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La loi handicap du 11 février 2005 - quelle reconnaissance de la langue des signes française?


par Magali Leske
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes - Maîtrise Droit Public et Science Politique 2009
  

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B- Le congrès de Milan et l'interdiction des signes.

Après la défaite de 1870 contre l'Allemagne, le nationalisme français « inspire le boulangisme, la pensée de Maurras ou de Barrès, est un nationalisme susceptible, volontiers xénophobe et exclusif 53». Ce nationalisme ancré plus à droite, nostalgique de l'Ancien Régime, est imprégné de conservatisme en réaction à la centralisation administrative, à la démocratie, à l'universalisme. Il se rapproche de l'Eglise traditionnelle et s'inscrit dans « l' historicisme ». Cette idéologie « met l'accent sur la singularité des destinées nationales, l'affirmation de la diversité ; et il propose aux peuples de retourner à leur passé, de cultiver leurs particularismes, d'exalter leur spécificité 54». La langue redevient l'objet d'étude des philosophes, des grammairiens. Elle est à nouveau un outil pour constituer l'unité nationale. A Milan, des experts se réunissent pour échanger sur l'éducation des sourds-muets. Une résolution va discréditer les signes. Elle sera adoptée à l'unanimité. Les politiques français appliqueront cette décision, qui n'a pourtant aucune portée obligatoire, et vont congédier les professeurs sourds-muets qui officiaient au sein des Instituts.

52 André Pichot, La société pure, 2000. P33.

53 René Rémond, Le XIXème siècle, 1815-1914, 1974. P190.

54 Idem. P181.

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1/ La proclamation de la parole pure.

En cette fin de siècle, des relations diplomatiques se nouent en Europe. Dans le cadre d'une alliance, la France et le Piémont se sont rapprochés55. Le choix de Milan pour tenir un Congrès international en 1880 sur l'amélioration du sort des sourds-muets, initié par la France et l'Italie, n'est donc pas fortuit56. Deux ans plus tôt, un Congrès international s'était déjà tenu à Paris pour débattre de l'éducation des aveugles et des sourds-muets. L'abandon des signes est suggéré, au motif qu'ils défavorisent l'inclusion sociale des sourds-muets57. Puis, viendra le Congrès international de Milan, qui proclame la supériorité de la méthode orale déjà en vigueur en Allemagne, rejointe par l'Italie. Y participent 256 congressistes, des éducateurs et des religieux pour l'essentiel. Dix nationalités sont représentées mais les français et les italiens sont largement majoritaires. Quant aux sourds-muets, ils ne seront que trois à être invités, deux français et un américain58. Ce Congrès s'organise comme un procès, celui de la « mimique », qui menace la diffusion de la parole pure. Des arguments médicaux et religieux sont avancés. L'utilisation des signes génèrerait des problèmes de santé, ceux décrits par le docteur Itard, et la vulgarité du langage gestuel serait une offense à la divine parole. Mais pour Christian Cuxac, les raisons invoquées sont plus profondes encore59. Il s'agirait en premier lieu d'un rejet du corps par la morale religieuse. Puis, d'une volonté politique de relancer l'unification linguistique après la défaite française de 1870 face à l'Allemagne. Enfin, d'une réponse clientéliste à la bourgeoisie française qui refuse la mixité sociale au sein des institutions. Un nombre important d'écoles privées se sont créées en France mais la formation des enseignants à la pratique des signes est trop longue pour répondre à la demande d'inscriptions. L'institutionnalisation de l'oralisme, en lieu et place des signes, serait plus efficace pour satisfaire cette classe sociale. C'est pourquoi Christian Cuxac qualifie ce

55 René Rémond, Le XIXème siècle, 1815-1914, 1974, P188.

56 Christian Cuxac, Le pouvoir des signes, 1989, P101.

57 Idem.

58 Yves Bernard, Les Congrès de Sourds-Muets après Milan, dans Surdités, décembre 2001, P64-65.

59 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans Le pouvoir des signes, 1989, P102-103.

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Congrès de « mascarade »: « tout le monde est par avance d'accord, le ministre (de l'Intérieur), les rapporteurs comme les participants pour la plupart triés sur le volet et dont les frais de séjour et de déplacement ont été en partie payés par les frères Pereire 60». Ces frères Pereire, descendants de Jacob-Rodrigues Pereire, l'inventeur d'une méthode oraliste dans la première moitié du XVIIIème siècle, ont en effet ouvert deux écoles privées à Paris. A l'issue des débats, les votants proclameront à l'unanimité l'interdiction des signes au motif que «les signes creusaient le fossé entre minorité silencieuse et majorité entendante 61». Les résolutions adoptées reflètent clairement la volonté inclusive qui anime les participants. Il faut « rendre le sourd-muet à la société » (résolution I), « l'enseignement des sourds-muets doit se rapprocher, le plus possible, de celui des entendants-parlants » (résolution III)62. Désormais, les Instituts vont se donner comme priorité de faire parler les sourds-muets.

2/ Le réorganisation des Instituts.

« Pour apprendre une langue, il faut commencer par l'isoler, il faut n'avoir affaire qu'à elle 63». Ces propos auraient pu être tenus dans le cadre du Congrès de Milan mais ils sont ceux du législateur français, en 1890. Les préconisations d'Irénée Carré, le promoteur de l'immersion linguistique, obtiennent les faveurs du Ministre de l'Instruction Publique. L'objectif est alors d'imposer le français à l'école, devenue obligatoire en 1882. La politique révolutionnaire d'unification linguistique se consolide à la fin du XIXème siècle. L'idée d'interdire les langues régionales est réintroduite. Après le Congrès de Milan, bien que les résolutions n'aient pas de portée obligatoire, leurs effets se feront ressentir au sein des Instituts français de sourds-muets. Ils n'auront d'ailleurs d'effets qu'en France, l'Italie pratiquant déjà la méthode orale. Le Congrès de Milan a bien servi de « couverture » à l'Etat français

60 Idem P101.

61 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans Le pouvoir des signes, 1989, P101.

62 Idem P105.

63 Patrick Cabanet, Dictionnaire critique de la République, P913, citation de l'Instruction officielle du 15 juillet 1890.

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pour reprendre le propos de Christian Cuxac64. Un nouveau programme d'enseignement pour les enfants sourds-muets, acté par le Ministère de l'Intérieur et le Ministère de l'Instruction publique, entérine la méthode orale pure en 1889. L'objectif est de démutiser les sourds-muets, par la rééducation auditive, la lecture labiale et des exercices d'articulation. Les médecins viendront à la rescousse de cette politique unificatrice. Le discours médical a totalement pénétré les consciences. Ainsi, dans son discours de distribution des prix de 1887, le Directeur de l'Institut parisien déclare : « Semblables au chirurgien qui remplace la jambe perdue de son patient par une jambe de bois, nous suppléons à la langue naturelle absente par une langue artificiellement donnée(...). Les jambes de bois ne courent pas comme les jambes naturelles. Encore rendent-elles quelques services 65». Rendre service, et inclure, c'est aussi ce qui motive les recommandations des frères de l'Institut nantais en 1893 : « Mettons dans leurs mains d'autres livres que ceux faits spécialement pour eux. Ne les tenons plus dans un monde à part. Ayons l'air de les traiter en entendants-parlants et bientôt ils en prendront eux-mêmes les allures. Alors ils seront vraiment de la société ». (La Persago P22). La IIIème République achève le programme révolutionnaire et renforce l'inclusion sociale des individus. Mais l'interdiction des signes va conduire à l'éviction des enseignants sourds-muets des Instituts66. Ces derniers ne seront alors plus d'aucune utilité. Ils seront congédiés. L'Etat réorganise les Instituts, au sein desquels médecins et professeurs entendants s'évertueront à rééduquer les élèves. En 1909, deux psychologues français, A. Binet et Th. Simon, procèderont à une enquête statistique, probablement contestable au regard des techniques actuelles. Néanmoins, ils concluront dans leur rapport intitulé « Peut-on enseigner la parole aux sourds-muets ? » : « pour épargner à ces enfants les fatigues et les pertes de temps de l'enseignement oral qui, après statistiques, échoue complètement et lamentablement chez plus des quatre-

64 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans Le pouvoir des signes, 1989, P101.

65 Cité par Yves Bernard, Surdité et Intégration, dans la nouvelle revue de l'AIS, N°9, 2000, P41.

66 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P50.

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cinquièmes d'entre eux 67», il serait préférable de revoir les méthodes d'enseignement. Ces arguments ne trouveront pas d'oreille attentive au sein des Ministères avant la fin du XXème siècle.

La politique inclusive à l'attention des sourds-muets, commandée par l'Etat français, est un échec. Si le français est devenu la langue de l'enseignement, les élèves, internes au sein des Instituts, continuent à pratiquer entre eux leur langue naturelle, la langue des signes, malgré l'interdiction. Une identité sourde se perpétue au sein des établissements collectifs. Ils deviendront très vite le lieu de la revendication, celle d'une identité singulière.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard