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La loi handicap du 11 février 2005 - quelle reconnaissance de la langue des signes française?


par Magali Leske
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes - Maîtrise Droit Public et Science Politique 2009
  

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ANNEXE 2

Direction Générale de l'Enseignement Scolaire
Pierre-François GACHET
Chef du bureau de l'adaptation scolaire et
de la scolarisation des élèves handicapés.
Durée
: 1 h 10

Monsieur Gachet, pourriez-vous dans un premier temps m'expliquer vos missions au sein de l'Education Nationale ?

Je dirige un bureau, un service qui se situe... qui est l'un des services qui se situent au sein de la Direction Générale de l'Enseignement Scolaire, laquelle Direction d'une manière générale... c'est la Direction principale du Ministère dans la mesure où c'est la Direction Pédagogique, c'est celle qui fixe l'organisation du système éducatif, les programmes scolaires et également qui attribue les moyens dans les Académies, donc finalement c'est un petit peu, comment dirais-je, non pas le coeur, mais plutôt le cerveau organisateur du système éducatif - école, collège, lycée... scolaire : pas pour ce qui concerne l'université. Absolument pas. On n'a que peu à voir avec l'enseignement supérieur. Et donc pour ce qui me concerne, l'équipe que je dirige ici a pour tâche d'organiser au nom du ministre et sur les injonctions du ministre, enfin en tout cas sur les directives que le ministre nous donne, la façon dont le système éducatif s'organise pour permettre la scolarisation des élèves handicapés. Alors, aujourd'hui cette tâche se résume, mais le mot résumer est une douce litote, à mettre en place les effets de la loi de 2005 et ça depuis maintenant plus de trois ans, trois ans, pas tout à fait, la loi est entrée en vigueur pour le pays tout entier au 1er janvier 2006 et donc pour l'Education Nationale au 1er septembre 2006, donc c'est la 3ème rentrée scolaire, la dernière, celle de septembre 2008 était la 3ème rentrée scolaire qui

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était organisée à partir de cette loi. Notre tâche, c'est ça, alors il y a une partie réglementaire, il y a création de textes réglementaires, ça c'est toujours extrêmement long, extrêmement compliqué, parce que il faut tenir compte de tout l'état du droit existant qui est d'une complexité folle, il faut négocier avec des quantités de partenaires, très importants, notamment les associations représentatives de parents d'enfants handicapés, par exemple, l'établissement gestionnaire, etc., les syndicats de personnels , de tous ordres, donc c'est un travail qui aboutit à un texte, à un nombre de textes relativement limité, parce que vous voyez par exemple depuis le vote de la loi, pour le simple secteur scolaire, ça peut paraître pas beaucoup, on a véritablement trois décrets, deux ou trois arrêtés et puis deux ou trois circulaires. Mais à chaque fois, c'est très important. Ensuite une deuxième partie de notre travail, c'est justement de négocier, négocier c'est trop fort, de discuter avec l'ensemble des partenaires sociaux, au sens le plus large du terme, qui sont pour l'essentiel présents ou participants au CNCPH, vous savez ce qu'est le CNCPH...

Oui.

... donc l'ensemble des partenaires sociaux, pour justement continuer à travailler sur l'organisation, les évolutions du système, que faut-il faire, à la fois gérer le présent et un peu anticiper l'avenir. Troisième axe de travail très important également, qui est important, c'est de faire des enquêtes et des évaluations, ça ça appartient en propre à la Direction Générale, c'est toujours un petit peu compliqué, parce que le terrain, ce qu'on appelle le terrain, familièrement, c'est tout à fait impropre d'ailleurs parce que le terrain c'est-à-dire en fait les services déconcentrés de l'Education Nationale ; comme vous le savez il y a trente Académies et 100 départements, dans chaque département il y a une Inspection Académique et l'harmonisation, enfin les Recteurs sont responsables de la mise en oeuvre des politiques publiques dans l'Académie. Les services déconcentrés ont, en général, tendance naturellement à penser qu'ils ont un milliard de choses à faire et que nos pauvres enquêtes n'est pas leur priorité, mais

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sans enquête et sans connaissance du terrain, on ne peut pas savoir ce qui se passe et c'est très difficile de piloter ; donc, concevoir des enquêtes, les organiser, les créer, tout cela en tenant compte des réglementations, notamment celles qui sont imposées par la CNIL, ensuite, recevoir les résultats, les traiter, les analyser, fournir des rapports au Ministre - mon champ d'activité, c'est aussi un travail de bureau et puis le dernier « rush » parmi les principaux, c'est le fait de sillonner la France pour expliquer la loi, expliquer la réforme, expliquer les modifications que le système éducatif doit mettre en place, qui sont plus que des modifications, qui sont des bouleversements, rencontrer les acteurs de terrain, alors pas tous évidemment, je ne peux pas rencontrer tout le monde, bien sûr, il y a 70 000 établissements scolaires, il y a 850 000 professeurs - il est hors de question de rencontrer tout le monde ! - mais d'une manière générale, mes interlocuteurs les plus fréquents sont les inspecteurs d'Académie, quelques responsables recteurs dans les rectorats, et puis dans les départements les inspecteurs d'Académie qui ont eux en charge la mise en oeuvre concrète des réformes dans les établissements scolaires. Et pour tout ce travail, on va dire, de pédagogie, d'explication et en même temps d'aide, parce que c'est pas seulement de l'explication c'est aussi du conseil d'une certaine façon, on fait souvent un travail qui s'apparente à un travail de consultant, quelque part, souvent. Je fais souvent ce travail là, c'est à dire que je vais dans un département, dans une académie, et j'aide les responsables locaux à analyser leur terrain, à mieux comprendre comment les choses se passent chez eux, à essayer de mettre en évidence quelques lignes de force parfois quelques faiblesses aussi, c'est un peu le but quand même, et puis éventuellement leur donner des conseils pour réorienter, affiner ou réajuster leur politique.

Et au sein de votre direction, vous êtes organisés de quelle façon ? Est-ce qu'il y a un bureau par catégorie de handicap ou comment sont traités en fait tous ces handicaps puisque la loi est globale et traite des enfants handicapés en général ?

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Ils sont traités - c'est une bonne question en terme d'organisation du travail -, ils sont traités en principe exactement à égalité. Nous sommes une petite équipe, moi je dirais, je ne dirige pas la Direction, il y a un Directeur Général de l'Enseignement Scolaire qui dirige ce qu'on appelle administrativement un Bureau et qui est en fait une espèce de Service puisque cela comporte plusieurs personnes, mais nous ne sommes pas si nombreux que ça nous sommes une petite dizaine en tout à peine dont trois d'ailleurs ont une tâche qui consiste uniquement à être en contact avec les familles, à répondre au téléphone, aux courriers et aux courriels que les familles et les usagers nous envoient quotidiennement et qui nécessitent pour répondre bien souvent une enquête parce que quand les gens nous écrivent c'est que ils ont un gros problème et qu'ils veulent que ce problème soit réglé et qu'ils n'ont pas trouvé de solution satisfaisante avec leurs interlocuteurs locaux immédiats, c'est en général pour ça qu'ils nous écrivent. Donc oui, les différents types de handicaps normalement sont traités absolument de la même façon, c'est à dire que l'on considère chaque fois les problèmes que ça pose et les solutions que l'on peut y trouver, mais il est évident que, je dirais, il y a des catégories qui nous demandent plus de travail, je ne dis pas qu'elles sont plus importantes mais elles nous demandent plus de travail, parce que tout simplement dans l'histoire elles ont peut-être été moins prises en compte, moins abordées et depuis moins longtemps. Il y en a deux particulièrement qui mobilisent depuis plusieurs mois maintenant la grande majorité de mon temps, c'est justement la surdité et le handicap auditif et puis l'autisme.

D'accord.

Dans deux genres totalement différents, cela n'a rien à voir. Et à l'inverse, par exemple, il y a des types de handicaps comme le handicap visuel ou le handicap moteur simple, la paraplégie par exemple, qui ne nous demandent pas un investissement considérable - on suit cela de près, mais ils ne nous demandent un

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investissement considérable parce que globalement ça se passe bien, c'est des gens organisés depuis très longtemps, ça marche bien, cela peut paraître paradoxal mais globalement en France si vous êtes aveugle vous êtes en moyenne un meilleur élève que si vous ne l'êtes pas. Les enfants aveugles à l'école réussissent mieux que les autres. Il y a très peu d'enfants aveugles à l'école, il y en a très très peu, il y a 12,5 millions d'élèves en France, il y en a 4000 qui sont aveugles, c'est une toute petite quantité, mais il se trouve que les enfants aveugles réussissent en moyenne mieux à l'école. Alors que, à l'inverse, les enfants sourds, en moyenne, réussissent moins bien. Donc ils demandent plus d'attention, plus de travail, plus de sollicitude de notre part.

Et comment l'expliquez-vous ?

Par une raison très simple, et qui est... Alors, il y a un faisceau de raisons. En fait j'ai dit il y a une raison très simple, en fait, il n'y en a pas qu'une, mais toutes se ramènent à un résultat c'est que 'y a rien de plus difficile pour un pédagogue, il n'y a rien de plus difficile, absolument plus difficile pour un pédagogue que d'apprendre à lire à un sourd. C'est la tâche la plus compliquée et la plus difficile qui soit. Certaines situations de handicap mental sont plus faciles à traiter, à aborder d'un point de vue pédagogique pour l'apprentissage de la lecture que la surdité. Donc cela veut dire que pendant des décennies et des décennies les enfants sourds n'ont pas reçu un apprentissage convenable en lecture et dans une société évoluée comme la notre, que ce soit en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, au Canada, en Allemagne ou autre, une personne qui ne sait pas lire ni écrire a toutes les chances de ne pas s'insérer socialement, d'être exclue.

Ce serait lié à une question de méthode... ?

C'est lié à plusieurs choses. D'abord, il y a un facteur historique : vous avez entendu parler du Congrès de Milan, je n'y reviendrai pas, donc il y a ce phénomène-là, ce

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phénomène-là qui pendant des décennies depuis la fin du XIXème siècle, l'époque triomphante de la morale victorienne jusqu'aux années 70 - c'est à dire après mai 68 en fait, qui là aussi a été un bouleversement, sur cela aussi, il y a eu un rejet du corps et donc de la langue des signes qui est extrêmement corporelle, plus encore pour les signeurs de naissance que pour les entendants, qui deviennent signeurs par apprentissage, parce que, quoi qu'on dise, vous le savez bien, quand on est entendant de naissance quand on apprend la langue des signes comme une seconde langue, c'est comme quand on apprend le chinois ou le japonais, on devient jamais tout à fait à 100% un natif, si je puis dire, on peut devenir très bon - les interprètes eux-mêmes qui ont le diplôme d'interprètes et qui donc sont excellents nous disent qu'un sourd les reconnaît immédiatement au premier coup d'oeil si je puis dire, au sens strict du terme, au premier coup d'oeil, c'est le mot qui convient, parce qu'ils ont un accent, qu'un sourd de naissance n'a pas. Voilà c'est une évidence, c'est comme une langue orale, c'est la même chose. On sait d'ailleurs depuis quelque temps que ce sont les mêmes aires du cerveau qui sont sollicitées. Paradoxalement, cela peut sembler paradoxal, parce que, ce sont les aires de Broca, notamment, les aires temporales droites (gauche ou droite il faudrait vérifier) qui sont sollicitées pour le langage des signes comme pour le langage oral. C'est à dire qu'en fait, il y a dans le cerveau un siège du langage qui est le même siège quel que soit le mode de langage utilisé, la langue utilisée. Après, comment dirais-je, les vecteurs, physiologiques, biologiques que ce soit l'appareil articulo-phonatoire ou que ce soit l'appareil gestuel qui soit utilisé, c'est différent bien sûr mais au niveau du cerveau, c'est la même aire et on sait maintenant qu'il y a des dyslexies et des dysphasies, c'est à dire des enfants - il y en a très peu - des enfants qui, la dyslexie ne paraît qu'avec la lecture, donc laissons de côté la dyslexie mais la dysphasie est un handicap naturel, biologique qui affecte la capacité à s'exprimer oralement. C'est à dire que la personne pense, elle pense très bien, elle est capable de tout comprendre, de comprendre tout ce qu'on lui dit, elle est capable de signer les objets, d'avoir une pensée articulée et cohérente mais dans un certain nombre de cas et parfois dans de très nombreux cas et parfois

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toujours, elle ne parvient pas à mettre les mots sur ce qu'elle pense. Elle pense par concept, elle pense par pensée conceptuelle comme on la définit aujourd'hui mais les mots ne lui viennent pas et lorsque, en revanche, on lui dit quelque chose et qu'on lui dit « oui, bien sûr, c'est cela, c'est ce que je voulais dire », mais les mots ne viennent pas. Or ce type de handicap qui peut être extrêmement invalidant existe aussi chez les sourds signeurs. C'est comme ça qu'on a su, notamment en étudiant certains par le biais de l'IRM, régulièrement le cerveau de certains patients ou de grands accidentés de la route, par exemple, de la route ou d'autre chose, souvent de la route, on a pu découvrir ça. Donc, c'est la même aire cérébrale qui commande le langage quel que soit le vecteur utilisé pour communiquer.

Donc finalement, est-ce qu'il est possible de dire que le problème des sourds, c'est un problème de communication essentiellement ? Un problème de langue ?

Exclusivement, c'est un problème de langue. C'est comme si vous et moi on se trouvait parachutés au milieu de la Mongolie Extérieure sans aucun apprentissage. Eh bien on serait sourd aux gens qui sont en face de nous. Eventuellement on comprendrait un sourire, un regard, une mimique agressive, une claque dans la figure, ça on comprendrait assez facilement je pense, mais tout ça c'est gestuel, c'est visuel. Alors, avec cette différence qui est qu'on aurait un avantage sur les sourds c'est que si on est piloté, parachuté du jour au lendemain en Mongolie Extérieure, eh bien, ne pouvant pas faire autrement, très rapidement, on s'y mettrait et en quelques mois de temps, on finirait par communiquer oralement avec les Mongols. Et donc on apprendrait la langue mongole, qu'on le veuille ou non, parce que c'est ça ou mourir, d'une certaine façon, je prends un exemple un peu extrême mais c'est obligatoire, mais on pourrait apprendre la langue, ça prendrait peut-être plus ou moins de temps, parce qu'il y a des gens plus ou moins doués, bon, on le sait bien, mais en tout cas, on finirait par apprendre la langue, c'est ce que font toutes les personnes qui sont immergées dans une culture extérieure à la leur avec aucune possibilité de parler leur

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propre langue, un jour ou l'autre, elles finissent bien par apprendre la langue dans laquelle elles sont immergées. Tandis qu'un sourd, vous pouvez l'immerger pendant cinquante ans au milieu des entendants, s'il est tout seul malentendant, il n'apprendra jamais la langue des entendants, quelle qu'elle soit, que ce soit l'anglais, le français ou le mongol donc c'est pas, le... et j'en reviens à la question que vous m'avez posée au début, quelles sont les raisons qui expliquent cette difficulté d'apprentissage, - vous savez que plus des 3/4 des adultes sourds en France sont illettrés, en France et en Europe de façon générale, et c'est pas un hasard. C'est parce que, donc, il y a eu ce rejet de tout ce qui était gestuel pendant des décennies et des décennies qui a fait qu'on a considéré les sourds comme étant des personnes qui étaient dans le versant de la déficience, ce qui est une forme de déficience, incontestablement, on peut pas dire que d'être sourd - sourd profond de naissance - personne ne peut dire que c'est, avec tout ce que ce mot peut avoir de respectueux, que c'est normal, parce que le développement humain, c'est pas d'être sourd. La norme humaine, c'est pas d'être sourd. (Excusez-moi : sonnerie portable). La norme humaine, c'est pas d'être sourd. Donc, effectivement, personne ne peut prétendre... donc, je mets beaucoup de guillemets autour de ce mot normal, vous verrez pourquoi tout à l'heure, parce que je reviendrai sur ce concept, mais il n'empêche que bien sûr que ça correspond à une déficience, seulement c'est une déficience, c'est une déficience portant uniquement sur la communication. Pendant de très nombreuses années, on a pensé que les sourds étaient muets. Ce n'est pas vrai, même si cela n'offre pas trop d'intérêt, mais surtout on a pensé que les sourds étaient atteints de déficience intellectuelle et on l'a crû consciencieusement, des médecins ont appris de génération en génération de médecins, ils l'ont appris pendant de très nombreuses années, jusqu'aux années 70 en France. Pourquoi ? D'abord parce que les sourds produisent des sons qui ne se maîtrisent pas toujours, c'est pas parce qu'ils sont sourds qu'ils sont muets, ils produisent des sons, à la fois corporels mais aussi des sons corporels que tout un chacun dans la vie ordinaire a appris à gérer, parce que les règles, le bon usage social fait que il y a des bruits corporels qu'on contrôle

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soi même, qu'on contrôle instinctivement, on n'apprend pas et encore, si, un bébé, un enfant on lui apprend encore une fois à contrôler certains bruits corporels mais de toutes façons, il le voit très bien, il le comprend très bien et quand il s'insère peu à peu dans la société, à l'âge adulte, il maîtrise ses bruits corporels. Un sourd ne les entend pas, comment les maîtriserait-il ? Alors évidemment, par l'intérieur, par les vibrations, il peut le sentir, mais tout ça ça mérite un apprentissage Et puis, surtout, il produit des sons vocaux qu'il n'entend pas et que donc il ne maîtrise pas, la plupart du temps. On peut lui apprendre à les maîtriser, mais spontanément il ne les maîtrise pas. Et dans les temps anciens, je parle de ça, tout au long du XXème siècle, au moins la 1ère moitié du XXème siècle, eh bien ces sons étaient apparentés à l'extérieur ou ressemblaient, entendus de l'extérieur par des gens ordinaires qui ne s'étaient jamais penchés sur la question, qui n'avaient pas réfléchi, qui ne s'étaient pas du tout intéressés à la question, étaient ressentis comme des sons proches de ceux que produisaient par ailleurs, par des arriérés mentaux.

Vous parlez ici des médecins ?

Pas seulement les médecins, l'opinion publique en général. Monsieur Tout le Monde, Monsieur Tout le Monde. Donc il y avait de la part des sourds, pas de la part des sourds, de la part des personnes ordinaires, des personnes entendantes une représentation première, non travaillée, non réfléchie, mais en pensée qui assimilait plus ou moins la surdité à un handicap intellectuel. Et ils ont gardé ce boulet, les sourds, pendant des décennies et des décennies, jusqu'à ce que les gens se mettent à réfléchir, un petit peu. D'une part, y'a eu tout ça, donc on a considéré les sourds comme des personnes déficientes, malades, handicapées, trouvez le mot que vous voulez - avec les époques les mots changent mais les idées restent à peu près les mêmes et on s'est dit...

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Ce sont lesquelles, ces idées justement ? Puisqu'on a affaire à un problème de communication et plus précisément de langue, est ce que l'on peut considérer, est-ce que l'on peut catégoriser les sourds parmi les handicapés, les malades ou éventuellement une minorité linguistique ?

Ah ! Voilà une question ! Voilà une question ! Alors, certains pensent, notamment, certaines associations extrêmement mobilisées, militantes, - et le mot est faible - envers la LSF, pensent qu'il s'agit d'une minorité linguistique. La loi ne dit pas cela. La loi reconnaît la LSF comme une langue à part entière, comme une langue, mais la loi ne se prononce pas sur les sourds, en tant que tels. Tout simplement parce que ce serait anticonstitutionnel de stigmatiser une catégorie de personne. Il est hors de question de stigmatiser ou de disserter sur une catégorie de personne. « Tous les êtres humains... », Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, « naissent et demeurent libres et égaux en droit, etc., etc. y compris les personnes handicapées. Alors, on parle aujourd'hui, non plus tellement... on dit bien sûr dans la vie quotidienne, « une personne handicapée ». Déjà quand on ne dit pas « un

handicapé » c'est déjà très bien, parce qu'il y a encore des gens qui disent « les handicapés », et même au plus haut niveau de l'Etat parfois on entend des gens qui devraient un peu plus surveiller leur langage, je ne vise personne, et qui disent : « les handicapés ».

Parce que les handicapés n'étaient pas considérés comme des personnes ?

Presque pas ! Alors, après on s'est habitués à dire : « les personnes handicapées » ou « les sportifs handicapés » ou « les étudiants handicapés », et puis « les travailleurs handicapés ». Déjà, c'est beaucoup mieux, parce que, c'est une catégorie sociale qui a un handicap. Ca, c'est pas tellement contestable. Aujourd'hui, on a pris l'habitude d'utiliser une autre expression qui consiste à dire : « les personnes en situation de handicap ». Alors, bien sûr, on pourrait dire, on pourrait ricaner en disant : Oh, oui,

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c'est toujours la même chose, c'est comme les techniciens de surface, c'est politiquement correct. Y'a un peu de ça sans doute, y'a un petit peu de ça. Mais pas que ! Parce qu' il y a une différence énorme. Quand on dit « personne en situation de handicap », on insiste sur le mot : « situation », c'est à dire que l'on insiste sur l'environnement, le contexte. Une personne est handicapée, non pas simplement parce qu'elle porte en elle-même une déficience, bien sûr qu'elle porte une déficience, mais c'est en cela que nous, nous ne suivons pas dans leurs idées, certains de ce que l'on appelle un petit peu les « extrémistes », les plus ardents militants de la LSF. Une personne handicapée porte en elle une déficience, incontestablement, mais cette déficience ne suffit, ne peut pas suffire à la caractériser. Ce qui caractérise son handicap, c'est l'articulation de cette déficience et de son environnement. C'est un peu l'histoire... c'est tout à fait le syndrome de Gulliver : Gulliver chez les Géants, Gulliver à Lilliput. Eh bien, d'un côté comme de l'autre, Gulliver est en situation de handicap, parce que, par rapport à nous Gulliver est un homme normal mais (23], mais dans la situation dans laquelle il était plongé, il était pas comme tout le monde et donc il était en situation de handicap parce qu'il ne pouvait pas avoir une vie normale, que ce soit chez les Géants que ce soit à Lilliput, d'un côté comme de l'autre il est en situation de handicap, donc c'était pas... c'est même la métaphore de Gulliver, c'est même la métaphore extrême parce que, lui n'avait pas de déficience d'une certaine façon, mais, en tout cas, c'est tout à fait ça. On est handicapé que par rapport à un environnement, c'est l'articulation entre sa propre déficience et son environnement. Les personnes sourdes qui ne vivraient qu'au milieu d'un monde de sourds ne seraient pas handicapées, puis qu'il n'y aurait pas de communication verbale, il n'y aurait que de la communication gestuelle. Elles ne seraient plus handicapées. Donc, pendant les cinquante, soixante premières années du XXème siècle, disons, depuis la fin du XIXème, alors que si on remonte beaucoup plus loin en avant l'abbé de l'Epée avait fait des choses formidables pour la langue des signes et puis c'était tombé en désuétude , complètement, ça avait été abandonné, on a dit les personnes sourdes, les enfants sourds sont des personnes déficientes qu'il va

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falloir, donc, rééduquer et on a dit, il faut les « démutiser », un mot absolument barbare, les démutiser, c'est à dire les rendre « non-muet », donc, leur apprendre à parler, et leur apprendre à parler, c'est leur apprendre à produire un langage oral articulé à partir de sons qu'ils n'entendent pas, en utilisant des sons qu'ils n'entendent pas. Quand on y réfléchit, c'est pas loin de la mission impossible, c'est pas loin de la mission impossible ! Parce que, certes, la pensée est là, et la pensée peut être brillante, elle peut être parfaitement articulée, mais, il faut pour arriver à faire ça, il faut deux, il faut réunir deux conditions : la première, c'est la réception du message de l'autre et la seconde c'est la production d'un message, l'émission du message - c'est la sémiologie de base... La réception du message, pour un sourd, elle ne peut se faire que par la lecture labiale, elle ne peut se faire, si il n'y a pas de geste, que par la lecture labiale, or la lecture labiale est tout à fait approximative, si bonne soit elle, elle est, de toutes façons, toujours approximative, c'est pour ça qu'on a inventé le LPC d'ailleurs, le LPC qui comme vous le savez n'est pas une langue, c'est simplement un soutien gestuel pour la lecture labiale, c'est tout, c'est une sorte de façon de souligner ce qu'on a appelé les synonymes labiaux. Il y a des sons qui sont utilisés avec les mouvements de lèvres et de langue qui sont à peu près semblables et donc, du coup, la personne qui se contente de lire sur les lèvres peut faire de la confusion et donc la lecture labiale, quel que soit l'apprentissage que vous conduisez vers un enfant sera toujours... c'est jamais du 100%. Même avec le codage LPC, avec le codage LPC on s'approche du 98, 99 %, avec un bon codeur. Mais, seul, c'est jamais du 100%. Eh donc c'est toujours approximatif et ça induit de nombreuses incompréhensions, ce qu'on appelle en langage familier et vulgaire un dialogue de sourd ! Cette expression a un sens très fort et elle dit bien ce qu'elle veut dire. Et, ça c'était pour la compréhension. Et pour l'émission du message on a donc voulu apprendre aux enfants et cela a duré pendant de très nombreuses années, on a voulu leur apprendre à produire un message sonore correspondant au nôtre, avec, donc, un apprentissage forcé de la production sonore, mais qu'ils ne maîtrisent pas, puisqu'ils ne l'entendent pas ! Et quand vous entendez un sourd qui parle et il y a des sourds qui parlent très

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bien, j'en connais quelques uns, très peu, très très peu, parce que c'est très difficile objectivement, il faut être vraiment quelqu'un d'extrêmement brillant, avec un encadrement de qualité et de proximité permanent, avec un soutien orthophonique quotidien, je dis bien quotidien pour arriver à être un bon oraliste. Donc, c'est très difficile, et comme c'est très difficile, il y a beaucoup d'échecs, parce que tout le monde n'a pas la chance d'avoir autour de soi ce qu'il faut pour, parce que tout le monde n'a pas la volonté, parce que les enfants, les sourds sont comme les autres, ils sont plus ou moins intelligents, comme tout le monde, donc l'apprentissage de l'oralisme est extrêmement difficile et n'offre que peu de chances de réussite. Et donc du coup, on « surhandicape » la personne sourde d'une certaine façon en l'obligeant à s'inscrire dans un échange de communication dont il ne maîtrise ni vraiment la réception ni vraiment l'émission. En plus c'est extrêmement fatigant, ça nécessite une mobilisation intellectuelle d'une très grande intensité et une personne sourde ne peut pas suivre une conversation... si vous étiez sourde et que vous soyez lectrice labiale, tout ce que je vous dis là, vous auriez décroché parce que ça demande..., c'est trop intense et c'est extrêmement fatigant, cela demande une concentration intellectuelle considérable. Et chez un petit enfant de trois, quatre, cinq ans, ils sont comme les autres, on ne peut pas leur demander plus que ce qu'ils peuvent donner. Et donc, du coup, tout ça vous explique qu'il y a eu énormément d'échecs, énormément d'échecs, et donc, les enfants, en plus la-dessus, vous ajoutez le fait que beaucoup d'enfants sourds, 92% d'enfants sourds naissent de parents entendants, les parents entendants quand ils découvrent qu'ils ont un enfant sourd, leur premier réflexe, un peu aujourd'hui, mais il y a encore quelques années en arrière, leur idée, c'était pas de penser à tous ces problèmes linguistiques, philosophiques, etc., c'était de se dire, mais non d'une pipe comment je vais faire avec cet enfant, comment je vais communiquer avec lui, on a vu, alors, des cas extrêmes, comme toujours, bien sûr, et minoritaires, peu nombreux, marginaux mais on a vu des parents rejeter leur enfant, parce qu'ils ont le sentiment d'être incapables de communiquer avec lui. On a vu des enfants sourds acquérir une sorte d'autisme secondaire uniquement dû à l'absence

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de communication avec la mère, uniquement dû à l'absence de communication avec la maman principalement.

Alors si on veut trouver une solution, comme vous le disiez, pour que les sourds puissent acquérir la lecture et puis surtout pour pallier à cet illettrisme, quelles pourraient être les solutions puisque vous nous expliquiez en fait que l'oralisme, c'est pas une réussite garantie. Aujourd'hui, quelles sont les méthodes pour acquérir la lecture pour un sourd ?

Eh bien, il n'y a pas de panacée, malheureusement ! Il n'y a pas de panacée. L'oralisme, comme vous avez bien résumé le sujet, n'est pas une réussite garantie, mais je ne voudrais pas donner l'impression que l'oralisme c'est le diable après avoir été le bon dieu. Il ne s'agit pas de dire aujourd'hui, pendant tant d'années les personnes qui s'occupaient des sourds ont eu tendance à répéter que la LSF, il fallait la diaboliser et que la seule solution passait par l'oralisme, on va pas aujourd'hui tenir un propos strictement symétrique. Ca serait aussi ridicule. Ce que nous disons, et ce n'est pas moi qui le dis, c'est un constat, les enfants qui ont eu la chance de pouvoir s'initier, notamment les enfants sourds de parents sourds, les quelques enfants sourds de parents sourds pour qui la LSF était une langue maternelle, naturelle, spontanée, pour peu qu'ils aient eu la chance de rencontrer des enseignants compétents sont entrés dans la lecture avec à peu près pas plus de difficultés que les enfants ordinaires. Donc, la solution c'est pour l'apprentissage de la lecture, c'est construire une méthode d'apprentissage de la lecture adaptée à ce mode de connexion particulier, à cette langue particulière qu'est la LSF. C'est à dire, non pas fondée sur le code de correspondance « phonème-graphème » mais fondé sur autre chose. Comment apprend-t-on à lire en France depuis toujours, j'ai envie de dire, toujours, depuis...Platon. On apprend à lire en faisant « b-a ba », « p-a pa », « r-a ra », quoi qu'en ait dit certains de nos ministres précédents, quoi que puissent en dire certains cercles d'intellocrates parisiens, la méthode globale n'a jamais existé en

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France, jamais, n'a jamais été utilisée nulle part et tous les enfants de France apprennent avec une méthode syllabique et ont toujours appris avec une méthode syllabique, tout le reste n'est qu'agitation médiatico-politique. Et un enfant ordinaire, à l'école, il apprend en faisant « p-a pa », « r-a ra », alors après on met tout un tas de fioritures autour, parce qu'il faut rendre la chose motivante, parce que la lecture c'est pas seulement... si on ne fait que ça, c'est de la mécanique, la lecture c'est pas seulement de la mécanique, la lecture c'est d'abord de l'intelligence, c'est de l'accès au sens, c'est l'accès à la beauté d'un texte, c'est l'accès à un univers, c'est, c'est l'accès au message donc la mécanique est au service de l'accès au message, on est bien d'accord là-dessus. Mais n'empêche que, à un moment, il faut passer par la mécanique. Une mauvaise image, je pourrais dire qu'on peut toujours rêver à faire des voyages, si on se contente de voyager à pied, on n'ira pas bien loin. Donc, la mécanique de la lecture n'est qu'un moyen d'accès au sens, c'est entendu, mais c'est un moyen absolument indispensable, or, le code de correspondance phonème-graphème, ce qu'on appelle le code de correspondance phonème-graphème qui veut dire « p-a pa », eh bien pour les sourds, il n'a aucun sens ! Puisqu'il en manque la moitié. Il n'a absolument aucun sens. Donc, il faut trouver une autre méthode d'analyse et de synthèse de l'univers écrit et cette autre méthode passe nécessairement, là pour le coup, par, d'une part, en premier lieu un apprentissage long et massif global, de lecture globale -alors, effectivement, chez les sourds, c'est le seul cas de figure où on peut prôner la lecture globale pour commencer, c'est à dire que les enfants sourds, il faut leur apprendre des quantités de mots, en correspondance « graphie - image » et la correspondance « graphie - image » permet d'accéder au concept. Si vous dessinez une table et qu'à côté vous écrivez le mot table, à force de voir ensemble les deux choses, l'enfant - je simplifie à l'extrême - l'enfant va comprendre que ce signe qu'il voit, cet ensemble de tracés qu'il voit sur le papier cela correspond à une table et ainsi de suite... Alors, évidemment, cette méthode a ses limites, parce qu'elle ne peut concerner que les objets concrets, simples et concrets - table, chaise, maison, voiture, papa, maman, ce que vous voulez - et si

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vous voulez lui faire lire le mot « aimer », ça va être compliqué avec un simple dessin.

Donc il faut aussi qu'il ait un support linguistique - je pense là notamment à la langue des signes pour pouvoir exprimer aussi ce qu'il voit, pour démontrer justement...

Alors justement, à partir de la base globale que l'enfant aura acquise, on va travailler sur l'alphabétisation, c'est à dire que l'on va passer à l'apprentissage des syllabes et des lettres. Et l'enfant sourd, même s'il ne peut pas les prononcer peut parfaitement comprendre comment s'opère le découpage d'un mot en syllabe et peut parfaitement comprendre qu'il y a 26 lettres et que ces lettres s'organisent ensemble pour former des mots, pour former des syllabes et puis des mots, ça il peut parfaitement comprendre. Il ne sait pas quel bruit cela fait, c'est entendu ( !), mais il peut parfaitement comprendre, vous connaissez peut-être le fameux triangle didactique de la prise de la lecture, c'est le sens, le signe et le son. Bien, si on enlève le son, il reste le sens et le signe. Or, on peut attribuer un signe à un sens et un sens à un signe. Donc, c'est comme ça qu'on procède, et puis peu à peu, l'enfant va arriver à décomposer tout les mots pour finir par comprendre et retenir les signes qui font l'écrit, les 26 lettres, plus la ponctuation, plus la différence, minuscule, majuscule, enfin, quelque chose comme ça et à partir de là, on va lui apprendre à les recombiner et c'est par aller-retour permanent, par découverte du sens qu'il va pouvoir comprendre un mot, c'est à dire que une méthode de lecture idéale pour un élève sourd, ça consiste à lui faire découvrir un mot par le sens dans un contexte et ensuite réutiliser ce mot dans un autre contexte.

Alors comment le réutilise-t-il, justement ? Par l'écrit ?

Par l'écrit ! Forcément par l'écrit. Mais alors, la langue des signes est le vecteur de communication entre le maître et l'élève, parce qu'il faut bien qu'ils communiquent

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d'une manière ou d'une autre le maître et l'enfant dans cette situation là, donc ils communiquent par le signe, par la langue des signes je veux dire, de la même façon que quand un maître de CP, une maîtresse de CP apprend à lire à ses élèves, elle leur parle en français ou en anglais ou en allemand si c'est en Angleterre ou en Allemagne. Dans ce cas-là la langue c'est le vecteur de communication qui permet de travailler sur l'objet d'apprentissage qui est le code écrit. Alors bien sûr qu'un enfant sourd va devoir accéder au code écrit, simplement il va devoir accéder au code écrit sans passer par la phonologie, du tout ou alors, mais j'y reviendrai après... Donc s'il ne passe pas par la phonologie, cela veut dire qu'il ne peut passer que par le sens et par les lettres. Il apprend la dactylologie - vous savez qu'il y a 26 signes gestuels qui correspondent aux 26 lettres, et puis il y a aussi des virgules, les points, et quelques bricoles de ce genre qui sont utiles et nécessaires pour les enfants et à partir de là, peu à peu, alors c'est plus long, c'est plus long, incontestablement, si brillant soit-il un enfant sourd peut ne pas savoir lire à 6 ans 1/2. Il faut du temps, il faut du temps. En général, on considère qu'il est normal, normal d'observer entre un et deux ans de décalage avec un enfant ordinaire à intelligence égale pour un bon apprentissage de la lecture.

D'accord. Vous parliez d'une alternative...

Alors, l'alternative qui a été utilisée pendant de très nombreuses années dans tous nos pays, enfin surtout en France, plus encore qu'ailleurs, en Italie aussi, c'est de passer par la voie orale. C'est à dire que comme je le disais tout à l'heure on

« démutise » les enfants - on les oblige à oraliser et ensuite on essaie de leur apprendre le code de correspondance « phonème-graphème », le même que vous et moi on a étudié, quand on étaient petits. Mais ça ne marche pas ! Et c'est pour ça qu'il y a 75% d'échec. Chez les enfants ordinaires il y a entre 5 et 8 % d'échec pour l'apprentissage de la lecture, chez les enfants sourds, il y a 75 %. Pourquoi ? Parce que quand on essaie de faire apprendre le code de correspondance « phonème-

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graphème », c'est à dire le « b-a ba » dont je parlais tout à l'heure à un enfant sourd, eh bien, même si on lui a appris à oraliser, ça ne marche pas. Dans 3 cas sur 4, ça ne marche pas. Et pour autant je ne suis pas en train de dire qu'il faut bannir ou oublier, évacuer dans les poubelles de l'Histoire - et j'utilise le mot poubelle à dessein parce que certains l'utilisent - l'oralisme, parce que l'oralisme est utile pour un enfant qui en grandissant va devoir s'insérer dans une société faite d'entendants et dont les 9/10èmes ne maîtriseront jamais la langue des signes et il faut donc bien qu'il communique avec ses concitoyens. Eventuellement il peut avoir des amis entendants, souvent d'ailleurs les amis entendants se mettent à signer mais pas tous. Et s'il est sourd lui-même un jour il aura un travail, un emploi, je veux dire, faut pas rêver, dans son emploi, il n'aura pas un interprète à côté de lui, pour parler avec ses collègues ou avec son patron. Donc il faut bien que, aussi - c'est une double charge de travail quelque part - il faut bien qu'il apprenne aussi à communiquer avec le monde entendant. Et la communication avec le monde entendant, qu'on le veuille ou non aujourd'hui, la seule dont on dispose réellement c'est l'oralisme. Mais ce que nous disons avec certitude, c'est que autant l'oralisme est quelque chose qui est sans doute - j'allais dire presque un mal nécessaire, c'est presque exagéré mais pas tout à fait, mais en tout cas nécessaire parallèlement à la langue des signes, c'est à dire que l'idéal pour un enfant c'est d'être trilingue, c'est de connaître la langue des signes, le français oral et de connaître le français écrit. Ca c'est merveilleux. Il peut tout connaître. On en est loin aujourd'hui pour tous les enfants sourds de France, on en est très loin, mais c'est ce vers quoi on essaie d'aller. Mais en tout cas, pour l'apprentissage de l'écrit, on sait que l'oralisme c'est pas la bonne voie. Il faut donc développer un apprentissage fondé sur la LSF. Alors, qu'est ce qu'on a fait pour ça ? Eh bien on a essayé de s'organiser peu à peu à l'Education Nationale. On a fait plusieurs choses à la fois, parce que la loi d'abord nous y oblige, formellement, la loi a reconnu la langue des signes comme langue à part entière, donc à partir de là elle devient une discipline scolaire d'enseignement, point. En plus la loi va plus loin, elle dit que les élèves concernés peuvent, doivent pouvoir recevoir un enseignement de

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LSF et que c'est une langue et que c'est leur langue. Donc, du coup, il nous faut, nous, organiser un enseignement de la LSF. On est obligé de le faire, pour les élèves concernés. Alors qu'est-ce qu'un élève concerné ? Eh bien c'est un élève dont les parents ont fait le choix du bilinguisme, ce que nous appelons le bilinguisme, c'est le français LSF.

Alors, français, écrit-oral ?

Nous l'avons défini comme étant la LSF plus le français écrit. Nous avons à priori exclu l'oral, non, pas exclu l'oral, mais nous l'avons pas introduit dans la définition du bilinguisme, la loi ne nous dit pas ce qu'est le bilinguisme et le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé. Le Conseil d'Etat a été interrogé là-dessus, il a considéré que ce n'était pas une notion juridique, et qu'il n'avait pas à se prononcer sur ce qu'était le bilinguisme. Donc, nous avons, nous décidé à l'Education Nationale après de très nombreux travaux avec des experts de tous ordres, nous avons décidé que le bilinguisme c'était la LSF et le français écrit pleinement, l'oral, c'est la formule aujourd'hui consacrée étant donné par surcroît.

Par qui ?

Par la famille essentiellement, par les orthophonistes, par les orthophonistes. Et donc, dans notre projet, nous n'enseignons pas l'oral à l'école aux enfants sourds. On peut utiliser l'oral, si l'enfant le maîtrise, mais cela n'est pas un objet d'enseignement, et encore moins, alors là c'est clair et net, on a proscrit toute évaluation, toute notation à l'oral. En revanche, la LSF sera évaluée, c'est un apprentissage, comme un autre. Alors, pour pouvoir apprendre ce qu'il faut apprendre à l'école, c'est à dire lire écrire, compter - les maths, l'histoire, la géo, les sciences, etc, etc., etc., il faut bien un vecteur de communication et c'est la raison pour laquelle nous avons l'obligation d'organiser un enseignement DE la LSF et puis l'enseignement EN LSF. Mais pour que l'enseignement EN LSF fonctionne, c'est comme en français, il faut un

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enseignement de la LSF correct. Parce qu'on ne peut pas enseigner EN à quelqu'un qui ne maîtrise pas. Aller enseigner les maths en anglais à quelqu'un qui ne parle pas un mot d'anglais, vous ne pourrez pas lui enseigner les maths, aussi brillant soit il en mathématiques. C'est pareil pour la LSF. Donc, il faut, il faut conduire parallèlement les deux. Et c'est très compliqué, bien sûr. Et nous n'avons pas des professionnels pour ce faire. Nous avons procédé selon une méthode qu'on pourrait presque qualifier de façon imagée et burlesque de charge de la brigade légère, c'est à dire qu'on a mis en place un dispositif, on a donné aux recteurs et aux académies des obligations de résultat, on a conçu des programmes scolaires d'enseignement de la LSF, on a organisé une épreuve facultative au Bac pour la LSF et bientôt d'autres examens scolaires et tout ça sans avoir le moindre professeur pour l'enseigner. Donc autrement dit, on a donné des objectifs, on a donné des cibles, on a donné des consignes et on n'a pas la ressource pour le faire.

Et les professeurs CAPEJS ? Qui sont eux... enfin qui ne relèvent pas du même ministère.

Cela ça n'a aucune importance.

Qui relèvent des Affaires sociales, est-ce que ça peut pas justement être...

Bien sûr que ça peut nous aider !

...Un renfort pour l'Education Nationale ?

Mais bien entendu. Alors vous touchez du doigt un problème sensible, à plusieurs titres, sensible entre les ministères, parce que pendant très longtemps, le Ministère des Affaires Sociales a souhaité que les professeurs CAPEJS soient intégrés à l'Education Nationale, ce qui n'a pas été fait. Qui n'est pas à l'ordre du jour...

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Ca date de quand ? Est-ce que cela peut être lié avec la loi de 1991 qui reconnaissait déjà le bilinguisme ?

Ca date de 1978.

D'accord.

Cela date de 1978, cela date de 78, parce qu'en 78 pour des raisons qui seraient trop longues à expliquer ici, on a décidé d'intégrer dans l'Education Nationale, tout, allez, on va dire ce qu'on appelait dans le temps l'éducateur spécialisé, l'éducateur technique spécialisé qui enseignait dans des établissements médico-sociaux à des enfants handicapés mentaux, moteurs, etc., et aveugles, non, pas aveugles justement ; et on a laissé de côté les professeurs qui enseignaient aux sourds et aux aveugles. Et depuis cette époque là, plus ou moins, ils réclamaient leur intégration dans l'Education Nationale. Ce qui ne leur a jamais été accordé. Pour des raisons que je ne m'explique pas bien, c'était bien avant que j'arrive, de toutes façons, ce sont des décisions politiques qui ne me passionnent pas, nous sommes dans la sphère administrative et puis locale, nous ne sommes pas dans le politique. Depuis la loi de 2005, la question a été remise sur le tapis et la réponse a toujours été la même, non ! Pas d'intégration ! Mais c'est pas le problème majeur parce que les professeurs CAPEJS sont des professeurs diplômés, certifiés, qui reçoivent une vraie formation, ce sont des enseignants, tout ce qu'il y a de compétent sur le plan pédagogique et qui méritent autant de respect que nos professeurs à nous. Certains d'entre eux sont spécialisés en LSF, d'autres en LPC, d'autres ni l'un ni l'autre et puis il y a des professeurs pour les aveugles également. Mais nous n'en parlons pas de ceux-là. Pourquoi, pour le moment les professeurs CAPEJS n'ont pas été plus sollicités. Alors, il y a des raisons à la fois administratives et financières et il y a des raisons idéologiques. Les raisons administratives, c'est le fait que, la République Française étant ce qu'elle est, quand on est dans un ministère et qu'on veut aller dans un autre

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ministère, c'est la croix et la bannière. C'est bien plus facile d'aller travailler dans le privé quand vous venez d'un ministère que de changer de ministère. Donc les détachements d'un ministère à l'autre sont extrêmement compliqués, cela s'améliore un peu mais pas beaucoup et tout ça est très filiarisé et très verticalisé ce qui fait qu'il n'y a pas d'habitude d'avoir recours aux professeurs CAPEJS. Ca ça peut changer, une habitude ça ce change. Encore faut-il des impulsions. Et puis il y a des problèmes de rémunération. En moyenne les professeurs CAPEJS sont mieux payés que nos profs à nous. Donc il fallait aussi trouver une solution qui n'a jamais été trouvée réellement, soit qu'on a jamais cherchée, soit pour permettre aux professeurs CAPEJS de garder leur rémunération, pourquoi les payer moins sous prétexte qu'ils passeraient chez nous ou alors permettre aux nôtres d'être payés un petit peu plus. Tout ça n'a jamais véritablement été abordé de front, considéré sans doute comme trop compliqué par... la sphère politique. Et puis il y a une raison idéologique qui est bien plus importante encore, c'est que les tenants de la LSF et certaines associations, nombreuses en France, considèrent que les professeurs CAPEJS sont de très mauvais signeurs et pas capables d'enseigner la LSF. Et donc ils ne veulent pas que leurs enfants, en milieu scolaire, soient enseignés par des professeurs CAPEJS et donc pour éviter des incidents diplomatiques, on a évité d'y avoir recours. Mais ça viendra un jour, ça viendra, parce que, je vous disais tout à l'heure que nous avions organisé un système qui consiste à dire voilà : dans toutes les académies, il y aura des pôles ressource - c'est une des raisons de mes déplacements en province, les plus fréquentes actuellement, je me déplace en moyenne bien au moins une fois par semaine, les 3/4 de mes déplacements sont autour de la LSF. Nous avons organisé des pôles ressource - je vous donnerai la référence du texte officiel, vous allez voir sur le B.O. (Bulletin Officiel) - je pense que vous la lirez avec intérêt compte tenu de tout ce que je vous ai dit. Donc vous demandez aux recteurs d'organiser des centres, des lieux, dans lesquels un enfant qui entre à la maternelle dont les parents ont fait le choix bilingue, uniquement, puisse se voir offrir un parcours de formation bilingue jusqu'au Bac. Bien sûr aujourd'hui, il n'y en a pas mais un jour cela viendra et on leur

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dit voilà, il faut que cela soit fait de telle sorte que, modulons les questions de transport, les enfants, les familles qui font ce choix puissent avoir un pôle ressource à une distance raisonnable de chez eux, c'est à dire qui leur permette, qui permette à l'enfant de rentrer en taxi à la maison, tous les soirs. On ne souhaite pas imposer l'internat aux familles, quoi que, en province, il y a énormément d'enfants, vous le savez bien, et d'adolescents notamment qui vont au collège en internat. Enfin, bon... Seulement, la question qui s'est posée, c'est qui va assurer cet enseignement ? Pour l'instant, on n'a pas. Et comme on n'a pas, on a dit, soit, on va embaucher par contrat sous format contractuel, donc pour un certain temps, en CDD, des gens qui sont eux-mêmes signeurs, des bons signeurs. Evidemment, on préfère embaucher des entendants, alors ça plaît pas aux associations de personnes sourdes ! Pourquoi on préfère embaucher des entendants ? Parce que si l'on embauche quelqu'un qui est totalement bilingue et qui peut travailler en effet avec les enfants sourds mais qui entend comme vous et moi, eh bien il peut s'insérer plus facilement dans une équipe de professionnels dans une école ou un collège. Tandis que sinon il nous faut un interprète en plus. Cela devient très compliqué. Ou alors il faut que lui-même, il oralise, et c'est très lourd ! Nous avons des professeurs sourds, contractuels, nous en avons dans différents établissements mais ce sont des gens à qui on demande, comment dire, à qui on demande, en permanence, un effort double de leurs collègues, parce qu'on leur demande d'enseigner leur discipline, c'est à dire la LSF, bon, ça d'accord c'est facile pour eux - on vérifie quand même que ce sont des bons signeurs, premièrement et puis on vérifie aussi qu'ils ont une bonne relation pédagogique, un bon sens pédagogique, on leur donne des conseils, c'est pas le plus compliqué, mais il faut aussi qu'ils puissent échanger avec les parents - ils sont pas toujours signeurs, faut qu'ils puissent communiquer avec les autres profs de l'établissement - aucun n'est signeur pratiquement, il faut qu'ils puissent communiquer avec le chef d'établissement, avec l'administration, donc, qu'est-ce qu'ils font, tous ceux que nous avons - on n'en a pas beaucoup, on doit en avoir une petite dizaine, actuellement, ben qu'est-ce qu'ils font, eh bien ils oralisent, tout

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simplement, parce qu'ils n'ont pas d'autre moyen. Ils sont tellement contents de travailler... d'abord de travailler premièrement, pour les sourds déjà, c'est un objectif social important en soi, tous les sourds n'ont pas accès à l'emploi, donc déjà travailler, de gagner leur vie. Et puis pour remplir une mission qui évidemment est une mission qui est pour eux et surtout pour nous, extrêmement noble, extrêmement importante qui est d'enseigner la LSF à nos enfants sourds, donc, ils considèrent que c'est suffisamment important pour se donner à eux-mêmes, en quelque sorte, la peine de communiquer en oralisant avec les autres. Cela dit, il est clair que c'est un peu plus facile quand la personne est elle-même entendante. Mais certains nous disent attention, attention, vos entendants, si bons soient-ils, ils ne seront jamais capables d'être aussi bons qu'un sourd.

Qui vous dit ça ?

Les associations, certaines associations de parents d'enfants sourds. Et certaines associations de promotion de la LSF. Parfois animées par des sourds mais pas seulement, par des sourds et également par des entendants. Donc, les professeurs CAPEJS, pour en revenir à votre question sont des personnes qui un jour ou l'autre ont vocation à venir enseigner la LSF chez nous, alors cela pose aussi des problèmes administratifs parce que, si, en admettant, un professeur CAPEJS veut faire, je ne sais pas, 20 heures de cours par semaine, j'en sais rien, c'est un chiffre, admettons, si on lui demande de venir en faire 10 chez nous, eh bien cela va faire 10 de moins qu'il va faire dans l'établissement où il travaillait avant. Donc ça va être très coûteux pour l'établissement, il va falloir qu'ils embauchent d'autres professeurs, donc il va falloir qu'il y ait compensation financière, tout cela est très compliqué à mettre en oeuvre. Jusqu'à présent cela ne s'est pas mis en oeuvre, à cause de ces complexités là. Mais à partir du moment où on a lancé le déclic où on a donné le déclic de départ en disant, si vous voulez, en disant aux Académies, il faut le faire, eh bien il va bien falloir qu'ils trouvent un moyen et le moyen, l'un des moyens aujourd'hui les plus simples

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et les plus rapides, les plus efficaces, les plus performants, c'est d'utiliser les profs CAPEJS. Donc, cela va venir, peu à peu.

Parce que, les profs CAPEJS sont déjà au sein de l'Education Nationale, concrètement, c'est à dire qu'ils animent aujourd'hui, ils enseignent aux côtés d'instituteurs,...

Oh ! Pas tous, pas tous !

Il semblerait que les établissements spécialisés, les instituts se vident aujourd'hui avec justement la loi de 2005 qui incite à l'intégration...

C'est vrai.

... individuelle.

Alors, c'est pas tout à fait comme ça que ça se passe, c'est à dire que les instituts aujourd'hui ont eu tendance à externaliser leur propre formation et au lieu de les garder dans les murs, de les implanter dans les établissements scolaires ; et c'est la raison pour laquelle, effectivement, les professeurs CAPEJS, au quotidien, travaillent au sein des établissements scolaires, ça c'est vrai, c'est vrai, mais c'est pas tout à fait la même chose que les pôles ressource qu'on a imaginés parce que, encore une fois, le professeur CAPEJS, il enseigne l'histoire ou la géographie, son métier c'est d'enseigner l'histoire ou la géographie, c'est pas d'enseigner la LSF ! Et la LSF n'était pas une discipline d'enseignement. Et il enseigne l'histoire ou la géographie, la plupart du temps, par la voie oraliste. Rares sont les professeurs CAPEJS qui signent. D'après nos collègues des Affaires Sociales, ce sont des gens avec qui on travaille énormément, forcément, nécessairement, nous, moi, dans nos bureaux, ce sont pratiquement nos premiers partenaires, ce sont nos premiers partenaires, nos collègues des Affaires Sociales, ils estiment, eux, parce que c'est leur domaine, et je

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les crois, bien entendu, qu'il n'y a pas plus de 15% des professeurs CAPEJS qui signent réellement. Et certaines associations de personnes sourdes considèrent que des professeurs CAPEJS qui se disent signeurs sont de mauvais signeurs. Il est évident que ce n'est pas moi qui vais aller trancher dans ce conflit, je ne me permettrai pas d'aller évaluer le niveau de LSF d'un professeur quelconque de CAPEJS, je n'en ai pas la compétence et même si j'avais la compétence, je n'en aurais pas l'intention. Mais donc on est obligé de tenir compte de tous ces points de vue. Donc pour le moment, ça commence tout juste mais peu à peu cela va se développer, en quelque sorte on a dit au système éducatif - on a fait l'inverse de ce qu'on fait toujours - on n'a pas dit on va construire d'abord des ressources et des moyens et puis après on va se fixer des objectifs on va mettre tout ça en place, on a fait l'inverse. On a fait l'inverse, on a fixé des objectifs et des dispositifs, on a dit aux gens maintenant il faut travailler sur les moyens.

Alors, justement, au sein de votre Direction, quels sont les moyens qui sont engagés et quelles conséquences a eu cette loi de 2005, est-ce qu'il y a eu des formations de lancées, est-ce à vous de lancer ces formations pour les professeurs à l'attention des élèves sourds ?

Des formations de profs ?

Oui.

Y'en a, ça se développe. Pas encore énormément mais y'en a. Alors nous avons d'abord, des diplômes spécialisés qui sont des diplômes il faut bien le dire essentiellement pédagogiques, je veux dire, à connotation principalement pédagogique dans lesquels, - peu importe comment on appelle ces diplômes-là, on les appelle les CAPA-SH - c'est un peu compliqué comme terminologie et le sens exact de ce sigle n'a pas très grand intérêt pour vous, je pense, CAPA-SH dans le 1er degré, 2 CA-SH dans le 2nd degré, enfin peu importe, ce sont des formations un peu

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lourdes qui durent un an, quand même, et qui sont données à des professeurs déjà titulaires. Ce sont des formations essentiellement pédagogiques, en quelque sorte, de spécialisation pédagogique, mais ils reçoivent quand même une initiation à la LSF, mais ça n'est qu'une initiation, il y a 50 heures de cours sur un an, qu'est ce que c'est que 50 heures, ça permet tout juste à un débutant de balbutier, d'entrer en communication, j'allais dire la communication primaire pour les choses toutes simples : « viens ici, viens là, sors, c'est l'heure de la récré, comment tu t'appelles, moi je m'appelle untel, enfin bon ! Ca suffit pas pour enseigner, ça suffit pour entrer en communication mais ça suffit pas pour enseigner. Cela dit, la plupart des professeurs qui ont reçu cet enseignement ensuite poursuivent, c'est à dire, qu'ils s'inscrivent à des formations que nous proposons qui sont des formations complémentaires, de perfectionnement. On estime qu'après 300 heures, ils peuvent devenir suffisamment bons signeurs, pour enseigner en LSF, pas pour enseigner la LSF ! Parce que pour enseigner la LSF. Pour enseigner en LSF, on pense que 300 heures, c'est suffisant. Et l'expérience montre que c'est le cas. Et donc, un certain nombre de ces professeurs-là, qui sont encore peu nombreux, je vous l'accorde, on les compte sur la France entière, par dizaine ou par centaine, pas par milliers, un certain nombre de ces professeurs-là donc s'inscrivent à des formations complémentaires, au fil des années et deviennent de bons signeurs. Pas suffisant, pour être des experts linguistiques, mais assez pour communiquer à l'aise avec des enfants. Alors souvent, d'ailleurs, les enfants rigolent en disant : « oui, oui - quand on les interroge de façon anonyme et très finement, on fait des enquêtes, il y en a eu de faites - les enfants disent « oui, oui, ce professeur il est super sympa, mais bon, je signe mieux que lui, c'est pas grave, on se comprend ! C'est très fréquent, c'est très fréquent et les profs le savent et ils apprennent beaucoup de leurs élèves, d'ailleurs, parce que finalement c'est en forgeant qu'on devient forgeron et le prof qu'a eu le pied à l'étrier, qu'a reçu une première formation qui lui a permis d'entrer avec ses élèves en communication peu à peu avec ses élèves, et il apprend avec ses élèves, il s'améliore, parce que un adulte s'améliore plus vite qu'un enfant, quoi qu'on dise, quoi qu'on dise, un enfant

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a beaucoup de mémoire, mais il faut des situations d'apprentissage très longues. Un adulte qui est motivé, il apprend très vite. Donc peu à peu, enfin, vous le savez bien, il s'exerce au quotidien et puis il fait des inférences, il tire des conclusions, il établit ses propres lois, ce qu'un enfant ne sait pas faire, et ensuite, il sait comment s'exercer, les exercices qu'il doit généraliser, là où il doit faire des progrès, il est son « auto-apprentisseur », si je puis dire, - c'est pas très français ce que je viens de dire mais enfin bon, on comprend -, ce qu'un enfant tout seul ne peut pas faire, ne peut pas faire. Donc nos enseignants, finalement, s'améliorent. Et puis, alors là c'est la cerise sur le gâteau, nous sommes en train de créer un diplôme, qui n'existe pas encore, j'insiste bien sur ce point, mais le ministre l'a annoncé pour 2010, c'est pour ça que je me permets de le répéter qui sera le CAPES de LSF, comme il existe des CAPES d'histoire, de sciences, de maths, de lettres, d'anglais, d'allemand, etc., etc. Il y aura un CAPES de LSF. La première promotion, le premier concours sera organisé en juin 2010.

D'accord. Les sourds pourront y accéder ?

Oui. Tout à fait. Et c'est là une grande première dont nous sommes assez fiers, c'est que pour la première fois les sourds pourront accéder à un concours de recrutement d'enseignants de l'Education Nationale, dans une discipline qui est la leur, c'est à dire la LSF, mais alors attention, ce concours, il faudra pas le donner dans une pochette surprise, c'est à dire que ça sera un vrai concours, il y a un vrai programme à ce concours. D'abord il faudra évidemment savoir lire et écrire le français très correctement, sinon, on ne devient pas professeur de l'Education Nationale, si on ne sait pas lire et écrire correctement le français. Toujours pareil, nos associations de personnes sourdes sont scandalisées, sur ce point, elles disent « oui, mais c'est un scandale, vous allez défavoriser les personnes sourdes ». Je leur ai dit « écoutez, certes, au début on va défavoriser un certain nombre de personnes sourdes, mais premièrement, quand on est adulte sourd, eh bien on peut se donner la peine

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d'apprendre à lire et à écrire, c'est possible, il y en a des quantités qui le prouvent tous les jours, donc, on peut, je parle d'adultes, hein, et puis de toutes façons, il n'est pas question qu'on recrute des professeurs fonctionnaires de l'Etat, qui ne sachent pas lire ni écrire, ce serait humiliant pour eux, ce serait de la discrimination à l'envers, ce serait une sorte de ségrégation, c'est pas possible ! Ils ont droit à la même carrière, à la même dignité au même salaire que leurs collègues et donc ils ont aussi un certain nombre de devoirs et parmi ces devoirs il y a la nécessité de savoir lire et écrire. Mais ce sera ouvert aux personnes sourdes, ce qui est une grande première, comme vous le savez, les sourds sont les seuls pour l'instant qui n'ont véritablement pas accès aux concours de recrutement de professeurs, mais ça sera aussi ouvert à d'autres, il y aura donc un contrôle de l'aptitude à la lecture et à l'écriture en français. Toutes les épreuves qui ont été imaginées pour ce CAPES sont des épreuves bilingues, français - LSF, écrit-LSF ou LSF-écrit, enfin sous forme de vidéos, enfin il y a des choses très compétitives qui vont être mises en place, c'est un concours qui va coûter très cher mais cela ne fait rien et puis bien entendu, bien entendu, il faudra faire également la preuve d'une excellente maîtrise de la LSF, quasi-comparable à celle d'un interprète, tout cela est codifié, on connaît parfaitement les niveaux de langue qui sont requis, comme vous le savez il existe un référentiel européen pour les langues qui est admis dans toute l'Europe. On considère que le niveau C1 - vous savez, il y a A, B, C, et puis A1, A2, A, etc., on considère que le niveau C1 est suffisant pour devenir interprète. Interprète, c'est le summum, c'est le top, on ne peut pas faire mieux, donc on a posé pour le CAPES, au minimum le niveau B2, c'est-à-dire, juste au-dessus du niveau C1, donc il y aura quelques universitaires qui interrogeront les personnes pour s'assurer qu'elles maîtrisent la LSF à ce niveau-là. Parce que vous savez sans doute aussi bien que moi, même parmi les sourds signeurs il y a une énorme diversité, il y a des sourds qui ne signent pas et il y a des sourds qui signent très mal. Ceux qui n'ont jamais appris, qui n'ont jamais été confrontés, pas confrontés mais mis en présence d'autres sourds, comment l'auraient-ils appris ? Ils ne pouvaient pas, donc il y a des sourds qui ne signent pas ou très très mal.

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Sur le CAPES, j'aimerais juste m'assurer que j'ai bien saisi, pour les enseignants sourds, il y aura une épreuve de lecture et écriture ?

Oui.

Mais la lecture, vous le disiez vous-même, le bilinguisme c'est LSF et français écrit. Comment un enfant qui a suivi ce parcours bilingue « LSF-Français écrit » pourra ensuite passer cette épreuve de lecture ?

Y'a pas d'oral ! Y'a pas d'oral. On va... il y a plusieurs façons de procéder. On ne sait pas encore, tout ça n'est pas fixé, - il y a encore une réunion cet après midi-même à ce sujet - il y a plusieurs façons de procéder. On peut imaginer de donner un texte à la personne sourde, à lire et puis ensuite on l'interroge, un examinateur LSF en face à face l'interroge sur le texte.

D'accord, c'est de la compréhension de texte !

Oui, la lecture et la compréhension...

D'accord.

Et ça se fera sans doute, à un moment ou à un autre, ça se fera. On peut lui demander de nous lire un texte et de signer. Il est enregistré en vidéo, il est enregistré en caméra, par exemple, puis ensuite l'examinateur regarde la vidéo et met une note. Il a le texte, évidemment, l'examinateur, et il met une note. Simplement la lecture signée, c'est tout. On lui donne trois pages de Victor Hugo, et voilà : « vous lisez, vous signez les trois pages de Victor Hugo, sans aucune interprétation de votre part, vous vous contentez de faire ça ». On va bien voir, on va bien voir ! On va lui donner une vidéo sur laquelle, il y aura un débat ou une conférence en LSF, alors 5 minutes, pas pour une heure, quelques minutes et on va lui dire, maintenant « vous nous

retranscrivez tout ça par écrit, en français écrit ». Donc il y a des manières de faire, mais jamais d'oral, strictement « LSF-écrit/écrit-LSF ». Eh puis il y aura des épreuves, strictement de LSF.

Donc là, on peut penser que la question de l'enseignement de la langue des signes est résolue...

Elle sera résolue !

A l'horizon 2010...

En tout cas, elle commencera à l'être.

D'accord. Pour ce qui est de l'enseignement en langue des signes, je reviens sur les pôles ressource, qui va constituer..., comment vont être constitués ces pôles, qui va les animer ?

Alors, il y a plusieurs pistes, mais on a pensé à plusieurs entrées, et c'est en combinant toutes les entrées qu'on réglera le problème. Première entrée, les enseignants dont je vous parlais tout à l'heure et qui ont obtenu un diplôme spécialisé et se sont perfectionnés et qui sont donc capables d'enseigner en LSF, d'enseigner le français écrit, d'enseigner les maths, d'enseigner l'histoire, encore une fois je répète, la litanie des différentes disciplines scolaires qui existent à l'école et que les enfants sourds, comme les autres, doivent apprendre, ni plus ni moins, mais pas moins ! On aura, éventuellement encore pendant un certain nombre d'années parce qu'on ne pourra pas l'éviter, des contractuels - alors bien sûr, c'est l'emploi précaire, oui d'accord, OK, mais il y a un moment où il faut aussi savoir ce qu'on veut !

Ils sont formés par qui ? Parce que Chambery forment les CAPEJS.

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Les contractuels ? Non !

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Vous formez...

Non, on met les annonces à l'ANPE.

Donc, il faudra qu'ils soient enseignants...

Faudra d'abord qu'ils soient excellents signeurs, sourds ou pas sourds, puis ensuite on verra avec eux, quels peuvent être également leurs champs d'enseignements, est-ce que par ailleurs ils ont fait des études de maths ? Pourquoi pas ! Dans ce cas-là, on va leur dire, bien écoutez, on vous propose d'enseigner les maths, est-ce qu'ils ont fait des études, on va dire, généralistes - ils ont fait une licence de philo, de socio, de psycho ou Sciences Po, tiens, pourquoi pas ? Et on leur dira, soyez professeurs des écoles et vous enseignez tout, à l'école on enseigne tout. Le même enseignant est généraliste. La polyvalence, ça s'appelle pas généraliste, ça s'appelle polyvalent et on aura différentes possibilités, mais en tout cas, on n'évitera pas le recours à un certain nombre de contractuels et puis on vérifiera leurs capacités pédagogiques, si au bout d'un certain temps on s'aperçoit que ça colle vraiment pas, il faudra bien qu'on leur explique que ça colle pas, on les accompagnera sur le plan pédagogique et il y aura du soutien pédagogique, avec des conseillers pédagogiques. Il y aura une troisième voie, une troisième voie, une source d'approvisionnement, si je puis utiliser ce vilain mot, ce sera ce qu'on va appeler le certificat complémentaire, c'est à dire qu'on va prendre les profs actuellement en poste, à la fois dans les écoles et dans les collèges, volontaires, bien sûr, évidemment, cela tombe sous le sens, à la fois dans les écoles et dans les collèges ou dans les lycées même, on va leur dire : « voilà, vous êtes profs, très bien, OK, vous êtes reconnus comme profs, vous avez 10, 15, 20 ans de métier derrière vous. Il se trouve que vous êtes signeurs, déjà, parce que vous avez un papa sourd ou un enfant sourd ou un copain sourd ou votre femme est sourde » - et on s'aperçoit qu'il y en a beaucoup, si vous saviez le nombre de profs qui signent en France, moi je m'imaginais pas, depuis qu'on a lancé cette recherche, on en découvre

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tous les jours de nouveaux dans les Académies, encore la semaine prochaine, je vais en voir un à Besançon, à Vesoul, exactement. Des profs, qui exercent leur métier de prof dans un établissement depuis parfois 20 ans, même leurs collègues ne savent pas qu'ils signent, parfois, et on découvre qu'ils savent signer ! Parce que leur femme est sourde ou leur mari ou leur père ou leur mère ou leur gosse, enfin. Et donc, on va les voir, on vérifie leur capacité à signer et on leur délivre ce qu'on appelle un certificat complémentaire. C'est à dire qu'à partir de là, si ils sont profs de maths, - celui que je vais voir la prochaine fois là, prochainement, il est prof de maths justement -, ils sont profs de maths, ils deviennent profs de maths avec certificat complémentaire en LSF. Donc, ils peuvent enseigner les maths à tout le monde et en plus ils peuvent enseigner les maths en LSF à des enfants sourds. Ca c'est officiel, c'est tamponné. Alors, y'a pas une paye plus importante à la fin du mois, mais en tout cas, ça leur permet aussi d'utiliser « un plus » dans leur exercice professionnel et donc on va leur proposer, on va pas leur imposer, jamais ! Vous savez on n'impose pas grand chose à l'Education Nationale, contrairement à ce qu'on pourrait croire, pratiquement jamais rien - on va leur proposer de bien vouloir enseigner dans les pôles ressource. Et on va comme ça constituer des équipes, soit d'enseignants qui auront appris la langue des signes secondairement, c'est la première filière, soit d'enseignants qu'on découvre signeurs ou qui se disent « attendez, moi je suis signeur, ça m'intéresse » et à qui on va donner un diplôme, on va vérifier bien sûr, évidemment, on va leur passer un petit entretien de trois quart d'heure avec un universitaire qu'on a sous la main, un très bon signeur ou deux même, éventuellement, pour être sûr qu'il y a pas de... parce que c'est vrai, en général, que les certifications professionnelles dans les jurys, il y a toujours au moins deux personnes, pour que ce soit plus juste, plus équitable et on va leur donner un certificat complémentaire, on va leur dire « dorénavant vous êtes enseignant de maths ou enseignant professeur des écoles, mais en LSF ». On va utiliser encore des contractuels et puis on aura nos certifiés un jour pour enseigner la LSF. Et donc, avec tout ça on va réussir peu à peu - je ne vous dis pas que ça sera demain matin, ça va

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prendre des années, mais on va réussir peu à peu à couvrir tout le spectre. Et ça commence, on a déjà au moins une dizaine de pôles ressource qui fonctionnent de façon empirique, artisanale, c'est du bricolage bien souvent. Au Mans, nous avons un pôle ressource qui fonctionne remarquablement, avec des enseignants, ils sont trois, deux professeurs des écoles, une professeure des collèges, qui ont appris la LSF. Cela fait des années qu'elles l'apprennent, elles continuent à se former à se perfectionner, maintenant elles sont bonnes, mais au départ elles l'étaient pas du tout. Alors je ne parle pas de Toulouse et Poitiers, c'est à part...

Les professeurs des RASED ?

Rien à voir !

Et rien à voir pareil dans la filière... ce dont vous parliez tout à l'heure...

Les RASED ?

Oui, le fait...que ce soit totalement à côté ? C'est un secteur autre, à part ?

Tout à fait à part.

Et ces enseignants là, comme ils travaillent aussi dans les CLIS...

Ah non ! Pas du tout !

Alors, vous pouvez m'expliquer ?

Les enseignants du RASED, ils travaillent avec les élèves tout venant qui ont des difficultés scolaires mais qui ne sont pas dans le champ du handicap. Alors vous allez me dire, qu'est ce que c'est que cette difficulté scolaire qui est pas dans le champ du handicap. Eh bien c'est un élève qui n'a pas réussi à apprendre parce qu'il

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a pas eu de chance ou alors il a eu un problème personnel ou un problème familial ou il a eu un mauvais enseignant, cela arrive aussi malheureusement, il est passé à côté de certains apprentissages, il arrive à 7, 8, 9 ans et il ne sait pas bien lire et il sait pas écrire. Les professeurs des RASED sont chargés de s'occuper de ces enfants-là. C'est des enfants en difficulté scolaire qui ne sont pas dans le champ du handicap ! Ils ont eu des problèmes d'apprentissage, sérieux, graves, souvent, parce que normalement si les problèmes sont pas sérieux ce sont des petits problèmes de rien du tout, en principe cela se règle dans la classe en théorie, faut espérer et le plus souvent c'est ce qui se passe, mais quand ce sont des problèmes sérieux que la maîtresse dans la classe ne peut pas écouter parce qu'elle en a 25 à faire marcher en même temps, elle ne peut pas non plus s'occuper de tout, tout le temps, eh bien à ce moment-là on a recours aux RASED. Mais cela n'a rien à voir avec le handicap, alors il se trouve que parmi les profs RASED, il y en aura peut-être certains d'entre eux qui par ailleurs seront signeurs, mais c'est une pure coïncidence, alors ceux-là on les utilisera comme les autres, mais il n'y a pas de lien de cause à effet entre les deux. Les CLIS, c'est autre chose, les CLIS, ce sont des classes aujourd'hui des classes, dans lesquelles on a regroupé des enfants présentant un type de handicap on va dire, grosso modo, comparable, à peu près similaire. Et, les CLIS pour enfants sourds, il y en a très très peu parce que la plupart des enfants sourds sont dans les classes ordinaires, la plupart, de ceux qui sont à l'école, en tout cas, ils sont dans les classes ordinaires.

Donc finalement, le système qui va être mis en place avec les pôles ressource, c'est un système qui n'entre pas...

... en concurrence ?

...qui ne répond pas à l'invitation d'intégration individuelle dans le milieu ordinaire, finalement. C'est à dire que vous allez créer...

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...des filières.

Oui, des classes avec des enfants sourds essentiellement...

Oui, c'est un petit peu ça, c'est un petit peu ça. Alors c'est effectivement un reproche qu'on pourrait nous faire mais on s'est trouvés devant, quand on a réfléchi à ça en 2006/2007, on s'est trouvés devant un choix, pas tout à fait cornélien mais pas loin : les spécialistes de la LSF nous disaient et les linguistes, les linguistes, des grands linguistes, notre groupe de travail, groupe de travail que j'ai constitué à l'époque a été placé sous le haut patronage et sous la présidence intellectuelle d'un très grand professeur de linguistique qui s'appelle le Professeur Encrevé, Pierre Encrevé, qui est directeur d'études et professeur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, professeur d'université et qui par ailleurs est, de manière j'allais dire, sans aucun lien du tout, un des plus grands spécialistes de la peinture contemporaine , et notamment, qui a écrit plusieurs ouvrages sur le peintre Soulage, mais peu importe, donc c'est lui qui est en quelque sorte la caution scientifique autour de ce groupe. Nous nous sommes trouvés devant un choix cornélien. Les linguistes nous disaient : la LSF est une langue et comme toute langue elle s'acquiert dans la communication avec des pairs, p-a-i-r-s, parce que si vous isolez un sourd tout seul dans un coin, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, il n'apprendra pas bien la LSF, il faut qu'il y ait des échanges entre pairs, mais l'école, c'est pareil, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les enfants apprennent mieux en groupe que tout seuls, je parle des enfants ordinaires, parce qu'il y a évidemment toute une série d'effets, qu'on appelle les effets vicariants, le socio-constructivisme... je vais vous épargner tout le discours savant là-dessus, c'est pas le sujet ce matin, mais qui font que les enfants apprennent mieux, enfin faut pas que les groupes soient trop gros, parce que au-delà d'un certain nombre, après, il y a des effets pervers qui font que ça annihile les apprentissages, c'est clair et contrairement à ce que croient beaucoup de gens, les enfants apprennent mieux dans des groupes hétérogènes que dans des groupes homogènes. Vous savez

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peut-être, c'est une parenthèse que je fais dans mon discours, il y a en France 7 000 classes uniques, c'est à dire 7 000 classes dans lesquelles - primaires, hein - les enfants sont réunis dans la même classe - je ne sais pas si vous avez vu le film « Etre et Avoir » eh bien c'est ça, de 3-4 ans jusqu'à 12 ans, 11 ans. Il y en a 7 000 des classes comme ça eh bien, en moyenne, les enfants réussissent deux fois mieux dans ces classes que dans les autres. La réussite scolaire est incomparablement meilleure dans les classes uniques - si vous voulez que votre gosse réussisse très bien à l'école, mettez-le en classe unique, - un aveugle en classe unique, alors là, c'est merveilleux, non je plaisante, c'est de l'humour noir - mais en tout cas en classe unique les enfants apprennent mieux que dans les écoles ordinaires. Pourquoi ? A cause de l'hétérogénéité et à cause de l'autonomie, parce que le maître, il s'occupe évidemment des enfants, groupes par groupes, et donc, il demande beaucoup d'autonomie aux élèves et puis parce que les enfants apprennent beaucoup entre eux, les uns des autres, les plus grands s'occupant des plus petits, ce qui dans une classe homogène n'existe pas. Fin de la parenthèse. Donc, pourquoi j'ai dit tout ça ?

Parce que je vous ai parlé de la question des pôles ressource qui deviendraient finalement des lieux de bilinguisme mais dans lesquels...

Je parlais de choix cornélien : donc on avait le choix, soit de satisfaire les exigences d'un certain nombre de parents qui voulaient que l'enseignement ait lieu en milieu ordinaire au milieu des autres, avec un interprétariat individuel, c'était ça la demande, c'était ça, soit de satisfaire, comment dirais-je, l'exigence intellectuelle, théorique des linguistes qui disaient attention, attention, attention, les enfants n'apprendront bien que s'ils sont entre pairs. La première exigence était, de toutes façons, irréalisable sur le plan matériel et financier on a donc voulu combiner les deux, d'où cette idée de pôle ressource qui sont des manières effectivement de regrouper des enfants sourds d'âge comparable dans des petites unités, sur des petites unités de 8 à 10 élèves, mais qui vont avoir une part de leur enseignement,

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notamment l'enseignement de la LSF, ça c'est clair, ce sera regroupé, probablement aussi l'enseignement du français écrit, très largement regroupés entre eux parce que c'est vraiment spécifique, mais les autres enseignements pourront se faire pour partie dans des classes ordinaires, pour partie dans des classes ordinaires, à condition que l'on puisse régler la question de la communication entre le maître et l'élève...

Oui, parce que sinon ce ne sont pas des enseignements en LSF.

Non, ce ne sont pas des enseignements en LSF. Il y aura des enseignements en LSF mais pas que, et si on veut effectivement, alors d'un autre côté on peut imaginer l'école Jules Ferry du village de ...« x », près de Nantes, admettons, eh bien vous avez 5 classes dans l'école, vous avez une 6ème classe dans l'école, c'est l'école des enfants sourds. Avec le prof qui sera le prof bilingue, enseignant la LSF et enseignant en LSF. Et à partir de là, les enfants recevront tout leur enseignement - ils seront dans la cour avec les autres, par imprégnation les autres enfants vont vite commencer à discuter avec eux, ça existe déjà, ça se fait déjà, et puis par ailleurs eh bien pour certaines activités où une communication simple par lecture labiale peut suffire - par exemple l'éducation physique, les arts plastiques, eh bien les enfants iront dans les classes ordinaires avec les autres instits pour travailler avec leurs camarades et donc il y aura des allées et venues, mais oui, il y aura des temps de regroupement importants dans la semaine. Alors, c'est pas un enfermement, c'est une façon de mettre en synergie l'enseignement entre pairs.

Peut-être pour terminer la-dessus, vous parliez des parents d'enfants sourds qui demandaient une intégration individuelle avec un interprète individuel, enfin, un interprète pour l'enfant ? Est-ce que la demande de LSF est importante finalement, est-ce que la demande de regroupement LSF, est que vous pensez que ce système va répondre à une demande ? Est-ce qu'il y a eu des enquêtes très concrètes faites sur les parents d'élèves, sur leur demande de communication...

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On n'est pas capable, on sait pas faire ça. L'enquête auprès des parents d'élèves, on sait pas faire. On sait pas comment les joindre, on sait pas où les joindre et on sait pas comment régler les problèmes purement simplement déontologiques d'enquête. Simplement on sait qu'il y a eu des demandes, il y a des demandes de scolarisation individuelle, il y en a c'est vrai, même certaines sont d'une exigence telle qu'elles font parfois un petit peu... par exemple, je parlais d'extrémisme tout à l'heure, c'est un mot fort, mais pas péjoratif, certains, peu nombreux, mais certains parents d'enfants sourds exigent que leur enfant soit en milieu ordinaire et refusent de passer par la MDPH, c'est à dire refusent même qu'on puisse envisager que le mot handicap soit prononcé et donc ce sont ceux-là qui veulent une scolarisation ordinaire avec un interprète à temps plein. Mais ça, c'est purement et simplement pas possible. D'abord, on n'en a pas et puis si on en avait ça serait absolument hors de prix.

C'est à dire qu'ils ne veulent pas de reconnaissance par l'intermédiaire de la MDPH, néanmoins ils veulent quand même de la Langue des signes ?

Oui, oui parce qu'ils considèrent - c'est leur point de vue - que l'Education Nationale a obligation de mettre en place les outils d'accessibilité pour les personnes sourdes, les moyens d'accessibilité et que pour eux l'interprétariat c'est un moyen d'accessibilité, mais ils sont dans la contradiction permanente parce que d'un autre côté, comme ils refusent même le concept de handicap, on ne met pas en place des conditions d'accessibilité pour des personnes qui ne sont pas en situation de handicap. Le concept d'accessibilité, c'est un des fondements de la loi pour les personnes handicapées. Cela dit, ces points de vues sont des points de vues ultra minoritaires, il faut bien... dans la communauté sourde, ce qu'il est convenu d'appeler la communauté sourde ce sont des points de vues ultra minoritaires, mais qui existent, qui existent et qui ont un certain écho. L'immense majorité des parents souhaite d'abord que leur enfant apprenne bien et apprenne de la façon la plus complète possible. Mais donc, on a fait le choix de ne pas aller vers une mise en

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interprétariat systématique de tout enfant sourd où qu'il soit, pour des raisons matérielles et aussi pour des raisons linguistiques. D'où la notion de pôle ressource, d'où la notion de regroupement, mais de regroupement non ségrégatif, parce que dans une école, encore une fois, quand vous avez une classe bilingue avec un maître bilingue, même si l'oral est très peu ou pas utilisé, les enfants sont dans l'école avec les autres. Alors, on pourrait nous dire c'est une forme de CLIS oui, ça s'appelle pas comme ça mais quelque part ça ressemble à une sorte de CLIS, un regroupement d'élèves qui ont une situation particulière, des besoins particuliers, qui nécessitent des moyens particuliers avec des enseignants spécialisés. Alors il se trouve qu'il y a des enseignants spécialisés dans la communication, ça pourrait être dans autre chose, oui, ça fonctionne comme une sorte de CLIS, effectivement.

Mais, finalement, ces réactions de parents, même si elles sont minoritaires démontrent en fait, c'est le reflet du débat...

Bien sûr !

... de la première question, à savoir est-ce qu'un sourd a essentiellement un problème de communication et de langue ou alors est-ce qu'on peut le mettre dans la catégorie des malades ou de personnes handicapées ?

Mais bien sûr, c'est pour ça que cet extrémisme, d'abord, moi je ne le juge pas, je ne me sens pas le droit et je n'ai pas la compétence pour le juger, mais surtout je ne le condamne pas, parce qu'il est le fruit de décennies d'ostracisme, d'exclusion. Et même on pourrait dire de maltraitance. Donc, il arrive un moment où il y a eu des personnes sourdes qui ont dit « Halte-là ! On se révolte », et c'est légitime et la révolte, cela donne parfois des positions extrémistes, c'est comme ça, mais c'est aussi de ça que naissent... c'est aussi ça qui fait bouger les lignes, c'est aussi ça qui fait bouger les lignes, alors après, il faut construire, après ça suffit plus, après, il faut construire, il faut élaborer, il faut tenir compte des autres, il faut tenir compte de tout

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le reste, il faut tenir compte des moyens qu'on a, il faut construire, nous, notre travail, c'est de construire, évidemment.

Pourriez-vous me dire ce que c'est être Sourd ? C'est être malade, handicapé, c'est appartenir à une minorité culturelle, linguistique ?

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