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La place de l'affaire Eichmann dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah en France au début des années 1960

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par Patrick Gillard
Université libre de Bruxelles - Licencié en histoire 2009
  

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États-Unis

Le sociologue Nathan Glazer est à notre connaissance un des premiers universitaires américains à s'intéresser aux conséquences que l'affaire Eichmann entraîne dans son pays. Comme le titre de son ouvrage de référence l'indique clairement, le chercheur y évalue avant tout les effets produits sur la communauté juive américaine 35(*).

De fait, comme il le note dans la seconde édition de son livre publiée également en français : « À partir de 1960, les Juifs américains prirent mieux conscience, par des voies diverses, du caractère monstrueux du génocide nazi. L'enlèvement d'Eichmann par les Israéliens en 1961 [sic], son procès et son exécution avaient contribué à cette prise de conscience 36(*). »

Trois décennies plus tard, dans un ouvrage faisant désormais autorité en la matière, l'historien Peter Novick détermine la place de plus en plus centrale que l'holocauste occupe depuis 1945 dans la société états-unienne 37(*). Fait remarquable, l'auteur y réduit la portée mémorielle de l'affaire Eichmann au « plus important [...] catalyseur d'un accroissement durable du discours sur l'Holocauste » dans son pays, au début des années 1960 38(*).

Dans cette évaluation, l'historien américain refuse manifestement d'employer des expressions plus fortes -- comme « une étape importante » ou « un rôle décisif » --qu'il réserve, pour bien marquer la prépondérance de leur retentissement mémoriel aux États-Unis, à des événements ultérieurs, comme les guerres de juin 1967 et d'octobre 1973 39(*).

Comment, dans ces conditions, interpréter autrement que par un règlement de compte idéologique le fait que l'historienne Françoise Ouzan formule des critiques à son endroit ? Dans sa récente contribution à un ouvrage collectif déjà indiqué dont elle assure aussi la codirection, elle reproche à son homologue américain de « privilégier » pour des raisons idéologiques « l'impact du procès Eichmann et surtout de la Guerre des Six Jours » dans son interprétation du processus d'élaboration de la mémoire de l'holocauste aux États-Unis 40(*).

Lorsqu'elle appréhende elle-même cette construction mémorielle, Françoise Ouzan insiste d'abord sur « une existence précoce de ce processus d'édification et une évolution marquée par un passage de la sphère privée à la sphère publique dans laquelle le procès Eichmann télévisé opère un déclic » 41(*). Pour quelle raison transforme-t-elle par la suite ce simple déclic en « un élément essentiel dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah » aux États-Unis 42(*) ?

L'étude, que publie le professeur de littérature Alan Mintz dans le récent ouvrage collectif déjà mentionné, ouvre encore davantage l'éventail des opinions que l'on rencontre à propos de la portée de cette affaire dans la production historique. L'auteur y estime certes que « la capture et le procès d'Adolf Eichmann en 1961 constituèrent un événement décisif » dans le processus d'américanisation de l'holocauste, mais c'est surtout sa prise en considération des facteurs internes à la société américaine qui rend son argumentation pertinente à nos yeux 43(*).

* 35 Nathan GLAZER, Les Juifs américains. Du XVIIe siècle à nos jours, Calmann-Lévy, Paris, 1972, 291 p. La première édition d'American Judaism est sortie en 1957 -- c'est-à-dire avant le procès.

* 36 Ibid., p. 243.

* 37 Peter NOVICK, op. cit., 435 p.

* 38 Ibid., p. 181. Certes, comme le note Novick dans la conclusion du chapitre qu'il consacre à cette affaire : « Le procès Eichmann, avec les controverses autour du livre de Hannah Arendt et la pièce de Rolf Hochhuth, mit bel et bien fin à quinze années de quasi-silence sur l'Holocauste dans le discours public américain. » (ibid., p. 205) Sur ces deux controverses, voir supra.

* 39 Ibid., pp. 209 et 214. Pour Novick, le printemps 1967 qui précède la guerre des Six Jours « marqua un tournant spectaculaire dans les relations des Juifs américains avec Israël. De façon moins spectaculaire, et moins dramatique, il marqua aussi une étape importante dans le changement de leurs relations avec l'Holocauste. » (ibid., p. 209) Mais, comme il le note toujours dans son ouvrage de référence : « Pour ce qui concerne l'Holocauste, et les relations établies par les Juifs Américains entre Israël et l'Holocauste, on a peine à repérer un seul moment décisif. Il nous faut examiner non plus simplement la guerre des Six Jours, mais aussi celle du Yom Kippour, en 1973, ainsi que les événements intérieurs [...] qui renforcèrent l'impact de ces événements. » (ibid., p. 211) Sur l'importance de la guerre de 1973 dans son argumentation, voir ibid., pp. 214-216.

* 40 Françoise S. OUZAN, loc. cit., p. 283, n. 2. Aux yeux d'Ouzan, Novick répondrait « à un parti pris idéologique le conduisant à accuser la communauté juive de faire «profil bas» par rapport à la commémoration de la Shoah dans l'après-guerre, de sombrer dans une prétendue «amnésie», puis de tirer avantage des revendications ethniques des années soixante pour faire valoir son statut de victime ». (ibid.) Cette querelle idéologique porte sur le quasi-silence des organisations juives américaines dans l'immédiat après-guerre. Comme elle sort du cadre de la présente étude, il ne nous appartient pas de tenter de la vider.

* 41 Françoise S. OUZAN, loc. cit., p. 284.

* 42 Ibid., p. 311. Ce faisant, n'assimile-t-elle pas déclencheur et cause ? Dans un ouvrage antérieur consacré aux Américains juifs, elle qualifiait le procès de « tournant historique ». (Françoise OUZAN, op. cit., p. 79)

* 43 Alan MINTZ, « Du silence à l'évidence : interprétation de la Shoah dans la culture américaine », dans Françoise S. OUZAN et Dan MICHMAN (dir.), De la mémoire de la Shoah dans le monde juif, CNRS éditions, Paris, 2008, p. 259. Mintz s'y interroge sur les circonstances du déclenchement de ce phénomène d'américanisation de l'holocauste : « Comment et quand la Shoah cessa-t-elle d'être un centre d'intérêt pour la communauté juive et mobilisa-t-elle l'attention de l'ensemble de la nation américaine ? Il s'agit d'un changement radical et les raisons en sont multiples. Certains événements clés ponctuèrent ce changement : le Journal d'Anne Frank en version filmée ou en pièce de théâtre, le procès Eichmann, la guerre des Six Jours, Holocaust, le mini-feuilleton télévisé de 1978 et la création du musée du mémorial de la Shoah des États-Unis. Il se produisit aussi de vastes changements en profondeur dans la conscience populaire et dans les forces sociales, ce qui permit à la Shoah de passer de la périphérie au centre de l'intérêt. » (ibid., pp. 257-258) Mintz constate enfin que « la façon dont la Shoah réussit à percer des strates d'isolationnisme américain n'est pas simple » ; à ses yeux, la clé de la question ne réside pas dans le procès Eichmann mais « dans la puissance du matériau culturel et sa diffusion sous forme de livres, pièces de théâtre, films et émissions de télévision ». (ibid., p. 263)

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