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Le pouvoir dans l'institution. Essai d'anthropologie politique à  Christiania.

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par Pierre Vasseur
Université Lille 2 - Master science politique, spécialité Métiers de la Recherche  2012
  

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Transition - Christiania et son processus

d'évolution : de la centralisation à la tendance

oligarchique de l'organisation

Dans la première partie de ce mémoire, nous avons d'abord axé notre regard sur ce que la commune libre est dans les textes : une communauté dont les membres se sont émancipés de l'ordre social de la société dite « classique ». A partir de la relation sociale « classique » de « commandement-obéissance », nous pourrions estimer que les christianites auraient su créer leur propre modèle reposant sur une conception que nous pourrions définir comme « égalité-autogestion », tant cet ordre institutionnel si singulier est censé assurer à ses membres un ordre social dénué d'autorité et de hiérarchie. Le système fédératif serait le garant de cette répartition plus équitable du pouvoir politique puisqu'il offre - en principe - la possibilité aux christianites de vivre pleinement les droits et les devoirs qu'implique l'autogestion.

Puis, nous avons pu constater que les pratiques spécifiques de cette société alternative se sont institutionnalisées : cherchant à légitimer l'émergence de leur commune libre, les christianites se sont peu à peu créé une identité tout en favorisant le dialogue avec les gouvernements successifs, qui n'ont pas toujours perçu d'un très bon oeil ces pratiques considérées comme déviantes (occupation illégale du terrain, usage de la marijuana, etc.). C'est pourquoi les christianites ont cherché à renforcer les bases de leur institution en favorisant le dialogue avec les autorités. Ce n'est qu'en 1991 et la mise en vigueur de la première loi de Christiania que les christianites se sont engagés à « assur[er] un maximum d'auto-administration à Christiania »194. Interprétée comme une victoire dans le combat que menaient les activistes pour le maintien de leur commune, les christianites ont alors définitivement franchi le pas entre « autogestion » et « auto-administration », ce qui implique l'intensification du processus de centralisation, mais aussi la création de nouveaux corps bureaucratiques nécessaires à l'administration de la commune (nous pensons notamment au groupe de contact dont la création correspond à la date de mise en vigueur de cette loi).

194 Votée en 1989, la première loi de Christiania a permis aux habitants de Christiania de faire reconnaître leur commune en tant qu'expérience sociale à part entière. ce texte « confirm[ait] le droit des habitants de Christiania d'utiliser ces immeubles ainsi que l'espace dans sa totalité » sous réserve qu'ils « assurent un maximum d'auto-administration à Christiania ». Données communiquées par les archives du parlement danois (Dansk Folketing). Source : http://www.ft.dk

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Cependant, si nous nous référons à la théorie élitiste de R. Michels, le maintien du pouvoir politique entre les mains de la masse et l'exercice de la démocratie directe paraît difficilement envisageable, qui plus est dans ce microcosme social où plus de huit-cent christianites peuvent potentiellement prendre part à la chose publique. De plus, l'intensification des échanges avec les autorités et la complexité du dossier concernant les négociations avec l'Etat, implique une certaine division du travail qui entraîne une spécialisation ; si bien que les christianites se trouvent contraints d'octroyer un pouvoir de représentativité à des agents présentant des aptitudes spécifiques, nécessaires à la réalisation de cette tâche. Ainsi, tout indique que Christiania ne parvient pas à faire exception et son processus d'évolution montre que la « loi d'airain de l'oligarchie » s'applique à cette commune alternative :

« [...] Qui dit organisation dit tendance à l'oligarchie. Dans chaque organisation, qu'il s'agisse d'un parti, d'une union de métier, etc., le penchant aristocratique se manifeste d'une façon très prononcée. Le mécanisme de l'organisation, en même temps qu'il donne à celle-ci une structure solide, provoque dans la masse organisée de graves changements. Il intervertit complètement les positions respectives des chefs et de la masse. L'organisation a pour effet de diviser tout parti ou tout syndicat professionnel en une minorité dirigeante et une majorité dirigée. »

MICHELS Robert, Les partis politiques : essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, op. cit., p. 16-17

Christiania se « brise » effectivement « contre les mêmes écueils » que rencontre tout courant démocratique195, et dont nous avons pu constater quelques exemples dans cette première partie : nous avons à la fois pu relever la contrainte du nombre lors des assemblées ce qui paralyse la prise de décision, mais aussi la contrainte organisationnelle qui se traduit par le glissement inéluctable vers un pouvoir central. Dans cette mesure, il apparaît possible de dégager et d'identifier les membres d'une minorité dirigeante exerçant le pouvoir aux dépens d'une minorité dirigée, tel va être le credo vers lequel nous allons maintenant orienter la deuxième partie de ce mémoire.

Mais avant cela, faisons le point sur les trois hypothèses que nous décrivions en introduction, étant donné qu'à mi-chemin de notre progression destinée à rendre compte de la nature du pouvoir à Christiania, nous pouvons d'ores et déjà écarter la première hypothèse : Christiania n'est pas une « commune de rupture »196 dont les membres seraient parvenus à créer un ordre social à contre-courant de l'ordre de nos sociétés « classiques ». Cette

195 MICHELS Robert, Les partis politiques : essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, op. cit., p.268

196 LACROIX Bernard, L'utopie communautaire : mai 68 : histoire sociale d'une révolte, op. cit., p. 20

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impossibilité de réinventer la vie en société peut d'abord s'expliquer par la situation géographique de Christiania ainsi que par la nature de ses frontières, qui restent ouvertes et permettent une interrelation particulièrement intense avec le monde extérieur. Les caractéristiques propres à cette institution permettent donc à ses membres de se prémunir des dérives sectaires dont nous pouvons relever de nombreux exemples. Celui du massacre de Jonestown qui eut lieu en Guyane le 18 novembre 1978 est certainement le mauvais exemple que bon nombre de christianites gardent en mémoire et que certains, comme Richardt, aiment à penser que Jonestown restera l'anti-Christiania :

Richardt: «[...] The thing is that just in Jonestown you have this little point that you have to do this or that; you know you have to think the way we think, you have to do

things just as we do. So at the end, they put up this big container with poison.»

Allan: (Laughing)

Richardt: «And people go there and take the poison. When you read the book, that people are sure that you will survive, his wife goes ahead and she takes the poison and she holds a little boil of poison and he can't because he is paralyzed, you know! `Ok, maybe we should just do that and...' (Laughing) I mean they are much more intelligent than we are, we are a sort of... social class eleven or something and they were less down and out than we are, in Jonestown... most of them died.»

Cet exemple cité par Richardt qui nous faisait part de ses dernières lectures, montre que parmi les christianites, certains craignent le pouvoir de persuasion et la pensée unique que peuvent instiller des chefs de communauté, des leader charismatiques tels que le fut Jim Jones dans les années 1970, qui était parvenu à rassembler près d'un millier d'adeptes sur le sol américain avant de mener sa communauté jusqu'en Guyane où ils procédèrent à un suicide collectif. Ce fait divers rappelle que de la simple adhésion à une communauté agraire, l'individu joignant ce type de groupe peut rapidement être soumis à un processus d'isolement et de développement de la pensée unique pouvant avoir de graves conséquences. Christiania n'est heureusement pas tombée dans cet extrême (bien que la « commune de rupture » n'engage pas nécessairement ce type de scénario) et nous pouvons ainsi nous tourner vers les deux dernières hypothèses.

Maintenant que nous savons que Christiania n'est pas une « commune de rupture »197 (hypothèse n°1), est-elle une « commune de combat »198 (hypothèse n°2)? Si tel était le cas, nous pourrions considérer que le maintien de la commune libre de Christiania relèverait d'une importance majeure pour l'idée même de démocratie, et dont la portée irait bien au-delà des frontières danoises et européennes : parvenir à imaginer que Christiania serait porteuse d'un témoignage pour l'humanité, puisqu'il s'agirait d'un ordre social révolutionnaire où l'application directe du pouvoir par le peuple aurait été rendue possible, serait bien dithyrambique de notre part. De toute évidence, l'autogestion au sens strict assurée par l'ensemble des membres de cette institution pose problème, et nous verrons dans le premier chapitre qu'une sélection naturelle s'opère pour la répartition du pouvoir au sein du groupe. Il sera ici question de hiérarchie sociale et de logiques institutionnelles qui tendent à la monopolisation du pouvoir entre les mains d'une « direction administrative »199.

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197 LACROIX Bernard, L'utopie communautaire : mai 68 : histoire sociale d'une révolte, op. cit., p. 20

198 Ibid., p.20

199 Cf. « § 12 Concept et sortes de groupements », in WEBER Max, Economie et société, op.cit., p. 88

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