leur nom de famille sont indiqués sur le vêtement, ainsi que le logo de l'institut qui les forme. L'équipe pédagogique m'explique que le choix de mettre le prénom de l'étudiant sur la blouse tient à leur volonté de convivialité dans l'institut : les formateurs appellent les étudiants par leur prénom et les vouvoient ; les formateurs sont nommés par leur nom de famille et vouvoyés par les étudiants. Entre eux, les étudiants se tutoient, les formateurs également. Les formateurs portent des blouses bleues lorsqu'ils encadrent les stages pratiques, sur lesquelles est inscrit leur nom de famille ; la couleur bleue a été choisie afin de les différencier facilement des étudiants dans la salle de soin.

Les binômes ont un espace-temps défini par l'organisation de l'institut de formation pour effectuer les soins de pédicurie, d'environ une heure. Pendant cette heure, les étudiants travaillent ensemble, et plusieurs régulations dans la conduite du soin sont effectuées par un pédicure-podologue formateur présent dans la salle ; les consignes données par l'enseignant podologue portent sur l'acte technique et la prise en charge globale du patient (conseils, prescriptions). Celui-ci vérifie, à la fin de la séance, la pertinence des actes effectués et des diagnostics. Etant donné le nombre de binômes (pour chaque séance, sept à huit binômes travaillent en même temps dans une même salle), le formateur ne peut être derrière les groupes d'étudiants à chaque instant, ce qui fait que les étudiants doivent être relativement autonomes dans leurs pratiques pédicurales avec les patients.

Ce sont donc les étudiants qui conduisent leur activité en binôme : l'apprenant de troisième année a la responsabilité d'aider son jeune collègue qui effectue un soin, lui montre comment il coupe des ongles, place ses mains pour tenir un bistouri, conseille le patient... dans une situation interpersonnelle. Cela se pratique donc en complément de ce que peut dire, montrer, expliquer le formateur : il est le garant de la bonne conduite autour des actes techniques, de la prise en charge du patient et valide le travail effectué. L'acte de soins, dans ce contexte est par conséquent une situation qui

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met en jeu plusieurs individus, le patient, le formateur et les étudiants. Bien que l'un des stagiaires soit plus savant que l'autre, aucun signe extérieur ne les différencie.

Les étudiants de première année se trouvent dans le rôle d'accompagné, celui qui apprend d'un individu plus expérimenté qui n'a pas le statut d'enseignant, leurs collègues de troisième année celui d'accompagnateur, celui qui prend soin d'un plus jeune, moins expérimenté, qui apprend au plus novice. Ce fonctionnement suppose des relations interindividuelles dans lesquelles les étudiants coopèrent dans une situation pratique, le soin pédicural, en binôme. Les relations sont souvent asymétriques entre un individu plus averti et un individu qui l'est moins. J'utilise également le terme de tutorat dans ce cadre des apprentissages professionnels. Dans la lignée de l'approche développée par Lev Vygotsky1 et Jérôme Bruner2, il est ainsi considéré comme relevant d'un processus d'assistance de sujets plus expérimentés, les tuteurs, à l'égard de sujets moins expérimentés, les tutorés.

« Observer et évaluer les troubles cutanés, morphostatiques et dynamiques du pied et des affections unguéales du pied, en tenant compte de la statique et de la dynamique du pied et des interactions avec l'appareil locomoteur afin d'établir un diagnostic3 » est une des compétences que l'étudiant pédicure-podologue doit acquérir au cours de sa formation : cette compétence concerne l'examen clinique podologique. Dans ces cas, les situations d'apprentissage s'effectuent en groupe : deux à trois étudiants P3 sont dans une même salle avec deux à trois stagiaires de deuxième année (ou P2) pour un seul patient. Les groupes changent toutes les trois semaines. Les étudiants choisissent, au sein du groupe constitué, les personnes avec lesquelles ils souhaitent travailler. L'ensemble des étudiants s'organise pour prendre en charge le patient en fonction de l'avancée de leurs apprentissages. Par exemple, un étudiant de deuxième année va commencer à interroger le patient sur ses antécédents personnels, puis ce sera un P3 qui effectuera les mobilisations articulaires nécessaires à l'examen (car le P2 ne sait pas encore le faire) et ainsi de suite jusqu'à ce que la totalité des bilans podologiques soit réalisée. Comme cela se passe en soin de pédicurie, un formateur pédicure-podologue vérifie le travail effectué par les étudiants, passe dans les

1 L. Vygotski, psychologue soviétique, connu pour ses recherches en psychologie du développement et sa théorie historico-culturelle du psychisme.

2 J. S. Bruner, psychologue américain dont le travail porte en particulier sur la psychologie de l'éducation. Il fut l'un des premiers découvreurs de Pensée et langage de Lev Vygotski. Les idées de Bruner se fondent sur la catégorisation, ou « comprendre comment l'homme construit son monde », partant du principe que l'homme interprète le monde en termes de ressemblances et différences.

3 Référentiel de compétences, relatif au diplôme d'Etat de pédicure-podologue, Ministère des Affaires Sociales et de la Santé. Arrêté du 5 juillet 2012. p. 226.

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différentes salles, valide les pratiques et les choix thérapeutiques proposés par le groupe d'étudiants. Pour autant, la responsabilité du suivi du patient, la fabrication de semelles orthopédiques (faisant suite à l'analyse des dysfonctionnements posturaux) incombent uniquement à un étudiant P3. Pour un patient reçu en examen clinique, un référent P3 est nommé, désigné soit par le groupe soit par le formateur en charge du stage. C'est bien l'étudiant P3 qui est responsable de la prise en charge du patient même s'il « partage » son patient. Au cours d'une année, les situations varient puisque chaque étudiant acquiert des savoirs qu'il cherche à mettre à l'épreuve en pratiquant « sur patient ». Cela suppose des réajustements au sein des groupes, des négociations afin que chacun trouve son compte dans les apprentissages. Ce mode de fonctionnement traduit surtout une confiance dans la compétence du P3.

Ce sont donc ces situations, en soin de pédicurie et en examen clinique podologique, que je nomme « apprentissage entre pairs ».

Que ce soit dans les programmes d'enseignements ou dans les projets pédagogiques, ce dispositif d'apprentissage en groupe entre pairs n'est pas, ou peu, évoqué. Lorsque j'interroge les membres de l'équipe pédagogique, ils m'expliquent que cette méthode est employée depuis de nombreuses années : il semble que ce soit essentiellement pour des raisons pratiques. Non seulement ce dispositif permet de faire travailler deux promotions au cours de la même séance, mais il permet aussi aux étudiants de s'autoréguler pendant une même pratique sans qu'un formateur soit en permanence derrière chaque binôme ou groupe. C'est bien l'étudiant P3 qui joue le rôle du « sachant », celui qui garantit à chaque instant la bonne conduite du soin ou de l'examen clinique, puisque la proximité physique (les étudiants sont l'un à côté de l'autre ou dans la même salle) lui permet de conseiller le P1 ou le P2 rapidement et à tout moment : ce sont donc bien les étudiants qui régulent leurs activités ensemble et les P3 ont la responsabilité de la prise en charge du patient. L'équipe pédagogique pense que ce dispositif est fonctionnel et qu'il n'est pas utile de le formaliser davantage, en expliquant par exemple de façon plus institutionnelle à chaque étudiant ce que signifie être accompagnant ou accompagné. Au début de l'année, les formateurs précisent à l'ensemble des étudiants que les P3 sont là pour aider les P1 ou les P2 dans leurs stages et qu'ils doivent travailler ensemble. « Puisque ça fonctionne bien ainsi et depuis longtemps », comme le disent des formateurs, « pourquoi en parler davantage ? »

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus