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La loi handicap du 11 février 2005 - quelle reconnaissance de la langue des signes française?


par Magali Leske
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes - Maîtrise Droit Public et Science Politique 2009
  

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B- Un déni de reconnaissance.

Le Groupe Européen d'Ethique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission Européenne adopte un avis le 16 mars 2005 dans lequel il déclare que « les efforts déployés pour promouvoir cette technologie posent des questions éthiques quant à son impact sur le porteur de l'implant et sur la communauté des sourds (notamment ceux qui

233 Rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Audition publique sur l'expertise scientifique, 6 décembre 2005. P36.

234 Benoit Drion, entretien pour Le journal du médecin, Belgique, 14 novembre 2006, bdrion.over-blog.net

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communiquent par langue des signes). Ils ignorent le problème de l'intégration sociale du porteur de l'implant dans cette communauté et ne prêtent pas une attention suffisante aux incidences psychologiques, linguistiques et sociologiques. Avant toute chose, ils promeuvent une vision particulière de la « normalité » 235». En février 2007, la Fédération nationale des Sourds de France saisie le Comité consultatif national d'éthique sur le risque de « discrimination et de stigmatisation que le dépistage systématique de la surdité pourrait faire courir à la population concernée 236». Ils sont accompagnés par le Réseau d'actions médico-psychologiques et sociales pour enfants sourds qui interpelle le comité d'éthique sur les risques psychologiques mais aussi le manquement à des critères internationaux sur le dépistage systématique comme la gravité de la maladie, la disponibilité d'un traitement préventif ou la fiabilité du test237. L'avis rendu par le comité d'éthique en décembre 2007 annonce qu'il s'agit d'une « politique sanitaire standardisée, trop médicalisée et indifférente aux aspects humains des déficits auditifs 238». Ces avis auront-t-ils un impact politique ?

1/ Le choix des acteurs dans les consultations.

Le premier article de la loi de 2005 est consacré à la représentation des associations au sein des instances consultatives. Toutes les instances nationales ou territoriales doivent comprendre des membres d'associations représentatives. Toutefois, le gouvernement n'a pas souhaité se prononcer sur la question de la représentativité, bien qu'elle ait été évoquée au Parlement239. Dès lors, « chaque autorité administrative

235 Avis du Groupe Européen d'Ethique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission Européenne, Aspects éthiques des implants TIC dans le corps humain, Stefano Rodotà et Rafael Capurro, adopté le 16 mars 2005. P25.

236 Avis N°103 du Comité Consultatif National d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, 6 décembre 2007. P3.

237 Avis N°103 du Comité Consultatif National d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, 6 décembre 2007. P4.

238 Idem P3.

239 Rapport d'information de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale, Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P17.

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doit prendre les dispositions nécessaires 240». En France, les deux principales associations nationales de Sourds se sont constituées sur deux représentations différentes de la surdité. L'Union nationale pour l'insertion des déficients auditifs (UNISDA) promeut l'oralisme, revendique l'insertion sociale des Sourds, qu'elle nomme déficients auditifs conformément à la vision médicale de la surdité, tandis que la Fédération nationale des Sourds de France (FNSF) défend une vision culturelle de la surdité et revendique à ce titre la reconnaissance réelle de la langue des signes. La première est particulièrement visible. L'UNISDA est en effet représentée au sein de plusieurs instances : la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, le Conseil scientifique de cette même caisse, l'Observatoire national sur la formation, la recherche et l'innovation sur le handicap etc... Quant à la FNSF, elle participe peu à l'élaboration des décisions au sein de ces instances car elle s'y sent inutile, sous tutelle : « C'est comme à la Haute Autorité de Santé, pour que nous soyons crédibles, il faut qu'un entendant vienne confirmer ce que l'on dit », voire « on nous traite de menteurs 241». Selon le politologue Pierre Muller, « la définition d'une politique publique repose sur une représentation de la réalité qui constitue le référentiel de cette politique 242». La politique du handicap mise sur la prévention, la recherche et l'accès aux soins pour l'insertion sociale des personnes handicapées. La vision médicale de la surdité, qui est celle d'une maladie à soigner, va donc s'imposer comme cadre de référence pour cette politique publique. Et au sein des instances consultatives, la représentation de l'UNISDA, qui correspond au référentiel global de la politique du handicap sera créditée243. Toutefois, il faut noter que l'UNISDA tend aujourd'hui à intégrer la langue des signes dans ses revendications et que l'Académie nationale de médecine a réagi en 2008 à l'avis du comité d'éthique. Elle déclare que l'objectif du dépistage est « une prise en charge diagnostic précoce avec le respect du choix des parents dans l'éducation

240 Ibid.

241 Entretien avec la Fédération nationale des Sourds de France.

242 Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (sous la direction de), Dictionnaire des politiques publiques, 2006. P373.

243 Ibid. P376.

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de leur enfant 244». Les représentants des associations de Sourds ne s'opposent plus au dépistage précoce. Mais ils condamnent fermement les propositions qui en découlent, à savoir l'implant cochléaire, et pas la langue des signes. Dans sa thèse sur Les Sourds et la représentation que les médecins ont de leur soin, Candice Audran, médecin généraliste, constate effectivement que « l'existence d'une problématique identitaire Sourde échappe en grande partie aux enquêtés 245». Cette déclaration est toujours d'actualité.

2/ Le déni de reconnaissance de la langue des signes.

Depuis le vote de la loi de 2005, des études ont été menées par la Haute autorité de santé, mais aussi par d'autres organismes comme le Comité technique national d'études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations (CTNERHI), qui concernent le dépistage précoce et l'implant cochléaire. Ces études montrent clairement que, malgré la reconnaissance de la langue des signes comme une langue à part entière en 2005, cette langue est manifestement niée. Dans un rapport d'avril 2008 sur les appareils électroniques correcteurs de surdité, la commission d'évaluation des produits et prestations (CEPP) de la Haute Autorité de Santé avance que « l'intégrité de la fonction auditive est nécessaire au développement du langage. L'immersion dans le monde sonore permet au nourrisson de développer ses capacités phonologiques, lexicales et syntaxiques, et d'accéder à une (des) langue(s), vecteur privilégié de la connaissance et des échanges interhumains 246». Ces héritiers d'Aristote considèrent que la langue des signes n'est pas une langue parce que le langage présuppose la parole mais aussi que l'absence de parole conduit à l'ignorance et à l'isolement. Nous tenons ici la preuve manifeste de ce que les Sourds déclament depuis toujours : les politiques, les médecins ne nous connaissent pas. Le nombre d'associations, de centres socio-culturels Sourds, à lui-seul, vient balayer ces propos. L'administration

244 Communiqué de l'Académie nationale de médecine, François Legent, 2 juillet 2008.

245 Candice Audran, thèse pour le diplôme d'Etat de Docteur en médecine, Septembre 2007, P141.

246 Rapport d'évaluation de la Commission d'évaluation des produits et prestations (CEPP) de la Haute Autorité de Santé ( has-sante.fr), Les appareils électroniques correcteurs de surdité, avril 2008. P20.

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française n'est pas en reste. La Direction générale de l'action sociale (DGAS) a adressé une réserve d'interprétation au Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes, avant la ratification de la Convention internationale des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées, qui a été adoptée en décembre 2006. Cette réserve concerne directement la langue des signes, et les Sourds : « La présente convention semble faire un amalgame entre personnes sourdes et langues des signes. En effet des progrès technologiques significatifs en matière d'appareillage auditif, implants cochléaires, prothèses numériques, aide du langage parlé complété ou du Cueed-Speech... permettent aux personnes sourdes d'effectuer leur parcours d'intégration dans la société en valorisant d'autres aides à la communication que la langue des signes. Ainsi il convient de souligner qu'en tout état de cause, les langues des signes, si elles sont de nature à promouvoir l'identité linguistique, ne promeuvent que l'identité des personnes qui la pratiquent (sourdes ou non) et en aucun cas une supposée identité de la communauté des personnes atteintes de surdité 247». Là encore, la langue des signes n'est pas considérée comme une langue, elle ne serait qu'une « aide à la communication ». Quant à ses locuteurs, la DGAS tient à rappeler qu'ils ne forment pas une communauté car la langue n'aurait une fonction identitaire que pour la personne qui pratique cette langue. A se demander pourquoi, alors, la Constitution française contient un article mentionnant que la langue de la République est le français. Le Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes va répondre à cette réserve. Il indique notamment que, depuis le 11 février 2005, « la langue des signes est une langue à part entière, au même titre que la langue française 248».

247 voir cfhe.fr, annexe 5, P53.

248 Ibid. P56.

Quatre ans après le vote de la loi, la reconnaissance de la langue des signes par les pouvoirs publics n'est toujours pas réelle. En raison du retour du paradigme de l'inclusion, la politique publique menée à l'attention des personnes handicapées n'a produit aucun changement. La langue des signes, comme l'indiquent les travaux parlementaires, a même été qualifiée d'étrangère par certains. Le discours politique sur la scolarisation des enfants handicapés n'a pas changé non plus. En 2007, un homme politique affirmait qu'« il est scandaleux qu'un enfant ayant un handicap ne puisse pas être scolarisé dans une école entre guillemets normale (...). C'est important pour l'enfant ayant un handicap mais c'est encore plus important pour nos autres enfants qui n'ont pas de handicap et qui, au contact de cet enfant différent, apprendront que la différence c'est une richesse 249». Il est intéressant de constater qu'au XIXème siècle déjà, une circulaire du 20 août 1858 du Ministère de l'Intérieur énonçait que « grâce à ce contact incessant, ses condisciples se familiariseront avec ses moeurs, ses besoins, son langage : (...) ils continueront adultes et hommes ces rapports qui se sont établis entre eux au début de la vie, et protecteurs naturels ils lui faciliteront l'entrée des ateliers et l'apprentissage d'un état 250».

La grève de la faim menée par les membres d'OSS 2007, au nom du peuple Sourd, est une demande de reconnaissance, en réponse au déni de reconnaissance des pouvoirs publics. « Le déni de reconnaissance (...) apparaît comme une violence préjudiciable pour une vie car sa visibilité sociale (ou du moins l'un de ses traits) est rendue incertaine ou, pire, annulé 251». Les Sourds aspirent à vivre avec leur langue, leur histoire, leur culture. Et ce projet n'invite pas à l'enfermement, au repli identitaire : « Pourquoi nous refusez-vous le droit d'exister non pas avec notre handicap qui est en fait une vue de votre esprit, mais avec notre différence linguistique et culturelle porteuse de mille possibles ? », nous demande Patrick Bellissen252. Ce projet est multiculturaliste, ce que Laurent Bouvet

249 Débat entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy après le premier tour des élections présidentielles, 2 mai 2007, dailymotion.com.

250 Cité P62 du rapport de Dominique Gillot au 1er Ministre, 1998.

251 Guillaume Le Blanc, L'épreuve sociale de la reconnaissance, dans la revue Esprit, juillet 2008, P129.

252 www.oss2007.fr

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définit comme le souhait de « rompre avec la domination d'un groupe culturel sur d'autres pour laisser place au respect de l'ensemble des cultures et de leurs différences 253».

Mais assiste-t-on pour autant à un « génocide linguistique et culturel » comme l'indique le mouvement OSS 2007 ? Le linguiste Claude Hagège considère qu'il y a ethnocide lorsqu'il y a « l'élimination d'une culture et d'une langue, sans qu'il y ait massacre de ses porteurs 254». « On peut donc dire qu'une langue est éteinte quand elle n'a plus de locuteurs de naissance, c'est-à-dire d'utilisateurs qui l'apprennent depuis le début de leur vie dans le milieu familial et social 255». La politique de dépistage précoce et la pose des implants cochléaires pourraient-ils conduire à l'extinction de la langue des signes ? Un groupe d'experts de l'UNESCO sur les langues en danger a déterminé les critères de vitalité et de disparition des langues. Les principaux facteurs qui concourent à leur vitalité sont : « la transmission de la langue d'une génération à l'autre, le nombre absolu de locuteurs, le taux de locuteurs sur l'ensemble de la population, l'utilisation de la langue dans les différents domaines publics et privés, la réaction face aux nouveaux domaines et médias et les matériels d'apprentissage et d'enseignement des langues 256». La vitalité de la langue des signes française semble précaire aujourd'hui au regard des critères posés par l'UNESCO. D'autant plus précaire que l'UNESCO elle-même ne répertorie pas la langue des signes française parmi les 26 langues de France. En définitive, «la chose la plus importante que l'on puisse faire pour empêcher une langue de disparaître est de créer des conditions favorables pour que ses locuteurs la parlent et l'enseignent à leurs enfants. Cela nécessité souvent des politiques nationales qui reconnaissent et protègent les langues minoritaires, des systèmes éducatifs qui promeuvent l'enseignement en langue maternelle, ainsi qu'une collaboration créative entre les membres de la communauté et les linguistes afin d'élaborer un système d'écriture et d'introduire un enseignement formel de la langue. Dans la mesure où le facteur primordial est l'attitude de la communauté de locuteurs à l'égard de sa propre langue, il est essentiel de créer un environnement social et politique qui encourage le

253 Laurent Bouvet, Le communautarisme, mythes et réalités, 2007. P51.

254 Claude Hagège, Halte à la mort des langues, Odile Jacob, Paris, 2000. P119.

255 Ibid P88.

256 UNESCO, Vitalité et disparition des langues, www.unesco.org.

plurilinguisme et le respect des langues minoritaires afin que l'utilisation de celles-ci soit un atout plutôt qu'un handicap 257».

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257 www.unesco.org

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle