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Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

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6.3.7 L'exclusivité du transport des migrants de retour à Rimbo

D'autres acteurs évoquent l'exclusivité dont bénéficient certains de leurs concurrents. C'est le cas du responsable de la compagnie 3 STV :

« Le flux a diminué. Le nombre des passagers a baissé par rapport aux dernières années. Les raisons sont entre autres : l'état des routes, la taxe qui a doublé de 15% à 30%, les tarifs de transport ont grimpé aussi, la pauvreté dans le pays, la fermeture du site aurifère de Djado et la question de la migration qui est interdite pour les migrants internationaux. Maintenant ces migrants sont conduits à l'OIM qui a signé un contrat avec RIMBO pour leur acheminement à leur point de départ. C'est seulement RIMBO qui profite du transport de ces migrants ». (Entretien chef d'escale 3STV, Agadez, 18-07-2018).

En fait, dans le cadre du programme dit de retour volontaire assisté de l'OIM l'acheminement des migrants d'Agadez à Niamey est confié à plusieurs agences de transport du Niger dont 3STV et RIMBO. Cependant, en 2018, l'OIM a signé un contrat d'exclusivité avec la société RIMBO dans ce cadre. Les autres opérateurs de transport voient d'un mauvais oeil cette approche dans un contexte où il y a de moins en moins de clients sur l'axe. Cependant, si on regarde de plus près, cet opérateur ne bénéficie que d'une partie du transport des migrants. En effet, toujours en 2018, des vols charters de transports de migrants à partir d'Agadez ont été organisés par l'agence onusienne, ce qui a contribué à réduire les flux de migrants de retour par route dans un contexte de diminution de flux entrants. En effet, rien qu'en 2018, l'OIM a organisé au moins 4 vols charters de rapatriement dit volontaire de migrants au détriment des transporteurs locaux qui pouvaient au moins bien faire la prestation de transport jusqu'à Niamey. Cette combinaison de facteurs directs et indirects a largement contribué à la baisse des flux en termes de bénéfices économiques pour les transporteurs d'Agadez.

6.3.8 Une clandestinisation des lieux d'hébergement des migrants

L'impact des politiques d'externalisation sur le parcours individuel des migrants et des lieux traversés s'apprécient aussi à travers les lieux d'hébergement dans les villes de transit notamment à Agadez. Ces espaces appelés couramment ghettos ou foyers servent de lieux d'hébergement aux migrants durant leur transit vers l'Afrique du Nord.

Pour le besoin de l'organisation du voyage vers le nord, les foyers constituent des lieux d'attentes des migrants. Ainsi, pour réduire le séjour à Agadez et les coûts y afférents les migrants s'arrangent pour arriver dans cette ville le plus souvent le jeudi ou le vendredi. Dès leur arrivée, ils prennent contact avec les coxeurs ou les gérants de ghetto. Le lendemain est

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consacré à la banque pour récupérer les sommes nécessaires à la poursuite du voyage, faire le marché en vue de se procurer quelques objets nécessaires à la traversée du Sahara : bidon, turban, la farine de manioc, du lait et des lunettes, mouchoirs, chaussettes et parfois un sac au dos. Les migrants payent aussi les frais d'hébergement s'il y a lieu. Il n'y a pas de frais fixes, c'est un montant forfaitaire d'un foyer à un autre. Selon les témoignages dans les foyers certains migrants payent jusqu'à 40000 FCFA. Au pic du transit des migrants vers l'Afrique du Nord la plupart des ghettos étaient gratuits. L'hébergement était le prolongement de l'activité de transport avant le départ. Les frais de transport à l'époque variaient de 100 000 à 150 000fCFA jusqu' à Gatroun en Libye. Les ghettos étaient localisés un peu partout dans la ville : centre, zone intermédiaire et périphérie. Ils étaient connus et tolérés. L'embarquement des migrants se faisait dans les rues ou les gares classiques. Les occupants sont également visibles puisqu'ils passent le matin ou l'après-midi à patienter, discuter devant la porte. Ce sont donc des espaces ouverts connus de tous. Leurs occupants entretiennent également des relations commerciales avec le voisinage à travers l'achat de glaces, cigarettes, allumettes, médicaments, riz ou autres condiments nécessaires à la cuisine.

Depuis la mise en application de la loi 2015-36 en août 2016 les ghettos sont devenus des espaces illégaux, réprimés par ladite loi. Ils opèrent de plus en plus dans la clandestinité, ce qui rend plus vulnérables les migrants. Subséquemment, de peur des représailles prévues par ladite loi, les gérants de ghettos, adoptent un nouveau mode opératoire : la discrétion voire la clandestinisation.

Ainsi, sur le plan spatial, les ghettos sont localisés dans des espaces particuliers notamment à la périphérie. Ils sont moins visibles de même que leurs occupants. Il y a donc une mobilité centrifuge des ghettos à Agadez. Sur les nouveaux sites, les ghettos deviennent des espaces fermés, opérant dans la clandestinité. Toutefois, ils conservent leur empreinte sur la ville. Les quartiers Daganamet, Misrata et Tadress sont devenus dorénavant les zones d'accueil des ghettos. Il en est de même à l'ouest de la ville d'Agadez, derrière l'aéroport ou dans le quartier Dubaï non loin du centre OIM. La majorité des ghettos présents dans le quartier Dubaï sont stratégiques. Les migrants profitent de la proximité du centre de transit pour se restaurer, se laver et même séjourner parfois pour ceux qui n'ont pas de foyers en attendant l'organisation du départ vers l'Afrique du Nord. L'analyse socio-anthropologique des ghettos en lien avec les quartiers indique qu'à Misrata existe une forte emprise des migrants nigérians et gambiens. On y trouve également, des ghettos sénégalais, gambiens et maliens rarement des ivoiriens et camerounais.

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Les ghettos nigérians se distinguent par une forte surpopulation entre 30-80 personnes, souvent plus. Ce sont des espaces fermés qui se caractérisent par la méfiance des occupants. Il faut passer par des intermédiaires pour y accéder.

Les ghettos des Ivoiriens se localisent sur la route de Zinder dans le quartier Misrata et dans celui de Toudou sur la route d'Arlit. En termes de nombre on peut compter 10-30 personnes par ghetto. Les ghettos sénégalais sont aussi à Misrata, Daganamet et plus marginalement à Tadress. Quelques rares ghettos sont également identifiés dans le centre-ville. Là, le plus souvent, la stratégie des passeurs consiste à loger les migrants dans les familles.

Depuis août 2016, les ghettos ne sont plus des espaces où le confort des occupants est recherché. Des chantiers inachevés ont remplacé les villas. Ils sont situés en périphérie de la ville et le plus souvent non connectés au réseau d'eau et d'électricité. Autour de ces espaces, l'insécurité est quasi permanente, les migrants sont souvent victimes de braquages à main armée et de petits vols courants, car certains foyers n'ont pas de porte solide ni de bonne serrure. Par nationalité, les foyers sont mixtes en fonction du sexe, mais aussi en fonction de la religion. Les Nigérians sont les plus nombreux dans les ghettos à cause de la proximité géographique avec le Niger et de la bonne organisation du voyage qui s'appuie sur un réseau migratoire vieux de plusieurs années.

De manière générale, on peut distinguer deux types de ghettos :

Les ghettos très fermés : ce sont des espaces fermés à clé à l'extérieur pour limiter et surveiller les entrées ou les sorties. Cette pratique est courante dans les ghettos tenus par les Nigérians. Les migrants sont sensibilisés par les coxeurs qui leur interdisent de faire confiance à quelqu'un, qui les prévient qu'ils peuvent être raflés et rapatriés par la police à tout moment. Ils ont donc intérêt à rester enfermés dans les foyers. C'est pourquoi même pour les achats des condiments dans les foyers nigérians les migrants préférèrent envoyer un enfant moyennant une petite rétribution ; parfois le gérant du ghetto lui-même fait les achats. Il faut aussi noter que la barrière linguistique ne permet pas aux Nigérians de communiquer correctement avec la population d'Agadez, hormis pour les haoussaphones.

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Photo 13 : Ghetto fermé avec des migrants à l'intérieur à Agadez
Photo crédit : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2018

Les ghettos ouverts : ils sont tenus en majorité par les Francophones : Ivoiriens, Guinéens, Maliens et Sénégalais. Ici, les migrants ont la possibilité de sortir et de revenir à leur guise. Il est fréquent de les voir le matin ou l'après-midi en train de discuter entre eux devant la porte de leur maison. Cependant, même dans ces espaces, la peur de sortir existe, car les migrants veulent quitter Agadez sans ennui avec la population ou les autorités. Le risque d'être raflé ou rapatrié par la police demeure toujours. Ces foyers sont fermés de l'intérieur, le visiteur est tenu de se faire identifier avant toute acceptation.

On peut aussi trouver des ghettos mixtes partiellement fermés où cohabitent des Nigérians et d'autres nationalités. Quel que soit le type de ghettos, les occupants font la cuisine une seule fois par jour. Les migrants cotisent un montant fixe ou volontaire en fonction de la capacité financière de chacun.

La marmite est posée vers 14-15h pour un plat à servir vers 17h30. S'il y a un reste le plat est conservé pour le petit déjeuner du lendemain. Dans le cas contraire chacun se débrouille à l'image de la photo ci-dessous.

Photo 14 : Jour sans cuisine dans un ghetto, faute de moyens Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017

Photo 15: Des migrants se retirent dans la chambre pour manger Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017

Il est à noter des situations où les propriétaires de ghettos fournissent le riz aux occupants et ces derniers cotisent pour les condiments. Dans les ghettos mixtes anglophones et francophones l'organisation de la restauration est communautaire. Elle répond souvent à l'identité linguistique héritée de la colonisation. Les anglophones s'organisent entre eux et les francophones font de même. Notons que cette différence linguistique est souvent source de méfiance réciproque et suspicion. Les francophones estiment qu'ils sont au Niger en zone francophone où ils ont une facilité d'intégration contrairement aux anglophones.

6.3.9 Architecture des ghettos.

Les foyers des Nigérians sont majoritairement composés de deux salons et d'une grande cour. Ce sont des ghettos mixtes avec des grandes cours, mais sans hangar solide. Le plus souvent en

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journée, les occupants utilisent des pagnes pour faire de l'ombre et se reposer. De plus en plus, des organisations humanitaires fournissent des kits, couverture, natte etc. À l'intérieur les occupants s'organisent en petit groupe en fonction des affinités et s'approprient l'espace. Sur des nattes, les groupes se reposent sans distinction de sexe. Les occupants se particularisent par leur nette méfiance vis-à-vis des visiteurs en lien avec la barrière linguistique, la peur d'être emmenés à l'OIM pour le retour volontaire. Notons que depuis le dernier trimestre de l'année 2016 des policiers se déguisent en agent de l'OIM pour accéder aux ghettos et aux migrants. Dans certains cas ils opèrent des descentes pour contraindre les occupants à rejoindre le centre OIM comme le souligne Monsieur B. « Ici (ghetto), ce n'est pas facile. Les policiers nous prennent comme des trafiquants. Un jour, dans la nuit, on préparait à manger quand les policiers ont sauté dans la maison pour nous emmener au commissariat. Ils nous ont fouillés, pris nos téléphones pendant deux jours avant que l'OIM vienne nous chercher. Eux aussi ils viennent nous dire retour volontaire. On leur a dit qu'on ne veut pas retourner à la maison. On est rentré dans le centre de l'OIM même pas 10 mn on est ressorti » (Entretien migrant, Agadez, 23-07-2018).

Photo 16: Couchette des migrants dans un ghetto
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2018

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Photo 17 : Message laissé par des migrants sur les murs d'un ghetto Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2018

Les migrants sont sensibilisés à ne faire confiance à personne ni parler de l'organisation des départs pour la Libye « Hier entre 17-18h il y a eu le départ de 17 personnes de ce ghetto pour la Libye. Là où ils font le chargement du véhicule si tu n'es pas voyageur tu ne pars pas. » (Entretien migrant, Agadez, 23-07-2018).

S'agissant de la restauration un seul repas est servi par jour à 10h ou 17h. On note donc une dégradation des conditions de vie des occupants, liée aux restrictions de sortie que subissent les occupants du ghetto. Pour la restauration, ils doivent solliciter le gérant du ghetto ou leur leader qui seul est habilité à sortir faire des courses. Cela montre un état de psychose généralisé au niveau de ces migrants. Ces derniers pensent être raflés et renvoyés à l'OIM une fois hors du ghetto. Tel est le discours que leur tiennent les convoyeurs.

Les ghettos sont dans certains cas des espaces d'abus. La personne du migrant n'est pas respectée, considérée comme une marchandise. Certains convoyeurs peuvent aussi les récupérer pour leur propre bénéfice et là ils seront dans l'obligation de repayer pour le voyage. Au cours de leur patrouille, les forces de l'ordre une fois qu'ils identifient les ghettos des migrants peuvent les rançonner demandant parfois des sommes importantes ; parfois ils arrêtent aussi les migrants pour les conduire au commissariat, sans qu'il y ait de délit constaté. Après des interrogatoires et une garde à vue de 48h, qui permettra aux policiers d'identifier s'il y a des coxeurs, transporteurs, démarcheurs, gérants dans le groupe, les migrants sont libérés et/ou remis à l'OIM. Ceux qui sont soupçonnés d'un délit relatif à la loi 2015-36, sont conduits en

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justice. Après libération, les migrants affirment souvent avoir été dépouillés par les forces de police. Enfin, une fois sortis du commissariat les migrants ne parviennent pas à retrouver leurs foyers, car ils ne connaissent pas la ville d'Agadez. Ainsi, ils peuvent être encore récupérés par d'autres convoyeurs qui vont leur demander de payer à nouveau les frais de voyage. Depuis l'application de la loi 2015-36 on note que les Nigériens se sont officiellement retirés de la gestion de ces espaces. C'est de plus en plus des étrangers résident ou pas à Agadez qui donnent l'adresse des ghettos aux migrants. À distance, ils organisent le voyage de leur client jusqu'en Libye et éventuellement en Italie.

Les ghettos sénégalais, gambiens et guinéens, se caractérisent par la grande affinité linguistique et géographique des occupants. Plus ouvert que les précédents, ils sont attentifs à leurs visiteurs. En termes de densité on peut trouver 20-40 personnes ou beaucoup plus dans ce type de foyer. Ils sont organisés autour d'une grande cour avec une chambre entrée et coucher, ou deux entrées et couchers ou carrément deux chambres salons. Ces ghettos sont à moitié fermés. En matinée, leurs occupants sont fréquemment assis devant la porte comme le montre la photo ci-dessous.

Photo 18:Migrants devant la porte d'un ghetto à Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry