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Etre présent(e) au travail à  l'heure du coronavirus: comment les employés juniors se rendent-ils visibles au télétravail ?


par Laureline MICHAUD
Sorbonne Université - Chargé(e) d'études sociologiques 2022
  

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A. LE DEVOIR D'ÊTRE RÉACTIF ET DISPONIBLE

1. EN SITUATION DE MICRO-MANAGEMENT

Le devoir d'être réactif est disponible est parfois une conséquence difficilement évitable lorsque l'on est en présence d'un management « de contrôle » ou « micro-management » : ces deux termes désignent une hiérarchie qui laisse très peu de marge de manoeuvre à ses collaborateurs ou qui les surveille régulièrement. On peut retrouver ce type de comportement dans l'encadrement des employés les plus juniors, même s'il peut perdurer dans les strates professionnelles supérieures.

Le télétravail a, pour deux de nos participants, révélé ou empiré le micro-management, ce qui a poussé ces derniers à se rendre plus disponibles qu'à l'accoutumée. Pour Marine, qui a pourtant un an et 3 mois de séniorité au sein de l'association sportive pour laquelle elle travaille, cela passe par le fait d'être joignable à tout moment sur son portable professionnel.

« M : Il y a eu quelques accrochages avec lui suite à ma mise en télétravail lors du deuxième

confinement où il n'avait pas réussi à me joindre sur mon téléphone professionnel et me l'avait fait remarquer de manière pas très aimable.

I : il s'attend à ce que tu sois disponible...

M : c'est ça il s'attend à ce que je sois disponible tout le temps, il me met un peu à l'épreuve en fait. Pour le coup lors du deuxième confinement, il a beaucoup surveillé ce que je

faisais. » (Marine)

Dans le cas de Marine, la moindre erreur pouvait être traquée et mettre en cause la confiance que son supérieur avait en elle, comme une forme de « test » :

« Il surveillait en fait. Le site internet, si je n'étais pas assez réactive sur la mise en ligne d'un article, sur la suppression d'une information qui n'avait plus lieu d'être... Il me le faisait remarquer. Et par rapport au téléphone professionnel que j'ai oublié d'allumer un jour, j'ai eu droit à des remontrances la semaine suivante en présentiel - je devais être présente pour un évènement - et il m'a dit « le téléphone professionnel, il faut qu'il soit allumé ». Il m'a dit

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qu'il me faisait confiance mais qu'il ne fallait pas que je perde cette confiance en n'étant pas assez réactive, il avait besoin de me joindre ce jour-là pour une urgence. En sachant qu'il a essayé de me joindre à 14h, et il m'a envoyé un mail à 17h pour me dire qu'il n'arrivait pas à me joindre. Je l'ai vécu comme une forme de test et il a dit clairement que j'avais sa confiance mais qu'il ne fallait pas que je la perde. » (Marine)

Marine a obtenu son CDI durant le premier confinement : on peut donc supposer que la qualité de son travail n'était pas remise en cause. C'est bien plus l'insécurité de son supérieur pour gérer la distance qui transparaît (il correspond au style de management « de contrôle » que nous avons développé précédemment).

Pour Lucas, travaillant dans une entreprise publique française à Londres, la relation horizontale qu'il entretenait avec son manager s'est transformée, avec le télétravail, en micro-management très poussé :

« Mais au départ pendant un mois il nous appelait trois fois par jour comme ça sans prévenir. Honnêtement j'ai pas envie de faire la théorie du complot comme quoi il nous appelait sans aucun motif pour voir si on répondait et qu'on était pas en train de faire autre chose, je pense pas qu'il est à ce point-là mais en fait à chaque petit truc à la con il nous appelait quoi » (Lucas)

Même s'il percevait le caractère abusif de ces appels, il se tenait disponible tout en notant la différence avec le degré de disponibilité en présentiel :

« Quand c'est ton chef qui t'appelle dans tous les cas en général il s'attend à ce que tu répondes, que tu arrêtes ce que tu fasses pour répondre ; pareil si c'est un client qui m'appelle, je vais répondre je ne vais pas lui raccrocher au nez. Mais là c'était vraiment beaucoup, à l'époque tu ne prenais pas le téléphone quatre fois par jour pour appeler tes collaborateurs ; tu faisais un point téléphonique ou autre chose. » (Lucas)

Pour Marine et Lucas, on caractérisera la mise en disponibilité comme subie dans le sens où leur comportement est réactionnel (il s'agit d'une réponse à une pression managériale).

2. POUR FAIRE SES PREUVES

Nous avons vu qu'en temps normal, « le télétravail étant considéré comme un privilège, auquel tout le monde n'a pas accès, les télétravailleurs se sentiraient redevables envers leur organisation et fourniraient davantage d'efforts pour s'acquitter de leur dette » (Vayre/11 - p : 10). Ici, même si le télétravail est la nouvelle norme, on retrouve ce sentiment de redevabilité - un surinvestissement de la part des participants pour montrer qu'ils ne sont pas oisifs. Cela fait écho au présupposé évoqué plus tôt selon lequel les juniors ne seraient pas aussi impliqués en télétravail qu'en présentiel. Plus encore, on trouve chez les juniors interrogés une envie de montrer leur capacité et gagner leur place en entreprise, et ce par

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le biais forcé du télétravail. C'est le cas de Camille, qui est responsable RSE depuis 3 mois dans un incubateur, après 6 mois de stage.

« M : c'est parce que j'avais pas encore fait mes preuves en fait. C'est le fait d'être junior encore une fois, vu que je n'ai jamais eu de grand projet, je voulais faire mes preuves et montrer que j'étais là par le fait que j'étais disponible, que je travaillais. » (Camille)

Il existe une raison supplémentaire qui incite les participants à se montrer disponibles : il s'agit de leur propre tempérament.

3. EN FONCTION DE SON TEMPÉRAMENT

Chez deux participantes, la mise en disponibilité est analysée par ces dernières comme faisant partie de leur tempérament. C'est en comparant avec leurs expériences précédentes, où il n'y avait pas de télétravail, qu'elles en ont eu la preuve. Chloé a travaillé par le passé dans l'évènementiel, où la réactivité était un prérequis (1) et Delphine l'a compris en se comparant aux autres (2).

« Et c'est vrai que moi c'est quelque chose que j'ai toujours eu beaucoup de mal à faire, de cloisonner et parce qu'en fait j'ai toujours été super dispo et là en télétravail je me suis rendue compte que c'était pareil. J'ai mon ordi tout le temps ouvert, à n'importe quelle heure. » (Chloé, stagiaire au département RSE dans une banque de grande taille)

« Il y a aussi la personnalité et le caractère de chacun qui joue c'est-à-dire que moi de manière générale j'ai l'impression de devoir toujours être disponible, j'ai toujours une espèce de pression. J'ai l'impression de faire tout mon possible mais quand on me relance comme ça j'ai l'impression qu'il faut que j'aille encore plus loin sinon j'étouffe. Mais pour en avoir discuté avec des collègues ils sont cool Raoul, et si on les relance « bon ok bah je vais le faire » point barre. » (Delphine, consultante dans un cabinet de conseil en santé)

Il peut être difficile d'affirmer avec certitude que la psychologie des participantes soit le seul facteur d'un tel comportement. Chloé a fait une école préparatoire durant ses études et Delphine sort d'une grande école. L'éducation, l'origine sociale, beaucoup de choses peuvent entrer en ligne de compte. Mais c'est comme cela que les participantes se voient : elles se rendent disponibles par leur tempérament.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore