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Approche socio-anthropologique des institutions d'intégration des personnes à¢gées : le cas de l'êbeb chez les Odjukru (côte d?ivoire)

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par Fato Patrice KACOU
Université Félix Houphouet Boigny de Cocody-Abidjan - Thèse Unique de Doctorat en Sociologie 2013
  

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1.2.5-Facteurs d'intégration du grand âge

La participation sociale des personnes aînées semble passer d'abord par la compréhension et l'explication des mécanismes qui conduisent à leur relégation. C'est à cela que s'est attelé un groupe de chercheurs issu de l'université de Laval125(*). Pour ce groupe de recherche donc, sept facteurs fondamentaux sont à l'origine de la relégation des personnes âgées. Il met en cause en premier, l'âgisme. En effet, il justifie que les représentations et les stéréotypes négatifs envers les personnes âgées freinent leur participation sociale et nivellent vers le bas leurs aptitudes. Les personnes âgées se détachent du corps social -la vie sociale- et entrent en réclusion après qu'elles ont intégré que leurs performances intellectuelle et physique ont baissé. Elles abandonnent alors à la société, si elle-même ne leur retire pas, les rôles qu'elles exerçaient. L'abandon des activités ou leur réduction agissent parfois directement sur le revenu. Ainsi, plus elles ont un revenu élevé, moins elles ont tendance à s'impliquer socialement. En revanche, moins elles ont des revenus insuffisants, plus leur implication à la vie sociale ralentit, puisque leur capacité financière ne leur permet pas de subvenir aux charges des loisirs ou des activités.

La famille qui devait être un soutien, est souvent secouée de conflits. En effet, la coopération entre les générations diminue du fait d'un défaut de cohésion. Les divorces et leur corollaire de conflits éloignent souvent les petits-enfants de leurs grands-parents. Aussi, la perte d'autonomie d'un parent âgé parce qu'elle demande une recomposition des rôles au sein de la famille, génère-t-elle parfois des désaccords. Il peut y avoir des parents âgés qui refusent de dépendre des enfants ou le cas inverse où, les enfants refusent d'assurer la responsabilité de la garde des parents âgés. Dès cet instant, les personnes âgées peuvent ressentir la solitude et l'isolement, lesquels exercent une influence négative sur leur participation sociale.

Les personnes âgées commencent à vivre la solitude quand elles se rendent compte d'un effritement de leurs relations sociales aux plans qualitatif et quantitatif. Elles assistent à la mort de leurs congénères et à la disparition des êtres qu'elles considèrent comme chers. C'est à ce niveau qu'il apparaît important d'établir la nuance entre la solitude et l'isolement. La solitude, à la différence de l'isolement, est un sentiment intérieur qui naît suite à la perte ou à l'éloignement d'un être cher. Donc elle est plus une notion psychologique. L'isolement lui, a la particularité d'être extérieur. C'est-à-dire quand il y a une rupture des liens sociaux. Les personnes âgées peuvent vivre seules sans être isolées si elles gardent le lien avec leurs parents et amis à travers des visites ou la communication. Elles sont isolées dès qu'il y a une volonté délibérée de les écarter de la vie sociale. De même, le sentiment de solitude peut s'emparer d'elles malgré l'existence des liens sociaux et du soutien de la communauté.

Ainsi, selon les statistiques, la proportion des personnes âgées solitaires est liée à l'âge et à l'évolution de leur proportion. En effet, il a été constaté que le sentiment de solitude croît avec l'avance en âge et selon le sexe. L'enquête menée aux Etats Unis d'Amérique fait état de ce que 40, 80% des femmes contre 15 ,50% des hommes de 65 ans et plus vivent seuls. En France, on estime à 80,40% le taux des personnes âgées de 60 ans et plus qui vivent seules.

Au Canada, P. Clark126(*) a montré qu'au fur et à mesure que la proportion des personnes âgées croît, la proportion des personnes solitaires croît également. Ainsi a-t-il observé que de 3% de la population des personnes vivant seules en 1951, on est passé à 12% en 2001. Cette situation de solitude serait en corrélation avec le statut matrimonial, l'état de santé, l'institutionnalisation -maison de retraite-, la quantité des contacts sociaux, la situation économique, l'âge, le genre et la mortalité.

A cela s'ajoute la rigidité des organisations qui, au nom des normes de fonctionnement des entreprises et du souci de profit, pousse à la mise à la retraite des travailleurs vieillissant bien qu'ils ne soient pas toujours vidés de leurs capacités physiques et intellectuelles. Les entreprises redoutent que les travailleurs âgés soient sous-productifs et soient confrontés à des maladies qui nécessitent des congés et des allégements d'horaires de travail.

Par ailleurs, il y a la santé chancelante des personnes âgées qui réduit leur interaction avec la société. Il s'agit surtout des maladies chroniques qui alitent régulièrement, voire limitent la mobilité. Ainsi s'adonnent-elles aux loisirs passifs tels que l'écoute de la radio ou de la télévision.

L'intervention du facteur transport dans la relégation est une conséquence de la santé défaillante. Des personnes âgées se voient privées du droit de conduire. Comme alternative, certaines pratiquent le covoiturage afin de satisfaire aux besoins de loisir et de répondre aux visites médicales. A l'analyse, les sept facteurs explicatifs de la relégation des personnes âgées s'interpénètrent.

En outre, dans cette optique de la recherche des causes de la marginalisation des personnes âgées pour aboutir à leur intégration, O. De Ladoucette (1999)127(*) a mis en exergue le rapport entre la libido et le vieillissement et leur impact sur les relations sociales. Ainsi, partant du fait que la libido est une énergie qui pousse l'individu à un double amour : l'amour des autres et l'amour de soi; il fait constater que les individus vieillissant font un repli -le repli narcissique- sur eux-mêmes compte tenu des frustrations, de l'image négative que la société se fait d'eux et du rejet dont ils sont l'objet. Ils revoient à la baisse leur rapport avec la société. Ce que l'on illustre par la théorie du désengagement, synonyme d'une part du désengagement de la société et d'autre part du désengagement des aînés sociaux. Ce retranchement dû aux blessures narcissiques peut parfois entraîner leur trépas. C'est pourquoi, l'auteur, dans le but de faciliter un vieillissement réussi, pense que le repli narcissique : « doit être positif en s'accompagnant d'une harmonie entre l'investissement de l'environnement et de l'estime de soi.». C'est-à-dire que l'individu va transposer ses sentiments sur des objets et tirer satisfaction de ses actes passés. Ce comportement narcissique et cette reviviscence donneraient à l'individu le sentiment d'être utile, le sentiment d'avoir participé à la construction de la société, un sentiment d'autosatisfaction. A travers ce rapport entre la libido et le vieillissement, on comprend que l'élément fondamental que recherche la personne âgée est l'affection ou du moins qu'elle redoute l'exclusion sociale. Cependant, l'auteur reconnaît que le transfert de sentiment n'est toujours pas aisé. En effet, avec le long temps que les individus ont mis à s'attacher à leur rôle social, à leur conjoint et à leurs enfants, il est difficile d'opérer un travail du deuil128(*). Or, si le travail du deuil n'est pas réalisé, les individus se trouvent affectés psychologiquement. C'est ce qui a conduit J. Messy (2002)129(*) à dire que: « lorsque le sujet n'a pas accès à une autre forme de communication, il n'est question, dans les plaintes, que de peur de perdre la vue, l'ouïe, les jambes, l'équilibre, la mémoire, la tête ou encore d'être volé, dépossédé, dérobé. Cela désigne deux sortes de menaces, l'une qui concernerait le corps, menace qui vient de l'intérieur en quelque sorte, et l'autre qui porterait sur les objets investis, le monde extérieur intériorisé.». En d'autres termes, son isolement se transforme en des maladies psychosomatiques et en un sentiment d'insécurité.

C'est pour éviter de tel désagrément que C. Jung130(*) invite les vieilles personnes à accepter leur état en ne le considérant pas comme une maladie mais comme une étape nécessaire de la vie. Et pour lui, l'avantage que la vieille personne a sur les jeunes est qu'elle a en elle un capital symbolique à même de répondre à ses difficultés. Ainsi pour éviter les ennuis, doit-elle : « admettre que la deuxième partie de l'existence n'est pas régie par les mêmes principes que la première, lorsqu'il essaie de vivre « l'après-midi de la vie » en suivant « la charte du matin ».Autrement dit, il convient pour les personnes âgées de vivre au présent, selon leur condition.

Dans ce même registre de la recherche d'un équilibre pour la personne aînée, Peck131(*) donne trois recettes qui lui semblent être la panacée contre la vieillesse dépendante.

La première consiste à se faire une identité et une estime de soi indépendamment de l'activité professionnelle. La deuxième consiste à préparer son esprit à la faiblesse physique en évitant de surinvestir son corps. Et la troisième consiste à accepter la mort en rejetant les attitudes défaitistes. Ce rejet du défaitisme va se traduire par l'aide apportée aux autres comme si on leur laissait un testament.

De plus, L-V. Thomas132(*), abordant sous une perspective psycho-sociale la question du vieillissement, compare les personnes âgées de la société africaine à celles de la société moderne occidentale. De prime abord, il plante le décor des éléments fondamentaux qui préparent à l'image valorisante du vieillard dans la société traditionnelle. Ces éléments sont:

- l'homme en tant que bien suprême;

- la tradition orale caractérisée par la transmission du patrimoine culturel d'un être à l'autre;

- l'importance attachée à la famille (famille composée).

À l'opposé, dans la société moderne, le primat est accordé aux biens matériels. En cas de besoin, l'on consulte les livres qui sont la mémoire collective et la structure familiale est de type nucléaire.

Au sujet des vieillards, il fait observer que leur proportion dans la société traditionnelle est plus inférieure à celle des vieillards dans la société occidentale. Dans la société traditionnelle, ils incarnent la sagesse, ils jouent un rôle majeur au sein de la famille alors que dans la société moderne, ils sont perçus comme socialement inutiles et rejetés dans les hospices ou vivent seuls. Ils sont parfois infantilisés. La conséquence de ce qui précède est l'augmentation de la fréquence du suicide au sein de la population des personnes âgées. Dans leur moment de maladie, ils se retrouvent seuls. Étant donné que leur mort n'a pas de signification, ils ont des obsèques dans l'indifférence. Après l'enterrement ils tombent dans l'oubli. Ce sont ces types de comportements que M. Levet-Gautrat et al. (1987)133(*) appellent la déritualisation de la mort ou le déni de la mort.

Or, dans la société de type traditionnel, les cas de suicide sont presque absents. Les faiblesses des personnes âgées sont positivées et reconverties en qualité. Comme le dit O. De Ladoucette (1999)134(*), dans les sociétés traditionnelles : « le vieillissement est défini par l'acquisition et le progrès. Les pertes dues à l'âge sont reléguées au second plan, voire idéalisées. Si le vieillard marche péniblement, c'est qu'il connaît le poids des choses. S'il n'entend et ne voit plus très bien, ou s'il tient des propos confus, c'est qu'il se rapproche des esprits avec lesquels il est en communication. ». Pourtant, dans la société moderne, l'apparition de ces signes de faiblesse est considérée comme une pathologie et nécessite que le vieillard soit interné dans un hospice, coupé de la famille.

Dans l'Afrique traditionnelle, la régulation de la société est du ressort des personnes âgées. Elle repose, se maintient et se perpétue grâce à la transmission de la culture dont les aînés sociaux en sont les dépositaires. Comme le dit O. De Ladoucette (1999), dans la société traditionnelle: « la hiérarchie sociale est définie par l'échelle des âges. Le symbole et le signe dominent la technique et l'outil, c'est pourquoi les vieillards sont utiles et valorisés.». Et il continue pour dire que l'intégration de cette catégorie sociale: « pourrait expliquer le faible taux d'atteinte démentielle dans les populations africaines en comparaison avec les pays d'Europe. ».

Les vieillards reçoivent la compassion de la famille pendant la maladie et la mort si elle survient, est perçue comme une récompense après des jours longs et féconds. Par conséquent, les funérailles sont des occasions de fête et d'hommage à la gloire du disparu.

Cet exposé comparatif de L-V Thomas et d'O. De Ladoucette (1999) serait l'image classique de la personne âgée qui aurait prédominé avant la colonisation des sociétés africaines. Aujourd'hui, les travaux anthropologiques s'accordent à dire que l'organisation sociale des sociétés africaines avec la colonisation a été déstructurée et, à tous les paliers de la société on remarque de profonds changements dont A. Hampaté-Bâ (1972)135(*) se fait l'écho. Pour lui, la principale responsable de la déstructuration des sociétés africaines est la colonisation qui a été le tremplin par lequel l'Occident a nié toute la culture et l'histoire africaine. Sous la colonisation, la seule connaissance valable capable d'apporter la « lumière » aux sociétés africaines considérées comme sauvages, était la culture occidentale. Culture véhiculée dans les écoles conventionnelles et qui dans le même temps dépossédait les vieillards de leurs rôles centraux d'éducateurs et de directeurs de conscience. Car comme il l'apprend: «la connaissance africaine est une connaissance globale, une connaissance vivante qui se transmettait régulièrement de génération en génération, par les rites d'initiation et par les différentes formes d'éducation traditionnelle. Cette transmission régulière s'est trouvée interrompue du fait d'une action extérieure ; extra-africaine : l'impact de la colonisation (...). Et c'est pourquoi les vieillards qui sont les derniers dépositaires, peuvent être comparés à de vastes bibliothèques dont les multiples rayons sont reliés entre eux par d'invisibles liens qui constituent précisément cette `'science de l'invisible'' authentifiée par les chaînes, de transmission initiatique ». La chaîne qui relie la vieille génération à la jeune génération a été rompue et de plus en plus l'on note des conflits entre les deux. Or, le fonctionnement de la chaîne commandait aux jeunes le respect à l'égard des aînés. Le facteur déterminant de l'intégration était donc le capital culturel des personnes âgées.

En somme, l'intégration des personnes âgées tournerait autour de deux points focaux à savoir: le psychologique et le social. Toutefois, il ne faut pas reléguer l'aspect biomédical, car la dégradation physique et la polypathologie qui s'en suivent, se posent comme des mobiles qui provoquent la réclusion des personnes âgées.

* 125http://www.ivpsa.ulaval.ca/Upload/fil_15.pdf?1188494061235

* 126 Phillip Clark, http://www.ivpsa.ulaval.ca/Upload/fil_15.pdf?1188494061235

* 127Olivier De Ladoucette, op. cit., p.81.

* 128Le travail du deuil est la capacité psychologique de se détacher progressivement d'un être, d'une situation ou des aptitudes auxquelles l'on était attaché.

* 129Jack Messy, op. cit., pp 69-70.

* 130Carl Jung, in Olivier De Ladoucette, op. cit., p. 89.

* 131Peck, in Olivier De Ladoucette, op. cit.

* 132Louis-Vincent Thomas, in Olivier. De Ladoucette, op. cit.,pp. 103- 107.

* 133Maximilienne Levet-Gautrat, Anne Fontaine, op. cit., p. 27. La déritualisation de mort: c'est le fait que la famille confie l'organisation des obsèques d'un parent mort à un service de pompe funèbre juste pour s'en débarrasser

* 134Olivier De Ladoucette op. cit., pp. 105-106.

* 135Amadou Hampaté-Bâ, Aspect de la civilisation africaine, Paris, Présence Africaine, 1972, p.26.

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