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La loi handicap du 11 février 2005 - quelle reconnaissance de la langue des signes française?


par Magali Leske
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes - Maîtrise Droit Public et Science Politique 2009
  

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B- Le projet de l'abbé de l'Epée, conforme au nouvel ordre.

Très tôt, les révolutionnaires se sont emparés de la question de l'instruction publique pour agir sur le corps social et travailler à son homogénéisation. L'école doit former

22 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, P121.

23 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, P19.

24 Patrick Cabanet, Dictionnaire critique de la République, P910.

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les nouveaux citoyens de la nation. L'abbé de l'Epée a lui-même consacré la dernière partie de son existence à l'éducation des sourds-muets, en communiquant avec eux par l'intermédiaire d'une méthode mixte, dite « méthode gestuelle ». L'adéquation entre le projet initié par l'abbé de l'Epée, sa méthode d'enseignement, et la politique révolutionnaire va donner lieu à la création des Instituts de Sourds-Muets.

1/ L'instruction au service de l'unification.

Dès 1790, Talleyrand invite les Constituants à se pencher sur les vertus de l'instruction pour accomplir le projet révolutionnaire et « imprimer dans l'âme des citoyens 25» les nouvelles valeurs nationales. La politique de l'instruction publique va donc avoir pour objectif de façonner les français à l'image du système nouvellement institué, de construire une identité nationale. Avant la Révolution, seuls les enfants sourds-muets issus de l'aristocratie recevaient une instruction, par l'intermédiaire d'un précepteur. Après sa rencontre avec les deux soeurs jumelles, l'abbé de l'Epée entreprend de regrouper les sourds-muets et d'ouvrir une classe chez lui, à Paris. Alors que le courant majoritaire au sein de l'Eglise craignait que l'éducation ne vienne bouleverser l'ordre social, l'abbé de l'Epée, proche du courant janséniste, considérait pour sa part que l'éducation permettait de rendre les hommes à Dieu. Dans son unique ouvrage intitulé La véritable manière d'instruire les sourds et muets, daté de 1774, l'abbé de l'Epée déclare que les sourds-muets appartiennent à « une classe vraiment malheureuse d'hommes semblables à nous 26», qu'il faut éduquer et socialiser, en vue d'assurer leur salut devant l'éternel. L'idée d'une similarité entre les hommes, de leur inclusion sociale par l'éducation collective, convient à l'idéologie révolutionnaire qui sera ordonnée quelques années plus tard. C'est pourquoi, avant sa mort à la fin de l'année 1789, l'Assemblée Nationale s'est préalablement engagée auprès de l'abbé de l'Epée à poursuivre son oeuvre27. En 1791, la Constituante va

25 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, P12.

26 Cité par Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, P14.

27 Le pouvoir des signes, P49.

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créer l'Institut National des Sourds-Muets, à Paris. Son directeur est l'abbé Sicard, disciple de l'abbé de l'Epée, qui ouvrira un deuxième institut à Bordeaux en 1793. Les deux écoles seront placées sous la tutelle du département de l'Intérieur. Les Instituts vont ainsi devenir le lieu de l'unification. Ils le seront d'autant plus que la méthode mise au point par l'abbé de l'Epée rejoint aussi la politique linguistique de l'abbé Grégoire.

2/ La méthode gestuelle, une méthode révolutionnaire.

La méthode élaborée par l'abbé de l'Epée allie le français écrit, les gestes et l'articulation. Elle vise à simplifier et rationaliser la langue française pour la rendre accessible aux sourds-muets. Dans son ouvrage, l'abbé de l'Epée affirme clairement ses intentions : « l'unique moyen de les rendre totalement à la société est de leur apprendre à entendre des yeux et à s'exprimer de vive voix 28». A l'évidence, l'abbé de l'Epée ne considère pas la langue des sourds-muets comme une langue à part entière, comme une langue constituée d'une syntaxe et d'une grammaire propre. Il souhaite que ses élèves accèdent à la connaissance du français écrit et à la parole. Cette méthode mixte est donc une transposition du français, au moyen des signes. Ce que l'on appelle de nos jours le français signé. S'il n'a pas rédigé un Dictionnaire, comme il était d'usage à l'époque, son successeur, l'abbé Sicard, grammairien de formation, s'y attellera. La méthode de l'abbé de l'Epée obtiendra ainsi les faveurs de la Révolution, parce qu'elle ne bouleverse pas l'ordre établi et mieux encore, parce qu'elle s'y inscrit pleinement. L'abbé Grégoire, lui-même, dans son rapport de 1794, préconisait de s'inspirer de cette méthode pour corriger les « anomalies » de la langue française. Il considère, en effet, que les enfants sourds-muets « qui apprennent la langue française ne peuvent concevoir cette bizarrerie, qui contredit la marche de la nature dont ils sont les élèves ; et c'est sous sa dictée qu'ils donnent à chaque mot décliné, conjugué ou construit,

28 Cité par Jean-René Presneau, Comment faisait-on parler les « muets » avant le Congrès de Milan, dans la revue internationale Surdités, P29.

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toutes les modifications qui, suivant l'analogie des choses, doivent en dériver 29».

Certes, l'institutionnalisation du projet initié par l'abbé de l'Epée a été favorisée par une relation privilégiée30 entre l'abbé Sicard et les membres d'une Société philanthropique proche du pouvoir. Mais au départ, ne serait-ce pas la rencontre entre deux croyances, qui visent toutes deux à unifier la société française, par l'apprentissage du français, qui aurait permis la tutelle de l'Etat français sur l'éducation des sourds-muets ? N'est-ce pas aussi ce qui aurait conduit au rejet de la méthode oraliste allemande, alors qu'elle visait elle aussi à faire parler les sourds-muets ? Samuel Heinicke, contemporain de l'abbé de l'Epée, avait effectivement mis au point une méthode au sein de l'institution des sourds-muets de Leipzig, qu'il avait fondée, laquelle excluait tout recours aux signes31. Comme le souligne l'historien Günther List, cette méthode reposait sur un enseignement individuel, sur l'intériorisation par l'élève de la méthode, c'est-à-dire sur « l'assimilation acceptée et mise en oeuvre par les sujets eux-mêmes 32». Contre ce « processus isolant 33», la France avait fait le choix de l'éducation collective, pour l'inclusion sociale. La méthode allemande n'est donc pas conforme à l'esprit de la Révolution. C'est donc la méthode de l'abbé de l'Epée qui trouvera toute sa place dans la République française.

Le processus d'inclusion des sourds-muets est entamé. Leur langue n'est pas une langue à part entière et l'éducation qui leur est offerte vise avant tout à les faire parler et accéder au français. Elle bénéficie ainsi des faveurs de la politique révolutionnaire et la méthode gestuelle sera placée sous la protection de l'Etat. Cependant, ce dispositif inclusif ne répondra pas aux attentes des politiques. A la fin du XIXème siècle, l'Etat français interdira l'usage des signes au sein des Instituts.

29 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, Rapport Grégoire, P350.

30 François Buton, Historicités de l'action publique, P66.

31 Günther LIST, Le pouvoir des signes, P58.

32 Idem P57.

33 Ibid.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon