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Approche socio-anthropologique des institutions d'intégration des personnes à¢gées : le cas de l'êbeb chez les Odjukru (côte d?ivoire)

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par Fato Patrice KACOU
Université Félix Houphouet Boigny de Cocody-Abidjan - Thèse Unique de Doctorat en Sociologie 2013
  

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1.2.4-Du conflit intergénérationnel à l'équité entre les générations

On découvre avec D. Agbroffi (2005)114(*) que par le jeu des alliances, des mécanismes ont permis de juguler un tant soit peu les conflits. En effet, dans la société précoloniale africaine, il y a eu des conflits intergénérationnels portés sur l'héritage et sur la criminalité (les jeunes taxent les vieux de sorciers). Et la société traditionnelle précoloniale, préoccupée par la prévention et la gestion des conflits, a inventé la parenté à plaisanterie qui est une sorte de raillerie et d'amusement facilitant des rapports conviviaux entre les aînés sociaux et les générations cadettes. Elle se vit entre les grands-parents et leurs petits-fils. La société pense que l'être humain en vieillissant s'infantilise. Alors, pour le sortir de l'inactivité, de la marginalité sociale et de l'isolement communicationnel, la société a rapproché par le biais de la plaisanterie la vieille génération de la jeune génération. Ainsi, les aînés sociaux ont-ils un rôle de socialisation et de surveillance des cadets.

Cependant, l'adhésion aux valeurs occidentales va bouleverser cette organisation sociale. Les jeunes auront de moins en moins de contact avec leurs parents et grands parents; le nombre des personnes âgées va s'accroître grâce aux nouvelles politiques de natalité (planning familial). Les effets immédiats sont la déconsidération des personnes âgées, l'état de nécessiteux et le phénomène des enfants des rues.

D'ailleurs J-P. Bois (1994)115(*) révèle aussi que, devant la dialectique vieillesse-jeunesse dans l'histoire, la société à travers son fonctionnement semble avoir contribué à marginaliser les personnes aînées. Soit elle retire des fonctions sociales aux personnes âgées, soit elle adopte des lois qui les surclassent. Cela s'illustre au temps médiéval par le prix accordé à la jeunesse par rapport à la vieillesse. En effet, dans la loi du Wehrgeld Wisigothique, le meurtre d'un adulte ou d'un adolescent imposait respectivement une amende de 300 sous d'or ou 150 sous d'or alors que celui d'une personne âgée de plus de 60 ans imposait une réparation de 100 sous d'or, l'équivalent demandé pour le meurtre d'un enfant. Ce qui signifie que la valeur sociale des aînés égalait celle d'un enfant. Chez A. Kardiner (1969)116(*), dans certaines sociétés ce sont les personnes aînées elles-mêmes qui ont dilué la valeur de leur vie. C'est ce qu'on découvre dans la société traditionnelle Chuckchee, où en période de famine les vieilles personnes, sous prétexte qu'elles ont vécu longtemps comparativement aux jeunes, acceptent d'être tuées afin que le peu de nourriture puisse satisfaire les autres membres de la famille.

Au niveau des rôles sociaux, entre l'âge de 55 ou 60 ans les travailleurs étaient mis à la retraite avec un sentiment de mort sociale. L'on se demande de savoir, si l'âge porte forcément atteinte aux potentiels humains ou s'il faut priser le savoir-faire. Dans les sociétés africaines postcoloniales, C. N'Da (2005)117(*) parle de conflit en permanence entre les jeunes et vieux au sujet de régime successoral. En effet, dans le contexte traditionnel africain, la succession chez certains peuples était de type matrilinéaire. Or, avec les mutations sociales, la Côte d'Ivoire a adopté le code civil de 1964, dérivé du modèle français qui donne aux enfants d'hériter de leurs parents. Ainsi naîtra-t-il des conflits. Les anciens vont se montrer intransigeants, réactionnaires et décidés à défendre les institutions laissées par leurs ancêtres puisqu'ils en sont les garants et que s'en détourner, les exposent à des sanctions magiques. Les jeunes réformistes à leur tour défendent la mise en oeuvre de ladite loi. Les vieux se trouvent marginalisés et dépréciés, vu que les jeunes gagnent les procès issus des litiges de succession. Parfois, les vieux sont accusés d'empoisonnement par pratique occulte à l'occasion de ces conflits. Toutes choses qui mettent à mal la cohésion sociale fondée traditionnellement sur le système matrilinéaire.

Comme D. Agbroffi (2005), C. N'Da (2005)118(*) est d'avis pour dire que la déstructuration des sociétés africaines fait: «suite au choc des civilisations né de la colonisation.». La problématique qui se dégage est la condition de la conciliation du droit successoral traditionnel et du code civil ivoirien de 1964 pour le développement des sociétés à système matrilinéaire. Du côté des anciens, on meurt par humiliation et du côté des jeunes on mourrait aussi d'empoissonnement. Autrement dit, on assiste à la destruction de deux ressources humaines importantes pour le développement économique et social. Les vieux en tant que `'savants'' et les jeunes en tant que bras valides.

Kouakou N'Guessan (2005)119(*) sans s'écarter des deux précédents, pense que les trois facteurs que sont l'école conventionnelle, l'économie de marché et l'urbanisation, toutes, produits de la culture occidentale sont à la base du bouleversement des rapports entre les aînés et les cadets. Dans le contexte actuel, le pouvoir économique et le savoir ne sont plus détenus par les aînés. Il y a une inversion des rôles et même des statuts. En ce sens, ce sont les jeunes qui, parce qu'ayant fréquenté l'école conventionnelle, jouent les rôles modernes et instruisent les vieux. Ce qui commande que les aînés fassent allégeance aux cadets.

C'est ce qu'on retrouve chez P. Paillat (1993)120(*) qui se fait l'écho de la même situation dans la société Occidentale. Pour lui, dans ce conflit intergénérationnel qui oppose la jeunesse à la vieillesse, la société n'est pas restée sans réaction. Elle semble avoir pris partie pour la jeunesse, peut-être à cause de « l'atonie croissante des personnes âgées ». À ce sujet, il écrit que : « Quand un choix s'impose entre une mesure qui favorise un enfant ou un jeune adulte, et une mesure qui favorise un vieillard, par une sorte de réflexe vital, c'est la première qui l'emporte alors que dans une société rationnelle, c'est le choix lui-même qui ne devrait pas se poser, car c'est l'un et l'autre qu'il faut aider.». L'auteur dans cette conduite partiale et intéressée oppose l'expression de «réflexe vital» à celle de «société rationnelle » pour traduire la marginalisation des personnes âgées et toutes les idées préconçues sur cette catégorie sociale. Les réflexions sont toutes faites et donc elles sont mises en oeuvre de façon automatique au profit des jeunes. On pourrait croire que les jeunes sont indispensables à la vie comparativement aux vieux.

C'était la même situation qui, vers la fin du XVIIIème siècle en France, où l'émergence de la jeunesse, avait provoqué un dépérissement du statut des personnes âgées. Ce qui faisait que dans la Grande Assemblée de 1792121(*), on notait 400 députés de moins de 40 ans. Et dans le Comité de Salut de l'an II, la jeunesse occupait tous les organes de l'Etat révolutionnaire. Robert Lindet avec ses 47 ans était le plus âgé et huit de ses collègues avaient moins de 40 ans. De même, les généraux de l'armée, les administrateurs des collectivités (villes, cantons, districts) étaient des jeunes. L'un des actes phares qui avait consacré le déclin de la personne âgée et partant la famille, était la législation qui fixait à 21 ans l'âge de la majorité. Autrement dit, l'Etat donnait la liberté aux jeunes de disposer d'eux-mêmes en se défaisant de la puissance paternelle.

Cependant, vers la fin du XIXème siècle, il y a eu une renaissance de la « Belle Vieillesse » célébrée à travers l'élection et la réélection de Jules Grévy à 72 ans puis à 79 ans à la tête de la France. Egalement, les hautes fonctions de l'Etat étaient exercées par les personnes âgées.

À la place des conflits ce qui doit être, est la culture de rapports verticaux de mutuelle dépendance. C'est l'orientation que donnent S. Dedy et al. (1995)122(*) pour qui les rapports entre les aînés et les cadets doivent être des relations de complémentarité. Car, comme ils l'affirment: « la main du vieux ne passe pas à travers le col étroit du pot, la main de l'enfant n'atteint pas le haut du séchoir à aliment.». En d'autres termes, dans le processus du développement de la société, la nécessaire dépendance mutuelle entre ces deux, doit laisser très peu d'espace pour les arènes. Et trois raisons fondamentales militent en faveur de la pacification des rapports entre ces deux catégories sociales. La première est qu'il faut concéder au grand âge qu'il est la tête pensante de la société, la mémoire et l'archive de la société. La deuxième est qu'il faut reconnaître aussi que la jeune génération représente la force de travail; elle détient le pouvoir des muscles. Et enfin, la troisième raison est qu'on est dans un processus où les statuts sont cycliques. Ainsi, les personnes âgées, en dépit de la dégradation physique, peuvent apporter des expériences utiles à la jeunesse. C'est pourquoi M. Aubry (1999)123(*) avance que: «Dans un monde incertain, où la notion même de famille a profondément évolué, avec la montée des divorces et des familles monoparentales ou recomposées, nos aînés apparaissent comme un maillon stable et rassurant pour les jeunes générations. Ils peuvent jouer à cet égard, un double rôle. D'abord, un rôle un peu traditionnel de transmission de la mémoire et de valeurs d'un monde disparu. Notre monde d'aujourd'hui apparaît à peine imaginable aux enfants qui demandent « comment c'était avant ». Un monde sans appareils ménagers et surtout sans télévision leur semble tout simplement inconcevable.»

Mieux, les Nations-Unies124(*) face à la forte croissance du nombre de personnes âgées, trouvent insuffisante la notion de solidarité intergénérationnelle. Elles introduisent un concept nouveau, celui de l'équité ou de la réciprocité entre les générations. Autrement dit, pour elles, les Etats doivent développer dans leur politique sociale l'égalité de traitement entre les jeunes et les personnes âgées. Ils doivent répondre à l'épineuse question relative à la juste répartition des ressources. Il est certain que la juste répartition des ressources consistera à répondre aux besoins appropriés des différentes générations mais, il ne s'agit pas d'un calcul selon le quota à affecter à chaque génération. Il s'agit de mettre en place des services sociaux que nécessite l'état des personnes âgées et de ne pas orienter les politiques de bienfaisance au profit seulement des enfants et des jeunes. Ainsi, les personnes âgées, dans cette optique pourraient être moins perçues comme des fardeaux. Ce qui peut être significatif pour l'intégration sociale des personnes âgées.

* 114Agbroffi Diamoi, Conflits intergénérationnels d'hier à aujourd'hui, du colloque international sur « Sociétés, développement et vieillissement en Afrique », communication présentée lors du colloque international sur: « sociétés, développement et vieillissement en Afrique » : « comprendre le vieillissement pour prévenir les conflits de génération », Abidjan, Hôtel ibis au plateau en 2005.

* 115Jean-Pierre Bois, op. cit., p. 32.

* 116 Abram Kardiner, l'individu dans la société. Essai d'anthropologie psychanalytique, Gallimard, 1969, p. 184.

* 117N'Da Constant, «Vieillissement et conflits intergénérationnels». Communication présentée lors du Colloque International sur: « sociétés, développement et vieillissement en Afrique »: « Comprendre le vieillissement pour prévenir les conflits de génération », à Abidjan à l'hôtel Ibis au Plateau en 2005.

* 118Constant Nda, idem.

* 119Kouakou N'Guessan, « Ainés et cadets : la dialectique d'une dynamique sociale dans l'Afrique traditionnelle». Communication présentée lors du Colloque International sur: « sociétés, développement et vieillissement en Afrique » : « Comprendre le vieillissement pour prévenir les conflits de génération », Abidjan, l'hôtel Ibis au Plateau en 2005.

* 120Paul Paillat, op.cit., p. 126.

* 121Jean-Pierre Bois, op. cit. pp. 77-78.

* 122Séri Dédy, Gozé Tapé, Famille et éducation en Côte d'Ivoire, Abidjan, Ed. Les Lagunes, 1995, p. 35.

* 123Intervention de Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité au Colloque de clôture de l'Année Internationale des Personnes âgées le 30 novembre 1999.

* 124ONU, op. cit., pp. 95-105.

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