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L'enseignement de l'histoire en Bolivie

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par Julian Saint-Martin
Université Paris 7 Paris Diderot - Master 2018
  

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II-B/ Les enseignants, premiers acteurs de la transmission de l'histoire.

Bien que peu d'enseignants ne possèdent le temps et les capacités nécessaires à la réalisation d'un support pour l'histoire locale, certains parviennent a acheter ou consulter des sources afin de se construire une connaissance de l'histoire locale. Il s'agit avant tout de faire apprendre aux enfants les symboles majeurs de leur lieu de vie379. L'enseignante Piedades Pareja de l'école publique Ignacio Warnes s'intéresse particulièrement à l'histoire de Santa Cruz. Elle s'appuie sur plusieurs ouvrages380 qu'elle a achetés avec son propre argent.

Illustration 15: L'apprentissage des symboles régionaux en guise d'histoire locale.

Cette page d'un cahier d'un élève de 6eme de l'école publique coronel Ignacio Warnes concentre les connaissances acquises par les élèves sur l'histoire locale. Cette dernière se réduit aux symboles de la ville : le drapeau et au blason ainsi que la date de fondation et le nom du fondateur de Santa Cruz de la Siera. Ecole coronel Ignacio Warnes, 2017 (Photo : Saint-Martin).

Piededad Pareja est plus intellectualisée que bon nombre de ces confrères, sans doute du fait de ses origines relativement aisées qu'elle aime mettre en avant381.

379 Voir illustration n°15.

380 Grupo Editorial La Hoguera, 450 anos de Santa Cruz de la Sierra, la fundacion en la llanura : Santa Cruz de la Sierra, 2011. Atlas del estado plurinacional de Bolivia, Historia de Bolivia.

PARRAGA Jose, ARAKAE, La historia crucena que nunca te contaron... ! Santa Cruz, 2016.

PARRAGA Jose, Canoto y yo, Historia Crucena para ninos y jovenes, Santa Cruz, 2017.

381 Entretiens avec Piedades Parada, Enseignante de 6ème à l'école publique Warnes, avril 2017, Santa Cruz.

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Cependant, la production de contenu historique par les enseignants ou par des intellectuels est très difficile à contrôler par l'État. Ainsi, certains enseignants relatent une histoire favorable au régime Nazi, ou encore traitant d'extraterrestres382. Cette mesure représente donc une vraie menace pour la qualité de l'enseignement de l'histoire. De manière moins exceptionnelle, les enseignants créent leur enseignement à l'histoire locale selon leurs convictions. Ainsi, certains enseignants cruceños s'inspirent des travaux de Gustavo Pinto qui érige le libérateur de Santa Cruz, Andres Ibanez, en héro fédéraliste383. Mais certains travaux diffusent une histoire qui prône la supériorité d'une ethnie sur les autres. C'est le cas notamment des nombreux travaux de l'enseignant aymara Fidel Rodriguez qui essaye de démontrer la supériorité aymara et quechua en ancrant son histoire dans une grande histoire de l'humanité, à l'aide d'un syncrétisme entre la culture andine et la religion chrétienne.

Illustration 16: Le difficile contrôle de la production de contenu historique.

Le professeur aymara Fidel Rodriguez a produit une dizaine de DVD qui démontrent en quoi l'histoire andine s'ancre dans l'histoire de la Bible et de l'humanité, grâce aux mathématiques, à la géographie et à l'histoire. Ces productions sont révélatrices du danger de révisionnisme historique non contrôlée face à la loi 070.

Musée d'histoire de Santa Cruz, 2017 (Photo : Saint-Martin).

Outre le manque de connaissance et la qualité relative des livres d'histoire régionales, les autorités

382 Entretien avec un conseillé présidentiel ayant souhaité rester anonyme.

383 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Andres Ibanez, heroe cruceno libertario federalista, Santa Cruz, 2018.

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disposent de moyens de contrôle pour surveiller l'application de la réforme et du contenu du tronc commun dans les écoles. Par le biais d'un clientélisme et de distribution des postes de directeurs d'école religieuses et publiques à des partisans du MAS par le ministère de l'éducation tous les trois ans384. Les enseignants doivent faire des rapports réguliers à ces derniers, afin de rendre compte de l'avancement dans le programme et le respect de celui-ci385 . Dans les établissements privés, les directeurs sont certes embauchés par les actionnaires ou propriétaires, mais ces établissements sont sous le contrôle de l'État via une résolution ministérielle qui ne peut être obtenu qu'à la suite d'inspection par le ministère de l'éducation. Cependant, parmi les enseignants des écoles publiques, de très nombreux enseignants n'aiment pas la loi 070 et s'y opposent fermement386. Pour la plupart ils ne la connaissent pas bien. Bons nombres y voient une réécriture historique afin d'ancrer le caractère indigène de la société bolivienne dans son histoire. L'apprentissage des connaissances indigènes est perçu comme une régression par beaucoup d'entre eux. Ils préféraient celle de 1994, qui distribuaient des manuels avec des consignes précises387. Plus encore, ils appréciaient avant 1994 où les sanctions physiques étaient légales. Ce regret est une constante chez bon nombre d'enseignants d'écoles publiques urbaines comme rurales388. L'apprentissage du Guarani, devenu obligatoire avec la réforme de 2010, est souvent considéré comme superflu et trop complexe pour eux.

Face à cela, les enseignants trouvent alors des moyens d'orienter l'enseignement selon leurs idéaux, de manière plus ou moins subtile. Les croyances des enseignants et leur conception du rôle de l'enseignement de l'histoire influent grandement sur cette transmission. Ainsi, Norma Josas, enseignante de primaire spécialisée en langues et en sciences humaines à l'école de Cristo Rey, fait de l'histoire un support pour l'éducation des valeurs chrétiennes. Cette dernière veut continuer « d'être au service de Dieu et de suivre sa parole389. » Ainsi, comme dans toutes les classes des autres écoles observées à Santa Cruz, la leçon commence par une prière. Ici la prière est suivie d'une lecture d'un extrait de la Bible. Sur une leçon sur la période de l'organisation en village, elle demande d'extraire les valeurs qui ressortent d'un texte sur l'entraide. Le contenu historique, qui est basé sur les manuels de Santillana, sert de support à un enseignement moral. Ainsi, pour les Aymaras ou encore l'empire Inca, les valeurs de ces civilisations sont étudiées. Le sujet en lui-même devient un prétexte à cette éducation quasi-religieuse390.

L'influence des enseignants sur la transmission de l'histoire passe aussi par la manière d'aborder les sujets, en associant des idées et par le subconscient. Ainsi, le vendredi 28 avril 2017, une autre enseignante de Cristo Rey décide de présenter le chapitre sur les peuples des basses terres pour la classe de 5ème année de primaire, à la salle d'informatique. Elle ancre sa démarche dans la loi 070 en rappelant à toute la classe l'intérêt d'étudier les peuples indigènes, l'intraculturalité et l'interculturalité. Cependant, elle détourne ce chapitre de ces fonctions vers une vision très engagée pour la modernisation391 . En effet, dans son Powerpoint, elle affiche des images successives d'indigènes dénudés puis de l'arrivée des Espagnols et enfants d'indigènes urbanisés et heureux, associant ainsi la colonisation à la civilisation des indigènes qui seraient désormais intégrés dans la société. Elle présente ensuite des restes archéologiques de la région, qu'elle compare à Tiwanaku, rattachant ainsi l'artisanat indigène au passé. Les indigènes sont présentés comme historiques, comme lointain. Le choix de faire ce cours dans la salle d'informatique n'est pas anodin, l'enseignante fait l'éloge de la technologie et de la modernisation, mettant en opposition directe le quotidien des enfants avec ces indiens dénués de tout. De plus on retrouve la conception évolutionniste présente chez Santillana dans le discours de l'enseignante qui valorise les civilisations structurées et sédentaires sur les peuples

384 Entretien avec Esther Aillon, 25 décembre 2017.

385 Entretiens avec Piedades Parada, Enseignante de 6ème à l'école publique Warnes, mercredi 26 avril 2017, Santa Cruz.

386 Marche de manifestation des enseignants de tous le pays contre la loi 070, mars 2017.

387 Entretiens avec enseignants qui manifestaient à La Paz, avec les enseignants de Santa cruz, et entretien au Magistère des enseignants urbains de Bolivie.

388 Entretiens avec enseignants d'écoles publiques de Santa Cruz, de Charagua et du Bajo Isoso.

389 Entretien avec Norma Josas, enseignante à l'école privée Cristo Rey, mardi 2 mai 2017, Santa Cruz.

390 Observations Jeudi 27 avril 2017, Mardi 2 mai 2017 : Cristo Rey : 6ème

391 Observation : vendredi 28 avril 2017: Cristo Rey : 5ème science sociale: originaire des terres basses.

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nomades et tribaux. Ainsi, elle répète à trois reprises qu'elle applique les mesures et le programme de la réforme de 2010, tout en développant un raisonnement totalement opposé avec le projet de la loi 070. Elle présente les indigènes comme des sauvages et fait un éloge du progrès technologique. Ce faisant, elle creuse l'écart entre les indigènes ruraux et les élèves urbains en créant un sentiment de supériorité chez ces derniers sur les indigènes. Il n'est pas à douter que cette enseignante, qui n'a pas souhaité s'exprimer à ce sujet, ne soit pas partisane du projet du MAS. Ainsi, il est possible pour certains enseignants d'orienter le contenu du tronc commun selon leurs convictions tout en respectant la structure de la loi 070392.

Enfin, la dernière action observée est la réorganisation du planning du tronc commun. L'enseignante Piedades Pareja de l'école publique Ignacio Warnes est fortement opposée au gouvernement du MAS, à tel point qu'elle ne reconnaît pas l'État Plurinational Bolivien. Elle prétend ne reconnaître que la république bolivienne. Or elle regrette que l'histoire de la république soit devenue minoritaire face à la part de l'histoire indigène du tronc commun portée par les manuels de La Hoguera. En effet, comme il est très difficile de faire tout le programme dans l'année, le dernier chapitre sur la république ne sera sans doute pas travaillé393.

Illustration 17: L'orientation de l'enseignement de l'histoire.

Piedades Parada, grande défenseure de la République unifiée bolivienne, dresse un éloge de cette période à travers l'apprentissage de la vie des libérateurs. Ici elle tient le portrait d'Antonio Jose de Sucre, le bras droit de Simon Bolivar, classe de 6eme de l'école coronel Ignacio Warnes, Santa Cruz, 2017 (photo : Saint-Martin).

Bien qu'elle n'en ait normalement pas le droit, elle décide alors de changer l'ordre des chapitres et de présenter la république bolivienne avant les chapitres sur l'histoire indigène. Son cours est très engagé, un véritable éloge des libérateurs et de l'Indépendance. Elle insiste sur le fait que la république fut la

392 Ibid.

393 Entretien avec Piedades Parada, Enseignante de 6ème à l'école publique Warnes, mercredi 26 avril 2017, Santa Cruz.

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véritable libération des Indigènes, et non pas les mouvements du XXIème siècle. Evo Morales est tourné en ridicule par la comparaison avec les libérateurs devant les enfants qui rient à cela, ce qui révèle la politisation de cet enseignement par Piededas Pareja394 . Cependant, son discours n'est nullement autonomiste, au contraire elle rappelle l'importance d'une république unifiée où chacun participe pour le développement de celle-ci. Elle condamne les mouvements séparatistes qui nuisent au pays395.

Les enseignants peuvent donc toujours manier le tronc commun de la loi 070 afin de les orienter en leur sens. Il est intéressant de noter qu'il existe une multitude de positionnements, les enseignants ne sont pas tous des autonomistes rejetant le MAS. Plus encore, cela révèle que le rejet du MAS s'exprime de diverses manières et pas seulement dans une position autonomiste. Les convictions personnelles des enseignants déterminent leur enseignement de l'histoire. Ce qui s'avère souvent encore vrai en revanche, c'est la persistance du dénigrement des indigènes par les enseignants à Santa Cruz. Cette donnée freine grandement l'éducation à la tolérance et l'intraculturalité de l'école.

II-C/ L'enseignement indigène dans un milieu urbain dominé par l'identité métisse du camba.

Le contenu historique de la loi 070 donne une place aux populations indigènes dans l'histoire nationale. Le PSP, le « projet socio-productif » communautaire est une nouveauté de la réforme qui se traduit souvent par la matière sciences sociales. Il s'agit d'une mesure qui révèle que la réforme de 2010 a été réfléchie avant tout pour les ruraux. Ce PSP est censé établir l'apprentissage par la pratique de savoirs traditionnels d'agriculture ou d'artisanat. Dans une ville industrialisée comme Santa Cruz de la Sierra, cette application semble impossible. Le PSP prend alors la forme de campagne de prévention sur les questions de la pollution ou encore de la nutrition 396 . La recherche de l'interculturalité et de l'intraculturalité font théoriquement voir aux enfants beaucoup de peuples indigènes qui constituent l'État plurinational Bolivien. Cependant, comme il vient d'être démontré, le contenu peut être détourné selon l'opinion de l'enseignant et de manière générale, ces informations restent très abstraites pour les enfants cruceños qui vivent dans la ville la plus moderne et la plus urbaine du pays. Est-ce que ce travail permet une véritable meilleure connaissance et respect des peuples indigènes par les urbains et inversement ?

Dans les écoles, malheureusement le dénigrement reste présent dans le corps enseignant, culturellement très urbain et métis. Ainsi, les élèves venant d'arriver de la campagne sont parfois discriminés397. Ils sont jugés comme moins bons et plus timides que les autres élèves398. Pire encore, deux enseignantes qui se revendiquaient blanches, ont apportées comme explication aux faibles résultats de leurs classes, la « bêtise génétique ». L'enseignante Piedades Parada affirmait aux sujets de ces élèves : « ils sont stupides, ils ont ça dans leur sang399. ». L'école n'est pas encore un lieu de tolérance et d'échange entre les indigènes et les métis, le racisme est toujours présent, d'autant plus que dans les écoles observées, aucun enseignant indigène n'a été rencontré, la plupart sont métis et relativement blancs. Les élèves connaissent souvent des noms de peuples, surtout les principaux, Quechuas, Aymaras et Guaranis. Cependant leur connaissance sur leurs cultures sont très limitées. Ainsi, à la fin du cours sur les peuples originaires des basses terres, lors d'un entretien dirigée, un

394 Observation Mercredi 3 mai 2017 : école Igniaco Warnes, 6eme science sociale

395 Observations Mardi 25 avril 2017, Mercredi 3 mai 2017, école colonel Igniaco Warnes : 6ème, voir illustration n°17

396 Entretiens avec Norma Josa, Piedades Parada et des enseignants.

397 Observation Mardi 25 avril 2017, école colonel Igniaco Warnes, 6ème

398 Ibid.

399 Entretien avec Piedades Parada, Mercredi 3 mai 2017 : ecole Igniaco Warnes : « Son estupidos, tienen eso en su sangre... »

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enfant a reconnu un Guarani là où il s'agissait d'un Sioux400.

De plus, on peut voir comment les rapports vis à vis des indigènes diffèrent entre Santa Cruz et les autres villes. La ville de La Paz présente dans ses plus vieilles rues des musées de la culture et de l'histoire indigènes tels que le musée de la coca, le musée des instruments, de l'ethnographie, des textiles andins. La culture indigène est présente à La Paz, elle se voit notamment dans les coutumes vestimentaires. Le port de ces tenues vestimentaires est une manière d'affirmer les progrès des droits des indigènes. En effet, là où il y a quelques décennies, les indigènes en tenue traditionnelle étaient interdits d'entrée sur la place Murillo, ils siègent désormais au Parlement dans ces même tenues. A Sucre, dans la casa de la libertad où fut actée l'indépendance de la Bolivie, Evo Morales a fait rajouter en 2015 les tableaux de Bartolina Sisa et de Túpac Katari aux côtés de Simon Bolivar, de Jose Sucre et de Jose Ballivian ainsi que le Wiphala parallèlement au drapeau national.

Illustration 18: L'indigénisation des symboles nationaux.

Dans la Casa de la libertad, les tableaux des figures indigènes Bartolina Sisa et de Túpac Katari siègent depuis 2014 aux côtés de Simon Bolivar, de Jose Sucre et de Jose Ballivian dans la salle principale. A droite, le Wiphala complète aussi le drapeau national, Sucre, 2017 (Photo : Saint-Martin).

Ces nouveaux éléments visent à montrer la participation active des indigènes dans l'indépendance du pays. Ces ajouts imposés par le MAS visent évidemment à intégrer les indigènes dans l'histoire bolivienne. Evo propose des figures indigènes qu'il place à la même importance que les libérateurs, figures nationales par excellence. A Santa Cruz en revanche, nul espace n'est attribué pour promouvoir les cultures indigènes des terres basses ou autres. L'histoire dans l'espace urbain est avant tout Cruceña, blanche ou métisse. Le musée d'histoire, le museo de la independencia, qui est situé sur la place centrale de la ville, présente quelques objets archéologiques des cultures indigènes des terres basses, mais plus sous l'angle d'un passé lointain que de celui d'un patrimoine encore vivant. Et il en est de même pour les vêtements traditionnels, seuls les immigrés andins pauvres sont vêtus traditionnellement, toutes les autres ethnies portent des vêtements occidentaux. Alors que le nom des institutions gouvernementales est écrit en espagnol, en aymara, en quechua et en guarani à La Paz401, les institutions départementales de Santa Cruz sont nichées dans des bâtiments au style colonial dont le nom est écrit uniquement en espagnol. Ainsi, sur le plan du bilinguisme et de la multiculturalité, le rejet des propositions gouvernementales par Santa Cruz de la Sierra apparaît déjà

400 Entretien avec un élève de cinquième à la fin de la leçon : vendredi 28 avril 2017: Cristo Rey : 5ème

401 Salustiano Ayma M. directeur du secteur primaire du ministère de l'éducation. Mercredi 29 mars 2017, La Paz.

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dans l'espace public.

Les intellectuels régionalistes et autonomistes s'identifient comme camba ou comme cruceño avant tout et leurs rapports envers les indigènes sont parfois ambigus. Les collas sont très mal considérés à Santa Cruz, ils sont accusés de coloniser l'Orient et d'obtenir des postes intéressants du simple fait de leurs origines ethniques. De nombreuses théories circulent à leur sujet, ils occuperaient les postes politiques, militaires, éducatifs afin de contrôler le département402 . Dans les faits, la plupart des migrants andins occupent des petits travaux déconsidérés, comme chauffeurs de taxis ou vendeurs de rue.

Enfin, le concept d'indigène reste flou pour les enfants, certains les associent aux pauvres403, d'autres aux paysans404.Quoiqu'il en soit, très peu de ces enfants ont déjà fréquenté des indigènes. Et là aussi, les rapports entre les urbains et les ruraux ne sont pas cordiaux. De nombreux indigènes ruraux se rendent chaque année à Santa Cruz afin de travailler et certains s'y installent définitivement. De véritables communautés et quartiers guaranis se sont ainsi formés. Ces quartiers présentent une architecture et une organisation assez indigène qui rappelle plus les villes andines. Ces quartiers sont réputés comme peu recommandables par les cruceños du centre-ville. A tel point, que le grand marché de La Ramada, véritable quartier marché, est menacé par des cruceños qui réclament la disparition de ce qu'ils estiment comme un marché illégal et arriéré pour leur ville. La municipalité remplace ce marché indigène par un gigantesque centre commercial des plus modernes405, ce qui ne manque pas de portées symboliques.

De même, certains enseignants se méfient de la campagne et des ruraux, les percevant comme des personnes dangereuses. Ces quartiers présentent des niveaux de vie précaires, les Guaranis sont souvent ouvriers ou domestiques. Ces populations présentent un faible taux de métissage406, mais ces quartiers sont des quartiers indigènes plus que Guaranis, les habitants viennent de différents peuples. Finalement, les Guaranis qui migrent en ville, utilisent de plus en plus l'espagnol, au détriment du guarani, qui est discriminé en ville. De même, une part de la population s'acculture, adoptant un mode de vie et de consommation plus cruceño407. La migration indigène à Santa Cruz pose des problèmes identitaires pour les indigènes migrants en ville, la politique cruceña n'offrant pas de cadre d'épanouissement d'une culture indigène en ville, à l'inverse de certaines villes andines. Isabelle Combes présente ces populations comme des « indigènes oubliés 408», la municipalité ne prend pas en compte ces populations et leurs particularismes et d'un autre côté, les organisations guaranis préfèrent développer les zones d'origines, dépréciant les guaranis qui ont renoncé à la vie traditionnelle409.

Finalement, la culture indigène n'est honorée à Santa Cruz que par le folklorique, lors de défilés ou lors du carnaval. Ainsi, pour célébrer l'anniversaire de leur école, les enfants font des défilés en se déguisant en tenues traditionnelles des différentes cultures et nations indigènes de l'Orient410.

La hiérarchisation des races et des cultures est donc encore fortement présente à Santa Cruz de la Sierra. La culture métisse ou blanche et urbaine est bien plus valorisée que les cultures indigènes qui

402 Entretiens avec Gustavo Pinto, Daniel Armando, avril 2017

403 Questionnaires aux enfants Jeudi 4 mai 2017: Fe y Alegria à détailler

404 Questionnaires aux enfants vendredi 28 avril 2017: Cristo Rey

405 SOSA DE PEROVIC, Angelica, El nuevo mercado La Ramada ofrece orden y seguridad, La estrella del oriente, Santa

Cruz, 2017 in :

http://www.laestrelladeloriente.com/index.php?option=com_k2&view=item&id=7539:el-nuevo-mercado-la-ramada-

ofrece-orden-y-seguridad&Itemid=716

406 COMBES Isabelle, KINJO TOMORI Chiaki, IZQUIERDO José Ros, Los indígenas olvidados : los guaraní-chiriguanos urbanos y periurbanos en Santa Cruz de la Sierra, Fundación PIEB, Programa de Investigación Estratégica en Bolivia, La Paz, 2003 : 70% des couples restent entre Guaranis en 2000

407 Ibid.

408 Ibid.

409 Ibid.

410 Observation pour l'anniversaire d'une école de Santa Cruz, avril 2017.

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sont encore perçues dans la plupart des cas comme des peuples d'un autre temps. L'éducation à ce sujet a encore un long chemin à faire, et le détournement du contenu interculturel et intraculturel par des enseignants évolutionnistes ralentit ce processus. La situation précaire et le manque de reconnaissance des populations indigènes à Santa Cruz ne font que grandir le fossé entre les indigènes et les métis et blancs.

Santa Cruz et l'Orient présentent un univers culturel, politique et environnemental qui fait de lui un pays dans le pays. Le manque de reconnaissance et d'investissement de l'État central bolivien ont fait naître une tradition autonomiste dans l'Orient, qui après une tentative d'intégration et « d'Orientalisation » du pays, est resurgit face au rejet violent de l'avènement du MAS.

C'est à cause de ce contexte que l'enseignement de l'histoire est devenu un enjeu primordial dans le contrôle politique et culturel de la région. Après avoir réprimé les tentatives de sécession, le gouvernement bolivien souhaite unifier sous une identité bolivienne avant de promouvoir l'identité régionale. Toute la force du projet politique d'Evo Morales réside dans cette subtilité. Tout en prétendant reconnaître les autonomies départementales dans son État Plurinational et promouvoir la régionalisation de l'éducation sous les traits d'un projet indianiste, Evo Morales applique dans les faits une politique très centralisatrice qui impose une culture dominante comme la culture indigène bolivienne : la culture aymara/quechua. Le gouvernement du MAS lutte contre les velléités séparatistes en enfermant les Orientaux dans un rôle de sécessionnistes et d'oligarques racistes, ce qui permet d'éviter les négociations pour l'établissement d'un fédéralisme, action aujourd'hui la plus entreprises par les élites orientales. Ainsi, le ministère de l'éducation peux rejeter tous les projets de programmes d'histoire régionalisés et rendre son enseignement le plus difficile possible en tout légitimé. Le but est de diffuser la nouvelle identité bolivienne et de faire oublier les identités régionales. D'un autre côté, les intellectuels autonomistes ou régionalistes ont investi le champ de l'enseignement de l'histoire comme nouveau terrain de lutte pour promouvoir le besoin de représentation et de pouvoirs départementaux de l'Orient. Cependant, les projets proposés par ces derniers sont souvent radicaux et incompatibles avec le projet national. La régionalisation de l'enseignement de l'histoire passe alors par les initiatives des enseignants et des intellectuels et directeurs engagés.

L'école « révolutionnaire » de la loi 070 est censée contribuer à une cohabitation pacifique et harmonieuse en Bolivie. Cependant, l'observation de cette éducation révèle que l'école est conservatrice et qu'elle reproduit les inégalités entre les classes sociales et ethniques. L'application d'une école nationaliste est particulièrement surveillée. Les actes civiques, le levé de drapeau et le chant de l'hymne national sont des activités hebdomadaires dans ces écoles. L'histoire nationale andine est bien plus connue par les élèves que l'histoire régionale et l'identité nationale a bien plus de sens et de profondeur pour les enfants que celle du département. Plus encore, les enfants apprennent une histoire andine et indigène qui est très éloignée de leur quotidien ou même de leur propre histoire. Dans la plupart des cas, ils apprennent le contenu des manuels scolaires qui est le même pour tout le pays, Santa Cruz ou les Guaranis sont donc présentés brièvement comme dans toutes les autres villes de Bolivie. Cependant, les enseignants détournent le contenu de la loi 070 selon leurs opinions personnelles, qui vont souvent à l'encontre du projet éducatif du MAS qu'il juge « indigénisant 411». L'école contribue donc à l'incompréhension et la distance entre le monde urbain et le monde rural, présentant les indigènes comme une sous-culture face à la modernité des urbains. L'école à Santa Cruz de la Sierra renforce donc les clivages sociaux et ethniques.

Dans la campagne proche de Santa Cruz, au village de Porongo, on trouve une école où s'applique le Curriculo Reginalizado Guarani (CRG). Ici, les populations circulent entre Santa Cruz et Porongo, les élèves vont systématiquement à Santa Cruz après leurs études, que ce soit pour aller à l'université

411 Entretien avec Piedades Parada, Enseignante de 6ème à l'école publique Warnes , avril 2017 « La educacion actual es una indigenizacion de la historia y de la sociedad. »

ou pour aller travailler. Ce village, qui tend à devenir une ville, correspond à un sas entre la ville et le monde rural profond. Et l'éducation le montre bien, entre éloge du progrès et de la modernité et entre valeurs guaranis412. Les habitants ne sont pas forcément guaranis, beaucoup sont métisses, de la ville, et d'autres sont de diverses origines indigènes. Cependant, le CRG est appliqué dans la région de Santa Cruz, ainsi que pour le Béni et Tarija, car il s'agit du peuple majoritaire en ce lieu et surtout le plus influent politiquement. La composante guarani de l'éducation et de l'histoire est ici reconnue, là où elle est absolument rejetée et oubliée à Santa Cruz. Cependant, l'histoire reste une histoire avant tout nationale, le CRG s'applique surtout pour l'enseignement moral et culturel plus qu'historique413.

Cette différence éducative marquée entre deux lieux pourtant proches interroge sur l'éducation dans le monde rural profond. L'enseignement de l'histoire est-il régionalisé chez les guaranis ? le CRG est-il aussi factice que la promesse d'histoire régionalisée ? L'éducation en milieu rural rapproche-t-elle les espaces ruraux du monde urbain ou comme c'est le cas pour l'éducation à Santa Cruz, accentue-t-elle les différences et l'incompréhension entre ces mondes. Finalement, comment cette éducation indigène est-elle reçue parmi les premiers concernés ?

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412 Directeur de l'école Hugo Banzer de Porongo, 5 mai 2017.

413 Directeur de l'école Hugo Banzer de Porongo, 5 mai 2017.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille