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Cusco et l'image de l'étranger dans Inka Trail et Senores destos Reynos


par Nataly Villena Vega
Université Paris III - Maitrise en Littérature Générale et comparée 2001
  

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1. Cusco dans la littérature péruvienne contemporaine.

« Cuzco que guarda y sustenta une energía fundamental[...] Esa ciudad esencial que conjuga las viejas experiencias históricas del país, resume el peregrinaje del hombre peruano y mantiene el orgullo de esa colectividad ilustre en el continente como forjador de culturas señeras. »2(*)

Pour un historien comme Luis Enrique Tord, Cusco est forcément un point de départ intéressant. Impossible de détacher cette ville de son passé, regretté, nourri, idéalisé, tergiversé et exploité, latent dans tout ce que l'on observe. Cusco est en effet une ville aux aspects multiples : centre des Andes, ville bohème, paradis des touristes et des aventuriers, centre écologique, espace mystique et lieu de fête.

L'importance de Cusco dans la littérature péruvienne a toujours été liée à sa condition de bastion du mouvement indigéniste. La littérature péruvienne reconnaît les origines de ce mouvement à Cusco vers la fin du XIXème siècle, avec la publication du roman Aves sin nido3(*) de Clorinda Matto de Turner4(*) (1854-1919) et du livre El padre Horán5(*), de Narciso Aréstegui.

A l'époque du modernisme, lorsqu'une forte polémique oppose deux groupes récalcitrants, les défenseurs nationalistes des indiens et les intellectuels d'inspiration raciste, Cusco se range du côté indianiste6(*). Pourtant, ce n'est pas seulement la littérature qui s'y intéresse, d'autres manifestations artistiques de tendance indigéniste telles que la photographie et le cinéma sont aussi développées7(*).

Après la Révolution mexicaine, l'indigénisme pénètre les arts plastiques péruviens de manière généralisée, mais dans la littérature, il est encore circonscrit à la zone andine et privilégie un genre : la poésie. La deuxième vague indigéniste regroupe ainsi une génération de poètes de Cusco issus de l'avant-garde postmodernisme : Luis Nieto Miranda, Gamaliel Churata et Mario Florián. Le mouvement indigéniste Resurgimiento est fondé à Cusco en 1926 et sa première action est l'organisation d'une « Cruzada por el Indio ». Les théoriciens les plus réputés de l'indigénisme national y sont rassemblés dont l'historien Luis E. Valcárcel et le sociologue José Uriel García, professeurs à l'université San Antonio Abad del Cusco. A l'indigénisme raciste que Valcárcel prône dans son Tempestad en los Andes (1927), s'oppose l'andinisme d'Uriel García qui, dans El nuevo indio (1930), considère l'indigène non pas comme un groupe ethnique mais comme entité morale. Ces thèses seront reprises par José María Arguedas qui les fera connaître dans le monde entier.

Cependant, la littérature de Cusco, dont l'importance a été déterminante dans la première moitié du XXème siècle, connaît un certain déclin pendant plus de deux décennies. L'indigénisme qui ne fait que se mordre la queue depuis longtemps s'engage dans une dérive chauvine. Une littérature qui semble privilégier la tradition orale et le conte se fait jour grâce à des écrivains jusqu'alors peu connus tels que Sueldo Guevara et Raúl Brozovich. Cependant, leurs intéressants travaux, qui n'ont pourtant pas la charge idéologique de l'indigénisme, resteront sans suite. Depuis, de nombreux travaux ont été publiés, l'indigénisme n'a pas abandonné complètement la plupart de ces oeuvres mais une nouvelle vision commence à s'instaurer et Cusco n'apparaît plus seulement liée aux questions d'ordre racial ou historique. Son atmosphère de plus en plus ouverte au monde par les communications et le tourisme est observée avec grand intérêt par le pays et constitue un cadre unique non seulement pour la création littéraire, mais aussi pour les arts plastiques, le cinéma et la photographie.

1.1 Fin de la dualité néo-indigénisme, néoréalisme.

Au Pérou, il était fréquent entre les années cinquante et les années quatre-vingt, de diviser le champ de la narration (et d'autres genres) en un secteur indigéniste, intéressé par le monde andin et les transformations que celui-ci subissait, et un secteur néoréaliste qui avait comme cadre la ville et les bidonvilles des alentours, et qui choisissait comme protagonistes les personnages marginaux de la société urbaine.

Depuis les années cinquante, une grande masse d'habitants de la province, entassée dans des bidonvilles, modifia le visage de la capitale socialement, économiquement et même artistiquement.

L'indigénisme du début du siècle -le protoindigénisme de Vargas Llosa-, opposé à l'hispanisme et influencé par le naturalisme français et le positivisme, s `est effacé lentement. Or, un nouvel indigénisme dont l'objectif n'est plus la protestation social ni la dénonciation de la difficile situation de l'indigène prend forme. Confronté à la nouvelle réalité, cet indigénisme agit pour le renouvellement des liens avec le monde andin.8(*)

Los ríos profundos (1958) d'Arguedas marque le début de cette période où le questionnement permanent sur la façon et la difficulté de conjuguer un monde en évolution et de le sortir de son régionalisme pour l'inscrire dans la littérature mondiale allaient être une préoccupation constante.

Après la mort d'Arguedas, Manuel Scorza prend le relais. Son roman La Guerra silenciosa jouit d'un grand succès qui lui permet d'accéder à la reconnaissance internationale.

Le néo-indigénisme utilise les attributs artistiques modernes sans toutefois rompre complètement avec la tradition indigéniste classique. Après Arguedas et Scorza, Edgardo Rivera, Eleodoro Vargas Vicuña et Cronwell Jara témoignent de l'effacement progressif de la ligne de séparation entre ce type de littérature et le néoréalisme urbain.

Le néoréalisme urbain, un type de littérature plus expérimental et moderne, s'intéresse aux changements de la ville et les phénomènes d'immigration, de pauvreté et de violence de l'époque. Lima est le sujet central de cette narrative. Des écrivains tels que le groupe Palermo, dont Julio Ramón Ribeyro est l'un des meilleurs représentants, produisent des oeuvres capitales dans la littérature péruvienne pendant deux décennies.

Entre les années cinquante et soixante-dix, les deux courants de création développent un travail complémentaire, chacun avec son propre monde référentiel. La littérature de cette étape a une image duale dont les deux faces peuvent s'articuler sans problèmes.

Pourtant, à partir des années quatre-vingt, cette cohabitation bien délimitée est bouleversée.

Après le retour à la démocratie marqué par l'élection de Fernando Belaúnde en 1980, la vie sociale et politique du pays subit une sorte de désintégration.

Le pays avait vécu sous le gouvernement des Forces Armées (1968-1975) un « néo-indigénisme d'Etat »9(*) qui prônait le nationalisme et prenait l'Indien comme symbole du peuple péruvien. Le système socio-économique avait été commotionné par des transformations radicales telles que la réforme agraire et le contrôle des grandes entreprises par l'Etat. Le retour à l'état de droit n'est donc pas des plus calmes.

En 1979 le Sentier Lumineux fait son apparition en Ayacucho, ville de la sierra et commence son action terroriste sans attirer une attention particulière des médias.

Cette guerre qui durera dix ans et qui plongera le pays dans la violence et la crise économique les plus dures de son histoire, n'éveillera l'intérêt national qu'en 198310(*). Un nouveau visage du Pérou apparaît et le terrorisme qui a, depuis longtemps, fait son travail, pousse de grandes masses d'habitants au déplacement, à la migration, phénomène déjà commencé à partir des années cinquante.

La société en est bouleversée, dans les grandes villes le paysan, l'intrus, devient un fondateur, c'est lui qui construit la nouvelle ville et qui forge une nouvelle image de soi et de son entourage. Le processus de « cholification » est en marche et une nouvelle culture mi-urbaine, mi-rurale tend à s'imposer à travers de pratiques économiques telles que le commerce informel, des expressions culturelles (notamment la musique) et les médias, particulièrement la radio et la télévision. La migration fait du pays un ensemble hétéroclite et déstructuré, les nouvelles circonstances obligent à s'adapter et à réviser toute classification.

Dans cette culture hybride submergée dans la violence, la littérature trouve de nouveaux éléments de création. L'analyse du nouveau panorama et des racines de la violence terroriste oblige à tourner la vue vers le monde andin et à essayer de le comprendre. Le néo-indigénisme et le néoréalisme urbain sont révisés. Aujourd'hui, ils n'ont plus de signification réelle car ce qui existe est un ensemble chaotique et intense. Des éléments thématiques ou formels qualifiés autrefois de purement indigénistes franchissent la ligne et se mélangent aux aspects urbains et vice versa.

Le néo-indigénisme circonscrivait les arguments et les personnages à un territoire spécifique, à un paysage et à certaines formes organisatrices ayant rapport strictement à la vie paysanne. Ceci rendait impossible le rapport entre le champ et la grande ville par la conception généralisée de ces deux mondes comme étant antagoniques. Le changement du mode de vie influence naturellement la littérature.

Vers la moitié des années 1980 deux lignes opposées dominent la narration péruvienne, l'une moderne et cosmopolite et l'autre intéressée uniquement à la réalité du pays.

Un néo-indigénisme renouvelé -l'indigenismo-2 de Mirko Lauer-11(*) illustre le statut du monde indigène dans un contexte socio-politique entièrement différent : celui de la violence.

La disparition de la dichotomie qui faisait la spécificité de l'indigénisme, disparition prédite par Sebastián Salazar Bondy, n'est pas loin d'être une réalité. Une forte crise des postulats dans les décennies passées donne comme résultat une superposition de nouvelles images souvent très conflictuelle. Du conflit de ces images faibles aucune ne paraît avoir l'hégémonie et le champ littéraire en rend compte.

Antonio Cornejo Polar affirme à ce sujet que le néo-indigénisme, qui fondait sa légitimité dans l'espace andin, s'est désterritorialisé profondément. Il cite comme l'un des exemples les plus clairs, le roman Patíbulo para un caballo de Cronwell Jara.

Ce qui donne la particularité à ce roman est le fait que l'histoire ait lieu à Lima, dans un quartier marginal ; l'histoire raconte les événements qui conduisent à la formation d'une barriada. La loi, le regard de la société et les drames personnels sont mis en scène dans un mélange hétérogène de contenus andins, criollos, afro-péruviens, et de la haute culture occidentale. Dans la narration confluent la sagesse populaire et l'académique mais cela n'arrive pas vraiment à se consolider dans un symbole totalisateur. L'impression qu'on a c'est que la narration cherche à montrer cette atomisation de la réalité, encore plus que le signe majeur de cette réalité est son caractère changeant, éphémère et aléatoire.

Le morcellement de la réalité confronte le lecteur aux mélanges : les personnages sont andins mais aussi de la côte, ils sont ruraux mais aussi urbains, provinciaux mais aussi de la capitale. On est donc face à ce que l'on appelle métissage.

Or le problème face auquel on se trouve est que l'idée de métissage est aussi en crise. Quelques années auparavant les phénomènes socioculturels pouvaient être expliqués grâce à l'idéologie du métissage si bien que l'analyse était simplifié. Le héros de cette formule idéologique avait été l'Inca Garcilaso de la Vega, le premier métis, le premier péruvien à avoir réussi dans la fusion harmonique de ses deux racines. Néanmoins, avec tout son contenu aristocratique, la figure de Garcilaso, fils d'un noble et d'une princesse, n'était pas celle d'un métis quelconque ; sa nouvelle image est aujourd'hui celle d'un être angoissé, victime de conflits non résolus : le besoin d'harmonie et la condamnation à l'impossibilité de celle-ci12(*).

La violencia del tiempo (La violence du temps) de Miguel Gutiérrez est un autre cas encore plus problématique. Ce roman raconte l'histoire de la famille du narrateur édifiée sur un péché originel : le viol de la mère par le conquistador. Le destin du lignage sera marqué par ce fait, et la seule façon d'effacer la honte consistera en exterminer la descendance métisse et donc maudite.

Contrairement à Gutiérrez, Edgardo Rivera Martínez, dans son País de Jauja (1993) présente un métissage idéalisé. L'histoire du roman se développe à Jauja, dans les Andes centrales du Pérou ; le métissage ne constitue pas ici une condition problématique, c'est une réalité déjà constituée que l'on accepte naturellement. L'auteur réalise un travail d'exploration des possibilités de transculturation entre la société métisse et les valeurs de la société occidentale entre le XIXème et le XXème siècle.

Puisque l'indigénisme, l'hispanisme, le néo-indigénisme et le néoréalisme urbain n'ont plus de signification réelle, on peut affirmer que le champ littéraire a cessé d'être régi par la hiérarchisation et l'organisation d'autrefois.

On est face à un nouvel espace littéraire, profondément dispersé, sans organicité et sans hégémonies. Ce qui existe est « une belligérance vaste et emmêlée entre diverses périphéries, chacune avec leurs propres postulations et avec un pouvoir fugace et aléatoire sur des petits espaces culturels. »13(*)

La vague du libéralisme qui envahi toute l'Amérique latine prône la nécessité d'une modernisation de racine, et ce changement est en train de recomposer l'espace littéraire et culturel du pays.

Face à ce désir de modernisation, deux grandes postures se sont emparées du milieu culturel, l'une d'elles en faveur de l'innovation, et le pari pour la modernité, et l'autre, plus conservatrice qui est en quelque sorte encore liée à la tradition néo-indigéniste.

* 2 Tord, Luis Enrique, Crónicas del Cusco, Lima, Ed. Delfos, 1977.

* 3 Aves sin nido, Ediciones Sempere, Valencia, 1889.

* 4 Clorinda Matto publie aussi le livre Tradiciones Cusqueñas (1910).

* 5 El padre Horán, Tipografía de El Comercio, Cusco, 1918.

* 6 Le député José Angel Escalante de Cusco, commence cette polémique avec la publication d'une critique caustique à l'indigénisme de José Carlos Mariátegui pour « profiter de la grande masse indigène (...) pour l'intronisation des idéaux bolcheviques et communistes au Pérou ».

L'indianisme, à différence de l'indigénisme, suppose un traitement idéalisateur de la figure de l'Indien, issu d'une culture paternaliste et sentimentale.

* 7 Les photographes Eulogio Nishiyama et Martín Chambi entreprennent un travail qui aboutira à la formation d'une « Escuela Cusqueña » de cinéma.

* 8 Il faut distinguer l'indigénisme en tant que mouvement culturel et politique. Comme Mirko Lauer l'a bien défini, l'indigénisme est « dans le mouvement politique [...] une métonymie de paysan, alors que dans le mouvement culturel il est une métonymie d'autochtone ».

Deux oeuvres ont traité ce sujet à profondeur et sous deux points de vue opposés. L'essai L'utopie archaïque (1996) de Mario Vargas Llosa, analyse l'oeuvre et la pensée de José María Arguedas ainsi que le mouvement indigéniste. Pour l'auteur, l'indigénisme fut non seulement un courant littéraire et artistique mais aussi une fiction idéologique dépassée et réactionnaire, une utopie archaïque qui tissait des éléments collectivistes, magiques, antimodernes et antilibéraux. La perception de l'indigénisme politique de l'historien Alberto Flores Galindo, est aussi d'intérêt ; son livre Buscando un Inca est une exploration historique de longue haleine sur les utopies élaborées par les peuples andins. Ces utopies seraient les réponses à un présent d'oppression par la recréation idéalisée du pays des Incas. Aujourd'hui, les revendications politiques marxistes et socialistes de Flores Galindo semblent ne plus correspondre à la réalité du pays, toutefois, son analyse historique est de grande justesse.

* 9 Fauve, Henri, Reforme agraire et ethnicité au Pérou sous le gouvernement des Forces Armées 1968-1980, Berlin : Colloquium Verlag, Ibero-Americanisches Archiv, 17-1-33, p.9.

* 10 Année du massacre d'un groupe de journalistes à Uchuraccay, village des Andes, aux mains des paysans ignorés par le gouvernement et restés dans l'isolement pendant des décennies.

* 11 Lauer, Mirko, Andes imaginarios. Discursos del indigenismo-2, Lima : Sur, 1997.

* 12 Le travail de Max Hernández sur la psychanalyse de Garcilaso : Memoria del bien perdido, aborde à profondeur ce sujet.

* 13 Cornejo Polar, Antonio, Perú 1964 - 1994 : economía sociedad y política, Lima, IEP, 1995, p. 300

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