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L'enseignement de l'histoire en Bolivie

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par Julian Saint-Martin
Université Paris 7 Paris Diderot - Master 2018
  

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IV-D/ La situation éducative dans la Bolivie d'Evo Morales.

Le gouvernement d'Evo Morales, au pouvoir depuis 2006, s'illustre par des efforts renouvelés pour développer l'éducation. L'investissement de l'État dans l'éducation est le même que lors de la réforme précédente, cela représente 24 % des dépenses étatiques. Cependant, Evo Morales a fondé son discours politique sur la résurgence de la culture bolivienne, il se place en rupture avec le gouvernement précédent et les projets de développement affiliés à la Banque Mondiale. Ainsi, il arrête le Plan Stratégique de l'Education Bolivienne255 en 2006 afin de mettre en place le programme Bolivie Digne, Souveraine, Productive et Démocratique pour le « Vivir Bien »256. Il ne disposait donc pas des mêmes aides financières et techniques que la réforme de 1994, portée par la Banque Mondiale. Ainsi, alors que les dépenses pour la réforme de 1994 ne représentaient que 4.7 % du PIB, celles de 2010 en représentent 8 %257. Or, il semblerait que le taux de scolarisation en primaire chute avec l'avènement d'Evo Morales, pire encore, cette baisse s'est accélérée à partir de 2009, sans que la réforme de 2010 ne corrige cela.

http://www.cedib.org/post_type_leyes/ley-070-educacion-avelino-sinani-diciembre-2010/

251 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 6, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 2017, Chapitre 6 « Pueblos indigenas de America : periodo colonial

252 Ibid, Chappitre 7 : « Pueblos indigenas de America : del siglo XIX a la actualidad. »

253 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Bases para la escuela y educación en el oriente boliviano, Landivar S.R.L. Santa Cruz de la Sierra, 2004.

254 Entretiens avec Weimar Ino, Paula Peña, Gustavo Pinto et des enseignants.

255 « plan Estrategia de Educación Boliviana

256 « Bolivia Digna, Soberana, Productiva y Democrática para Vivir bien. »

257 Banque Mondiale, U.N.E.S.C.O. Institut de statistique, 2017.

Illustration 8: Courbe de l'évolution du pourcentage de scolarisation en Bolivie.

Pourcentage (net) d'élèves en âge scolaire inscrits en Bolivie entre 1999 et 2015, (Banque Mondiale, Institut de statistique de l'UNESCO ).

55

Les actions du gouvernement d'Evo sont très influencées par l'objectif de maintenir le soutien politique de son électorat, les indigènes, les masses populaires et les intellectuels de gauche. De ce fait, l'investissement du MAS dans l'éducation est excessivement mis en avant afin de souligner les actions du gouvernement tournées vers le peuple et pour le développement du pays. Parmi la propagande étatique, le ministère de l'éducation publie de nombreux rapports et articles sur ses travaux et les résultats de ceux-ci. De telle sorte que de nombreuses statistiques sur l'éducation dans les années 2010 proviennent du ministère de l'éducation afin de promouvoir la réussite de la réforme et du MAS Ces données sont souvent bien différentes des autres sources et sont organisées de manière à présenter des résultats positifs.

Illustration 9: L'utilisation des données éducatives par le MAS.

Nombre d'étudiants inscrits en Bolivie entre 2000 et 2014, (Ministère de l'éducation, La Paz, 2015).

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Ce graphique met en scène une progression positive du nombre d'enfants inscrits à l'école en Bolivie de 2000 à 2014. Les indications sur la droite mettent seulement en avant les statistiques positives, ne faisant aucun commentaire pour la régression d'inscrits en primaire. Plus encore, l'écart des statistiques des années 2010 inférieur à celles des années 2000 est justifié par l'ancien système de recensement qui serait moins précis, ce qui expliquerait une surestimation du nombre d'inscrit avant 2009, soit juste un an avant la mise en place de la réforme éducative. De manière générale, les informations du ministère de l'éducation et la plupart des sources étatiques sont donc à prendre en considération avec un certain recul. Ces sources ne sont pas forcément fausses, mais elles sont organisées de manière à démontrer l'efficacité du projet éducatif gouvernemental.

Par exemple, les données de la Banque Mondiale sont à peu près les mêmes pour ce qui est du nombre d'inscrits au secondaire. Cependant, l'emploi de ce graphique imprécis permet de ne pas révéler que l'augmentation du pourcentage d'inscrits en secondaire s'est surtout produite entre 2000 et 2005, passant de 60 % à 75 % et a ralenti dans les années 2010, évoluant de 73% à 77% en 2015.

Ainsi, les inscriptions en secondaire sont en hausse dans les années 2010 comme elles le furent dans les années 1990 et 2000. Cette augmentation suit une évolution internationale d'une hausse constante de besoin de travailleurs plus qualifiés en Amérique du sud. Pour ces mêmes raisons, l'accès aux études supérieures a augmenté de 8 à 38% de 1970 à 2007258 . Cependant, le nombre n'est pas

258 Banque Mondiale, U.N.E.S.C.O. Institut de statistique, 2017.

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révélateur de la qualité éducative. Les réformes de 1994 comme de 2010 s'étant concentrées sur le primaire, le nombre d'enseignants et les infrastructures attribuées au secondaire est bien insuffisant pour assurer un enseignement de qualité. En effet, si le taux d'achèvement du primaire s'élève à 50%, il n'atteint que 20% des étudiants du secondaire. De même la couverture scolaire est de 90% en primaire contre 50% pour le secondaire259. Or la volonté de ce travail était de percevoir l'éducation de base transmise au plus grand nombre. C'est pour cette raison que malgré les conseils de Paula Peña Hasbun qui prônait l'observation de l'enseignement de l'histoire au secondaire, cette étude porte avant tout sur l'enseignement de l'histoire en primaire.

Des statistiques nationales qui rendent difficilement compte de la diversité des situations éducatives.

Toutefois, ces données nationales rendent difficilement compte d'une réalité générale bolivienne du fait de la multitude de situations différentes présentes en Bolivie. En effet, l'immense territoire bolivien regroupe des situations économiques, sociales et politiques très différentes. La comparaison des statistiques des départements et entre le monde rural et urbain permet de se rendre compte de la diversité des situations et de l'inégalité des conditions éducatives présentes sur le territoire bolivien.

Ce graphique met en scène une progression positive du nombre d'enfants inscrits à l'école en Bolivie de 2000 à 2014. Les indications sur la droite mettent seulement en avant les statistiques positives, ne faisant aucun commentaire pour la régression d'inscrits en primaire. Plus encore, l'écart des statistiques des années 2010 inférieur à celles des années 2000 est justifié par l'ancien système de recensement qui serait moins précis, ce qui expliquerait une surestimation du nombre d'inscrit avant 2009, soit juste un an avant la mise en place de la réforme éducative. De manière générale, les informations du ministère de l'éducation et la plupart des sources étatiques sont donc à prendre en considération avec un certain recul. Ces sources ne sont pas forcément fausses, mais elles sont organisées de manière à démontrer l'efficacité du projet éducatif gouvernemental.

Par exemple, les données de la Banque Mondiale sont à peu près les mêmes pour ce qui est du nombre d'inscrits au secondaire. Cependant, l'emploi de ce graphique imprécis permet de ne pas révéler que l'augmentation du pourcentage d'inscrits en secondaire s'est surtout produite entre 2000 et 2005, passant de 60 % à 75 % et a ralenti dans les années 2010, évoluant de 73% à 77% en 2015.

Ainsi, les inscriptions en secondaire sont en hausse dans les années 2010 comme elles le furent dans les années 1990 et 2000. Cette augmentation suit une évolution internationale d'une hausse constante de besoin de travailleurs plus qualifiés en Amérique du sud. Pour ces mêmes raisons, l'accès aux études supérieures a augmenté de 8 à 38% de 1970 à 2007260 . Cependant, le nombre n'est pas révélateur de la qualité éducative. Les réformes de 1994 comme de 2010 s'étant concentrées sur le primaire, le nombre d'enseignants et les infrastructures attribuées au secondaire est bien insuffisant pour assurer un enseignement de qualité. En effet, si le taux d'achèvement du primaire s'élève à 50%, il n'atteint que 20% des étudiants du secondaire. De même la couverture scolaire est de 90% en primaire contre 50% pour le secondaire261. Or la volonté de ce travail était de percevoir l'éducation de base transmise au plus grand nombre. C'est pour cette raison que malgré les conseils de Paula Peña Hasbun qui prônait l'observation de l'enseignement de l'histoire au secondaire, cette étude porte avant tout sur l'enseignement de l'histoire en primaire.

259 CAJIAS DE LA VEGA Beatriz, Hitos de la Educacion en Bolivia, PIEB, La Paz, 2017.

260 Banque Mondiale, U.N.E.S.C.O. Institut de statistique, 2017.

261 CAJIAS DE LA VEGA Beatriz, Hitos de la Educacion en Bolivia, PIEB, La Paz, 2017.

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Des statistiques nationales qui rendent difficilement compte de la diversité des situations éducatives.

Toutefois, ces données nationales rendent difficilement compte d'une réalité générale bolivienne du fait de la multitude de situations différentes présentes en Bolivie. En effet, l'immense territoire bolivien regroupe des situations économiques, sociales et politiques très différentes. La comparaison des statistiques des départements et entre le monde rural et urbain permet de se rendre compte de la diversité des situations et de l'inégalité des conditions éducatives présentes sur le territoire bolivien.

Illustration 10: Comparaison de la scolarisation selon les départements.

Effectifs d'enfants scolarisés et population en âge scolaire de chaque département, données du Ministère de l'Education, 2009 (Graphique : Saint-Martin)

Illustration 11: Des situations éducatives différentes selon les départements.

Taux d'encadrement par département en Bolivie en 2008, La frontière rouge délimite l'Orient du monde andin, données du Ministère de l'Education, 2009 et de PEREDO VIDEA, Rocío de los Ángeles. « Estado de la educación primaria en Bolivia en cifras e indicadores.» Revista de Psicologia, La Paz, 2013. (Carte: Saint-Martin)

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Ces deux derniers graphiques permettent de visualiser la grande disparité des situations éducatives entre les différents départements de Bolivie. Les départements les plus peuplés, tels que La Paz, Cochabamba et Santa Cruz présentent les plus mauvais taux d'encadrement et de déscolarisation. Ces trois départements sont aussi les plus dynamiques économiquement du pays. Les grandes possibilités de travail pour les enfants, ainsi que les difficultés de répondre aux besoins d'espaces urbains fortement peuplés peut expliquer les forts pourcentages de déscolarisation. En effet, les départements peu urbanisés et faiblement peuplés, tels que le Pando, Oruro ou encore le Beni présentent des meilleurs taux de scolarisation et d'encadrement.

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L'observation de ces données permet de mettre en avant la situation particulièrement mauvaise du département de Santa Cruz. En effet, ce département est le véritable moteur économique du pays et possède le plus grand centre urbain de Bolivie, offrant des conditions de vie bien plus élevées que dans le reste du pays. Pourtant, il présente 17 % de déscolarisation et le taux d'encadrement le plus bas de tout le pays, ne disposant que d'un professeur pour 42 élèves. En effet, seulement 21% du nombre d'enseignants y travaillent, contre 28% pour La Paz, qui ne possède qu'une dizaine de milliers d'élèves de plus. Cette situation éducative très mauvaise révèle une fois encore le délaissement de Santa Cruz par le gouvernement bolivien. La grande diversité de situations entre les départements provoque une inégale évolution de la situation éducative à travers le Pays. De ce fait, cette éducation à plusieurs vitesses accentue les clivages et inégalités entre les départements du pays. De la même manière, le travail infantile qui est estimé à 16,2% en 2008 en Bolivie262, crée des inégalités au sein de mêmes départements. La nécessité de travailler pour les enfants se retrouve principalement dans les classes sociales les plus pauvres de la société bolivienne. Ainsi, l'inégalité à l'accès à l'éducation est flagrante dans les milieux urbains où cohabitent différentes classes sociales.

L'éducation des indigènes et en zones rurales.

L'éducation des indigènes se développe en premier lieu lors des gouvernements libéraux de 1890 à 1920 puis avec le Codigo de la Educacion du MNR en 1955 qui fonde nombreuses écoles dans les campagnes. La réforme de 1994 vise quant à elle à établir une éducation interculturelle et bilingue afin de mieux connaître les indigènes et de faciliter pour eux l'apprentissage à l'école. Cependant, malgré cela, la réforme ne parvient pas à supprimer les inégalités entre le monde urbain et le monde rural. En 1999, les infrastructures éducatives sont rustiques. Seuls 38 % des écoles étaient dotées de l'électricité, 47 % de l'eau et seulement 20 % de système d'évacuation des déchets263. Dans l'intention d'améliorer l'accès à l'éducation des ruraux, le gouvernement néo-libéral investit grandement dans la construction d'écoles dans les campagnes. De telle sorte que les écoles rurales deviennent bien plus nombreuses que les écoles en ville. De 1999 à 2002, les classes en ville sont chargées avec en moyenne 35 élèves, contre seulement 14 dans les milieux ruraux. Ces nouvelles écoles sont très importantes pour garantir la scolarisation dans le monde rural où les transports sont rares et où les populations sont moins concentrées. Malgré tous ces efforts, la situation éducative reste plus préoccupante en campagne qu'en ville. Pire encore, l'écart continue de se renforcer.

L'écart du nombre d'années de scolarité varie fortement entre les milieux urbains et ruraux et entre les hommes et les femmes. Les enfants vivant en ville vont plus à l'école que ceux de la campagne, et les garçons plus que les filles. Si le nombre d'années de scolarité a un peu progressé entre 1992 et 2001, l'écart entre garçons et filles ainsi qu'entre urbains et ruraux s'est encore creusé.

De la même manière, l'analphabétisme se concentre principalement dans le monde rural, bien qu'il se soit réduit grâce aux campagnes d'alphabétisation. Ainsi, l'analphabétisme est passé de 36,5 % en 1992 à 25,8 % en 2001. Mais les femmes restent les plus défavorisées, présentant jusqu'à 50 % d'analphabètes dans les campagnes de 1991 contre 23 % chez les hommes264. La mise à disposition d'écoles ne suffit pas à donner les mêmes conditions d'études aux enfants de paysans qu'aux enfants de citadins. En effet, le contexte social, économique et culturel de la campagne, qui n'a pas été transformé, fait que les enfants doivent travailler plus qu'en ville et donc être moins assidus à l'école.

262 Robin Cavagnoud, Sophie Lewandowski et Cecilia Salazar, « Introducción Pobreza, desigualdades y educación en Bolivia (2005-2015) », Bulletin de l'Institut français d'études andines, 44 (3) | 2015

263 PEREDO VIDEA, « Rocío de los Ángeles. Estado de la educación primaria en Bolivia en cifras e indicadores. » Revista de Psicologia, La Pa , n. 9, p. 9-26, 2013 .

264 Ibid.

Illustration 12: Une formation inégale selon le genre et le lieu.

Moyenne d'années de scolarité de la population de 19 ans ou plus, par genre et par aire géographique en 1992 et en 2001, 2002 ( PEREDO VIDEA, Rocío de los Ángeles. Estado de la educación primaria en Bolivia en cifras e indicadores. Revista de Psicologia, La Paz , n. 9, p. 9-26, 2013 . )

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Mais de manière générale, bien que la forte scolarisation puisse témoigner d'une baisse du travail infantile, celui-ci ne disparaît jamais, surtout dans les campagnes. Sur ce point, le spécialiste de l'Education Interculturelle et Bilingue Luis Enrique Lopez regrette le manque d'adaptation de la loi 1565 à l'organisation de ces populations. Selon ce dernier, le calendrier scolaire devrait se calquer à l'organisation des familles indigènes, en programmant les vacances lorsque les adultes vont travailler à la ville, période durant laquelle les enfants remplacent les adultes dans leurs tâches et sont donc particulièrement absents.

Avec Evo Morales, l'absentéisme et le travail infantile vont en augmentant tandis que les écarts entre monde rural et urbain ainsi qu'entre hommes et femmes semblent statistiquement se réduire progressivement. Avec la loi de l'éducation Avelino Sinani Elizardo Perez en 2010, la structure éducative reste la même mais désormais, l'éducation initiale doit se faire «en famille communautaire», c'est à dire avec la coopération de la famille, de la communauté et de l'école. L'éducation primaire dure dorénavant de 6 à 12 ans et doit être «communautaire et professionnelle» afin de trouver une vocation et d'expérimenter des professions avec l'aide de la communauté. Finalement, l'enseignement secondaire s'étend lui aussi sur 6 ans, et gagne la qualification de «communautaire productive», c'est à dire l'apprentissage adapté d'une profession selon les besoins et les opportunités de la communauté265. Evo Morales imprègne la structure éducative de son idéologie dont on voit dans sa terminologie son orientation vers le monde rural. De plus, le raccourcissement de la période primaire va de pair avec l'abaissement de l'âge légal pour travailler à 10 ans par Evo Morales le 6 août 2014. En effet, tout en affichant un programme éducatif et un développement des écoles, Evo Morales prône «l'école de la vie» dont il est lui-même issu266. Cette dynamique peut expliquer en partie la chute de scolarisation de ces dernières années. En 2008, sur environ 3,3 millions d'enfants en âge scolaire, seulement approximativement 2,8 millions étaient inscrits à l'école. En 2008, la

265Ministerio de la Educacion, Ley de Educacion Avelino Sinani-Elizardo Perez 20-12-2010, in http://www.cedib.org/post_type_leyes/ley-070-educacion-avelino-sinani-diciembre-2010/

266 Código de la infancia y la adolescencia Ley N° 548, Capítulo VI : Ley sobre el trabajo infantil, La Paz, 2014.

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Bolivie présentait donc 15% d'enfants non scolarisés à l'échelle nationale267.

Il est remarquable de constater que le taux d'achèvement du primaire des filles comme des garçons, en hausse depuis 1990, n'a cessé de chuter depuis 2006, année d'arrivée au pouvoir du MAS. En 2008, le taux d'abandon est plus haut de 2.5% dans le monde rural qu'urbain. De ce fait, dans cette réforme aussi, les efforts se sont concentrés sur la réforme de l'éducation primaire, considérée comme la plus importante et la plus suivie, au détriment du secondaire qui commence seulement à être réformé.

La politique éducative d'Evo Morales est franchement orientée vers le monde rural, notamment dans les dernières années du cycle primaire. Cependant, les sources du ministère de l'éducation présentent un rapprochement des résultats ruraux vers ceux des urbains, bien qu'ils restent un peu plus bas dans toutes les mesures.

En 2011, 9 % de la population rurale inscrite au primaire fréquente des établissements religieux, et seulement 0.46 % des établissements privés. La grande majorité des enfants ruraux est donc à l'école publique. Dans le milieu urbain, pour la même année 2011, 15% vont à l'école religieuse, 13% au privé et presque 72% au public. Cette répartition ne fait qu'accroître les différences entre une masse populaire urbaine, le monde rural et une élite urbaine.

De plus, les populations utilisant couramment une langue native présentent un taux d'analphabétisme plus élevé. Une fois encore, l'opposition entre les départements révèle ces contrastes. Ainsi, en 2001, Potosi est le département le plus pauvre et analphabète du pays alors qu'il accueille le plus grand pourcentage de personnes parlant une langue native, tandis que le département de Santa Cruz qui en compte le moins, est le département le plus riche et le moins analphabète268 . La moins bonne éducation du monde rural et des indigènes urbains sur le reste de la population est une certitude. Cela s'explique par plusieurs facteurs, tels que les difficultés de l'application de l'EIB269, qui provoquent des redoublements bien plus nombreux chez les enfants parlants une langue native plutôt que l'espagnol270. Les conditions dans le monde rural expliquent aussi ces difficultés, que ce soit l'accès à l'eau, l'électricité, aux meubles et aux infrastructures nécessaires à l'éducation. Ainsi, les conditions éducatives sont très dépendantes de la richesse du milieu et des élèves.

267 PEREDO VIDEA, Rocío de los Ángeles. « Estado de la educación primaria en Bolivia en cifras e indicadores. » Revista de Psicologia, La Paz , n. 9, p. 9-26, 2013 .

268 Insituto Nacional de Estadicas, Mapa de pobreza- censo 2001, 2004.

269 Educacion Intercultural y Bilingual : Education Interculturelle et Bilingue.

270 ENRIQUE LOPEZ Luis, De resquicios a boquerenes, La educacion intercultural bilingue en Bolivia, Plural editores, La Paz, 2005.

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L'enseignement de l'histoire en Bolivie a très vite joué un rôle primordial dans l'élaboration d'une identité nationale et pour la question de la considération des indigènes dans cette identité. Dans la société coloniale, mais aussi républicaine, du fait du racisme, les indigènes ne furent pas intégrés dans l'histoire de la Bolivie. L'histoire était alors conservatrice, servant à légitimer l'hégémonie blanche et la soumission indigne. La révolution du MNR en 1952 développe l'instrumentalisation de l'histoire, en basant sa légitimé face à ses prédécesseurs grâce à une histoire révisionniste qui remplace le clivage ethnique par la lutte des classes. Bien que l'histoire enseignée reste assimilationniste puisqu'elle promeut une identité nationale unique proche de la culture métisse urbaine, les indigènes sont intégrés dans la nation en tant que paysans. Le MNR met en place un état populiste et nationaliste qui professionnalise l'histoire pour mieux l'asservir. A partir de ce moment, le contrôle de l'histoire officielle est un enjeu important. Celle-ci sert avant tout d'outil de propagande qui diffuse les idéaux du MNR Avec les dictateurs militaires et surtout avec Hugo Banzer, l'histoire sert à former un nationalisme et une société obéissante. Dans un contexte de Guerre Froide, l'histoire a pour mission de contrer les élans révolutionnaires fondés par le MNR et de rapprocher les boliviens du bloc de l'ouest. L'histoire européenne et le modèle blanc sont donc mis en avant, au détriment des masses ouvrières et paysannes. La période néolibérale permet la mise en place de la réforme éducation de 1994 qui s'insère dans les plans de développement de la Banque Mondiale. Il s'agit d'une véritable révolution éducative, puisque la diversité de la Bolivie est reconnue et enseignée. L'histoire enseignée doit révéler aux enfants la diversité et son rôle dans l'histoire du pays. Cette réforme s'illustre en particulier par la constitution d'un grand nombre de matériel pédagogique, notamment des livres bilingues. L'enjeu de l'enseignement de l'histoire est ici de développer la démocratie et l'égalitarisme en Bolivie. Cet enseignement répond aux demandes de reconnaissances des cultures et histoires indigènes. Tout cela révèle le lien extrêmement fort entre le traitement de la question indigène et l'enseignement de l'histoire en Bolivie. Mais aussi l'emploie systématique de l'histoire et de son enseignement pour l'instauration d'une nouvelle forme d'État.

Enfin, le gouvernement d'Evo Morales, met en place la révolution éducative avec la loi 070 ASEP. Evo Morales hérite de ce long processus historique, la loi ASEP se définit par rapport à cette histoire. Elle se positionne dans l'héritage du MNR et du code de l'éducation de 1955. Dans les faits, l'utilisation de l'histoire et l'aspect révisionniste du MAS s'inspire grandement du MNR. La loi 070 se définit aussi dans l'opposition avec la réforme de 1971 d'Hugo Banzer et surtout dans la réforme de la loi 1565 des gouvernements néolibéraux. La critique du dernier gouvernement et de sa loi de l'éducation permet de justifier la nécessité du MAS et de la loi 070. Bien que le MAS et que la loi ASEP se prétend en rupture avec ces gouvernements et réformes de l'éducation, ils présentent de nombreuses continuités. Malgré les critiques, la loi 070 ne fait que reprendre, adapté et « indigéniser » la loi 1565. Et il en est de même pour bien des aspects de la politique d'Evo Morales271. Le MAS invente l'innovation, notamment grâce au déploiement d'une nouvelle terminologie.

Ce qu'il est important de retenir de l'histoire de l'enseignement de l'histoire en Bolivie, c'est que l'ouverture de l'enseignement de l'histoire aux indigènes et à une histoire de plus en plus indigène est le fruit d'un long processus de politiques indigénistes mais aussi et surtout de luttes sociales des indigènes depuis les années 1970 qui n'ont pas attendu d'être convié a participer à l'élaboration de textes éducatifs pour en produire 272 . Evo Morales n'a pas inventer une éducation indigène et « indigénisante », il n'a fait que répondre aux demandes de reconnaissances des syndicats et intellectuels indigènes, en les incluant dans le gouvernement, ce qui lui permet par la même occasion

271 LAVAUD, Jean-Pierre. La Bolivie d'Evo Morales : continuités et ruptures. Problèmes d'Amérique latine. 5 octobre 2012. N° 85.

272 CNC CEPOs, La Educación que queremos, 2017, in : https://youtu.be/uof4EVIp6ec

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de les encadrer et de les politiser273.

Néanmoins, dans les faits, il faut reconnaître qu'il s'agit d'une totale inversion de la situation puisque dorénavant les indigènes sont au centre de l'histoire enseignée à l'école. L'histoire sert à légitimer le MAS mais aussi à changer les mentalités, plus précisément, changer les représentations des indigènes dans la société bolivienne. Cependant, l'enseignement de l'histoire depuis la réforme de l'éducation projette une histoire andine, indigène et rurale à des enfants urbains qui sont bien étrangers à tout cela. Malgré l'existence théorique de possibilité d'appliquer un programme régionalisé, dans les faits, l'accès à une histoire régionalisée est très difficile. En effet, le ministère de l'éducation contrôle fermement les contenus des manuels scolaires afin qu'ils correspondent au programme de la loi 070, ce qui n'est pas sans rappeler les mesures d'Hugo Banzer274. De ce fait, les contestations et les revendications identitaires montent dans les villes. L'enseignement de l'histoire dans un État plurinational qui reconnaît les autonomies régionales, a pour mission de maintenir ces autonomies dans un sentiment d'appartenance à la nation supérieur au sentiment d'appartenance à la région autonomie. L'autonomisation des régions boliviennes ouvre la porte aux dangers sécessionnistes. C'est ce qui se produisit avec la tentative de sécession du croissant de Lune menée par Santa Cruz en 2009 275 . L'État après avoir réprimé violemment ce mouvement, cherche à contrer les désirs d'autonomie et l'enseignement de l'histoire apparaît comme un outil d'encadrement. Désormais l'enseignement de l'histoire et l'histoire officielle sont au centre d'enjeux autonomistes et centralisateurs. De la même manière, l'enseignement de l'histoire joue un rôle crucial dans le développement de l'interconnaissance et des rapports entre urbains et ruraux. Par leur politisation et leur prise de pouvoir, les indigènes paysans ne sont plus une sous-culture. Les concepts de rural, d'urbain et d'indigène ont alors évolués là où avant dire paysan revenait à dire indigène.

Illustration 13: La conception binaire de l'identité bolivienne : paysans et citadins.

Le manuel de La Hoguera pour les enfants de 4eme associait les ruraux aux coutumes et ethnies indigènes et les urbaines aux coutumes occidentales et aux ethnies métisses, manuel La Hoguera, 4eme, 2004. (photo : Saint-Martin)

273 Entretien avec Ana Evi Sulcata, sociologue de l'éducation, spécialiste travaillant pour les C.E.P.O. Lundi 20 mars, La Paz.

274 SOUX María Luisa et SOUX, María Eugenia et WAYAR Marianelar, Diversidad cultural, interculturalidad y integracion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, 2006.

275 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz. Genèse et déclin de l'autonomisme institutionnel en Bolivie», Evo Morales ou le malentendu bolivien, Editions Nuvis, 2017.

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Enfin, les enseignants urbains protestent massivement contre cette réforme qu'ils voient comme une régression, notamment à cause de la prise en compte des connaissances indigènes276. La loi 070 ASEP est avant tout un recueil de l'idéologie du MAS et bons nombres de ce qui y est écrit est théorique. C'est une caractéristique qui semble assez bien correspondre à cette réforme. Un bon exemple pour illustrer cela pourrait être l'écart entre les vidéos d'histoires mises à disposition aux enseignants ruraux, et le coffret de 8 D.V.D. distribué aux chercheurs par un bureau du ministère de l'éducation, l'UPIIP277. Les premières sont issues d'une compagnie de tourisme et de qualité médiocre, tandis que le coffret, très élégant, présente de manière élaborée et complète les différentes nations peuplant la Bolivie278. Ainsi, il y a un écart entre l'éducation officielle et l'éducation effective.

276 Manifestations des enseignants à La Paz, 2017.

277Unidad de Politicas Intracultural Interculutral y Plurilinguismo : Unité de politiques intraculturelles interculturelles et plurilingues

278 Ministerio de educación, estado plurinacional, Unidad de Políticas Interculturales Intraculturales y Plurilinguismo, Biblioteca Virtual. 8 DVD présentant les différentes ethnies composant la Bolivie et les travaux du UPIIP.

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