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L'enseignement de l'histoire en Bolivie

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par Julian Saint-Martin
Université Paris 7 Paris Diderot - Master 2018
  

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III-C/ Quels rapports interethniques dans une AIOC ?

Si l'AIOC de Charagua présente une certaine diversité ethnique entre les différents guaranis, les Mennonites, les métisses, certains créoles et quelques rares autres indigènes, (principalement des collas) la population reste majoritairement guarani. Plus qu'une question d'ethnie, il est question d'identité. Le travail d'Isabelle Combès le montre bien, si les indigènes Isoseños sont probablement de l'ethnie Chané, la réinvention de l'histoire de l'Isoso par l'APG les rattache à l'ethnie Guarani. L'identité en Bolivie se construit en une succession de deux ou trois identités. D'une part, l'identité ethnique, elle peut correspondre à l'ethnie imaginée : ainsi les Indigènes Isoseños se revendiquent Guaranis. Se revendiquer métisse pour les populations indigènes immigrées en ville est une manière de rejeter ses origines pour se plier au métissage, ethnie par excellence de la ville. Ensuite, l'identité culturelle rentre en jeu : un créole, un métis ou un indigène peuvent tous se revendiquer de culture isoseña. Enfin, tous les citoyens possèdent la nationalité bolivienne : ils sont tous Boliviens, mais la conception de l'identité nationale a plus ou moins d'importance selon les milieux. Mettre en avant l'identité ethnique, comme c'est le cas à Charagua, culturelle, comme à Santa Cruz ou nationale comme à La Paz sont révélateur de projets politiques différents. L'identité bolivienne est donc le fruit d'une construction complexe.

Un cas intéressant qui illustre la conception de l'identité est celui du doyen de l'histoire à Rancho Viejo : Don Elar Medina. En effet, ce dernier est le fils d'un père argentin et d'une mère espagnole. Cependant, il est marié avec une Guarani et s'auto-identifie comme Guarani. Selon lui, être Guarani n'est pas une question de couleur de peau mais bien de culture et de coutume. Celui-ci vit comme tous les autres anciens de la communauté : il reste chez lui, chasse et pêche mais se fait entretenir par sa femme et ses enfants. Don Elar Medina dénonce le manque d'ouverture de sa communauté vis à vis des étrangers519. Malgré son discours, sa manière de vivre et sa maîtrise de la langue guarani, ce dernier était obligé de revendiquer continuellement son auto-identification Guarani et les autres habitants entretenaient avec lui un rapport ambigu, oscillant entre affection et mépris. Ceci est bien révélateur qu'au-delà de la culture et des moeurs, l'histoire trop récente de la soumission des indigènes aux métisses et aux blancs restent ancrés chez les uns comme chez les autres. Certains

518 Entretien avec Teofilo Ibanez Cuellar, Enseignant de 5ème année de primaire au village voisin, Tamaihindi. le dimanche 14 mai 2017, à la réunion puis à son domicile, Rancho Nuevo.

519 Entretien avec Don Elar Medina, doyen de l'histoire, métisse mais originaire de la communauté. Mercredi 17 mai 2017, à son domicile, Rancho Viejo.

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Guaranis comme l'enseignant de 5ème de l'école de Tamachindi, Teofilo Ibanez Cuellar, condamne le manque de respect des karai envers la nature : « Le Guarani ne chasse pas pour le commerce, seulement pour manger, à l'inverse des karai qui chasse exagérément.520 ». Les Mennonites sont critiqués pour les même raisons, à cause de leurs champs de blé construits sur d'anciennes forêts.

Les habitants originaires de la ville de Charagua font preuve d'un certain sentiment de supériorité sur les autres habitants de la municipalité. A cela s'ajoute un sentiment de supériorité ethnique de la part des créoles et à moindre mesure, des métis sur les indigènes. Les collas, peu nombreux à la ville de Charagua, sans doute suite aux fuites des massacres de Santa Cruz ; occupent, comme à Santa Cruz, des métiers déconsidérés. Ces populations sont mises à l'écart de la société de Charagua, ils sont dénigrés et très renfermés, refusant toutes mes tentatives d'entretiens.

Plus encore, les populations blanches et métisses entretiennent des relations complexes avec les Guaranis isoseños. La famille Salses, dont fait partie l'enseignante Naderlina, en sont un bon exemple. Menant une activité lucrative d'approvisionnement des communautés isoseñas en denrées de Santa Cruz, ceux-ci sont connus et influents. Ils sont traités comme des hôtes de marques dans de nombreuses communautés. L'association entre blanc et patron est encore forte dans l'esprit des Guaranis. Ainsi, lorsqu'en revenant de San Sylvestre, leurs deux 4x4 s'embourbèrent dans les rives du fleuve Parapeti, des cavaliers guaranis qui passaient par là, se joignirent instinctivement aux amis métis et Guaranis qui accompagnaient les Salses et qui étaient occupés à tracter et à creuser sous les roues tandis que les Salses attendaient sans rien faire. Cette situation illustre d'autant plus la continuation de la hiérarchisation sociale, puisque après 4 heures de fructueux travail de 2h à 6h du matin, les Salses leur donnèrent en remerciement de l'alcool à 90° et une poignée de feuille de coca. Les cavaliers guaranis lancèrent alors un « Gracias Patron » avant de reprendre leur route.

La question du statut est très importante, l'éleveur et épicier « Quitito », un ami proche des Salses qui dirige au lieu de travailler sur les travaux communautaires521 , était à ce moment, parmi les plus travailleurs. De la même manière, les Salses s'offusquaient que je puisse aider les indigènes ou rester avec eux dans la remorque plutôt qu'à l'intérieur, du fait de mon statut prestigieux d'européen.

La communauté de San Sylvestre présente une population presque exclusivement métisse, la fête de Saint Isidore s'y déroule ainsi : une course de chevaux est organisée, puis une messe est menée par le curé de Charagua, s'ensuit un repas et enfin une soirée arrosée et dansante. Il est intéressant de noter que durant toutes ces étapes, les indigènes, en grande minorité, sont mis de côtés. Tandis que les métisses et les blancs (les Salses) sont au centre des activités. Seule la messe est un moment où toute l'assemblée est traitée équitablement Le moment le plus représentatif des clivages ethniques reste le moment du repas. Une grande table fut dressée au centre de la piste de danse. Cette table ne pouvant accueillir que 10 personnes pour la cinquantaine de personnes présentes, il fallut faire plusieurs services. Ainsi, les Salses furent conviés au premier service, accompagnés de la femme et des enfants de l'hôte. Ensuite, les métis par ordre de proximité et de prestige furent invités à manger. En dernier, les indigènes qui attendaient dehors sous la pluie purent manger avec les plus jeunes métis. Finalement, un certain rejet envers les étrangers était compréhensible de la part des métis. Les seuls étrangers qui n'ont pas de statut particulier sont les Mennonites, en effet, ceux-ci ne détiennent pas de prestiges particuliers malgré leur origine apparente européenne. Ils vivent reclus dans leur « colonies », se mariant entre eux et ne sortant que pour commercer, il n'y a donc que très peu de rapport entre les Mennonites et les autres. Même les Guaranis ne sont pas intimidés et les traitent comme des égaux. Cela peut s'expliquer par deux facteurs. D'une part, ils ne maîtrisent pas très bien l'espagnol, tout comme eux. D'autre part, ce sont des agriculteurs qui rejettent la modernisation. Ce constat révèle qu'il ne s'agit pas simplement d'une domination ethnique, il s'agit plutôt d'une domination des urbains, incarnés par les métis et les créoles hispanophones sur les paysans.

A Charagua, un grand acte civique est organisé pour célébrer la journée contre la discrimination et le racisme en l'honneur de la loi qui porte le même nom. Les jeunes sont déguisés en une multitude

520 Entretien avec Teofilo Ibanez Cuellar, Enseignant de 5ème année de primaire au village voisin, Tamaihindi. le dimanche 14 mai 2017, à la réunion puis à son domicile, Rancho Nuevo.

521 Voir illustration 21.

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d'ethnies différentes. L'armée est présente et défile pour rappeler ainsi qu'elle veille à ce que cette loi soit bien respectée.

A cette occasion pourtant, un petit garçon me montra du doigt en criant « el diablo ». Cette réaction est bien représentative de l'hypocrisie de la situation. Comme dans le reste du pays, le racisme existe toujours, mais il est désormais interdit et ne s'affiche plus. Ainsi, le capitan de Rancho Nuevo explique l'évolution des rapports avec les autres ethnies en ces termes : « Avant, il y avait beaucoup de discrimination contre les collas et par les collas, mais désormais il n'y a plus de discrimination car la constitution le demande et les Guaranis respectent la constitution.522 ».

Illustration 25: Les actes civiques : la journée contre le racisme.

Lors de la célébration de la journée contre la discrimination et le racisme, les enfants défilent avec des banderoles et déguisés en plusieurs cultures et ethnies du pays sur la place principale de Charagua. L'armée encadre cette célébration afin de rappeler à tous qu'elle veille au respect de cette loi. Charagua, 2017 (Photo : Saint-Martin).

Il faut reconnaître une avancée notable dans l'éducation dans le Bajo Isoso, la formation d'enseignants locaux. En effet, la comparaison des enseignantes karai Naderlina ou Maria Salses et des enseignants guaranis Ruth, Rolland, Teofilo, Benjamin, Eliso révèle deux types d'éducation. Désormais, les Guaranis de Charagua Norte, Sur comme de l'Isoso peuvent être formés à l'école normale de Camiri, souvent après avoir été au secondaire à Charagua. Ils sont ensuite répartis dans les écoles de la région de Charagua. Les enseignants guaranis sont maintenant majoritaires sur le territoire de l'AIOC. L'enseignement de ces derniers, diverge énormément de l'enseignement des karai qu'on peut constater à Santa Cruz de la Sierra. En effet, la conception de la discipline, l'autorité et du fonctionnement de la classe sont bien différents. Il n'y a pas de codes figés, ainsi, les élèves discutent, rigolent, se lèvent, participent sans lever la main. La relation entre enseignants et élèves est bien moins hiérarchisée et ne passe pas par l'autorité. Les enfants sont très autonomes, ils viennent à l'école souvent avant les enseignants et nettoient les classes à l'aide de branches d'arbre. La classe est

522 Entretien avec Gumercindo Lizarraga, Capitan de Rancho Nuevo, le vendredi 12 mai 2017, Rancho Nuevo.

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disposée très différemment qu'en ville, les chaises sont placées le long des murs, ils se lèvent souvent pour accomplir les jeux que mettent en place Ruth ou Rolland.

Il en ressort que les élèves sont moins humiliés qu'en ville, ils sont surtout extrêmement moins violents. Lorsque les enseignants ne sont pas là, ils jouent dans le calme sans jamais se battre, à l'inverse des situations observées dans les écoles publiques de Santa Cruz523. Il n'y a pas de système d'examen dans Rancho Viejo et Rancho Nuevo, ainsi, il n'y a pas de compétition entre les élèves, malgré le fait que certains élèves, ayant souvent des liens avec Charagua, soient meilleurs et moins timides que les autres. Seule la pression que se mettent les garçons vis à vis de la considération de l'étude comme un métier de femme et la honte des rapports entre les genres entravent les rapports entre les élèves.

L'enseignement de Naderlina Salses en revanche est bien différent. Les barrières ethniques, culturelles et linguistiques éloignent les élèves de l'enseignante. Plus encore, celle-ci est plus autoritaire, il n'y a pas de discussion dans son cours, cela étant réprimé par Naderlina. Plus encore, à l'inverse des enseignants guaranis, elle interdit aux élèves de cracher dans la classe ou de jeter des détritus n'importe où. La karai réprime ainsi de nombreuses pratiques jugées tout à fait normales pour les Indigènes isoseñas, qui sont inconvenables dans la culture urbaine. Ainsi, l'éducation par un enseignant blanc est d'autant plus « colonial » puisqu'il oriente les enfants guaranis vers le respect de code urbains parfois en contradiction du contexte (il n'y a pas de traitement des déchets dans le Bajo Isoso et les enfants n'ont pas de mouchoirs). Cependant, une différence remarquable est observable dans ces éducations différenciées. Malgré le fait que la population de RV est bien plus craintive et fermée à l'égard des karai, du fait de son histoire d'asservissement encore récent, les élèves de Naderlina furent bien plus chaleureux et ouverts auprès de moi que ceux de Rancho Nuevo.

La situation a évolué, les Guaranis ont de plus en plus confiance en eux, mais ils restent en retrait et intimidés par les karai. Selon Tefoilo Ibanez, cela fait partie de la culture du Guarani d'être timide. L'enseignant aymara Guido Mamani explique la timidité des locaux par l'absence de technologie, selon lui : « Ils n'ont pas de technologies, ne connaissent que leurs familles et n'utilisent que le Guarani, ils n'ont pas d'ouvertures sur le Monde comme le permet la télévision ou internet. Ceci explique la peur de l'étranger et le manque de curiosité. 524».

523 Observation : Mardi 2 mai 2017 : école Mercado et Mercredi 3 mai 2017 : ecole Igniaco Warnes.

524 Guido Mamani, nouvel enseignant du secondaire à Rancho Nuevo d'origines aymaras. Mardi 16 mai 2017, à son domicile, Rancho Nuevo.

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L'exemple de l'AIOC de Charagua présente une application du projet de revalorisation des cultures indigènes du MAS poussée à l'extrême. Au-delà des discours idéologiques, il s'avère que l'AIOC présente un projet d'encadrement politique et de politisation des sociétés rurales de Bolivie en faveur du MAS. La réinvention de l'histoire par l'Assemblée du Peuple Guarani montre que les autorités guaranis partagent le projet indigéniste uniformisant du gouvernement bolivien. La Bolivie s'organise en un ensemble de structures uniformisantes. Malgré le discours officiel, à cause de l'absence de tradition historique et à cause de la pauvreté, l'enseignement de l'histoire n'est pas une priorité dans le monde rural. De ce fait la régionalisation de l'enseignement s'applique surtout par l'apprentissage de la culture et des activités de la culture dominante, ici la culture Guarani. L'apprentissage de l'histoire locale s'apparente plus à l'apprentissage des valeurs guaranis. Le projet éducatif de la loi ASEP souhaite rendre les NyPIOC autonomes en redynamisant les activités agricoles et artisanales traditionnelles. Ce faisant, l'AIOC s'autonomise mais s'isole par l'apprentissage spécifique des pratiques rurales et par le manque d'apprentissage de l'espagnol. L'enseignement de l'histoire a pourtant donc un rôle très important à jouer afin de donner une identité aux Isoseños, mais l'école est un instrument étranger au fonctionnement Isoseño qui forme des diplômés qui importent le modèle urbain occidentalisé dans le monde rural.

Cependant, contrairement à ce que le discours officiel de l'État affirme, il ne s'agit pas d'un véritable projet de retour en arrière, de «décolonisation». L'AIOC et le CRG répondent aux demandes historiques des NyPIOC d'autonomies territoriales et de revendications identitaires. Mais parallèlement, la mise en place de ces processus modernise et connecte le monde moderne par le commerce et la politique. Il ne s'agit donc pas d'une éducation agricole qui vise à former des paysans compétents, désormais, les produits agricoles pour l'exportation sont produits dans les openfields de Santa Cruz, les faibles productions des indigènes n'intéressent pas le gouvernement. Le but semble plus être de faire du monde rural indigène un véritable sanctuaire, gardien de la culture et des pratiques indigènes. Ce processus vient partiellement du MAS, mais surtout des élites indigènes qui proposent parfois des projets extrêmes, indianistes, comme le montre la proposition rejetée de l'AIOC de San Pedro de Totora. Enfin, les relations interethniques révèlent la persistance de la hiérarchie ethnique et la perte d'identité et d'amour propre des indigènes Isoseños du fait de l'histoire douloureuse et récente de la soumission des Guaranis aux Boliviens.

Les tensions qui en découlent, la politisation de la société Isoseña et l'éducation régionalisée favorise une autonomisation de ces populations. Les effets de ce projet sont difficilement évaluables puisqu'une d'une part ils introduisent la culture et la structure urbaines occidentalisées mais d'autre part, elle autonomise et exclut ces Indigènes du reste du pays. Quoiqu'il en soit, les isoseños se trouvent dans une situation de perte identitaire dans laquelle l'école essaye d'imposer l'identité guarani sur les autres.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway