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Les apprentissages entre pairs: construction d'une identité plurielle

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par Carine Amouriaux-Menou
Université Rennes 2-Haute Bretagne - Master 2 Education, apprentissage et Didactique. Département des Sciences de l'éducation 2013
  

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1.5.2. Choix de la méthode d'enquête sur le terrain

Une pratique de terrain permet de dégager des connaissances objectives fondées sur l'observation concrète. Le but de l'enquête peut être de vérifier des hypothèses posées a priori. Pour autant, je partage une autre idée de l'enquête et me réfère à Daniel Bertaux lorsqu'il dit que l'enquête permet « de comprendre le fonctionnement interne de l'objet social observé et d'élaborer un modèle de ce fonctionnement sous la forme d'un corps d'hypothèses plausibles27 ». Cette démarche inductive autorise des allers-retours entre les observations, les concepts, les questionnements et la problématique. Cette démarche permet de partir d'expériences, de favoriser un questionnement des pratiques quotidiennes en tenant compte de leur complexité, de ne pas dissocier ou opposer la théorie et permet la construction progressive d'un objet réellement enraciné dans un questionnement personnel. Ce questionnement est confronté au terrain. Pour cela, il est nécessaire d'inclure la perspective des acteurs, de « voir avec leurs yeux », de s'approcher du point de vue du terrain28. Il s'agit d'interroger les conditions de production du discours scientifique pour situer les questions qui sont susceptibles d'émerger. Cette tension entre le point de vue des acteurs et le point de vue du questionnement du chercheur permet d'affiner la question de départ. « La méthode expérimentale, considérée en elle-même, n'est rien d'autre qu'un raisonnement à l'aide duquel nous soumettons méthodiquement nos idées à l'expérience des faits29. » Cela signifie montrer sans fard les choses et les hommes tels qu'ils sont et porter une attention clinique aux actions et aux relations. C'est être curieuse afin de pousser mes investigations, d'observer dans le détail, de procéder par plans rapprochés. Ne pas enfoncer des portes déjà ouvertes mais chercher à éclairer les endroits encore obscurs de la pièce.

Pour le chercheur de terrain, le cadre théorique guide son regard afin de rendre compte d'une réalité et non de la réalité. Cette phase symbolise la délimitation conceptuelle choisie pour encadrer l'objet de recherche, celle qui permettra une analyse de situation sous un angle particulier, décrit, explicité. Car deux chercheurs sur un même terrain auront des vues différentes des situations suivant l'angle de vue qu'ils ont choisi. Une

vraiment! C'est tout le travail d'apprentissage du métier sur le terrain. Avoir conscience qu'on marche toujours sur des oeufs... ». Conversation privée.

27 D. Bertaux, Récit de vie. Paris. Armand Colin. 2010. p.20.

28 S. Beaud, F. Weber, Guide de l'enquête de terrain. Paris. La Découverte. 2010. p.81-83.

29 C. Bernard. Cours de pathologie expérimentale. Revue des cours scientifiques. Paris.1864.

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mise en cohérence progressive du questionnement, de la situation et de l'objet est un processus de problématisation. Selon Nicolas Perrin, enseignant-chercheur à Lausanne, ce travail des pôles « questionnement, situation et objet » constitue un moyen de construire une problématique de recherche cohérente et pertinente, de faire évoluer son questionnement de recherche.

La démarche inductive peut être rapprochée de la perspective ethnosociologique30: la stratégie d'accès au réel n'est pas neutre puisqu'elle répond souvent aux exigences mêmes de la problématique de recherche et de l'orientation définie par le chercheur. Le choix de ma stratégie d'accès à ce que j'appellerais « le réel », c'est-à-dire un certain type de terrain, a été dans une certaine mesure également motivé par le souhait de développer un peu d'originalité par rapport aux stratégies plus classiques comme la démarche hypothético-déductive. Mes premiers entretiens avec les étudiants m'ont permis de voir que le terrain pouvait m'apporter d'autres éléments auxquels je n'avais pas pensé. En détaillant les situations plus finement, j'ai vu des éléments auparavant invisibles pour moi. Le terrain était fertile : c'est lui qui allait rendre ma recherche passionnante, et non pas les quelques hypothèses de départ que j'avais formulées.

Cette perspective ethnosociologique est utilisée par un certain nombre d'auteurs, dans des sens divers et pas toujours clairement définis. Certains parlent de démarche socio-anthropologique d'autres de méthode ethnographique. Georges Lapassade31 définit l'ethnosociologie comme « une démarche qui transpose à la sociologie le principe de méthode des ethnologues: l'étude directe - in situ - de la vie sociale ». Gérard Derèze, dans Éléments pour une ethnosociologie des organisations, préfère parler d'approche transdisciplinaire et empirique. Il situe et définit cette approche, dans sa filiation interactionniste et qualitative. Selon cet auteur, l'ethnosociologie est une approche :

- situationnelle, c'est-à-dire localisée et contextualisante

- empirique, c'est-à-dire fondée sur l'expérience et le recours indispensable au terrain

30 D. Bertaux, op. cit.

31 G. Lapassade, L'ethnosociologie. Paris, Méridiens Klinckieck, 1991. Dans cet ouvrage, l'auteur montre en quoi l'école de Chicago et l'ethnométhodologie ont nourri et inspiré son approche ethnososociologique.

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- dynamique, c'est-à-dire qu'elle doit construire son objet dans le mouvement même de l'enquête et la spécificité de son approche dans le mouvement même de la recherche

- potentiellement distinctive, c'est-à-dire qu'elle peut, au-delà de ce que l'ethnologie a tendance à proposer (des approches totales non parcellaires), tenter de mener des approches qui s'intéressent à des questions spécifiques

- ordinaire, c'est-à-dire que priorité est donnée au sens commun, au sens donné par les acteurs

- cumulative, c'est-à-dire non nécessairement comparative et non superpositionnelle : les réflexions, propositions compréhensives de différentes études ou recherches ne viennent pas se mettre les unes sur les autres mais les unes dans les autres

- compréhensive et non explicative ou strictement descriptive, c'est-à-dire qu'elle propose des interprétations localisées

- extensive, c'est-à-dire qu'elle doit viser à dépasser l'empirique et les interprétations localisées pour tenter de formuler des extensions compréhensives propositionnelles.

Plus brièvement, Gérard Derèze explique que l'ethnosociologie s'intéresse aux pratiques, aux savoirs, aux interactions et aux représentations. Cette méthode d'enquête peut donc être conçue comme un ensemble d'actes inter-reliés et interdépendants. Cette approche est de type objectiviste dans le sens où elle n'a pas pour objet de saisir de l'intérieur le système de valeurs ou les schèmes de représentation d'une personne ou d'un groupe social. Elle a pour but d'étudier un fragment de la réalité sociale-historique (un objet social) et de comprendre comment ce moment s'est créé, s'est transformé à travers les rapports sociaux, les mécanismes, les processus et les logiques d'action qui le caractérisent. Par «perspective ethnosociologique », on peut désigner une recherche de type empirique basée sur l'enquête de terrain, qui prend ses sources dans la tradition ethnographique par ses techniques d'observation mais qui construit ses objets en référence à des problématiques sociologiques. C'est cette perspective que je retiens pour ma recherche.

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Selon Daniel Bertaux, un monde social se construit autour d'un type d'activité spécifique, généralement centré autour d'une activité professionnelle. L'hypothèse déterminante de la perspective ethnosociologique repose sur le fait que les logiques qui règlent l'ensemble d'un monde social sont également à l'oeuvre dans tous les microcosmes qui le composent. Ainsi, si nous observons de façon approfondie un seul ou quelques-uns des microcosmes, nous devons être en mesure de saisir les logiques sociales du monde social.

Les recherches monographiques et sociographiques réalisées par l'ethnologue comportent de nombreux intérêts intrinsèques et ne se contentent pas de décrire un terrain spécifique et d'en analyser la culture. Pour Daniel Bertaux, en utilisant une perspective ethnosociologique, le chercheur tente de passer du particulier au général en identifiant dans le terrain observé des logiques d'action et des processus récurrents qui seraient susceptibles de se retrouver dans plusieurs contextes similaires.

L'hypothèse « si nous observons de façon approfondie un seul ou quelques-uns des microcosmes, nous devons être en mesure de saisir les logiques sociales du monde social, à condition de multiplier les terrains d'observation et de les comparer entre eux » a inspiré des interactionnistes symboliques comme Howard S. Becker et Erving Goffman, de la sociologie du travail et de la sociologie des organisations, eux-mêmes influencés par les travaux de l'Ecole de Chicago. Avant la création d'un département de sociologie à l'université de Chicago en 1892, cette façon de procéder n'était enseignée que dans quelques universités américaines au sein de départements de sciences économiques et politiques. Le succès de cette matière enseignée à Chicago fut très rapide. En 1907, plus d'un millier d'étudiants étaient inscrits et la discipline se diffusait rapidement au sein des universités et des collèges sous l'influence des professeurs de Chicago. L'histoire du département de sociologie fut marquée par les fortes personnalités de William Thomas et de Robert Park. A partir de 1915, ces professeurs incitent les étudiants à se rendre sur le terrain afin de recueillir les autobiographies de sous-prolétaires, de délinquants et d'immigrants mais également à réaliser des monographies, des études de communautés. Robert Park concevait l'apprentissage de la sociologie en deux temps : découvrir d'abord le monde extérieur avant de l'analyser et avoir une expérience directe de la diversité des milieux sociaux. La volonté de Robert Park était de confronter ses étudiants à l'histoire tourmentée du peuplement de Chicago, à la coexistence de multiples réactions aux contraintes du travail et de l'habitat. Les étudiants se heurtaient ainsi aux barrières de la langue et de

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l'échange d'informations entre personnes issues de milieux fortement éloignés32.Par sa volonté d'inciter les jeunes étudiants à sortir des bibliothèques pour aller sur le terrain, Robert Park voulait les voir affronter le monde réel plutôt que de discuter sur les représentations des autres sur ce monde.

Aujourd'hui, les sciences humaines sont sensées trouver leur légitimité dans des recherches qui allient enquêtes qualitatives et enquêtes quantitatives.

Le champ des sciences humaines, dites « molles » se différencie des sciences dites « dures », les sciences de la nature et les sciences formelles. Celles-ci sont toujours considérées dans notre société comme synonyme de sciences exactes. Pourtant, cette dernière expression est sensiblement problématique, en particulier du fait de son caractère normatif. Selon Thierry Rogel, professeur agrégé de sciences économiques et sociales, « cette dichotomie est à la fois portée par les débats sur les deux sciences, les définitions vulgarisatrices de ce qu'est ou devrait être la science ainsi que la partition institutionnelle et culturelle de l'Éducation Nationale pour laquelle la filière scientifique est uniquement celle qui correspond aux sciences dures ». Selon Léna Soler, maître de conférences en philosophie, « l'opposition sciences dures/sciences molles n'est pas à placer sur le même plan que les autres classifications des sciences, dans la mesure où elle repose essentiellement sur un jugement de valeur : parler de sciences molles est évidemment péjoratif ». L'opposition sciences dures/sciences molles coïncide globalement avec l'opposition entre, d'un côté, les sciences de la nature et les sciences formelles, débouchant sur la production de lois, et de l'autre, les sciences humaines et sociales, considérées comme des sciences interprétatives au sens où elles ne peuvent prétendre être explicables par des lois. Ces dernières voient leurs affirmations toujours produites en référence à des contextes sociaux dont la caractéristique majeure est d'être changeante. Pour autant, « cela ne signifie pas tant que ces assertions sont relatives, c'est-à-dire de teneurs variables et donc limitées et imparfaite, [...] ne pouvant être appréciées en soi, mais seulement en rapport à un univers matériel et symbolique qui leur donne sens33

32 Pour autant, Louis Wirth, qui écrit le Ghetto, était juif et Franklin Frazier, auteur de Black Bourgeoisie, était un noir américain.

33 Marc-Henry Soulet, « Les qualités essentielles du chercheur qualitatif », Revue de Recherches Qualitatives, n° 12-2012, Hors Série, (ISSN 1715-8702), p. 30.

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L'élaboration de sens, d'un côté, la sirène de la preuve, de l'autre. Comment faire pour éviter cette dichotomie ? Ceci est un vaste sujet. Transformer l'idée de science et l'idéologie liée à la science permettrait-il une meilleure compréhension de nos sociétés?

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote