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La place de l'affaire Eichmann dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah en France au début des années 1960

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par Patrick Gillard
Université libre de Bruxelles - Licencié en histoire 2009
  

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La couverture médiatique du procès

À l'évidence, l'énorme retentissement que le procès Eichmann a dans le monde au début des années 1960 ne se justifie pas seulement par le contexte globalement antisémite dans lequel il s'inscrit. Cette portée mondiale s'explique surtout par la large couverture médiatique dont il fait alors l'objet. En réalité, les effets de ces deux éléments d'explication se complètent et se renforcent mutuellement.

Comme l'explique l'historien et réalisateur Christian Delage dans son ouvrage consacré au rôle des images dans les prétoires : « Étant donné l'enjeu particulier du procès organisé par l'État d'Israël », il « devait donc être médiatisé de manière à pouvoir largement informer la société israélienne comme l'opinion internationale du contenu des débats » 173(*). Par conséquent, ainsi que le rappellent les historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka dans le texte d'une conférence déjà signalée : « Ce procès a été intégralement filmé en vidéo pour être diffusé de par le monde grâce à la popularisation d'un nouveau médium, la télévision 174(*). »

Outre l'aménagement d'une importante infrastructure d'accueil à Jérusalem, la couverture médiatique escomptée exige la présence massive et prolongée sur place de nombreux journalistes locaux et du monde entier, ainsi que l'utilisation d'équipements technologiques télévisuels performants -- tant en Israël pour le filmage que dans le monde pour les retransmissions.

Or, chaque nation y envoie un certain nombre de reporters pour un laps de temps relativement court. De même, le pourcentage de ménages déjà équipés d'un récepteur de télévision diffère alors beaucoup d'un pays à l'autre. Ces dissemblances territoriales ont d'inévitables répercussions sur l'ampleur de la couverture médiatique de chaque pays et pèsent lourdement sur le retentissement national du procès.

Celui-ci s'ouvre le 11 avril 1961 dans la salle de spectacle reconvertie en tribunal de la Beth Ha'am (Maison du Peuple) à Jérusalem. Il s'agit d'un immeuble de quatre étages tout spécialement aménagé et sécurisé en vue du procès 175(*). Comme le raconte par le menu Frédéric Pottecher, l'envoyé spécial de la Radiodiffusion-télévision française (RTF), dans un article du 1er mai 1961 : « Ce haut bâtiment élégant et massif, où Eichmann vit, d'où nous expédions nos câbles, nos émissions de radio, où nous rédigeons nos comptes rendus, comporte une charmante salle de réunions, avec une galerie et une scène 176(*)»

Pour bénéficier de la plus large couverture possible, les organisateurs réservent aux journalistes l'accès prioritaire à quatre cent soixante-quatorze places sur les quelque sept cent cinquante que compte au total la salle du tribunal -- celles qui restent étant presque toutes attribuées à des invités 177(*). La Beth Ha'am abrite également une grande salle de presse que le poète israélien Haïm Gouri qualifie de façon amusante dans son journal de « cave de la presse » parce qu'elle occupe le sous-sol de l'édifice 178(*).

C'est là -- dans cette « cave » -- que le poète-journaliste s'ébahit de voir « l'industrie de l'information fonctionner à une cadence insensée » 179(*). Chaque jour d'audience, la salle de conférence du couvent français voisin de Ratisbonne accueille elle aussi quelque six cents personnes, leur offrant ainsi la possibilité de suivre sur grand écran la retransmission télévisée en direct mais en circuit fermé des débats 180(*).

Quelle est l'affluence aux audiences ? Sans compter les téléspectateurs locaux qui les suivent depuis la salle « généralement pleine » 181(*) du couvent de Ratisbonne, Jacob Robinson, l'un des adjoints du procureur général Gidéon Hausner, estime que dans l'ensemble « 85 000 personnes accédèrent aux 121 sessions du tribunal » 182(*) -- ce qui donne en moyenne environ sept cents individus à la fois.

Un taux si élevé de fréquentation est-il vraisemblable ? Il n'y a aucune raison d'en douter. Aux moments clés du procès (séance d'ouverture, contre-interrogatoire de l'accusé, centième audience), l'affluence des gens est telle qu'une partie du public qui espère accéder à la salle de justice n'a sans doute pas la possibilité de le faire 183(*). Au contraire, lorsque la procédure juridique ennuie comme au cours des premières sessions, la salle du tribunal se vide alors « au deux tiers » -- rapporte Annette Wieviorka 184(*). Qui pis est, en raison d'une projection d'images d'archives, l'audience du 8 juin 1961 a même exceptionnellement lieu -- sécurité oblige, insiste Christian Delage -- « dans une salle vide de tout public » 185(*).

Mais en général, la salle du tribunal est plutôt bien remplie. Elle l'est d'autant plus facilement que, comme le souligne à deux reprises Haïm Gouri dans son journal déjà cité, « les places laissées vacantes par les journalistes étrangers » partis couvrir d'autres événements de par le monde sont systématiquement « occupées par nos compatriotes » 186(*). En somme, le public est presque toujours aussi nombreux même si sa composition s'est fondamentalement modifiée au fil des séances 187(*).

Il demeure par ailleurs impossible tant les estimations divergent de savoir combien de journalistes couvrent le procès à Jérusalem 188(*). À ce sujet, Joseph Kessel reste volontairement dans le vague. Lorsqu'il évoque le nombre de journalistes présents le 11 avril 1961 à l'ouverture, l'envoyé spécial de France-Soir note prudemment que « des centaines et des centaines de reporters étaient là, envoyés par les journaux du monde entier 189(*). »

Indépendamment de la question somme toute dérisoire du nombre exact de journalistes couvrant le procès sur place, il n'y a aucun doute qu'à l'exception de rares audiences clés, ces derniers aient été dans l'ensemble moins nombreux au fil des séances 190(*). D'ailleurs, comme le fait observer le réalisateur Christian Delage dans son livre déjà évoqué : « deux semaines après le début du procès, un grand nombre de correspondants de la presse internationale quittèrent Jérusalem, appelés par la couverture d'autres événements » 191(*).

En l'absence d'une télévision nationale dans l'État hébreu, le groupe de plus en plus réduit de journalistes présents sur place doit logiquement se composer en majorité de représentants de la presse écrite et radiophonique israélienne 192(*). Forte de « plus de cinquante journalistes », si le témoignage de Joseph Kessel est digne de foi, la délégation allemande forme sans conteste le plus gros groupe national d'envoyés spéciaux permanents à Jérusalem 193(*). En comparaison, les effectifs connus de la délégation journalistique française paraissent bien faibles.

Outre Joseph Kessel et Frédéric Pottecher, les envoyés spéciaux respectifs susmentionnés de France-Soir et de la RTF, combien de journalistes français couvrent le procès sur place 194(*) ? Dans la brève revue de presse qu'il publie à chaud dans le périodique du CDJC, le journaliste Albert Stara signale que Libération y délègue Madeleine Jacob et Sud-Ouest Jean Bernard-Derosne 195(*).

L'historienne Annette Wieviorka révèle l'identité de deux autres envoyés spéciaux français. France-Observateur y dépêche Roger Vailland, tandis que Le Monde qui dispose déjà des services d'un correspondant sur place en la personne d'André Scemama y expédie Jean-Marc Théolleyre 196(*). Selon ce décompte certes incomplet mais peut-être indicatif, au moins une demi-douzaine de journalistes français auraient donc été envoyés pendant un certain temps à Jérusalem.

Dans le cadre de cette étude, il ne nous appartient pas essentiellement pour deux raisons de revenir de façon détaillée sur la problématique du filmage du procès et de sa retransmission à la télévision. D'une part, plusieurs historiens ont déjà sérieusement examiné la question 197(*). De l'autre, cette problématique ne revêt pas en France l'importance considérable qu'elle a dans d'autres pays -- à commencer par les États-Unis. De l'aveu même des historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka qui ont étudié le sujet, la France « commence à s'équiper de téléviseurs » en 1961 et « la RTF, qui a le monopole d'État, achète peu d'images » du procès 198(*).

Au début des années 1960, les États-Unis mènent la course à l'audiovisuel avec une confortable avance sur tous leurs concurrents. Comme le précise l'historien Pierre Melandri dans l'importante monographie qu'il vient de consacrer à l'histoire contemporaine de ce pays : « dès le milieu des années 1950, quelque 500 stations, rattachées aux trois grands réseaux, ABC, NBC et CBS, desservent les récepteurs installés dans 40 millions de foyers » 199(*).

Les chiffres que l'historienne et sociologue des médias lsabelle Veyrat-Masson donne dans son histoire du petit écran français ne soutiennent pas la comparaison avec les statistiques américaines : même si « la vente des récepteurs décolle à partir de 1953 », cette année-là, seulement « 53 794 postes sont en service ; un an après, on en compte 125 000 200(*). »

Malgré de fortes disparités nationales, le procès qui s'ouvre le 11 avril 1961 à Jérusalem retrouve sans tarder l'apogée médiatique que l'affaire avait déjà atteint après le 23 mai 1960 -- lorsque le Premier ministre Ben Gourion annonce la capture d'Eichmann à la Knesset. Le filmage de l'ensemble des sessions du tribunal et la retransmission en léger différé d'une partie de ces images à la télévision de nombreux pays contribuent largement à ce nouvel apogée médiatique. Ici non plus, rien n'avait été laissé au hasard.

Dès le 8 novembre 1960, comme le fait remarquer le réalisateur Christian Delage dans son ouvrage déjà indiqué, le gouvernement israélien passe « un contrat d'exclusivité [...] avec la société américaine Capital Cities Broadcasting Corporation, basée à New York, pour filmer le procès Eichmann et le diffuser à la télévision et au cinéma » 201(*).

Comme le souligne encore Christian Delage : « Le contrat précisait ainsi l'enjeu de l'opération : «On peut prévoir que ledit procès Eichmann sera un événement d'intérêt public mondial et qu'une large diffusion des audiences du procès à travers tous les moyens de communication disponibles est un objectif social hautement souhaitable 202(*).» » Autant dire que le mécanisme de la prophétie auto-réalisatrice a plutôt bien fonctionné.

Si notre source d'informations était fiable, les répercussions de la diffusion des séquences filmées du procès seraient alors quantitativement très impressionnantes. Le professeur Jeffrey Shandler rapporte dans un ouvrage dont il sera question plus loin les propos de Milton Fruchtman, l'un des producteurs exécutifs de Capital Cities, selon lesquels trente-huit pays auraient commandé et utilisé ces séquences et environ quatre-vingts pour cent de l'ensemble des téléspectateurs de la planète en auraient vu au moins quelques images 203(*).

La vaste couverture médiatique dont le procès fait alors l'objet entre pourtant en concurrence directe avec de nombreux autres événements d'actualité -- toujours susceptibles de lui faire de l'ombre, voire de l'éclipser momentanément de la une des journaux 204(*). Quelques exemples contemporains des premières sessions du tribunal suffiront pour le démontrer.

Le 12 avril 1961 d'abord, un nom domine largement l'actualité internationale. Il ne s'agit pas comme on pourrait s'y attendre d'Adolf Eichmann mais bien plutôt de Youri Alexeievitch Gagarine -- un cosmonaute soviétique entré du jour au lendemain dans l'histoire universelle comme le premier homme envoyé dans l'espace 205(*). Du 17 au 20 avril 1961 ensuite, le débarquement dans la baie des Cochons de contre-révolutionnaires cubains soutenus par les États-Unis échoue. Cet épisode aux répercussions internationales incalculables fera encore les gros titres des nouvelles du monde longtemps après l'échec de cette tentative de renversement de Fidel Castro 206(*).

Du 21 au 25 avril 1961 enfin, le putsch d'Alger échoue lui aussi. Cette tentative de coup d'État militaire qui entendait maintenir l'Algérie française fait elle aussi longtemps la une des journaux -- en particulier en France 207(*). Comme le souligne l'historien Maurice Vaïsse dans l'ouvrage qu'il consacre spécialement à cet épisode de la guerre d'Algérie : « Le retentissement de l'événement est tel que l'annonce du putsch éclipse toutes les autres nouvelles, qui ne manquent cependant pas d'intérêt : le premier vol d'un homme dans l'espace, le Soviétique Youri Gagarine ; l'échec du débarquement d'exilés anticastristes à Cuba, la crise congolaise qui n'en finit pas, les audiences du procès Eichmann 208(*). »

Quelle est l'ampleur de la couverture médiatique du procès en France et dans les autres pays diversement touchés par cette affaire -- à commencer par l'État hébreu ?

Israël

Comme l'affirme le journaliste Amos Elon dans le « portrait » déjà mentionné : « L'intérêt du public pour le procès avait été constant 209(*)» Les médias israéliens en parlaient, il est vrai, de façon incessante. Dans l'étude spécifique qu'elle consacre à la couverture de presse de quatre procès liés à l'holocauste, une équipe internationale de quatre chercheurs démontre que la couverture du procès Eichmann atteint une ampleur inégalée en Israël 210(*). Trois décennies plus tôt, Amos Elon arrivait intuitivement à la même conclusion. Comme il le note dans l'ouvrage cité plus haut : « Pendant toute une année, les journaux en avaient empli des colonnes quasi quotidiennement. Une grande partie des débats avait été transmise en direct par la radio. » 211(*)

La couverture médiatique sans précédent dont il fait l'objet et l'intérêt régulier qu'il suscite auprès de la population expliquent pourquoi tant d'historiens regardent ce procès comme un tournant majeur dans la relation des Israéliens à la Shoah. Ses conséquences dans l'État hébreu sont d'ailleurs multiples et capitales. Personne à notre connaissance ne les a mieux mises en lumière que l'historienne Idith Zertal.

D'un côté, comme bon nombre de jeunes israéliens de sa génération, cette affaire l'a profondément marquée à titre personnel 212(*). De l'autre, comme c'est le cas pour beaucoup d'historiens de son pays, elle occupe une place centrale dans ses recherches. Lorsqu'elle s'exprime en tant qu'historienne, Idith Zertal prétend par exemple que « l'affaire Eichmann a complètement bouleversé le langage et les images d'Israël 213(*). » À ses yeux, comme elle le note dans son ouvrage déjà signalé : « Tout fut remis en discussion en relation avec le procès : la politique israélienne, la jeunesse israélienne, le judaïsme mondial, la journée de commémoration de la Shoah, les leçons du génocide, les Arabes et la sécurité d'Israël 214(*). » Bref, elle tient ce procès pour « un des événements constitutifs majeurs de l'État d'Israël » 215(*).

États-Unis

Aux États-Unis, les séquences filmées du procès exercent une grande influence sur l'opinion publique. Deux raisons expliquent cela. D'une part, la société Capital Cities qui filme le procès a son siège à New York. De l'autre, les images quotidiennes des audiences entrent facilement dans des foyers américains pour la plupart déjà équipés d'un récepteur de télévision.

Comme l'affirme le professeur Jeffrey Shandler dans l'ouvrage qu'il consacre à la manière dont les États-Unis télévisent l'holocauste : « Les diffuseurs américains ont assuré une couverture télévisée du procès Eichmann plus large que n'importe quelle autre nation ne l'a fait » 216(*). Quelles étaient la fréquence et la durée de ces émissions ? Redonnons la parole à Jeffrey Shandler : « Si des diffuseurs ont présenté au maximum une heure de séquences du procès par jour pendant le déroulement des audiences, la plupart ont fait beaucoup moins 217(*). » Ces émissions rencontraient-elles un grand succès ? Toujours selon Shandler, elles « attiraient de larges audiences et suscitaient beaucoup d'intérêt » 218(*).

La place particulière que la télévision occupe dans la couverture médiatique du procès aux États-Unis n'empêche cependant pas les autres médias de ce pays de couvrir eux aussi largement les sessions du tribunal 219(*).

Cette large couverture du procès aurait entraîné, comme le note l'historienne Françoise Ouzan dans son livre sur les Américains juifs, « de multiples conséquences aux États-Unis » 220(*). Dans son ouvrage déjà cité sur l'évaluation de la place du génocide dans la société américaine, l'historien Peter Novick arrive à la conclusion que « l'aspect le plus important du procès Eichmann est que, pour la première fois, ce que nous appelons désormais l'Holocauste ait été présenté à l'opinion américaine comme une entité à part entière, distincte de la barbarie nazie en général » 221(*).

République fédérale d'Allemagne

Le quatuor de chercheurs qui a quantitativement comparé la couverture de presse de quatre procès liés à l'holocauste se fonde sur un article de 1961 pour affirmer que, contrairement à ce que l'on pourrait penser, « après Israël, c'est en Allemagne de l'Ouest que l'on a accordé la plus grande attention au procès Eichmann » 222(*). [notre traduction] À leurs yeux, comme ils le notent dans cette étude déjà évoquée : « Le fait que les journaux allemands aient temporairement envoyé leurs propres correspondants à Jérusalem prouve qu'ils avaient perçu l'importance de ce procès 223(*). » [notre traduction]

En RFA, la couverture médiatique du procès ne se confond cependant pas avec celle de la presse écrite. Indépendamment du rôle joué par la radio, Jean-Paul Bier insiste sur l'importance de la couverture de la télévision. Comme le signale le germaniste belge dans l'ouvrage pionnier qu'il consacre à la place du génocide dans l'idéologie de ce pays : « Durant tout le procès, la TV allemande rendit compte de celui-ci à raison d'une demi-heure deux fois par semaine 224(*). » Ces nouvelles données semblent crédibiliser les allégations de Devin O. Pendas de l'université de Chicago selon lesquelles « 95 % d'Allemands [...] avaient suivi le procès Eichmann » 225(*).

Un tel retentissement entraîne d'inévitables conséquences. Comme le note Hannah Arendt dans son reportage sur la banalité du mal : « il n'y a aucun doute qu'en Allemagne plus qu'ailleurs le procès Eichmann eut des conséquences d'une grande portée » 226(*). Celles-ci se manifestent avant tout dans le domaine de la justice -- plus particulièrement en ce qui concerne l'arrestation et le jugement d'autres criminels nazis.

Comme le souligne de manière frappante Simon Wiesenthal dans son autobiographie : « au lendemain du procès d'Eichmann, l'Allemagne commença à se pencher sur les crimes nazis avec une conscience professionnelle aussi irréprochable que celle avec laquelle ils avaient été commis » 227(*). Mais ce procès a aussi des retombées dans d'autres domaines -- comme dans l'enseignement par exemple 228(*).

France

Aucune étude n'examine à notre connaissance la portée du procès Eichmann en France. Notre perception de sa couverture médiatique se résume jusqu'ici à la présence sur place d'au moins une demi-douzaine d'envoyés spéciaux et à l'achat de quelques séquences filmées par la télévision. Autant dire qu'elle ne soutient pas la comparaison avec celle des trois autres pays étudiés ici.

Trois sources soulèvent pourtant un coin du voile qui recouvre sa couverture médiatique dans l'Hexagone. La nouvelle publication du reportage de Joseph Kessel présente les onze articles que l'envoyé spécial de France-Soir signe du 12 avril au 16 juillet 1961 229(*). Le livre d'Annette Wieviorka sur le procès mentionne incidemment quelques articles parus à son sujet dans le journal Le Monde 230(*). Bien qu'elle fasse de l'aveu même de son auteur « simplement écho à quelques articles de la presse de langue française », la revue de presse que le journaliste Albert Stara publie sans tarder dans le périodique du CDJC éclaire quelque peu les premières semaines de cette couverture 231(*). Cette revue de presse mérite quelque attention.

Quelles sont les objectifs d'Albert Stara -- en son temps également secrétaire général des Amis de la République française en Israël ? Comme il l'explique lui-même dans son introduction, il entend avant tout « offrir au lecteur un tableau sommaire, mais quand même édifiant des réactions des divers secteurs de l'opinion qui, par-delà la multiplicité des tendances et des positions politiques ou philosophiques, a témoigné d'une égale sensibilité frémissante devant l'évocation de la carrière meurtrière d'Eichmann, des atrocités et des horreurs qui portent sa signature » 232(*).

Parvient-il à prouver l'existence d'une certaine unanimité au sein de la presse francophone ? Comme il le note en conclusion, même s'il est « parfaitement conscient des lacunes de [son] tour d'horizon », celui-ci suffira, espère-t-il, « à rendre sensible l'unanimité qui s'est faite en France sur le procès Eichmann par la voix des journaux qui témoignent des sentiments de leur public » 233(*).

Son argumentation suscite quelques commentaires. Annette Wieviorka a montré que L'Humanité -- le quotidien du Parti communiste français -- ne calquait pas ses prises de position sur celles des autres organes de presse. Le prétendu consensus des journaux français n'entraîne pas pour autant l'assentiment de leur lectorat. Somme toute, comme Albert Stara le reconnaît lui-même, son échantillon est beaucoup trop modeste pour être représentatif.

Quelle que soit la largeur du consensus médiatique en France, de nombreux obstacles empêchent le procès d'y avoir le retentissement maximum. Peu après l'ouverture du procès, comme le note l'historienne Annette Wieviorka dans l'ouvrage qu'elle lui a consacré, l'envoyé spécial Jean-Marc Théolleyre s'interroge à ce sujet dans les colonnes du journal Le Monde : « Faut-il croire que tout conspire à effacer ce procès de l'actualité ? Au moment où il s'ouvrait le général de Gaulle prononçait une conférence de presse, et les Russes envoyaient le premier homme dans la lune [sic]. Aujourd'hui, voilà que Cuba retient de nouveau l'attention de l'opinion, et qu'en Israël une sombre affaire d'espionnage préoccupe les esprits. » 234(*)

Quelles sont les conséquences de l'affaire Eichmann en France ? Elles se manifestent surtout dans le domaine culturel par la sortie de nouveaux films et par la publication de nouveaux livres 235(*).

L'ouvrage que l'historienne et réalisatrice Claudine Drame a récemment consacré aux représentations de la Shoah au cinéma français apportent d'intéressantes réponses à nos interrogations 236(*). À ses yeux, l'année 1961 politiquement marquée en France non seulement par le procès Eichmann mais aussi et surtout par la guerre d'Algérie se caractérise au cinéma français par « une résurgence d'une mémoire de Vichy, de la déportation et du génocide » 237(*).

Ce contexte politique explique pourquoi Le Temps du Ghetto, le premier long métrage de Frédéric Rossif, sort en salles à la fin de cette année-là. Le procès de Jérusalem influence aussi directement la réalisation de ce film. Comme le souligne Claudine Drame dans le même ouvrage en se référant tout particulièrement au virage mémoriel que constitue le procès : « On ne peut pas ne pas mettre ce tournant en relation avec l'initiative de Rossif d'introduire dans son film -- qui est exactement contemporain de cette actualité -- des témoignages de survivants 238(*). »

La résurgence mémorielle que Claudine Drame voit poindre dans les films en France au tournant des années 1960 se double d'une percée dans la littérature française. À l'entendre, celle-ci « est encore plus nette » 239(*). Selon différents décomptes, une vingtaine ou une trentaine de livres sur Eichmann paraissent alors aussi en France et un peu partout dans le monde 240(*). Dans un article qu'il publie dans la revue du CDJC, Léon Poliakov s'interroge à chaud sur les raisons de cette soudaine prolifération. Après en avoir cherché les explications dans le mécanisme de « la loi de l'offre et de la demande », l'avoir replacée dans le contexte des succès littéraires liés au génocide antérieurs à l'arrestation d'Eichmann, l'historien finit par se demander si « les esprits s'éveillent de leur illusoire quiétude, et commencent à s'interroger » sur la destruction des Juifs 241(*).

* 173 Christian DELAGE, op. cit., pp. 235-236.

* 174 Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 77.

* 175 Shandler en donne la description la plus complète dans son ouvrage consacré à la télédiffusion de l'holocauste aux États-Unis. (Jeffrey SHANDLER, op. cit., p. 90) Manifestement impressionnée par les mesures de sécurité prises par les autorités locales, Arendt note dans son reportage que, « pendant le procès, cette Beth Ha'am (Maison du Peuple) est entourée de hautes barrières et gardée, du toit jusqu'au sous-sol, par des policiers armés jusqu'aux dents. » (Hannah ARENDT, op. cit., p. 13) La sécurisation du bâtiment frappe tellement Kessel qu'il n'hésite pas à le comparer à un « blockhaus ». (Joseph KESSEL, op. cit., p. 141)

* 176 Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 57.

* 177 Christian DELAGE, op. cit., p. 243.

* 178 Haïm GOURI, op. cit., p. 15.

* 179 Ibid. « Au sous-sol est aménagée une salle de presse, avec téléscripteurs, téléphones, circuit de télévision intérieur, bar, restaurant. » (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 35) L'activité incessante et organisée qui règne dans cette grande salle de presse n'a pas échappé à Kessel. (Joseph KESSEL, op. cit., p. 203) Le procès étant entièrement filmé, la régie est logée dans un bâtiment extérieur. « En face du tribunal, dans les étages supérieurs d'une banque, avait été installé le studio où allait se trouver le réalisateur. » (Christian DELAGE, op. cit., p. 242)

* 180 Jeffrey SHANDLER, op. cit., pp. 90-91 ; Christian DELAGE, op. cit., p. 243. Sur l'absence de télévision nationale israélienne, voir infra.

* 181 Tom SEGEV, op. cit., p. 412.

* 182 Jacob ROBINSON, And The Crooked Shall Be Made. The Eichmann Trial, the Jewish Catastrophe, and Hannah Arendt's Narrative [Et le tordu sera redressé. Le procès Eichmann, la catastrophe juive, et le récit d'Hannah Arendt], The Macmillan Company, New York, 1965, p. 137 -- cité par Christian DELAGE, op. cit., p. 275, n. 2. Les gens assistaient-ils à une ou à plusieurs audiences ? « Une minorité d'entre [eux] vint sûrement plusieurs fois, mais l'on peut supposer que, dans l'ensemble, le public changeait tous les jours, venant non seulement de Jérusalem mais aussi de l'ensemble du pays et de l'étranger. » (ibid.)

* 183 Le 9 juillet 1961 -- le jour où commence le contre-interrogatoire d'Eichmann --, s'étonne Gouri dans son journal du procès, « la salle est bondée. (...) Atmosphère solennelle et effrayante, qui rappelle le premier matin de ce procès, vieux de déjà trois mois. » (Haïm GOURI, op. cit., p. 210) Pour une relation détaillée de ce contre-interrogatoire, voir Joseph KESSEL, op. cit., pp. 199-219. Dix jours plus tard -- le jour de la centième audience --, le poète israélien manifeste encore son ébahissement devant l'affluence du public : « La salle est pleine aujourd'hui jusqu'au dernier siège. Jamais encore je ne l'avais vue aussi bondée. Je sais que certains de ceux qui sont assis là ont fait la queue depuis deux heures du matin pour obtenir des cartes d'entrée. » (Haïm GOURI, op. cit., p. 232)

* 184 Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 40.

* 185 Christian DELAGE, op. cit., p. 290. « Pour des raisons de sécurité, en effet, seuls les journalistes et les invités purent assister à l'audience ce matin-là. » (ibid.) C'est au cours de cette séance qu'a lieu une projection du film Nuit et Brouillard d'Alain Resnais. Sur cette projection « singulière », voir Sylvie LINDEPERG, Nuit et Brouillard. Un film dans l'histoire, Odile Jacob, Paris, 2007, pp. 216-222.

* 186 Haïm GOURI, op. cit., pp. 67 et 88.

* 187 Pour le grand public, « il était devenu plus facile d'accéder au tribunal, ce qui modifia notablement l'ambiance du procès ». (Christian DELAGE, op. cit., p. 275) Le 19 mai 1961, « en contemplant le public qui remplit les travées de la salle et de la galerie, on a une coupe exacte de la population israélienne. » (Haïm GOURI, op. cit., p. 88)

* 188 Si elles portent bien sur les mêmes groupes socio-professionnels, les différentes estimations en notre possession vont presque du simple au double. L'historien Tom Segev, sur les chiffres duquel se fondent la plupart de ses homologues français, compte « six cents journalistes étrangers venus couvrir le procès ». (Tom SEGEV, op. cit., pp. 405 et 407) Par contre, l'avocat Pierre Papadatos ne dénombre que « 350 correspondants de la presse étrangère ». (Pierre A. PAPADATOS, op. cit., p. 8)

* 189 Joseph KESSEL, op. cit., p. 137. Ni Kessel ni Gouri ne tombent dans le piège. Pour souligner le grand nombre de journalistes présents à Jérusalem, ils utilisent tous les deux des comparaisons. Le premier qui avait déjà suivi les grands procès d'après-guerre en Allemagne note avec prudence qu'« il y en avait deux fois plus qu'à Nuremberg où, pourtant, l'on avait vu, au banc des criminels de guerre, Goering et Ribbentrop, le maréchal Keitel et Kaltenbrunner, chef de la Gestapo. » (ibid.) Le second rapporte les propos d'un ami officier de police qui lui aurait dit le 12 avril 1961 : « C'est la plus forte concentration de journalistes qu'on ait jamais vue. Il y a ici davantage de journalistes qu'aux Nations Unies le jour du discours de Khrouchtchev. » (Haïm GOURI, op. cit., p. 15)

* 190 Certains en Israël, comme un proche d'Hausner par exemple, pronostiquaient dès le départ la défection rapide de nombreux journalistes étrangers. « La plupart ne resteront qu'une semaine et n'assisteront même pas au début du procès proprement dit ». (Tom SEGEV, op. cit., p. 407)

* 191 Christian DELAGE, op. cit., p. 275.

* 192 Amos ELON, op. cit., p. 301 ; Tom SEGEV, op. cit., p. 412 ; Jeffrey SHANDLER, op. cit., p. 91. Pour bon nombre d'historiens, comme Delage par exemple, « c'est d'abord en écoutant la radio nationale, Kol Yisroel («La voix d'Israël») que l'on pouvait suivre les audiences en direct et en continuité ». (Christian DELAGE, op. cit., p. 243)

* 193 Joseph KESSEL, op. cit., p. 147. La RFA semble effectivement le pays qui dépêche le plus grand nombre de reporters à Jérusalem. (Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., p. 17) Alors que « la plupart des journalistes étrangers sont repartis », souligne Gouri à la date du 19 mai 1961 dans son journal, les journalistes « allemands sont presque tous restés ». (Haïm GOURI, op. cit., p. 87)

* 194 Résidant à Jérusalem au moins d'avril à juillet 1961, Kessel y couvre visiblement la plus grande partie du procès pour le compte de France-Soir. (Joseph KESSEL, op. cit., pp. 7 et 228) La durée du séjour en Israël des autres envoyés spéciaux français nous échappe.

* 195 Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 102 et 103. Bien qu'ils ne soient pas qualifiés d'envoyés spéciaux, Jacques Roisel et François de Montfort, apparemment présents sur place au début du procès, livrent aussi leurs impressions à des journaux de l'Hexagone -- le premier à La France Catholique, le second à l'Est Républicain. (ibid., pp. 100-101 et 104)

* 196 Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 35 et 105.

* 197 Jeffrey SHANDLER, op. cit., pp. 83-132 ; Christian DELAGE, op. cit., pp. 235-245, 273-280, 289-296 ; Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., pp. 77-108.

* 198 Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 78.

* 199 Pierre MELANDRI, op. cit., p. 373. « En 1965, le pourcentage des ménages disposant d'un récepteur atteint les 94 % et, chaque jour, les Américains passent en moyenne plus de 5 heures devant le petit écran. » (ibid., pp. 399-400)

* 200 Isabelle VEYRAT-MASSON, Quand la télévision explore le temps. L'histoire au petit écran 1953-2000, Librairie Arthème Fayard, Paris, 2000, p. 42. « Le nombre de récepteurs double tout de même d'année en année entre 1954 et 1967. Alors qu'en 1953 le taux d'équipement des foyers est de 1 %, il atteint 13 % en 1960 et 45 % en 1965. » (ibid., p. 44)

* 201 Christian DELAGE, op. cit., p. 236.

* 202 Ibid.

* 203 Jeffrey SHANDLER, op. cit., p. 91. Israël, où la télévision nationale fait seulement ses premiers pas en 1968, ne fait donc pas partie de ces trente-huit pays. (Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., p. 15)

* 204 Même le jour de l'ouverture du procès, le 11 avril 1961, le journal Le Monde ne lui consacre pas sa une. Ce jour-là, il « consacre son éditorial à la réélection de Ngo Dinh Diem à la présidence de la République du Vietnam (Sud), et le principal article de sa première page à une conférence de presse du général de Gaulle ». (Claude DELMAS, Cuba : de la Révolution à la Crise des fusées, Éditions Complexe, Bruxelles, 2006, p. 67) Sur la conférence en question, voir infra.

* 205 Sur le premier vol spatial habité autour de la Terre, voir par exemple Arthur CONTE, L'Aventure européenne. De Louis XVI à Gagarine, Librairie Plon, Paris, 1979, pp. 368-369.

* 206 Sur l'échec du débarquement dans la baie des Cochons, voir Claude DELMAS, op. cit., pp. 43-85.

* 207 Sur le putsch d'Alger, voir Maurice VAÏSSE, Alger, le Putsch, Éditions Complexe, Bruxelles, 1983, pp. 15-49.

* 208 Maurice VAÏSSE, op. cit., p. 99. Sur la crise congolaise, voir Ludo DE WITTE, L'Assassinat de Lumumba, Éditions Karthala, Paris, 2000, 415 p. Il serait intéressant de vérifier si cette crise fait obstacle au retentissement de l'affaire Eichmann en Belgique, comme la guerre d'Algérie le fait en France.

* 209 Amos ELON, op. cit., p. 301.

* 210 Ce groupe de chercheurs a étudié les couvertures de presse de quatre grands procès : Nuremberg (1945), Eichmann (1961), Auschwitz (Francfort, 1964) et Demjanjuk (Jérusalem, 1986). Le lecteur qui souhaite apprécier l'ampleur de la couverture de presse du procès Eichmann en Israël consultera donc avantageusement leur ouvrage. (Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., pp. 17, 102 et 138) Le moment de mettre un point final à cette étude coïncide avec l'ouverture, le 30 novembre 2009 à Munich, du nouveau procès Demjanjuk. Son procès de 1986 ne fut qu'une mascarade. Sur cette mise en scène fallacieuse, voir Tom SEGEV, op. cit., pp. 479-485.

* 211 Amos ELON, op. cit., p. 301. « Un sondage des personnes à l'écoute fut réalisé le premier jour du procès : 60 pour 100 de tous les Juifs israéliens de plus de quatorze ans avaient écouté au moins une des deux audiences ; 38 pour 100 avaient suivi les deux, la plupart d'entre eux pendant toute la durée de l'émission. » (ibid.)

* 212 « Lycéenne à l'époque », explique-t-elle, « je peux témoigner à titre personnel que le procès est un événement qui nous a fortement influencés, moi et mes camarades. Bien que mon père ait servi comme soldat en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, qu'il ait travaillé avec des survivants juifs après la guerre et qu'il ait publié un livre sur ses expériences de guerre, et bien que toute sa famille ait été exterminée dans la Shoah, il n'en parlait jamais à la maison. Le procès Eichmann fut donc ma première rencontre avec les horreurs rapportées par les témoins et retransmises en direct à la radio. » (Idith ZERTAL, op. cit., pp. 158-159, n. 69)

* 213 Ibid., pp. 155-156.

* 214 Ibid., p. 156.

* 215 Ibid., p. 12.

* 216 Jeffrey SHANDLER, op. cit., p. 95. Il s'agit comme pour les deux citations suivantes de notre propre traduction.

* 217 Ibid., p. 93. Les images présentées aux téléspectateurs américains résultaient en réalité de plusieurs sélections ou filtres. « Les téléspectateurs virent donc une sélection d'images filmées par [le réalisateur Leo] Hurwitz, filtrées une première fois à Jérusalem, une seconde fois par les «networks», qui en proposèrent une nouvelle mise en intrigue spécialement conçue pour une audience américaine. C'est à partir de ces différents filtres qu'ils purent se faire une idée d'Eichmann. » (Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 108) Sur cet aspect, voir aussi Christian DELAGE, op. cit., p. 240.

* 218 Jeffrey SHANDLER, op. cit., p. 94. Il n'est donc pas très étonnant que bon nombre de Juifs américains, comme Norman Finkelstein ou Stuart Eizenstat par exemple, fassent remonter leurs premiers souvenirs de l'holocauste à la retransmission télévisée des audiences de ce procès. « Mon souvenir le plus lointain de l'holocauste nazi est celui de ma mère, collée devant le poste de télévision pour regarder le procès Eichmann (1961) quand je revenais de l'école. » (Norman G. FINKELSTEIN, L'Industrie de l'Holocauste : réflexions sur l'exploitation de la souffrance des Juifs, La Fabrique éditions, Paris, 2001, p. 9) « L'image télévisée d'un Eichmann impénitent témoignant imperturbablement dans son box, derrière des parois de verre à l'épreuve des balles, constitua une des premières occasions pour les Américains ordinaires, et pour moi-même, de se confronter directement à la Shoah à travers le visage d'un de ses principaux acteurs. » (Stuart E. EIZENSTAT, Une justice tardive. Spoliations et travail forcé, un bilan final de la Seconde Guerre mondiale, Éditions du Seuil, Paris, 2004, p. 27)

* 219 Jeffrey SHANDLER, op. cit., pp. 96-97 et 127-128. Sur la couverture médiatique dans l'ensemble bienveillante aux États-Unis, voir supra.

* 220 Françoise OUZAN, op. cit., p. 79.

* 221 Peter NOVICK, op. cit., p. 188.

* 222 Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., p. 17.

* 223 Ibid., p. 139. Non seulement les journalistes de la délégation allemande sont les plus nombreux, mais ils restent aussi plus longtemps sur place que les autres correspondants étrangers. Sur ces points, voir supra.

* 224 Jean-Paul BIER, Auschwitz et les nouvelles littératures allemandes, Éditions de l'université de Bruxelles, Bruxelles, 1979, p. 97, n. 1. L'auteur insiste : « Les moyens de communication de masse, et en particulier la télévision, jouèrent un rôle essentiel dans la mise en valeur de deux événements qui rendirent à l'holocauste sa douloureuse actualité : le procès Eichmann de Jérusalem en 1961 et le procès d'Auschwitz à Francfort qui dura de décembre 1963 à août 1965. » (ibid., p. 21 ) En outre le 11 avril 1961, jour d'ouverture du procès, la télévision allemande diffuse le documentaire « Auf den Spuren des Henkers. Adolf Eichmann, réalisé par Peter Schier-Gribowsky ». (Julie MAECK, op. cit., p. 66)

* 225 Devin O. PENDAS, « «Auschwitz, je ne savais pas ce que c'était». Le procès d'Auschwitz à Francfort et l'opinion publique allemande », dans Florent BRAYARD (dir.), Le Génocide des Juifs entre procès et histoire 1943-2000, Éditions Complexe, Bruxelles, 2000, p. 81.

* 226 Hannah ARENDT, op. cit., pp. 32-33.

* 227 Simon WIESENTHAL, Justice n'est pas vengeance. Une autobiographie, Éditions Robert Laffont, Paris, 1989, p. 76. Pour plus de détails sur cet aspect, voir Hannah ARENDT, op. cit., pp. 28-32.

* 228 « Le procès Eichmann de 1961 et le procès d'Auschwitz à Francfort en 1964 provoquèrent la revendication des étudiants qui voulaient avoir des cours sur le nazisme, sur les relations de l'Université et du Troisième Reich et sur le comportement des enseignants durant cette époque. » (Jean Paul BIER, op. cit., p. 97)

* 229 Joseph KESSEL, op. cit., pp. 129-221.

* 230 Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., passim. L'historienne examine aussi la couverture du journal L'Humanité « constamment critique à l'égard du procès Eichmann ». (ibid., p. 120) Selon Wieviorka, « aucun article concernant le procès Eichmann ne sera publié de façon isolée. Tous seront assortis soit d'un commentaire, soit d'un autre article sur la complicité de Bonn avec les anciens criminels nazis, et sur la complicité sur ce point du gouvernement israélien. » (ibid.) Pour plus de détails sur la couverture de la presse communiste, voir ibid., pp. 120-126.

* 231 Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 100-105.

* 232 Ibid., p. 100.

* 233 Ibid., p. 105.

* 234 Le Monde, 19 avril 1961 -- cité par Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 117. Cette conférence de presse du 11 avril, au cours de laquelle le général de Gaule annonce la fin de la colonisation de l'Algérie, est à l'origine du putsch du 21 avril 1961. (Maurice VAÏSSE, op. cit., pp. 87-88 ; Benjamin STORA, Histoire... op. cit., p. 58) Sur le putsch d'Alger, le premier vol spatial habité et les événements de Cuba, voir supra. Pour le reste, il s'agit d'Israel Beer. En 1961, il est accusé d'espionnage au service des Soviétiques. Condamné à quinze ans de prison, il y meurt en 1966. (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 76 ; The New Encyclopædia Britannica, Encyclopædia Britannica, Chicago, vol. 2, 2005, p. 45)

* 235 L'historienne Esther Benbassa n'a toutefois pas tort d'indiquer que « la réaction de la judaïcité française au procès Eichmann annonçait l'ampleur et la tonalité qu'allait prendre son identification à Israël » par la suite. (Esther BENBASSA, La Souffrance comme identité, Fayard, Paris, 2007, p. 199)

* 236 Claudine DRAME, Des films pour le dire. Reflets de la Shoah au cinéma 1945-1985, Éditions Metropolis, Genève, 2007, pp. 187-233.

* 237 Ibid., p. 214. Sur l'importance de la guerre d'Algérie dans ce contexte, voir ibid., pp. 169-170 et 213-215. Sur cette résurgence mémorielle, voir infra.

* 238 Ibid., p. 231. Pour plus de détails sur les liens entre le procès et le film, voir ibid., pp. 229-232. Trois autres films -- dont La Cage de verre de Philippe Arthuys et Jean-Louis Lévi-Alvarès -- qui sortent entre 1964 et 1967 « se situent très nettement dans le sillage du procès Eichmann » mais sont trop tardifs pour entrer en ligne de compte ici. (ibid., pp. 237-238 et 247-252)

* 239 Ibid., p. 214. Sur cette percée en littérature, voir infra.

* 240 Annette Wieviorka se fonde sur une publication israélienne pour faire remarquer qu'« entre l'annonce de l'enlèvement d'Eichmann et sa condamnation à mort, une vingtaine d'ouvrages sont publiés en Allemagne, Angleterre, aux États-Unis, en Israël, en France, en Italie, en Pologne ou en Hongrie. » (Arieh SEGAL, « Books around the Eichmann Trial », dans Yad Vashem Bulletin, n° 11, Jérusalem, avril-mai 1962, pp. 29-35 -- cité par Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 118 et 159) Léon Poliakov signale pourtant dès le début du procès qu'une trentaine d'« ouvrages consacrés à Eichmann [...] se trouvent dans la bibliothèque du CDJC ». (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 98)

* 241 Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 94. Responsables de la percée mémorielle que Claudine Drame décèle dans la littérature, les succès littéraires en question sont respectivement : André SCHWARZ-BART, Le Dernier des Justes, Éditions du Seuil, Paris, 1959, 345 p. ; Édouard AXELRAD, L'Arche ensevelie, Éditions Julliard, Paris, 1959, 351 p. ; Anna LANGFUS, Le Sel et le soufre, Éditions Gallimard, Paris, 1960, 311 p. André Schwarz-Bart obtient le prix Goncourt 1959 pour son premier roman. Anna Langfus remporte le prix Charles Veillon ; elle remportera, elle aussi, le prix Goncourt par la suite.

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