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La loi handicap du 11 février 2005 - quelle reconnaissance de la langue des signes française?


par Magali Leske
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes - Maîtrise Droit Public et Science Politique 2009
  

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B- Une reconnaissance influencée en 2005.

En juin 2000, les sénateurs du groupe Communiste, républicain et citoyen présentent une proposition de loi « tendant à la reconnaissance de la Langue des signes française ». Ce texte ne sera pas suivi d'effets. Deux mois après la crise politique consécutive aux élections présidentielles de 2002, Jacques Chirac annonce le lancement de trois grands chantiers pour le quinquennat. Le Président veut rétablir la cohésion autour de trois thèmes fédérateurs : la diminution des accidents de la route, la lutte contre le cancer et l'insertion des personnes handicapées. Le projet de loi initial ne fait pas mention de la langue des signes. C'est l'intervention du sénateur Nicolas About, membre du groupe Union Centriste, qui va permettre l'insertion d'un article reconnaissant la langue des signes comme une langue à part entière. Finalement, la mobilisation de porteurs d'intérêts va contraindre le législateur à étendre l'enseignement de la langue des signes à l'Education Nationale.

1/ L'inscription de la langue des signes sur l'agenda politique.

En juillet 2002, Paul Blanc, membre du groupe Union pour un Mouvement Populaire au Sénat, va déposer un rapport d'information, au nom de la commission des affaires sociales, intitulé Compensation du handicap : le temps de la solidarité111. Ce travail, initié en 2001, avant les élections présidentielles, va être le socle des discussions parlementaires à venir. Paul Blanc sera d'ailleurs nommé rapporteur des travaux de la commission sénatoriale. Toutefois, un des problèmes soulevés par cette commission en 2002 va être écarté du projet de loi de mai 2003, c'est celui de la scolarisation des jeunes sourds. Le rapport remis par Paul Blanc répondait très exactement à la demande des Sourds, toujours la même depuis Ferdinand Berthier. Il préconisait en effet une scolarisation en milieu ordinaire, avec un enseignement en langue des signes. Le sénateur Nicolas About, membre du groupe Union Centriste et

111 Rapport d'information N° 369 (2001-2002) de Paul Blanc, au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 24 juillet 2002.

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par ailleurs maire d'une commune qui comporte une classe d'intégration pour enfants sourds, portera à nouveau ce problème sur l'agenda politique. Il déposera un amendement, présenté le 1er mars 2004, lequel « vise à reconnaître officiellement la langue des signes française et le braille, au sein de la République française ». Toutefois, « ce type de langage » pourra seulement être choisi par les élèves comme « langue vivante étrangère 112». Adopté à l'unanimité pour ce qui concerne la langue des signes, le braille n'étant pas une langue, cet amendement ne donnera que partiellement satisfaction à la communauté sourde. Si le projet de loi adopté par le Sénat en première lecture comporte désormais un article selon lequel « la langue des signes française est reconnue comme une langue à part entière 113», il reste que l'enseignement en langue des signes n'est pas envisagé. La langue sourde pourrait être enseignée mais au même titre que l'espagnol ou l'allemand. Les débats se prolongeront jusqu'en janvier 2005.

2/ Le rôle des porteurs d'intérêts.

Le projet de loi voté par le Sénat en mars 2004 est renvoyé devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée Nationale, dont Jean-Paul Chossy, député UMP, sera le rapporteur. Un amendement supprimant la distinction entre enseignement ordinaire et enseignement spécialisé, pour ce qui concerne la diffusion de la langue des signes, va être déposé par la députée UMP Nadine Morano. Cette proposition, si elle n'avait pas été rejetée, aurait soumis l'Education Nationale à l'application de l'article 33 de la loi de 1991. Le Ministère aurait donc été contraint d'aménager un enseignement en langue des signes pour les élèves sourds. Mais la commission des affaires culturelles ne se contentera pas de rejeter cet amendement, elle va aussi supprimer toute contrainte en matière d'enseignement de la langue des signes au motif qu' « aucun professeur n'est actuellement chargé spécifiquement de cet enseignement » et que le niveau atteint par les enseignants

112 Amendement présenté par Nicolas About le 1er mars 2004, N°132 rect.

113 Projet de loi adopté par le Sénat en première lecture le 1er mars 2004, N°64.

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spécialisés « reste insuffisant pour enseigner cette langue ». De plus, le libre choix accordé aux parents « rend les prévisions complexes » et la langue des signes « enferme dans un mode de communication unique, qui ne permet pas toujours aux personnes sourdes de maîtriser convenablement la lecture et l'écriture 114». Jean-François Chossy, approuvé par Bernard Accoyer, alors député UMP exerçant la profession de médecin ORL, considère qu'il existe des outils permettant au Sourds d'oraliser115. La petite loi adoptée par l'Assemblée Nationale en juin 2004 va maintenir la reconnaissance de la langue des signes comme une langue à part entière mais désormais elle n'impose plus rien pour son enseignement : « le Conseil supérieur de l'Education veille à favoriser son enseignement 116». C'est le Sénat qui, en deuxième lecture, soulèvera à nouveau le problème de l'enseignement, après l'adoption d'un amendement du gouvernement, représenté par Marie-Anne Montchamp, alors Secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. En octobre 2004, le projet de loi présenté par le Sénat en deuxième lecture va donc établir que « tout élève doit pouvoir recevoir un enseignement en langue des signes française ». Mais l'Assemblée Nationale va contredire ce projet. Le rapporteur de la commission des affaires culturelles, Jean-François Chossy, déposera lui-même quatre amendements sur l'article relatif à la langue des signes, et s'opposera à ceux d'Hélène Mignon, députée socialiste, qui souhaite notamment préciser les conditions de l'enseignement en langue des signes de la maternelle jusqu'à l'université117. Ainsi, le projet de loi modifié par l'Assemblée Nationale en deuxième lecture, va rétablir la position de juin 2004 : « le Conseil supérieur de l'Education veille à favoriser son enseignement 118». Le texte définitif de 2005 va conserver cet article, en l'état. La langue des signes française est reconnue comme une langue à part entière, mais les Sourds ne peuvent pas être recevoir un enseignement dans leur

114 Rapport de Paul Blanc, déposé le 13 octobre 2004, N°20.

115 Travaux parlementaires de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales du 9 juin 2004.

116 Projet de loi modifié par l'Assemblée Nationale en première lecture, adopté le 15 juin 2004, article 32 quinquies.

117 Rapport de Jean-François Chossy, enregistré le 15 décembre 2004, N°1991.

118 Projet de loi modifié par l'Assemblée Nationale en deuxième lecture, adopté le 18 janvier 2005, N°371.

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langue. C'est alors qu'intervient le réseau associatif. Le jour du vote de la loi au Sénat, des représentants du Mouvement des Sourds de France et la

Fédération Nationale des Sourds de France s'aperçoivent qu'il n'est plus fait mention de l'enseignement en langue des signes. René Bruneau, aujourd'hui président du Mouvement des Sourds de France, assiste régulièrement aux débats parlementaires119. Il a accès au cercle des décisions. Soutenus par Michelle Demessine, sénatrice communiste, et Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste, les représentants des deux associations vont pouvoir s'entretenir avec le chef de Cabinet d'Anne-Marie Montchamp. A ce stade de la procédure, seul le gouvernement peut proposer une modification de la loi. La Secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, dont nous avons vu qu'elle était favorable à l'enseignement en langue des signes, va demander aux associations de rédiger un texte, qui sera présenté le soir même aux sénateurs. Dans l'urgence, les associations vont reprendre les termes d'une disposition législative en vigueur, l'article 33 de la loi de 1991, qu'avait déposé Laurent Fabius en 1990. Il sera voté à l'unanimité.

Le 11 février 2005, Jacques Chirac promulgue la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Deux articles de cette loi vont légitimer la langue des signes. Si selon Danièle Lochak120 le droit « encadre les pratiques sociales et contribue à forger les représentations collectives », en l'occurrence, ces deux articles reflètent deux représentations sociales des Sourds et de leur langue. L'article 75 tout d'abord, qui reprend les termes du texte proposé par l'Assemblée Nationale et qui dispose que « La langue des signes française est reconnue comme une langue à part entière. Tout élève concerné doit pouvoir recevoir un enseignement de la langue des signes française. Le Conseil supérieur de l'éducation veille à favoriser son

119 Entretien avec René Bruneau du Mouvement des Sourds de France, en annexe.

120 Citée P43.

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enseignement. Il est tenu régulièrement informé des conditions de son évaluation. Elle peut être choisie comme épreuve optionnelle aux examens et concours, y compris ceux de la formation professionnelle. Sa diffusion dans l'administration est facilitée ». Cette représentation de la surdité ne repose pas, comme nous l'avons vu, sur une approche culturelle de la surdité. Imprégnée de la vision médicale, puisqu'il existe des moyens de faire parler les Sourds, elle n'envisage pas le bilinguisme. La langue des signes pourrait être enseignée mais au même titre que toute autre discipline scolaire. Puis, l'article 19-V, incorporé à la loi en urgence, après l'intervention des associations : « Dans l'éducation et le parcours scolaire des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue, langue des signes et langue française, et une communication en langue française est de droit. Un décret en Conseil d'Etat fixe, d'une part, les conditions d'exercice de ce choix pour les jeunes sourds et leurs familles, d'autre part, les dispositions à prendre par les établissements et services où est assurée l'éducation des jeunes sourds pour garantir l'application de ce choix ». Ici, c'est une vision multiculturaliste qui est représentée, c'est le souhait de « rompre avec la domination d'un groupe culturel sur d'autres pour laisser place au respect de l'ensemble des cultures et de leurs différences 121». La loi du 11 février 2005 reconnait donc la langue des signes comme une langue à part entière et, a priori, elle ne prend pas partie pour l'une ou l'autre représentation de la surdité. Elle entérine deux conceptions antagonistes. Il convient ici de s'interroger sur la mise en oeuvre des dispositions légales. Comment concilier l'expression de deux représentations de la surdité qui s'opposent depuis deux siècles ? La loi du 11 février 2005 va-t-elle impulser un changement de paradigme, celui de l'intégration sociale, en lieu et place de l'inclusion ? Le grand chantier de 2005 se contentera-t-il de rénover la politique du handicap ou va-t-il encourager l'émergence d'une autre société où l'intégration, ce « processus dynamique à double sens d'acceptation mutuelle 122», est favorisée ? Le 9 juin 2008, à l'occasion de la première

121 Laurent Bouvet, Le communautarisme, mythes et réalités, 2007, P51.

122 Définition de l'intégration lors de la conférence ministérielle européenne sur l'intégration, Vichy, novembre 2008, www.ue2008.fr.

Conférence nationale sur le handicap qui se tient à Paris, cinq membres du mouvement OSS 2007 (Opération de Sauvegarde des Sourds) entament une grève de la faim, dans les locaux de l'Institut National des Jeunes Sourds. Ils demandent la constitution d'un Observatoire des affaires sourdes, sous l'autorité de la Fédération nationale des Sourds de France, pour que les enfants sourds puissent recevoir un enseignement en langue des signes. Les acteurs du groupe OSS 2007 considèrent en effet que la loi a été votée dans l'urgence mais qu'au final il ne se passe rien123. Une pétition circule sur internet et invite les Sourds à lutter « pour le respect des droits de l'Homme Sourd et pour la biodiversité culturelle 124». Mais cette biodiversité n'est-elle pas préservée par la loi ? Les droits des Sourds ne sont-ils pas respectés en 2005 ? Dénonçant avec force un « génocide linguistique et culturel », les membres du groupe OSS craignent pour leur existence, celle de leur communauté linguistique, celle de leur langue, la langue Sourde. Ces propos radicaux reflètent-ils une réalité occultée par la reconnaissance formelle de la langue des signes ?

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123 Entretien avec trois représentants du mouvement OSS 2007, en annexe.

124 www.OSS2007.net

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