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De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique français


par Julie Mamejean
Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006
  

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B- Un choix stratégique

Concernant le choix des synonymes, le substantif « bienséance » (proposé par ailleurs sous forme adjectivale à l'article « correct ») bénéficie d'une définition assez travaillée puisqu'elle lie en quelque sorte les définitions précédentes présentées par Hachette et Le Petit Larousse :

« Caractère de ce qui convient, va bien ; convenance. Par ext. Conduite sociale en accord avec tous les usages, respect de certaines formes ; correction, décence, savoir-vivre ».

En revanche, si le terme de « pensée unique » est clairement évoqué par les connotations des diverses définitions de « politiquement » et de « correct », Le Petit Robert n'a pas choisi de lui consacrer un article.

C'est donc la définition de « langue de bois », une fois encore qui constitue l'analyse la plus intéressante concernant le choix des synonymes :

« Péj. Langage figé de la propagande politique. Par ext. Façon de parler qui abonde en formules figés et en stéréotypes non compromettants (opposé à franc-parler) ».

Il faut tout d'abord notifier que seul Le Petit Robert fait apparaître cette expression au sein de l'article « bois ». Cela relève d'un choix stratégique réel : si l'expression n'est pas propre au substantif « langue » c'est que les lexicographes ont ici volontairement choisi de porter leur intention non pas sur la forme, mais bien sur le sens de cette expression en la raccrochant à l'aspect solide, dur et inaltérable du bois.

De même, le fait de présenter la langue de bois comme un outil politique, avant de l'envisager dans le cadre du langage quotidien, c'est préférer rester centré sur l'historicité du mot et non pas sur son éventuel usage actuel.

Cette idée d'une langue propre à la machinerie politique était déjà présente dans la définition du dictionnaire Hachette, alors qu'elle n'était qu'une acception seconde pour le Petit Larousse « notamment en politique ».

Les lexicographes du Petit Robert en inscrivant cette expression à l'article « bois », en l'introduisant par le qualificatif « Péj. », et en précisant l'un de ses antonymes, porte implicitement un jugement de valeur réel.

Si le dictionnaire Hachette semble manquer d'expérience, ce qui s'illustre dans des définitions incomplètes et trop classiques, les deux grands dictionnaires que sont Le Petit Larousse et Le Petit Robert n'hésitent pas, par différents moyens (choix de la nomenclature, taille de la définition, date d'apparition, mention de synonymes...) à s'exprimer, à laisser paraître, mais toujours de façon discrète, et en offrant le meilleur de leur travail lexicographique, l'écho d'un léger jugement de valeur sur le phénomène politiquement correct.

Cette brève étude des différentes acceptions de l'expression « politiquement correct » et des termes la composant révèle sa rareté, tout du moins d'un point de vue institutionnel.

Il est donc évident que procéder à un travail sur la triple investigation dictionnairique autour de cette expression serait vain.

Sa spécificité réside peut-être justement dans son unicité : elle n'est utilisée dans aucune autre locution, pour aucun autre article, hormis les deux mots vedettes qui la composent.

Cette étude qui a mis en avant l'ambivalence des définitions proposées, nous a également permis de distinguer les trois aspects principaux de cette idéologie :

- son origine, proche de la doxa communiste, totalitaire, et évoquant la censure

- son aspect formel privilégiant les stéréotypes et les idées reçues

- sa charité, diffusant un certain degré d'humanité et d'utopie qui justifie donc sa propre utilisation au nom d'une bienséance commune.

Dès lors, face à une notion aussi ambiguë et riche de sens, peut-on vraiment se contenter d'évoquer un phénomène linguistique ? Ou faut-il plutôt y voir un fait s'incorporant dans le langage lui-même ? L'opposition saussurienne bien connue entre langue et discours, a-t-elle ici un sens ? Est-il plus cohérent de qualifier le politiquement correct de dialecte ou de discours ?

C'est afin de compléter la « carte d'identité » du politiquement correct que nous allons nous pencher sur ces termes et sur d'autres, afin de comprendre le lien existant avec notre polysème.

V/ Une grande épopée linguistique

1) Du langage à la langue, en passant par le discours, sur les traces du politiquement correct

Le langage désigne tout système de communication, avec en son sein la faculté propre à l'homme de parler et d'être compris :

« Ce n'est pas le langage parlé qui est naturel à l'homme, mais la faculté de constituer une langue, c'est à dire un système de signes distincts correspondants à des idées distinctes »74(*).

Dès lors, la langue est partie intégrante du langage et c'est d'ailleurs ce qui contribue à la délicate distinction entre ces deux termes : le langage est défini comme « la fonction d'expression de la pensée et de communication entres les hommes »75(*), et il fait écho à la langue perçue comme un « système d'expression du mental et de communication, commun à un groupe social »76(*).

Ici, le langage est une fonction virtuelle se réalisant sous la forme d'une langue, qui est elle-même un procédé n'existant que dans le langage. Autrement dit, la langue fait partie intégrante du langage.

Ce que va alors souligner le linguiste Ferdinand de Saussure c'est le lien indiscutable de la langue à la société, aux hommes :

« Elle (la langue) est à la fois un produit social de la faculté du langage et un ensemble de convention »77(*).

La langue serait donc une entité qui pour exister doit être normée, en tant que preuve de son intégration dans la société. Et c'est alors au sein de ce consensus que se meut le discours, « expression verbale de la pensée »78(*), clef de voûte du langage social.

La distinction fondamentale établit par F. de Saussure entre langue et discours (on la trouve aussi parfois sous la forme « langue versus parole ») est réductible à l'opposition « collectif » versus « individuel ».

En effet, se distingue d'une part la langue, ensemble de signes socialement institué et mis à disposition d'un locuteur parlant pour qu'il exprime sa pensée à laquelle s'oppose d'autre part, la mise en oeuvre de cet ensemble de signes par ce même locuteur dans une réalisation qui lui sera propre, le discours.

Le discours est personnel et tend à s'affirmer lorsqu'il s'approprie la langue, « partie sociale du langage »79(*) et qu'il en use volontairement.

Tout cela est quelque peu confus tant les trois termes, langage, langue, discours, semblent indissociables l'un de l'autre.

Pris au milieu de cette ambiguïté, le phénomène de politiquement correct est au coeur de l'opposition saussurienne. Il entre dans le cadre du langage puisqu'il se diffuse via la langue, dans une communauté linguistique qui elle, se dit par le discours.

Dès lors, il tend vite à se démarquer de l'individuel pour s'ancrer dans le collectif, et c'est en cela qu'il est un fait sociolinguistique.

En effet, nous n'avons que pu remarquer la polysémie qui entourait le terme de « politiquement correct », ainsi que ses nombreux antécédents ou répercussions dans diverses langues et sociétés.

Et si c'est surtout au travers du discours que se réalise le politiquement correct, c'est qu'en tant que concept, son pouvoir n'est pas dans les mots, mais dans leur emploi.

Dès lors que l'on traite le langage comme un objet autonome acceptant la séparation radicale que faisait F. de Saussure entre science du langage et science des usages sociaux (la langue en elle-même), on se trompe car on se cantonne à chercher le pouvoir dans les mots. Or, le pouvoir des mots, donc du langage, est bien dans l'usage qu'on en fait, c'est à dire dans le discours.

2) Entre idiome au sociolecte

Admis que le politiquement correct, eu égard à ses astuces et particularités linguistiques est parfois complexe dans la transmission de ses messages, de son sens, il peut apparaître à certains comme une sous-catégorie du langage, aussi indéchiffrable par exemple, que la langue argotique.

Néanmoins, le politiquement correct en imposant son propre vocabulaire, sa syntaxe, ses jeux sur la langue, sa poésie même80(*), prétend se démarquer d'un quelconque dialecte qui se serait par habitude, greffé sur le langage courant.

Là où le politiquement correct prend alors toute sa dimension, c'est lorsqu'on s'intéresse à ses usagers : on remarque qu'il s'agit généralement de personnes relativement cultivées, d'âge moyen et vivant essentiellement dans les métropoles.

En ce sens, le politiquement correct peut prétendre correspondre à la notion de dialecte, « variété régionale d'une langue »81(*) de régiolecte ou plutôt même, pour reprendre la terminologie du lexicologue Jean Pruvost, à celle d' « urbalecte »82(*), néologisme désignant les différents dialectes des villes.

Pratiqué majoritairement entre citadins, l'emploi du politiquement correct qui dépasse le simple stade du particularisme dialectal, nécessite donc un intérêt particulier.

Si le politiquement correct est pratiqué dans des contextes bien précis, c'est qu'il correspond à un besoin éthique, moralisateur ou autre. De fait, son usage relève d'un mode de pensée que les locuteurs concernés se plaisent à revendiquer, tel un signe distinctif entre gens de bonnes moeurs. Ici, c'est donc sous une forme idiomatique que le politiquement correct s'annonce :

« Ensemble des moyens d'expression d'une communauté correspondant à un mode de pensée spécifique »83(*).

Cette définition qui illustre bien l'aspect communautaire qu'adoptent vite les usagers d'un discours politiquement correct, permet cependant d'aller plus loin.

Si le politiquement correct est une forme d'idiome dans la mesure où il est propre à une communauté, c'est qu'il est forcément régi par les normes de cette dernière, représentante d'un groupe social.

À fortiori, le politiquement correct s'il est un idiome peut également se rapprocher du sociolecte dans la mesure où il peut s'apparenter à la langue d'une classe sociale en particulier :

« Le sociolecte sert à désigner les normes sociales qui sont à l'oeuvre dans la production du discours (...) il correspond à une pratique sociale du langage verbal (judiciaire, politique, religieux) que matérialise un lexique (...) spécifique »84(*).

Dès lors, nous pourrions parler de la généralisation du discours politiquement correct en tant qu'idiome de la fin du 20e siècle, et nouveau sociolecte du début du 21e siècle.

Reprenant la terminologie de William Labov85(*), on peut faire adhérer au discours politiquement correct, l'accumulation de trois facteurs responsables de sa variation : « le facteur diatopique » qui régit la langue en tant que régiolecte, urbalecte..., « le facteur diastratique » qui présente la langue comme un sociolecte, et enfin « le facteur diaphasique » qui intègre le discours politiquement correct dans l'idiolecte.

En ce sens, la langue est effectivement comme l'avait analysé F. de Saussure, un produit social adopté par un corps social qui prend forme dans le discours d'une communauté linguistique.

3) Le discours politiquement correct, de l'incompréhension au mystère

« Il est précisément correct de ne pas être compris car par là on est garantit contre tous les malentendus » (S.Kierkegaard)

Étant entendu que le politiquement correct agissant sur le discours est un phénomène à la fois linguistique, social, et politique, il faut prendre en compte que le fait de le catégoriser comme un idiome ou un sociolecte peut contribuer à sa restriction, mais également à le prémunir de certaines accusations susceptibles de lui porter préjudices.

Dès lors, quel qualificatif pourrions-nous employer pour représenter au mieux le discours politiquement correct ?

A- Le politiquement correct, un discours codé

Jadis, Socrate ne cessait de questionner ses interlocuteurs, via des sophismes inquisiteurs « Mais qu'entends-tu par là ? Quel sens donnes-tu à ce mot ? ».

Ce type d'interrogation correspond parfaitement au discours politiquement correct qui se présente pour les non-initiés comme un langage étranger. Sorte de variante dialectale d'un français d'usage courant, le cheminement discursif du politiquement correct intègre un certain degré de difficulté.

Le discours politiquement correct, de par son aspect et ses techniques linguistiques, apparaît à juste titre comme une langue mystérieuse et inaccessible à ceux qui ne la pratiquent pas.

Sorte de discours cabalistique, le discours politiquement correct déroute et « dégoûte ». Langue-mystère, il a le pouvoir d'obscurcir ce qui ne devrait être que de la communication humaine.

Il se présente comme une langue illisible et inaudible et sélectionne ainsi ses locuteurs. Son dessein porté par un élitisme sous-jacent est alors réussi.

Sous cet angle, il s'annonce comme une sorte de non-langage dans la mesure où il choisit ses sujets et agit en complète opposition avec la valeur symbolique de la langue, sensée permettre la communication entre tous les hommes.

La sélection artificielle que met en place le politiquement correct fait écho aux ressorts qu'utilisait jadis la langue de bois lorsqu'elle se présentait sous les traits d'une équation alliant magie, aspect rituel et arbitraire.

Le discours politiquement correct n'est pas une variété qui va être utilisé en fonction des auditeurs présents ; il n'exerce aucune compétence communicative, « il s'agit toujours d'une parole sans langue »86(*).

Ce ne sont pas les usagers qui choisissent le discours politiquement correct, puisque c'est lui qui vient à eux, une fois sa sélection effectuée.

Le politiquement correct est donc à ce stade un discours codé, imposant « un rapport de signe à référent, et non de signifiant à signifié »87(*), qui joue sur le flou général de la langue que seuls les élus peuvent décoder.

De fait, il peut aisément intégrer la classe des langues-jargons88(*) si l'on se fie à la classification de deux grammairiens, Damourette et Pichon qui dénombrent quatre formes de « parler » : la disance, l'usance, la parlure et le jargon.

La définition proposée pour cette dernière forme fait largement écho aux principes du discours bienpensant.

Il s'agit selon eux d'une langue utilisée par un groupe social qui, soit par intérêt, soit par fantaisie ou par tradition, fait appel à des mots incompréhensibles pour des non initiés.

Et c'est justement le cas du discours politiquement correct qui baigné dans son auto suffisance, renferme un vocabulaire qui lui est propre et auquel n'a accès qu'une certaine classe de la population.

C'est donc conscient de cet étonnant paradoxe, face à une langue qui se veut fédératrice de tous les exclus, qu'en nous appuyant sur la thèse de U. Windish89(*), nous avons choisi de présenter le politiquement correct comme un anti-langage.

B- Un paradoxe innommable : le politiquement correct, un discours anti-langage

Selon U.Windish, l'anti-langage est le langage utilisé par des anti-sociétés ou des groupes de marginaux90(*).

À priori le discours politiquement correct ne rentre pas dans cette caste puisqu'il est en accord avec la pensée unique de la société dans laquelle il évolue.

Néanmoins, nous nous souvenons de Molière qualifiant le courant des Précieuses de « jargon » ou de « baragouin » et du Littré le définissant comme un langage quasiment sectaire.

Ici, le politiquement correct, à travers la surcodification qu'il impose à sa langue, se sert du langage de la société en place, pour en créer un nouveau.

En ce sens donc, le politiquement correct, en tant que langage travaillé, forme une nouvelle société, une anti-société, excluant les non-initiés qui se retrouvent inévitablement en situation d'incompréhension langagière :

« Un antilangage est un langage transformé : il prend appui sur le langage de la société ambiante, le transforme en créant un nouveau langage, qui ne doit être compris que de l'antisociété »91(*).

L'antilangage menant à l'échec sémantique devient donc le reflet d'une réalité qui est autre, celle de l'antisociété.

Tandis que la langue courante dit ce qu'elle voit, l'antilangage, nouvellement politiquement correct, dit quant à lui ce qu'il aimerait voir ou mieux, embellit ce qu'il voit.

Tout comme la langue de bois, il crée un dialogue de sourd avec une rhétorique artificielle qui mène à un langage froid, sans nuances donc sans contrariétés. Comme l'expliquent R.Amossy et A.herscherberg92(*), la langue de bois est « un langage péremptoire qui fait des contre vérités », créant là un parallèle évident avec le politiquement correct.

Le politiquement correct s'incarne donc volontiers sous les traits d'un contre langage qui se reconnaît par l'échec du sens et du discours.

C'est dans cet état que le politiquement correct tend à s'imposer, tel un nouveau degré dans l'échelle des niveaux de langue, sur laquelle il se construit et dont il dépend :

« L'antilangage n'est pas pour autant un langage totalement différent de la société officielle dans laquelle il se développe »93(*).

Les thèmes de l'antilangage sont alors les mêmes que ceux du langage.

L'antilangage vit, relate, a besoin d'être parlé pour exister, tout comme un langage « classique ». Mais sa principale différence réside dans son mysticisme qui répond en fait aux besoins d'une langue codée, secrète.

Dès lors, le politiquement correct se fait plus agissant de la réalité, que créateur.

Qu'il soit discours, sociolecte ou antilangage, le politiquement correct impose une normativité qui tend à le rapprocher des lexiques spécialisés (type langage scientifique, médical...) ou technolectes dont les motifs cryptiques excluent certains locuteurs. Ici donc on s'interroge.

Le politiquement correct, fondé sur un principe d'égalité, de communautarisme, devrait par son éthique user d'une langue accessible au maximum de personnes. Et pourtant...

En désaccord avec son idéologie première, il semble ici que l'hermétisme impitoyable dont fait preuve le politiquement correct révèle sa vraie nature.

4) De l'omniprésence de la norme

Loin des idiomes et autres sociolectes, le mystère du politiquement correct semble trouver une explication dans l'étouffant pouvoir de la norme.

Il faut tout d'abord préciser que la norme est indissociable de la langue dans la mesure où elle est la preuve de sa socialisation, de son traitement social.

La norme apparaît comme l'illustration du bon usage de la langue, et à fortiori, comme celui de la pensée.

J-P.Léonardini dans la préface de son ouvrage94(*) explique à ce sujet que « les structures de la langue sont normatives et conditionnent la manière dont nous réfléchissons ».

Le discours politiquement correct lui, s'introduit dans la langue par le pronom indéfini « On », en tant que norme collective, et impose également le primat de la forme sur la substance, schème récurrent qui entre lois et règles, surveille la façon dont on dit les choses.

Cet état linguistique autoritaire qui s'établit en confrontation du phénomène de politiquement correct est très proche de ce que R-A.Lodge nomme « la codification du langage »95(*). Et cette idée désigne la présence de la surnorme dans la langue.

Si norme et surnorme sont toutes deux faire valoir de l'institution sociale, la première est présente dans toute communauté linguistique, tandis que la seconde ne s'atteste que dans certaines sociétés.

Et toute la particularité et la difficulté du discours politiquement correct résident dans cette relation entre norme et surnorme.

La langue, au sens de la conception saussurienne, est dépendante d'une norme existant elle-même par contrainte sociale :

« La norme est le consensus linguistique implicite qui permet la compréhension entre les locuteurs d'une même communauté »96(*).

Mais la particularité du discours politiquement correct, comme tout type de préciosité langagière engagée dans une tradition puriste, réside dans une double normalisation, qui passe donc également par la surnorme.

Si nous devions user d'un vocabulaire juridique, nous pourrions désigner la norme comme un droit, et la surnorme comme un devoir. Cette dernière, dépassant la simple nécessité de bienséance, s'inscrit dans un processus de contrôle excessif du langage qui impose des consignes explicites non seulement sur ce qu'on doit dire, mais bien évidemment aussi, sur ce qu'on doit taire.

Aussi, pour reprendre les propos de J.Garmadi :

« (La surnorme est) un système d'instructions définissant ce qui doit être choisi si on veut se conformer à l'idéal esthétique ou socioculturel d'un milieu détenant prestige et autorité, et l'existence de ce système d'instructions implique celles d'usages prohibés »97(*).

Dès lors, si le discours politiquement correct s'essaie à la surnorme, s'il impose sa présence dans la langue courante, c'est que la norme ne suffit pas pour parvenir à son idéal. Là où la norme ne fait que conseiller implicitement ce qui pourrait améliorer l'acquisition naturelle du langage, la surnorme elle, par une codification qui se veut explicite, exige une uniformisation linguistique.

Par cette pression sur la langue courante, la surnorme garantit son maintien dans le discours politiquement correct qui présente alors la standardisation du langage, non plus comme un idéal inaccessible, mais bien comme une réalité plausible, puisque tout refus aux valeurs dictées par la surnorme apparaît incorrect, impropre.

Le langage politiquement correct, dans ses extrêmes, voue donc sa préférence à la morale, et non à l'idée.

L'idéologie qu'impose la surnorme passe par la croyance illusoire d'une langue standard qui, se réalisant par automatisme permettrait de lutter contre l'impureté, la saleté d'un discours sous-normé.

Instaurant un semblant de hiérarchie linguistique, le langage politiquement correct, fort de sa norme et de sa surnorme, se présente comme un idéal à atteindre. Sorte de modèle-référence, il inclut en tous une idée nouvelle : il ne suffit plus de « bien penser », il faut dorénavant « penser mieux ».

La surnorme s'infiltre donc dans les esprits puis dans la langue, via un système linguistique niant l'existence de certains termes, telle une théorie du chaos.

Et nous allons vite constater que le politiquement correct, dans son état général, et quel que soit son statut, se lie autour d'un même schéma : de la langue de bois à la préciosité, un seul et même regard est porté sur la langue, celui de la norme incluant la notion de mot tabou.

Derrière ses idéaux inattaquables, il semble que le politiquement correct ait un nouveau dessein, instaurer un état policier dans la langue.

De la surnorme à la censure, il n'y a donc qu'un pas ...

* 74 F. de Saussure, Cours de linguistique générale

* 75 Petit Robert, 1975

* 76 Id.

* 77 Saussure, op.cit

* 78 Petit Robert, 1975

* 79 F.de Saussure, Cours de linguistique générale

* 80 Idée développée par R.Beauvais, L'Hexagonal..., p.140

* 81 Définition du Petit Robert 1975

* 82 Néologisme emprunté à J. Pruvost et étudié dans le cadre du séminaire « Langue et Société » de 2e semestre (2006), Faculté des Chênes à Cergy-Pontoise.

* 83 Article « idiome », Petit Robert, 1975

* 84 P.Charaudeau, Dictionnaire de l'analyse du discours

* 85 www.linguistes.com

* 86 P. Seriot, Mots

* 87 Id.

* 88 Ce qualificatif assigné au politiquement correct est relativement récurrent, à diverses époques, et selon divers auteurs.

* 89 Publiée en 1990 sous l'intitulé, Le prêt à penser ...

* 90 À ce sujet, Le prêt à penser..., p.25-26

* 91 U. Windisch, op.cit.

* 92 In Stéréotypes ..., p.114

* 93 U.Windisch, Le prêt à parler...

* 94 In Sauve qui peut la langue

* 95 In Le français, Histoire d'un dialecte..., chapitre 6

* 96 Id., p.207

* 97 Citée par A.Semprini, Le multiculturalisme, chap. III

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe