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La loi handicap du 11 février 2005 - quelle reconnaissance de la langue des signes française?


par Magali Leske
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes - Maîtrise Droit Public et Science Politique 2009
  

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B- L'invention des Sourds.

Au début du XXème siècle, l'eugénisme a le vent en poupe. L'idée de stériliser les personnes jugées inaptes pour garantir la pureté de la société se diffuse aux Etats-Unis et en Europe83. Les sourds-muets font l'objet d'études, ils seront classés parmi les inaptes, notamment dans le projet de loi « modèle » de l'américain Henry H. Laughlin, qui ne sera pas mis en application84. L'Allemagne nazie concrétisera ces thèses par la loi du 14 juillet 1933 relative aux maladies héréditaires et le décret du 1er septembre 1939, permettant d'affliger la « mort de grâce » aux malades incurables, dont les sourds-muets faisaient partie. D'abord stérilisés, ils seront ensuite exterminés. Après la Seconde Guerre Mondiale, une évolution notable dans le statut des sourds-muets relève du vocabulaire employé pour les désigner. Pour les médecins, les sourds-muets deviennent des sourds, que l'administration française classera dans la catégorie des déficients auditifs. Dans les deux cas, la représentation du sourd reste celle d'un malade à soigner. Repris par la communauté sourde, le terme Sourd s'écrira avec un S majuscule, marque de l'appartenance à une communauté linguistique. Les Sourds ne s'estiment pas muets, puisqu' ils

80 Graham Bell, Memoir upon the formation of a deaf variety of the human race, Washington, 1884.

81 Yves Bernard, Les Congrès de sourds-muets après Milan, dans la revue internationale Surdité, décembre 2001, P69.

82 André Pichot, La société pure, 2000, P157.

83 Voir le chapitre d'André Pichot intitulé Génétique et Eugénisme.

84 André Pichot, La société pure, 2000, P214-215.

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s'expriment par la langue des signes. Les études américaines sur la langue des signes viendront légitimer ce renouveau du combat pour l'intégration. Deux représentations de la surdité vont à nouveau s'opposer : la vision médicale et administrative, et la vision culturelle.

1/ Le sourd, un déficient auditif.

La loi de 1945 instaurant la Sécurité Sociale ne traite pas du handicap. Au sortir de la Guerre, la catégorie des sourds-muets, inventée par l'administration de 1791 et associée à celle des aveugles, reste en vigueur. Mais le terme sourd va être imposé par le secteur médical, avec le développement de l'orthophonie et de la technique des prothèses auditives85. Dire des sourds qu'ils sont muets reviendrait en effet à discréditer les soins que le monde médical leur prescrit. Les médecins poursuivent donc la mission qui leur a été confiée au siècle précédent : il faut guérir les sourds de leur maladie et les faire parler. La surdité se trouve d'ailleurs répertoriée dans la Classification Internationale des Maladies (CIM), établie en 1948 par l'Organisation Mondiale de la Santé. Désormais, la surdité est entendue comme une déficience auditive, divisée en quatre sous-catégories, selon le niveau de la perte auditive (sourd léger, moyen, sévère, profond). Cette vision médicale de la surdité sera formalisée dans le rapport de François Bloch Lainé de 1967, commandé par le premier ministre, Georges Pompidou et intitulé De l'inadaptation des personnes handicapées. Outre le fait que ce rapport envisage les personnes handicapées comme des personnes inadaptées à leur environnement, donc à la société, il donne aussi naissance à une sous-catégorie administrative, celle des déficients auditifs, comme le suggère la classification médicale. Les sourds se retrouvent ainsi classés, nommés par rapport à ce qui leur manque : l'audition. Comme le souligne l'ethnologue Yves Delaporte, « c'est le propre de l'ethnocentrisme, partout et toujours, que de définir l'autre par ce qu'il a en moins par rapport à soi. A la différence du racisme, il ne manifeste aucune

85 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P125.

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hostilité vis-à-vis d'autrui ; il n'est fait que de fausses évidences et de bonnes intentions (...) 86». Ce terme « déficient auditif » est déjà en usage, notamment au sein des associations de parents d'enfants sourds telles que l'ANPEDA (Association Nationale des Parents d'Enfants Déficients Auditifs) ou l'UNISDA (Union Nationale pour l'Insertion Sociale des Déficients Auditifs). Ces associations acceptent et souhaitent la médicalisation de la surdité car elles défendent une éducation oraliste des enfants sourds, en milieu scolaire ordinaire87. Pourtant, les Instituts Nationaux de Jeunes Sourds, sous l'autorité du Ministère de la Santé Publique, ont aussi pour mission « de contribuer au dépistage, de participer à la recherche et d'assurer un enseignement »88. Ils intègrent donc la vision médicale de la surdité. Mais ce que veulent ces associations, c'est l'insertion sociale, l'intégration des sourds au système scolaire ordinaire, non pas au nom de leur différence, mais au nom de l'égalité. Ces revendications seront inscrites dans la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées de 1975, qui élève « la prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l'éducation, la formation et l'orientation professionnelle, l'emploi, la garantie d'un minimum de ressources, l'intégration sociale et l'accès aux sports et aux loisirs » au rang d'obligation nationale. Cette loi envisage la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire, et l'enseignement spécialisé, tel que décrit par Jean-Gaspard Itard au XIXème siècle, reste en 1975 le lieu de la ségrégation. En effet, les enfants handicapés « pourront être accueillis dans des structures d'action médico-sociale précoce en vue de prévenir ou de réduire l'aggravation de ce handicap 89». Toutefois, si l'éducation des élèves handicapés relève désormais du Ministère de l'Education Nationale, les « déficients sensoriels » feront exception à la règle. Une circulaire conjointe du Ministère de l'Education Nationale et du Ministère de l'Action Sociale du 8 juin 1978 s'accorde sur le maintien des élèves sourds dans l'éducation spécialisée. Serait-ce lié au « réveil Sourd » qui va retentir

86 Yves Delaporte, Les sourds, c'est comme ça. Ethnologie de la surdimutité, 2002, P361.

87 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P361.

88 Décret N°74-355 du 26 avril 1974 du Ministère de la Santé Publique et de la Sécurité Sociale, article 2.

89 Article 3 de la loi du 30 juin 1975.

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avec force en France ? Dès 1976, le Ministère de la santé a réintroduit l'enseignement de la langue des signes au sein des Instituts90. Dans le sillage des mouvements identitaires américains, les Sourds de France se sont à nouveau mobilisés pour le respect et la reconnaissance de leur langue.

2/ Le « Réveil Sourd », une action collective pour la reconnaissance.

Au cours des années 1960, des mouvements identitaires vont émerger aux Etats-Unis pour revendiquer la reconnaissance du pluralisme des identités. Comme l'indique Laurent Bouvet, « ces minorités combattent davantage au nom de la reconnaissance de leur spécificité identitaire (leur différence) que de leur inclusion dans le grand récit consensualiste américain 91». Effectivement, aux côtés des Noirs, des Femmes ou des Homosexuels, les Sourds américains vont clamer leur différence et revendiquer la reconnaissance de leur langue. Après l'interdiction de la langue des signes en Europe, l'Université Gallaudet, (Washington D.C.), devient le bastion du combat pour la reconnaissance de la langue des signes, contre l'oralisme qui pénètre les écoles américaines92. Les Sourds français et américains entretiennent des relations privilégiées, la langue des signes ayant été exportée aux Etats-Unis par un français, Laurent Clerc, élève de l'Institut National parisien. Avec l'américain Thomas Gallaudet, ils fonderont tous deux la première école pour Sourds, dans le Connecticut, dans laquelle l'enseignement est bilingue, c'est-à-dire dispensé en langue des signes et en anglais écrit. Le slogan du « Deaf power », le pouvoir Sourd, « nous ne sommes pas des handicapés, nous sommes une minorité linguistique 93», va pénétrer en Europe, d'abord dans les pays scandinaves, puis en France94. Ce mouvement sera accompagné par la diffusion des travaux de Harry Markowicz, chercheur en linguistique au sein du laboratoire de l'université Gallaudet, dirigé par William Stokoe. Les linguistes sont

90 Arrêté du 15 décembre 1976.

91 Laurent Bouvet, Le communautarisme, mythes et réalités, Paris, 2007.

92 Harlan Lane, Les Sourds aux Etats-Unis après Laurent Clerc, dans Le pouvoir des signes, 1989, P218.

93 Bernard Mottez, op.cité, P129-130.

94 Ibid. P279.

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formels, la langue des signes est une langue à part entière, leurs locuteurs forment une communauté linguistique. En France, en 1973, au retour d'un séjour aux Etats-Unis, des Sourds et des parents d'enfants sourds vont fonder l'association 2LPE (Deux langues pour une Education), pour diffuser la langue des signes et permettre un enseignement collectif des enfants sourds en langue des signes95. Les acteurs de ce mouvement demandent la reconnaissance de cette langue par les pouvoirs publics et l'intégration des Sourds au système scolaire français. S'ils refusent l'éducation spécialisée, comme les associations ANPEDA ou UNISDA, ils refusent aussi de considérer les Sourds comme des déficients auditifs, comme des malades à soigner. A la fin des années 1970, les Sourds français vont nationaliser leur langue, comme aux Etats-Unis96, et donner naissance à la Langue des Signes Française (LSF). Pour coller à l'espace de décision ? Ce « réveil Sourd » va générer un véritable engouement, pour la défense de la langue des signes. Vont être créés, entre autres, le Théâtre Visuel International (IVT) de Paris, l'Académie de la Langue des Signes Française et des Centres Socio Culturels des Sourds. Relayé par les politiques, l'activisme des Sourds conduira à la reconnaissance de la langue des signes en tant que langue à part entière. Les Sourds pourront officiellement recevoir un enseignement dans leur langue.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery