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La loi handicap du 11 février 2005 - quelle reconnaissance de la langue des signes française?


par Magali Leske
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes - Maîtrise Droit Public et Science Politique 2009
  

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II- LA CONSOLIDATION DE L'INCLUSION.

L'école communale n'est pas en mesure d'enseigner les méthodes de l'abbé de l'Epée. L'éducation des sourds-muets n'est envisagée que dans le cadre de l'éducation spécialisée. Les Instituts créés à partir de 1791 renvoient le sourd-muet, transitoirement, dans une société en marge de la société, pour les rendre ensuite à la société. Pour autant, ces Instituts ne comportent qu'une soixantaine de places chacune. Le dispositif éducatif va alors s'avérer insuffisant au regard de la population sourde. Pour renforcer l'inclusion des sourds-muets, le politique va refonder leur éducation et recourir à la médecine. Ces médecins vont intégrer les Instituts dans l'optique de guérir les sourds-muets d'une pathologie inventée. Puis le renouveau d'un nationalisme exacerbé à la fin du XIXème siècle donnera lieu à l'interdiction des signes, au nom de la supériorité de la parole pure.

A- La « biologisation » de la politique34.

Les Instituts de sourds-muets sont dans un premier temps un lieu de transmission du savoir, où une éducation spéciale est dispensée. Cependant, des doutes subsistent sur l'intelligence des sourds-muets. L'arrivée des médecins au sein des Instituts, sous la direction du pouvoir central, va transformer le regard sur la surdité. Les sourds-muets ne seront plus des êtres éducables, ils seront avant tout des malades à soigner.

1/ Emergence de l'éducation spécialisée.

L'Institut National des Sourds-Muets est créé à Paris en 1791. Il sera placé sous la protection de l'Etat, qui va inventer une nouvelle catégorie administrative, regroupant les sourds-muets et les aveugles35. Ces deux populations étant privées

34 André Pichot, La société pure, 2000. P33.

35 François Buton, L'Etat et ses catégories comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de l'action publique, 2003, P65.

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d'un sens, ce que l'on nommera ultérieurement le handicap sensoriel, le pouvoir central les a arbitrairement rassemblées dans une même catégorie. Les Instituts seront ensuite classés parmi les établissements de bienfaisance en 1799, sous le Consulat, et rattachés directement à l'Etat, au Ministère de l'Intérieur36. A la fin du XVIIIème siècle, ces écoles sont avant tout des « institutions pédagogiques 37». Mais ces établissements vont servir de « machine à socialiser 38», de sas, c'est-à-dire de lieu transitoire de la transformation des individus à l'image de la société. Le docteur Itard illustre parfaitement cette volontaire ségrégation. En 1842, dans son « Traité des maladies de l'oreille et de l'audition », il décrit son idéal pour l'assimilation des sourds-muets. Cet idéal, c'est celui d'une « colonie organisée en société 39» car «la restitution à la dimension sociale passe par la séparation d'avec la société globale 40». Ainsi, cette mini-société isole collectivement les sourds-muets, pour les rendre ensuite à la société. Le « monde des égaux 41» s'installe, pour réduire l'altérité, et la démarche vise à « exclure en fait pour inclure en droit 42». Cependant, si les établissements sont classés, les individus qui y sont scolarisés restent invisibles. L'administration ne s'intéressera à la population des sourds-muets et des aveugles qu'à partir de 1851, lors d'un recensement qui vise à classer ces individus selon leur potentiel d'éducabilité43. Leur potentiel d'éducabilité, c'est justement ce qui fait très vite débat au sein des Instituts. En 1841, à l'heure où l'Institut parisien devient établissement général de bienfaisance, sous le contrôle d'un bureau spécialisé du Ministère de l'Intérieur, l'objectif éducatif disparaît44. Il s'agira alors de normaliser l'anormalité. En 1920, les Instituts seront transférés au ministère de l'Hygiène, de l'Assistance et de la Prévoyance sociale.

36 Idem P66.

37 Idem P65.

38 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit humain, Chap.VI.

39 Cité par Marcel Gauchet et Gladys Swain, P207.

40 Ibid.

41 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit humain, Chap XVII.

42 Ibid.

43 François Buton, L'Etat et ses catégories comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de l'action publique, 2003, P68.

44 Idem P67.

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Désormais il n'y a plus de doute, dans les représentations collectives, la surdité devient une maladie mentale, qu'il faut guérir.

2/ De la surdité à la déficience intellectuelle.

Jean-Marc Gaspard Itard fut nommé médecin de l'Institut National des Sourds-Muets de Paris en 1800, par le Ministère de l'Intérieur. Elève de Philippe Pinel, ami d'Esquirol, célèbres pour leurs tentatives de guérison de la folie et acteurs de la politique asilaire, il sera missionné pour soigner l'enfant sauvage de l'Aveyron, privé de langage, à l'Institut de Paris. La représentation des sourds-muets à la fin du XVIIIème siècle permettait-elle de concevoir le traitement de l'enfant sauvage dans leur Institut ? Les sourds-muets seraient-ils des sauvages relevant du rang animal comme le suggérait Aristote ? En 1774, l'abbé de l'Epée n'avait pas cette vision des sourds-muets. Pour autant il déclarait : « Nos Lecteurs pourront être surpris de la bassesse de nos exemples ; mais je les supplie de se souvenir que ce sont des Sourds et Muets que nous instruisons 45». A l'évidence, sa représentation des sourds-muets les renvoyait à une sous-catégorie, celle des hommes déficients intellectuels. C'est dans le même esprit, après son expérience peu concluante avec l'enfant sauvage de l'Aveyron, que le docteur Itard s'intéressera à la surdité. Fondateur de l'ORL, il inventera l'articulation artificielle pour faire parler les sourds-muets et permettre à ceux d'entre eux ayant suffisamment de restes auditifs d'intégrer le système éducatif ordinaire. Les autres seront classés dans la catégorie des déficients intellectuels et seront pris en charge au sein des Instituts. L'enseignement leur sera alors dispensé par l'intermédiaire des signes. La surdité étant considérée comme une maladie mentale, leur langue en deviendra l'expression, un symptôme. Pour soigner les sourds-muets, le docteur Itard leur réservera des traitements particuliers : purgatifs, vomitifs, perforation de la membrane tympanique46... Deux arguments vont être avancés pour justifier ces interventions : il est possible de guérir la majorité des

45 Cité par Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P15.

46 Bernard Jeudy, Surdité et Ethique médicale, dans Le Pouvoir des signes, 1989, P141.

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sourds-muets et l'usage des signes interfère dans l'apprentissage de la parole en provoquant des maladies respiratoires, par l'inactivité de certains organes47. Toutefois, face à une méthode qui ne fit pas ses preuves, l'Académie de médecine préconisera en 1828 la réintroduction des signes en complément de l'apprentissage auditif48. Pour autant, dès l'année suivante, une circulaire interne à l'Institut prévoit la disparition progressive des signes49. Le politique reste le commanditaire dans cette entreprise collective. En 1861, un rapport de l'Institut de Paris envisage même une séparation des enfants sourds-muets selon leurs capacités à oraliser : « aux intelligences inférieures, la langage des signes et les bribes de langue écrite qu'il est possible de leur inculquer 50». Les signes apparaissent alors comme le dernier recours, le moyen ultime à mettre en oeuvre pour tenter de sauver les âmes malades. A la fin du siècle, dans les représentations collectives, le sourd-muet est clairement catégorisé dans la catégorie des déficients intellectuels. Il n'est plus un homme semblable à rendre conforme à la société, par l'éducation. Il est un homme à soigner. A l'occasion d'une visite à l'Institution de Bordeaux du président Félix Faure, le journaliste Gaston Stiegler écrit dans « l'Echo de Paris » du 7 juin 1895 : « Rien n'est plus désolant que le silence absolu de ces jeunes bouches et le demi-silence de ces yeux ternes, reflets d'une intelligence incomplètement développée. Je ne sais si la vue de ces êtres élémentaires, de ces demi-humains, n'est pas plus attristante encore que l'idée de la mort (...). Admirable et navrante caricature de ceux que la nature a faits conformes à des types ordinaires (...). 51». Y a-t-il encore une frontière entre les Instituts de Jeunes Sourds-Muets et les asiles psychiatriques ?

La logique inclusive instaurée par l'idéologie révolutionnaire conduit ainsi à qualifier de pathologique tout ce qui est hors de la norme. L'abbé Grégoire ne qualifiait-il pas

47 Michel Poizat, La surdité de l'histoire, dans la revue internationale Surdités, P111.

48 Yves Bernard, Handicaps et Langages, dans La nouvelle revue de l'AIS, P32.

49 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans Le pouvoir des signes, 1989, P 100.

50 Jean-Jacques Valade-Gabel, Lettres, notes et rapports, Grasse, 1894, cité par Yves Bernard dans Surdité et Intégration, dans La nouvelle revue de l'AIS, P33.

51 Extraits dans Le pouvoir des signes, 1989, P106.

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les langues régionales de pathologie sociale ? André Pichot présente la

« biologisation » de la politique comme un moyen efficace d'appréhender le social52. Elle simplifie la donne. Le nouvel ordre politique qui émerge à la fin du XIXème siècle conduira à l'interdiction pure et simple des signes, au sein des Instituts Nationaux de Sourds-Muets français.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld