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La loi handicap du 11 février 2005 - quelle reconnaissance de la langue des signes française?


par Magali Leske
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes - Maîtrise Droit Public et Science Politique 2009
  

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A- Un problème porté dans l'espace public.

La France n'est pas devenue ce pays homogène tant désiré. En 1830 et 1848, l'universalisme républicain trouve ses limites, dans un climat de tensions sociales bouleversant. La nation est tiraillée entre son projet politique unitaire et un peuple qui clame sa diversité. Les sourds-muets participeront à ce mouvement de réalisation, de concrétisation du peuple, en affirmant leur identité singulière, loin de l'image véhiculée par l'Etat, aidé des médecins.

1/ Contre l'universalisme républicain.

La première mobilisation de la communauté sourde trouve son origine dans les attaques portées contre leur langue par les administrateurs de l'institution parisienne, dans les années 1830. Ce combat est engagé par une élite sourde formée au sein des Instituts, où l'« enseignement mutuel », les meilleurs élèves devenant à leur tour professeurs, a permis la consolidation du langage des signes72. Un Comité de sourds-muets voit le jour à Paris en 183473. Il est présidé par Ferdinand Berthier, le doyen des professeurs sourds-muets de l'Institut parisien. Un banquet est organisé en mémoire à l'abbé de l'Epée, qui les a regroupés. Des membres de la communauté sourde internationale y sont conviés, ils viennent d'Europe, des Etats-Unis et d'Amérique du Sud. Les sourds-muets déclarent appartenir à une minorité linguistique. Ce que revendiquent les sourds-muets, c'est une identité autre, une différence, non pas parce qu'ils seraient malades, mais parce que leur langue naturelle se distingue de la langue parlée. Dans les années 1880, après le Congrès de Milan, la réaffirmation d'une identité sourde-muette se retrouve dans le vocabulaire de la langue des signes. En opposition à la classification opérée au sein des Instituts entre les sourds-muets, ceux qui signent, et les sourds- parlants, qui utilisent

72 François Buton, L'Etat et ses catégories comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de l'action publique, 2003, P71.

73 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P340.

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l'articulation artificielle, les sourds-muets désignent les autres, ceux qui ne partagent pas leur identité et leur langage, par le signe « parlants »74. Entre temps, le Comité parisien est devenu Société universelle, une Société qui transcende l'Etat-Nation. A l'évidence, les sourds-muets se considèrent comme un peuple international75, comme une catégorie particulière de la nation certes, mais qui dépasse les frontières de la nation française. La légitimité nationale est clairement contestée, au moment où le courant socialiste internationaliste prend de l'ampleur. Les sourds-muets se sont donc attachés à se distinguer socialement, en tant que minorité linguistique. Tout au long du XIXème siècle, le terme « minorité » est d'ailleurs largement et diversement employé. Cette notion « permet de rassembler commodément sous une même expression des manières très différentes de nouer représentation politique et classification sociale. Elle fait aussi le lien entre les diverses appréhensions de l'égalité électorale, renvoyant aussi bien au registre de l'égalité quantitative (la minorité comme résidu arithmétique) qu'à celui de l'égalité qualitative (la minorité comme forme générique des divers groupes dominés) 76». Dans l'idée de faire ce lien entre la réalité sociale et la représentation politique, les sourds-muets français vont s'investir dans le champ politique.

2/ Pour une meilleure représentation politique.

La multiplication des conflits sociaux, qui affectent la première moitié du XIXème siècle, rendent compte de la rupture entre un idéal républicain, qui a conduit à l'abstraction de la société française, et la demande sociale de reconnaissance politique d'une société hétérogène. Les représentants du peuple parlent au nom d'une masse informe, indissociable, qui néglige la représentation concrète de la réalité sociale. Les clivages sociaux sont pourtant bien réels. La séparation qui se consomme entre républicains et socialistes en est une preuve. En 1848, le suffrage universel masculin est établi. Néanmoins, le système représentatif reste guidé par la philosophie de

74 François Buton, L'Etat et ses catégories comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de l'action publique, 2003, P76.

75 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P279.

76 Pierre Rosenvallon, Le peuple introuvable, 1998, P150.

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l'égalité, au nom de l'universalisme républicain. Toutes les voix se confondent et se perdent dans la masse. Pour autant, les sourds-muets, à l'instar de la classe ouvrière, luttent pour une représentation politique qui tienne compte des divisions sociales. En 1848, Ferdinand Berthier se présente aux élections législatives qui se tiennent à Paris. Les revendications de la communauté sourde-muette s'organisent autour de deux axes principaux. Tout d'abord, la reconnaissance de la langue des signes au sein des Instituts, pour que l'enseignement soit dispensé dans la langue naturelle des sourds-muets. Mais aussi le rattachement des institutions au Ministère de l'Instruction Publique car, à l'époque, ces établissements sont placés sous la direction de la Bienfaisance du Ministère de l'Intérieur, au même titre que les hospices, les asiles ou les pénitenciers77. Ce que Ferdinand Berthier souhaite alors, c'est la représentation politique d'une minorité linguistique, que le processus bureaucratique a rangé parmi les déficients, et l'intégration de cette identité particulière au système institutionnel ordinaire. La question de la représentation proportionnelle, instaurée en Angleterre en 1860, a été posée sous le Second Empire pour assurer une meilleure représentation politique des minorités sociales. Mais cette « technique de pacification sociale 78», qui induit un accroissement des pouvoirs du parlement, ne verra pas le jour en France. Tout comme le projet de loi présenté par Léon Blum le 27 avril 1937, visant à rattacher l'enseignement des élèves « déficients sensoriels » au Ministère de l'Education Nationale. L'espoir de voir se réaliser une des revendications majeures de Ferdinand Berthier s'est envolé avec la démission du gouvernement, deux mois plus tard79.

Alors que les succès électoraux des socialistes en 1890 et la création de la CGT en 1895 attestent du renforcement de ce mouvement général pour la reconnaissance, la théorie de la dégénérescence pénètre en France. Le célèbre inventeur du téléphone,

77 Voir à ce sujet la contribution d'Yves Bernard dans la revue internationale Surdité, décembre 2001, P75.

78 Pierre Rosenvallon, Le peuple introuvable, 1998, P162.

79 Dominique Gillot, Le droit des Sourds : 115 propositions, 1998, P63.

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l'américain Graham Bell, recommande dès 1884, dans son « Mémoire sur la formation d'une variété sourde de la race humaine 80», de légiférer sur le mariage entre sourds-muets ou entre personnes ayant des sourds-muets dans leur famille, pour éviter une dégénérescence de la race humaine81. L'apparition de cette théorie, dans une France déstabilisée, n'est pas le fruit du hasard. « Il est alors possible de demander à la biologie, et spécialement à la génétique, de résoudre toutes sortes de troubles sociaux 82».

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille