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Les déterminants de l'épargne des ménages au Cameroun

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par Pierre Alain YOUMBI
Université de Douala - DESS en Gestion Financière et Bancaire 2003
  

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Première partie : L'analyse économique

Comportement d'epargne des ménages

L'analyse des variables économiques affectant le niveau de l'épargne des ménages va porter sur trois étapes :

- La production. Il s'agit d'étudier les mécanismes qui président à la naissance ou à la formation de l'épargne. A l'origine, il y a le niveau de la consommation. Selon les approches, on parlera de revenu absolu (KEYNES), de revenu relatif (DUESENBERRY), de revenu permanent (FRIEDMAN) ou de patrimoine accumulé sur le cycle de vie (MODIGLIANI). Les différences tiennent sur la nature du revenu (courant ou patrimonial), sur la période d'étude (court terme, long terme), sur l'indépendance ou non de la consommation d'un ménage de celle des autres ménages, sur la prise en compte de l'influence du passé ou des anticipations.

- Le placement. Il renvoie aux variables affectant la rémunération nette et la productivité de l'épargne. Le taux de l'intérêt nominal et réel et la fiscalité agissent sur le rendement du placement. L'inflation a la spécificité d'agir également sur le pouvoir d'achat du revenu.

- Les motivations à l'épargne. Le crédit reste la seule motivation quantitative de l'épargne. Il influence la propension à épargner et le volume de l'épargne des ménages.

Nous allons dans un premier temps aborder les variables influençant la production de l'épargne (chapitre 1) pour ensuite analyser celles qui agissent sur le placement et la motivation à l'épargne (chapitre 2).

CHAPITRE I : L'INFLUENCE du revenu

et DU patrimoine

Les Keynésiens et les classiques ont des approches méthodologiques et conceptuelles différentes dans leur démarche de formulation de la fonction de consommation et d'épargne.

- Chez les Keynésiens, la variable explicative de l'épargne est le revenu courant, qu'il soit absolu ou relatif alors que les néoclassiques lui préfèrent le patrimoine entendu au sens de la richesse.

- Les Keynésiens déduisent le comportement d'épargne à partir des données macroéconomiques pendant que les néoclassiques partent de l'analyse microéconomiques des fonctions individuelles de consommation des ménages à l'agrégation macroéconomique.

La propension à épargner est également influencée par des variables comme la taille du ménage. L'étude de LEFF14(*) (1969) montre sur la base des données d'observation que la taille de la famille a un effet significatif du point de vue statistique sur le taux d'épargne. IQBAL15(*) (1986) suppose qu'une famille nombreuse indique une large dépendance sur le chef de famille. Cette situation affecterait négativement le taux d'épargne des ménages et par conséquent, l'utilisation du revenu.

I- L'approche Keynésienne

Elle va se développer dans deux directions :

- le revenu courant de Keynes établit en fonction de la loi psychologique fondamentale un parallélisme entre les fluctuations du revenu et celles de la fonction de consommation;

- le revenu relatif et l'effet de mémoire. DUESENBERRY va plutôt mettre en exergue le phénomène de l'égalisation inter temporelle des utilités et l'idée d'interdépendance des consommations fondée sur l'effet de démonstration ou d'imitation. Pour BROWN, le passé n'intervient plus de façon discontinue par le biais du plus haut revenu jamais atteint, mais de façon continue par la consommation de la période précédente

1- LA THEORIE DU REVENU ABSOLU

L'analyse de Keynes repose sur quatre idées.

- La consommation est principalement fonction du revenu réel beaucoup plus que le revenu nominal.

- La propension marginale à consommer (part d'un éventuel supplément du revenu qui sera affecté à la consommation) est positive et inférieure à un en vertu de la loi psychologique fondamentale16(*)qu'il énonce ainsi : «en moyenne et pour la plupart de temps, les hommes tendent à accroître leur consommation à mesure que les revenus croissent mais non d'une quantité aussi grande que l'accroissement des revenus». Ainsi une hausse (resp. baisse) du revenu entraîne un accroissement (resp. baisse) plus marquée de l'épargne.

- La propension moyenne à consommer (fraction du revenu dépensé qui est égale au rapport de la consommation totale au revenu) est inférieure à la propension marginale à consommer.

- La fonction de consommation est stable à court terme.

Pour démontrer cette stabilité, Keynes part d'une fonction de consommation de la forme :

Cs = (rs) (1.1)

rs et Cs représentent respectivement le revenu et la consommation mesurée en unités de salaires.

Il distingue six facteurs susceptibles d'agir sur la fonction   : l'unité de salaire, l'écart entre le revenu et le revenu net, le rapport entre les revenus futurs et présents, les valeurs en capital n'entrant pas en ligne de compte dans le calcul du revenu net, le taux d'intérêt et la politique fiscale.

Il constate que la variation des trois premiers facteurs joue un rôle négligeable et que celle imprévisible des valeurs en capital joue un rôle important sur la fonction   et qu'enfin les deux derniers facteurs peuvent jouer un rôle important à condition que leurs variations soient très profondes.

Ainsi, en se plaçant dans une période où la politique fiscale ne présente pas de changements importants, où les fluctuations du taux d'intérêts ne prennent pas une ampleur exceptionnelle et où les variations en capital qui en résultent sont limitées, la fonction   peut être considérée comme stable.

C = Y

Figure n°2 C = C0 + cY

La Fonction Keynésienne Epargne

du Revenu courant

C1 E

C2

C0

Désépargne

45°

Y2 Y1

Il se dégage les caractéristiques suivantes :

- Même si le revenu (Y) est nul, il existe un montant positif de consommation Co appelé consommation incompressible. Cette consommation autonome n'est pas fonction de revenu;

- lorsque la PMC 1 i.e. (C2 > Y2), l'épargne dans ce cas est négative. Toute valeur du revenu comprise entre 0 et Y1 correspond à la zone de désépargne;

- lorsque la PMC = 1 i.e. (C1 = Y1) au point E, l'épargne est nulle;

- lorsque la PMC < 1 (pour toute valeur de revenu supérieur à Y1), l'épargne est positive et cela veut dire que plus le revenu croit, plus la PMC diminue.

Des travaux empiriques de vérification de la théorie Keynésienne par l'étude de séries temporelles ont été effectuées.

L'étude de séries temporelles porte à la fois sur des observations de court terme et des observations de long terme.

* L'étude des observations de court terme examine les valeurs annuelles ou trimestrielles prises par la consommation réelle et le revenu réel disponible des ménages au cours d'une dizaine ou d'une vingtaine d'année. Il en résulte que la consommation des ménages peut être représentée par une fonction linéaire de la forme :

Ct = aYt + b (1.2)

Ct,, Yt,, a et b représentent respectivement la consommation réelle, le revenu réel des ménages et les paramètres de la droite d'ajustement.

Ces études ont donc permis de vérifier à court terme les hypothèses de l'analyse Keynésienne.

* L'étude des observations à long terme (sur un horizon correspondant à la durée de vie d'un consommateur) de l'évolution de la consommation et du revenu disponible réels des ménages, réalisée aux Etats-Unis par S. KUZNETS17(*) (1946) et GOLDSMITH18(*)(1956) montre essentiellement deux choses :

- La Pmc est approximativement constante et inférieure à un.

- La PMC est approximativement égale à la Pmc. Ce qui infirme donc l'hypothèse de Keynes selon laquelle la Pmc aura tendance à décroître au fur et à mesure que le revenu s`accroît.

Les autres hypothèses de Keynes ont été vérifiées. Ces études ont mis en évidence une fonction de consommation de type :

Ct = cYt (1.3)

2- LA THEORIE DU REVENU RELATIF ET DE L'EFFET DE MEMOIRE

Nous présenterons successivement la théorie du revenu relatif développé par

J. DUESENBERRY19(*) (1949) et celle de l'effet de mémoire de BROWN20(*) (1982) qui se constitue comme prolongement de la première.

Les hypothèses de la théorie du revenu relatif se partagent entre deux vérifications, l'une orientée vers les caractéristiques en coupes transversales de la population des consommateurs et l'autre orientée vers les séries chronologiques.

L'interprétation des observations de courtes périodes montre l'absence de parallélisme entre les fluctuations du revenu et celles de la consommation.

La fonction de consommation observée est de type Ct = aYt. + b

DUESENBERRY considère que le taux d'épargne des ménages est variable. Il diminue pendant les phases de récession et augmente pendant les phases d'expansion.

Il formule cette idée en posant :

  =   a - b (1.4)

St est la variable dépendante qui représente l'épargne des ménages au cours de la période t. a et  b sont des constantes positives.

Yt et YM sont respectivement le revenu disponible des ménages au cours de la période t et le revenu disponible le plus élevé atteint dans le passé.

Ainsi, le taux d'épargne est une variable dépendante de la position du revenu relativement au plus haut niveau de revenu atteint dans la passé YM. Il y a alors une visibilité dans le temps des décisions de consommation. Cet effet de cliquet ou effet crémaillère explique qu'en cas de baisse de l'activité économique et des revenus, la baisse de la consommation des ménages est freinée du fait de l'égalisation inter temporelle des utilités. Une fois un certain niveau de vie atteint, ce dernier est mis en mémoire par les ménages et tend, comme par un cliquet, à s'opposer à la baisse de la consommation résultant de la diminution du revenu.

Figure n°3 : La fonction de consommation de DUESENBERRY

Yt YxM Yt

C A

S

C

S S

Récession Reprise

Temps

t0 t1 t2

La forme de la fonction de consommation à laquelle conduit la théorie du revenu relatif se présente comme suit :

Ct = ( 1+b) Yt - avec Yt = YM (1.5)

En période de récession, le revenu disponible réel régresse mais la consommation diminue moins fortement, les ménages maintiennent leur niveau de consommation en réduisant leur épargne S. La fonction de consommation devient :

Ct = ( 1 + b - 2a) Yt (1.6)

A la reprise et pendant l'expansion, la consommation s'élève mais plus lentement que le revenu, car l'accroissement de celui-ci permet aux ménages de reconstituer leur épargne. La fonction de consommation devient :

Ct = [ 1 + b - a ( 1 + ) ]Yt (1.7)

est assimilé au taux de croissance de l'économie

La consommation redevient proportionnelle au revenu lorsque ce dernier retrouve le niveau le plus élevé atteint dans le passé A.

L'interprétation des observations en coupes instantanées de la théorie du revenu relatif débouche sur l'abandon de l'un des postulats de la théorie classique de la consommation, à savoir l'indépendance de la consommation d'un agent de celle des autres agentsDUESENBERRY va développer l'idée d'interdépendance des consommations fondée sur l'effet de démonstration ou d'imitation. Les agents du groupe i auront une propension à consommer plus forte que celle des agents du groupe supérieur à i parce qu'ils chercheront à imiter la consommation de ceux ayant un niveau de vie supérieur. Ceci explique pourquoi la croissance du revenu au cours du temps n'entraîne pas la diminution  de la propension à consommer. En somme, les individus sont plus sensibles à leur consommation relative et comparent régulièrement leur dépense à celle des autres consommateurs. Ainsi, pour un même niveau de revenu, une famille appartenant à la population noire aux Etats-Unis aura une PMC plus faible que celle d'une famille appartenant à la population blanche. L'explication que propose DUESENBERRY est qu'à revenu égal, la famille noire sera, à l'intérieur du groupe social formé par la population noire relativement plus riche que la famille blanche à l'intérieur du groupe social formé par la population blanche.

La théorie du revenu relatif permet ainsi d'expliquer que la croissance du revenu des ménages au cours du temps n'entraîne pas de diminution de la PMC bien que, en coupes instantanées, l'élévation du revenu s'accompagne d'une baisse de celle-ci.

Les développements de DUESENBERRY appellent les remarques suivantes :

- S'il a raison de mettre l'accent sur les phénomènes de longues périodes, il convient en revanche de remarquer qu'il n'explique pas vraiment pour quelle raison les PMC globales des différents groupes sociaux demeurent constantes en longue période.

- La conception qu'il se fait de la mémorisation est critiquable dans la mesure où celle-ci fait abstraction du temps. Ainsi, le revenu maximum Ym agira sur la relation entre la consommation et le revenu durant toute la période comprise entre to et t2 quelle que soit la longueur de cette période. On peut valablement penser que l'influence de Ym diminuera au fur et à mesure qu'on s'éloigne de to et en particulier, qu'elle sera plus faible que la période de récession sera longue.

- On peut aussi reprocher le fait que DUESENBERRY ait traité d'une façon symétrique la phase de dépression et la phase de reprise qui présentent la même liaison entre la consommation et le revenu. Or, il est probable que cette liaison ne soit pas la même au cours de ces phases.

Quant à l'analyse de BROWN, elle part de l'observation des différences existant entre la consommation observée et la consommation expliquée par une équation de type

Ct = aYt + b.

L'observation des ces différences appelées résidus montre qu'ils sont fortement corrélés entre eux. Ces résidus sont négatifs en période d'expansion et positifs en période de récession. Ce résultat met en évidence un retard de la consommation sur le revenu. BROWN est alors conduit à préciser la manière dont les événements passés agissent concurremment avec le revenu sur la consommation de la période courante. Pour résoudre ce problème, il cherche à savoir, d'une part s'il faut choisir le revenu ou la consommation comme variable expliquant l'action du passé sur la consommation de la période courante ou si d'autre part, cette variable agit de façon continue ou discontinue sur la consommation de la période courante.

Pour répondre à ces préoccupations, il teste quatre types de fonction de consommation.

- Ct = aYt + bYt -1 + c (action continue sur le revenu) (1.8)

Yt -1, est le revenu de la période précédent la période courante.

- Ct = aYt + b YM,t + c (action discontinue sur le revenu) (1.9)

YM,t est le plus haut revenu atteint au cours de la période t ou des périodes qui précèdent.

- Ct = aYt + b Ct -1 + c (action continue sur la consommation) (1.10)

Ct -1, est la consommation de la période précédent la période courante.

- Ct = aYt + b C M,t + c (action discontinue sur la consommation) (1.11)

C M,t est la consommation la plus élevée atteinte au cours de la période t ou des périodes qui la précèdent.

Les résultats statistiques le conduisent alors à conclure que la meilleure fonction de consommation est de la forme (1.10) :

Ct = aYt + b Ct -1 + c

Tout comme DUESENBERRY, BROWN reconnaît l'influence du passé dans la détermination de la consommation. Toutefois, au lieu de choisir le revenu, il adopte la consommation comme une variable représentant l'action du passé. De même, le passé n'intervient plus de façon discontinue par le biais du plus haut revenu jamais atteint, mais de façon continue par la consommation de la période antérieure. Les travaux empiriques confirment que la PMC de courte période est inférieure à celle de longue période. Pour BROWN, ce résultat est la conséquence de l'effet de mémoire. C'est ce que  VESPERINI21(*) appelle l'effet d'hystérésis. Selon cet effet, la consommation d'une période dépend non seulement de la variation du revenu au cours de la période courante, mais aussi des variations de revenus intervenues au cours des périodes précédentes.

La fonction de consommation de longue période est représentée par :

Ct = Yt + (1.12)

En différenciant cette fonction, on obtient la Pmc de longue période qui est égale à :

> a

On retrouve une Pmc de longue période supérieure à celle de courte période.

À une augmentation (resp. diminution) donnée du revenu correspondra une augmentation (resp. diminution) de la consommation plus grande en longue période qu'en courte période parce que, le poids des habitudes de consommation passées qui vient limiter en courte période l'action de l'augmentation (resp. diminution), du revenu sur la consommation ne joue plus en longue période.

La fonction de consommation de BROWN aboutit, comme celle de DUESENBERRY et pour les mêmes raisons, à une augmentation de la PMC durant les phases de récession. Cependant, à la différence de DUESENBERRY, l'augmentation de la PMC tend à s'affaiblir au cours de la phase de récession lorsque le revenu diminue à un rythme plus faible ou se stabilise. Cette différence de formulation traduit un affaiblissement progressif de l'effet de mémoire au fur et à mesure que le temps s'écoule.

En définitive, la théorie de l'effet de mémoire de BROWN suscite quelques remarques :

- La fonction de long terme n'est pas comme chez DUESENBERRY de type proportionnel puisqu'elle comporte une ordonnée à l'origine égale à qui est normalement nulle.

- Si elle supprime la discontinuité qui est un défaut important chez DUESENBERRY, elle présente en revanche l'inconvénient de faire disparaître, en rétablissant la continuité, l'asymétrie de la description des phases d'expansion et de récession.

- La formulation de l'effet de mémoire apparaît malgré tout comme excessivement rigide.

* 14 LEFF N., Dependency rate and saving rate in American Economic Review, 59, Dec 1969 pp 886-896.

* 15 IQBAL F., The demand for fund by agricultural household. Evidence form rural India. The journal of development studies; 19 86

* 16 KEYNES John Maynard, op cit . pp 178-179.

* 17 KUZNETS Simon, National product since 1869, New york : National bureau of economic research, 1946.

* 18 GOLDSMITH, A study of saving in the United States, Prince Town : Prince Town UP, 1956, 3vol

* 19 DUESENBERRY, J. Income, saving and the theory of consumer behaviour, Havard UP, 1949

* 20 BROWN T. M. , Habit persistance and Lags in consumer behaviour, Econometrica, july, vol 20, n° 3, 1953.

* 21 VESPERINI J.P., Economie politique : Théories et modèles de l'économie contemporaine, Paris: Economica, 1981, p. 201

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