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De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique français


par Julie Mamejean
Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006
  

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B- Des synonymes discrets

Quant aux définitions concernant les synonymes reconnus de cette expression, le dictionnaire Hachette n'est pas le meilleur conseiller.

Le terme de « pensée unique » n'est pas non plus commenté, quant à celui de « bienséance » il est défini en moins de dix mots « conduite publique en conformité avec les usages », et il aurait été bon, sans perdre de la place inutilement, de préciser de quels types d'usages il s'agissait.

C'est donc, de tous les polysèmes concernés par ce phénomène, celui de « langue de bois » qui est peut-être le plus réfléchi.

Défini à l'article « langue », juste après l'entrée « langue verte », l'analyse assez brève de cette locution reste correcte (bien qu'elle soit fort approchante de la définition déjà proposée par Le Petit Robert) :

« Nom donné au discours politique des dirigeants communistes ; par ext. Toute façon de s'exprimer construite autour de stéréotypes ».

L'analyse s'achève ici pour le dictionnaire Hachette qui, en dehors d'un manque d'exhaustivité lexicographique flagrant, semble jouer d'un certain laxisme envers ses lecteurs, perdus entre le désarroi d'une absence de définitions travaillées et la déception de l'oubli de certains mots clefs.

2) Le Petit Larousse ou l'assise lexicographique

A- Une évolution diachronique pertinente

C'est avec étonnement que nous avons constaté que notre expression apparaît sous sa forme première de façon assez précoce.

En effet, dans le Petit Larousse de 1930 est mentionné pour la première fois à l'article « politiquement », le « parler politiquement », locution qui va inaugurer sans le savoir notre future expression.

Il faut cependant attendre la fin des années 1990 pour constater une réelle prise en compte de cette dernière.

Les sens implicites accordés jusqu'alors à l'adverbe « politiquement » changent de vedette et s'imposent dès 1997 comme une expression à part entière qui émerge dès la 3e entrée de l'adjectif « correct » :

« Se dit d'un discours, d'un comportement visant à bannir tout ce qui pourrait blesser les membres de catégories ou de groupes minoritaires en leur faisant sentir leur différence comme une infériorité ou un motif d'exclusion ».

Ici, l'expression prend sens mais reste très influencée par le schème américain puisqu'elle se dit comme une attitude de défense envers les minorités et les exclus.

Il faut donc attendre le nouveau siècle et la définition de 2001, présente à la 4e entrée de l'article « correct », pour une analyse plus subtile du phénomène :

« (Calque de l'anglo-américain, politically correct), Se dit d'un discours, d'un comportement prétendant bannir ou contrer tout ce qui pourrait blesser les membres d'une catégorie et des groupes jugés victimes de l'ordre dominant. Par ext.péjor, se dit d'un discours ou d'un comportement d'un progressisme convenu et intolérant ».

Dans ces deux définitions, les lexicographes ont choisi deux verbes « viser à » et « prétendre », qui sont loin d'être anodins, puisque comme l'expliquent A.Collinot et F.Mazière dans Un prêt à parler, le dictionnaire73(*), le choix de ce type de verbe pouvant se rapprocher du verbe « servir à », impose une certaine finalité de la définition en mettant en scène un utilisateur (ici, le lecteur de l'article) dans le rôle du destinataire.

Ainsi, il y a une volonté de la part du Petit Larousse de présenter cette définition comme un écho au schéma jakobsonien, autrement dit comme un phénomène purement communicationnel.

En disant « X qui sert à ... », le lexicographe inscrit son acte définitoire dans une forme discursive qui confère à X un sens bien défini, recevable pour le lecteur qui y reconnaît les bribes d'un discours familier.

Cependant, malgré la proximité de forme de ces deux définitions, il faut noter que l'usage justement différent de ces verbes est une preuve de l'évolution de l'expression au sein de la société, ce que confirme l'apparition de la mention « péjor. », absente de la définition de 1997, et qui, bien que seconde en 2001, constitue néanmoins une acception admise, un jugement recevable car cohérent.

Le discours « visant à bannir » devient alors celui qui « prétend bannir ou contrer ».

Fort de quelques années d'expérience, le « politiquement correct » de 2001 acquiert une nouvelle dimension.

Cette nouvelle définition est d'ailleurs moins stéréotypée, moins « politiquement correcte » que celle de 1997 : les « groupes minoritaires » subissant « infériorité et exclusion », sont ici « victimes de l'ordre dominant »... et s'ils peuvent être « jugés » rien n'affirme donc qu'ils soient vraiment victimes, qui plus est d'un agresseur relativement évasif, « l'ordre dominant ».

A mots égaux, les maux sont moindres, le lexicographe de 2001 ne parlant plus d'exclusion.

Cette même définition sera utilisée un an plus tard en 2002 pour la création du Petit Larousse sur CD-Rom, et n'a pas encore été à l'heure actuelle, modifié (Le Petit Larousse 2005 présentant la même définition).

B- Une richesse synonymique

Concernant la recherche autour des synonymes du politiquement correct, le Petit Larousse est d'un point de vue quantitatif le plus riche de nos trois dictionnaires.

Si la bienséance signifie ici « ce qu'il convient de dire ou de faire ; savoir-vivre », elle nous permet d'éclaircir la définition du dictionnaire Hachette puisqu'on comprend alors que les « usages » sont ceux de la convenance et de la décence.

Toujours en terme d'exhaustivité lexicographique, le Petit Larousse est le seul à donner une définition de la « pensée unique », expression pourtant souvent entendue ces dernières années, surtout en France !

Ainsi, présente à la 4e entrée de l'article Pensée, la « pensée unique » est précédée d'une marque qu'on peut penser personnelle, et qui s'intensifie par les termes employés se rapprochant, comme il se doit, de l'idée de politiquement correct, déjà introduite par cette même marque :

« péjor. L'ensemble des opinions dominantes, conventionnelles, des idées reçues, dans les domaines économique, politique et social ».

Ici, on comprend que la pensée unique touche tous les domaines et dépasse le stade de la simple moralité puisqu'elle se nourrit de stéréotypes.

Enfin, la définition de la « langue de bois » est très intéressante dans la mesure où le Petit Larousse est le seul des trois dictionnaires à la présenter comme un type de langage particulier faisant apparaître l'expression à l'article « langue » :

« Manière rigide de s'exprimer en multipliant les stéréotypes et les formules figées, notamment en politique ».

Elle n'est pas présentée, comme c'était le cas dans le dictionnaire Hachette, en dépendance avec un quelconque régime politique.

C'est pourtant dans une autre version du dictionnaire Larousse qu'on retrouve cette vision.

Le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse de 1981 présente la « langue de bois » comme l'apanage exclusif de « certains partis communistes », et dans l'édition de 1984, une porte est ouverte sur la représentation de la langue de bois dans l'idéologie stalinienne :

« Manière rigide de s'exprimer qui use de stéréotypes et de formules figées et reflète une position dogmatique, surtout en parlant d'un discours de certains dirigeants communistes »

Ici, que les lexicologues insistent sur l'aspect linguistique (la langue de bois est une caractéristique de la langue) ou politique de la langue de bois (elle se veut organe de censure ou de lieux communs), ces définitions ne sont jamais contradictoires puisqu'elles confèrent à la langue de bois, toute la force d'un phénomène sociolinguistique, et la présentent comme une prémisse mais aussi comme un synonyme du politiquement correct.

3) Le Petit Robert ou la pertinence des définitions

A- Le politiquement correct, un mouvement linguistique enfin reconnu

L'expression « politiquement correct » n'apparaît pas d'emblée dans Le Petit Robert. Et si son homologue Le Petit Larousse, déjà existant, laissait poindre en 1930 ce qui constituerait un demi-siècle plus tard une véritable idéologie linguistique, il faut attendre la mise en place affirmée du Robert pour que se révèlent ses véritables qualités lexicographiques.

Puisque à chaque aboutissement il y a un début, les définitions des termes « politiquement » et « correct » constituent déjà une approche intéressante de la future expression, et préparent son arrivée.

Ainsi, l'adjectif « correct » : « conforme aux règles fixées, aux usages, aux bonnes moeurs, à la morale », plus riche que la définition proposée par Hachette, laisse pressentir aux lecteurs avec la mention de « moeurs » et de « morale » l'idéologie sous-jacente.

De même, l'adverbe « politiquement », « D'un point de vue politique `Des milliers d'hommes commençaient à penser politiquement' (Nizan). Littér. Avec habileté », illustre avec le choix de la citation de F.Nizan, l'émergence d'un réel phénomène linguistique.

Et c'est donc dans le milieu des années 1990 que l'adverbe et l'adjectif se soudent enfin pour offrir une définition très intéressante qui a le mérite de situer l'émergence du phénomène :

« (v.1990.calque de l'anglo-amer. « politically correct ». Se dit d'un discours, d'un comportement d'où est exclu tout ce qui pourrait desservir socialement un groupe minoritaire dans la manière de l'appréhender - SUBST. ` elle aimant vivre aux Etats-Unis, protégée par ce politiquement correct que les beaux esprits européens dénonçaient en se gaussant' (P.Constant) ».

Ici, la définition est relativement exhaustive puisqu'elle précise par ses deux premiers termes que le politiquement correct relève à la fois du langage et de l'attitude.

De plus, la citation servant d'exemple est un choix signifiant de la part du lexicographe puisqu'elle permet d'illustrer un des autres aspects de cette expression : ce phénomène, dont l'origine se situe outre Atlantique, est resté un certain temps indésirable en France.

L'évolution de cette définition nous est également présentée d'une façon passionnante grâce au travail diachronique d'Alain Rey avec en 2001, Le Grand Robert de la langue française.

La définition de l'adjectif « correct » délivre déjà au 17e siècle les connotations que nous accolerons, à posteriori, à notre expression :

« Qui est conforme aux moeurs, aux usages considérés comme bons (dans une société, un groupe donné) : Bienséant, convenable, décent (...) ».

Un peu plus loin, l'exemple servant d'illustration à la 3e entrée de l'adjectif « Prendre une attitude politique correcte » dévoile quant à lui, l'une des premières acceptations de l'expression, ici sans forme adverbiale.

C'est à la suite de cette entrée qu'A.Rey décide d'insérer la définition de l'expression telle que nous la connaissons, en précisant avant toute chose, qu'il s'agit bel et bien d'un anglicisme :

« Calque de l'anglais des Etats-Unis, politically correct. Anglic.

Se dit d'un langage, d'un comportement qui efface dans le langage tout ce qui pourrait desservir socialement un groupe minoritaire et qui donne une idée de société moralisée (établissant ainsi euphémismes et tabous). Un langage politiquement correct. Par ext. Une attitude politiquement correcte : « Jetons une bonne fois la « bienpensance » et le politiquement correct par la fenêtre » (Le Monde, 18 mars 2000) ».

Ici, la qualité et l'exhaustivité de la définition sont évidentes, et dépassent réellement les commentaires beaucoup moins encyclopédiques des deux autres dictionnaires.

A.Rey présente un élément crucial, absent pourtant de toutes les autres définitions, c'est l'idée de travail, de manipulation, de jeu de la langue, propre à la pratique de ce phénomène « efface dans le langage (...) établissant euphémismes et tabous ».

De plus, la définition du Petit Robert est indéniablement moins moralisante que celle de Petit Larousse, dans la mesure où ici, le politiquement correct n'est pas présenté comme quelque chose permettant de lutter contre les douleurs infligées à telle ou telle minorité, mais plutôt comme un phénomène sociolinguistique qui, s'il est sincère, aboutit logiquement à une langue normée, à une « société moralisée ». Et ici la sémantique de ce mot s'imprègne de certaines connotations péjoratives, notamment par le choix d'A.Rey avec la citation extraite du Monde.

* 73 Un prêt à parler..., chapitre « la lecture du sens dans les articles »

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus